The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

EN TOVTE Republique bien ordonnee il y a trois degrez de Magistrats. le plus haut est de ceux qu’on peut appeller souuerains : qui ne recognoissent que la majesté supreme. les moyens obeïssent aux vns, & commandent aux autres. le plus bas degré est de ceux qui n'ont aucun commandement sur les magistrats, ains seulement sur les particuliers sugets à leur ressort. Et quant aux magistrats souuerains, les vns ont puissance de commander à tous Magistrats sans exception: les autres ne recognoissent que la majesté, & n’ont pouuoir que sus les magistrats sugets à leur iurisdiction. Quant aux Magistrats souuerains, qui ont pouuoir sur tous les autres : & ne recognoissent que le souuerain, il y en a fort peu, & moins à present qu’anciennement, pour le danger qu’il y a que l’estat soit enuahi par celuy qui tient soubs sa puissance tous les sugets, & n’a plus qu’vn degré pour monter a la souueraineté: & principalement si le Magistrat, qui a ceste puissance est seul, & sans compagnon, ayant la force en main, comme le grand Preuost de l'empire, qu’ils appelloient Praefectum Praetorio, lequel auoit commandement sur tous les magistrats par tout l’empire, & cognoissoit des[*](Flauius Vopiscus in Floriano.) appellations de tous Gouuerneurs & Magistrats, & n’y auoit point d’appel de luy. [*](l.1. de offi. praes. praetor.)iaçoit que les premiers qui eurent cest estat, n’estoient que capitaines des legions Pretoriaines, comme Seius Strabo, le premier qui 333 fut pourueu de c’est office soubs Auguste : & Seianus soubs Tibere. Mais les Empereurs qui furent apres, leur donnerent peu à peu toute puissance, comme à leurs Lieutenans generaux & amis plus intimes, se deschargeant sur eux de la cognoissance de toutes affaires, & des causes qu’ils auoient accoustumé de iuger. Qui fut la cause d’en pouruoir les plus grands Iurisconsultes, comme Martian soubs Othon, Papinian soubs Seuere, Vlpian soubs Alexandre, deuant qu’on eust diuisé les armes d’auecques les loix, & les gens de iustice, d’auecques les capitaines . Depuis l’estat de grand Preuost fut diuisé[*](lib.1.C.) en deux, & puis en trois, pour amoindrir leur puissance. Autant pouuons nous dire des grands Maires du Palais, & des Princes de France en ce Royaume, & du Lieutenant general du Roy: ausquels on pourroit aucunement aparager le premier Bascha en Turquie, & le grand Edegnare en Ægypte, soubs la principauté des Sultans : mais le premier Bascha cede aux enfans du Prince qui commandent, & president en l’absence du pere : & le grand Edegnare n’auoit point de commandement sur les capitaines des forteresses, non plus qu’en Turquie, ny en ce Royaume, ny en l’estat de Venise, ny en Espagne. Aussi la puissance souueraine de commander à tous magistrats & officiers sans exception, ne se doit donner à vn seul, si ce n’est en cas de necessité, & par commission seulement, comme on faisoit anciennement aux Dictateurs: & maintenant aux regens en l’absence, fureur, ou bas aage des Princes souuerains. Ie di en l’absence, car il est bien certain qu’en la presence du souuerain, toute la puissance des magistrats & commissaires cesse, & n’ont aucun pouuoir de commander, ny aux sugets, ny les vns aux autres. Et tout ainsi que tous fleuues perdent leur nom, & leur puissance à l’amboucheure de la mer : & les lumieres celestes en la presence du Soleil, & aussi tost qu’il s’approche de l’horizon, perdent leur clarté, en sorte qu’ils semblent rendre la lumiere totale qu’ils ont empruntee du Soleil. ainsi voyons nous, que celuy qui porte la parole pour le Prince souuerain, foit au conseil priué, soit en Cour souueraine, soit aux estats, se mettant à ses pieds, vse de ces mots, LE ROY VOVS DICT. Et si le Roy estoit absent, le Chan-[*](En presence du souuerain toute la puissance des magistrats est tenue en soufrance.)-celier, ou President tenant la place du Roy par dessus touts les Princes, prononceroit suiuant l’aduis de la pluralité, au nom de la Cour, ou du corps & college ayant puissance de commander, & iurisdiction ordinaire. Et d’autant que le Chancelier Poyet, President au grand conseil, en l’absence du Roy vsoit souuent de ceste forme de parler, LE ROY VOUS DICT, fut accusé de leze majesté, outre les autres poincts d’accusation. En quoy plusieurs s’abusent, qui pensent que la verification des edicts, lettres, ou priuileges, est faicte par la Cour, quand le Roy y est present,veu que la Cour a les mains liees, & qu’il ny a que le Roy qui commande. C’est pourquoy celuy qui porte la parole pour le Roy, dit en ceste forte, Le Roy vous dict, que sur le reply de ces lettres se- 334 ra mis, qu’elles ont esté leuës, publiees, & en registrees, ouy sur ce son Procureur : sans y mettre, ce requerant, ny consentant: car l’aduis du procureur ne sert de rien, le maistre present. Aussi lisons nous qu’en l’assemblee des estats du peuple Romain, touts les magistrats baissoient les faisseaux & masses en signe d’humilité, & parloient debout au peuple assis: monstrant qu’ils n’auoient aucun pouuoir de commander. Et tous Magistrats procedoient par requestes vsant de ces mots, VELITIS IVBEATIS. Et le peuple quand il donnoit son consentement à haute voix, deuant la loy Cassia tabellaria, vsoit de ces mots, Omnes qui hic assident, volumnus iubemusque. Et les tablettes portoient ces lettres A, & V, R, antiquo, vti rogas. Et en cas pareil, le peuple d’Athenes estoit assis, alors que les magistrats parloient[*](Plutar. in Phocione.) tout debout. Mais dira quelqu’vn, s’il est ainsi que les magistrats n’eussent aucun pouuoir de commander aux particuliers, ny les vns aux autres en la presence de ceux qui auoient la souueraineté, pourquoy est-ce que le Tribun du peuple enuoya son huissier au Consul Appius pour luy imposer silence? & le Consul pour luy rendre la pareille, luy enuoya son massier, criant tout haut qu’il n’estoit pas magistrat? le responds que souuent tel debat aduenoit entre les magistrats, mesmement entre les Consuls & Tribuns: mais il ne faut pas pourtant conclure, que l’vn eust puissance de commander à l’autre en presence du peuple: comme il fut bien remonstré au premier President le Maistre, sus le differend des habits, entre le Parlement & la Cour des Aydes, qui debuoient accompagner le Roy, il aduint au President de faire deffenses, & vser de commandement enuers la Cour des Aydes: iaçoit que le Roy ne fust pas si pres, qu’il peust ouyr le commandement : toutesfois on dist: au President, qu’il n’auoit rien à commander au lieu où estoit le Roy, quand ores il eust eu commandement sus la Cour des Aydes. Encores peut-on dire, que si les magistrats n’auoient puissance de commander, ils ne seroient plus magistrats : & la prerogatiue des presseances ne seroit pas si soigneusement gardee en la presence du Roy, comme elle est. Ie di que les magistrats demeurent en leurs offices, & par consequent en leurs dignitez & honneurs : & n’y a que la puissance de commander suspendue: comme en cas pareil le Dictateur estant nommé, touts les magiftrats demeuroient bien en leurs estats & offices, mais la puissance de commander estoit tenue en soufrance : & aussi tost que la commission du Dictateur expiroit, ils commandoient : ce qu’ils n’eussent fait, si le magistrat & office leur eust esté osté reellement & de faict. Qui seruira de response à ce qu’on pourroit tirer en argument ce qu’on list és anciens autheurs, Creato dictatore, magistratus abdicant: qui ne s’entend que de leur puissance, qui estoit suspendue pour vn peu de temps. Et la raison est generale, que la puissance du moindre soit tenue en soufrance, en la presence du superieur : car autre- 335 ment le suget pourroit commander contre la volonté du seigneur: le seruiteur contre le gré du maistre: le magistrat contre l’aduis du Prince : chose qui feroit preiudice ineuitable à la majesté souueraine, si ce n’estoit que le Prince depouillast la personne de souuerain, pour voir commander ses Magistrats : comme l’Empereur Claude souuent alloit voir les magistrats en public & sans se deguiser, se mettoit au dessoubs d’eux; leur quittant le plus digne[*](Tranquil in Claud.) lieu: ou bien que le Prince voulust soufrir iugement de ses officiers, luy present. Car la[*](l est receptum de iurisdic. l. si quis in conscribendo. de pactis.) maxime de droit qui veut que le magistrat esgal,ou superieur puisse estre iugé par son compagnon, ou inferieur, quand il s’est soubmis à sa puissance, a lieu en la personne de touts Princes souuerains, pour estre iugez, non seulement par les autres Princes, ains aussi par leurs sugets. Car iaçoit que ceux-là peuuent iuger en leur cause, à qui Dieu a donné puissance de disposer sans iugement, comme disoit Xenophon: [*](lib.3. GREEK l & hoc Tiberius de haeredib. insti. l. serui de furtis ff.) neantmoins il est beaucoup plus seant à leur majesté de soufrir iugement de leurs magistrats, que se faire iuges de soy-mesme. Mais affin que la majesté ne soufre aucune diminution de sa grandeur, & que la splendeur du nom Royal n’ebloüisse les yeux des iuges, il a esté sagement aduisé en ce Royaume, que le Roy ne plaideroit que par procureur, c’est à dire, qu’il ne seroit iamais en qualité. ce que depuis les autres Princes ont fuiuy. Vray est que le procureur du Roy plaidant pour le Roy en qualité de particulier, comme s’il obtient lettres en forme de recision, il doibt laisser la place du procureur du Roy, & se mettre au barreau des Pairs de France. Ce que i’ay dict que les magistrats n’ont point de puissance en la presence du Roy: s’entend aussi quand leurs commissions s’addressent aux sugets de leur iurisdiction, lors qu’ils sont à la Cour, suitte, & pourpris d’icelle: ce qui est gardé bien estroittement. Mais on peut demander, si le magistrat peut defendre au suget d’approcher de la Cour, au ressort de son territoire. Celà n’est pas sans difficulté. toutesfois sans entrer plus auant en dispute, ie di que le magistrat bannissant le coulpable hors le territoire de sa iurisdiction, où le Prince peut estre alors, il luy defend aussi d’approcher de la Cour: mais il ne peut specialement luy faire defense d’approcher de la Cour: en quoy la reigle de Papinian a lieu, qui dit, Expressa nocent, non expressa non nocent. Et me souuient qu’on trouua bien estrange à la Cour, & mesme le Chancelier del’Hospital, que les commissaires deputez au iugement du President Lalemand, luy firent defenses d’approcher de dix lieues à la ronde de la Cour. & fut dit qu’il n’y auoit magistrat ny Cour souueraine qui peust faire telles defenses. Et peut estre ce fut l’vne des principales causes, pour laquelle le President Lalemand, au conseil duquel i’estois, obtint lettres de reuision . Car non seulement il seroit trop dur & inhumain, d’oster la voye de requeste au suget enuers son Prince, qui est de droict diuin & naturel : ains aussi ce seroit faire vn preiudice 336 à la majesté souueraine, comme i’ay dit cy dessus. Et combien que les cours souueraines bannissent hors du Royaume, & aux lieux où ils n’ont point de puissance, contre le droit[*](l. telegatorum de poeni. ff.) commun: si est-ce que l’arrest n’auroit point d’effect, si le Roy, au nom duquel les Parlemens iugent, ne donnoit la commission: aussi tous les arrests en forme commencent par le nom du Roy. Or tout ainsi qu’en la presence du Prince la puissance de tous Magistrats est tenue en souffrance: aussi est elle en la presence des Magistrats superieurs & commissaires, qui ont puissance de commander aux inferieurs. comme on peut voir en ce Royaume, où les Presidens & Conseillers, chacun en leur ressort, & les maistres des requestes, en tous les sieges de iustice, horsmis es Cours souueraines, ont puissance de commander aux Seneschaux, Baillifs, Preuosts, & autres Magistrats inferieurs: se mettans en leur siege de iustice, & peuuent iuger, ordonner, & commander comme superieurs aux inferieurs, & leur faire defenses de passer outre : ce qui est general à tous magistrats superieurs, comme dit la loy, [*](l. iudicium soluitur de iudic. ff.) Iudicium soluitur, vetante eo qui iudicare iusserat, vel qui maius imperium in ea iurisdictione habet. Le mot imperium ne signifie pas seulement puissance de commander, ains aussi le Magistrat mesmes. & quand Ciceron[*](ad atticum lib.2.) a dit, maius imperium à minore rogari ius non est: il vouloit dire, que le Magistrat, ou Commissaire egal en puissance, ou superieur, n’est tenu de respondre par deuant son collegue, ou moindre que luy. qui est la maxime des anciens, que le Iurisconsulte Messala declaire par exemples. A minore imperio, maius : aut à maiore collega rogari iure non potest. quare neque Consules, aut Praetores, Censoribus : neque Censores, Consulibus, aut Praetoribus turbant, aut retinent auspicia : at Censores inter se, rursus Praetores, Consulésque inter se, & vitiant, & obtinent. Voila les mots de Messala, qu’il dit auoir transcripts du x iiii. liure de C. Tuditanus. mais il y a faute en ce qu’il dit apres, Praetor & si collega Consulis est, neque Praetorem, neque Consulem iure rogare potest. Il faut mettre Praetor & si collega Praetoris est. si ce n'estoit qu’on voulust sauuer ceste lecture en disant, que les Consuls, Preteurs, & Censeurs estoient collegues, quia soli iisdem auspiciis, iisdem comitiis, id est, maioribus creabantur: caeteri minoribus auspiciis & comitiis. mais ce mot de collega, où il est question de commandement, ne se peut ainsi prendre. aussi iamais il ne se trouuera que le Preteur fust collegue, ny compagnon du Consul. mais bien au contraire, l’appel du Preteur alloit au Consul: comme nous lisons que le Consul Æmylius Lepidus cogneut de l‘appel intergeté du Preteur Oreste, & cassa[*](Valer.lib 7. C.7.& lib 5. C. 4. Plin. lib. 7. C. 36. Festus in verbo pietati.) son iugement. nous voyons aussi que le triomphe[*](Valer. lib. 2. cap 3.) fut adiugé au Consul Luctatius, pour auoir commandement sur le Preteur Valere, comme celuy qui estoit soubs sa puissance. Aussi le Consul auoit douze Massiers, & les Preteurs n’en auoient que deux : & ceux qu’on enuoyoit aux prouinces n’en auoient que six, que les Grecs pour ceste cause appelloient GREEK. Cela se peut voir par la loy Laetoria, 337 que nous trouuons en Censorin : Praetor vrbanus duos lictores apud se habeto, isque ad supremum solis occasum ius inter ciues dicito. Or il ne suffist pas de sçauoir que les Magistrats egaux en puissance, n’ont rien à commander l’vn sus l'autre, & moins encores à leurs superieurs, par la reigle de droict[*](l. 3. §. vlt. l.nam & magistratibus de arbitris l. apud de manumiss. vindic.l. minor. de minorib.): mais il faut aussi sçauoir, si le collegue, ou le moindre, ou celuy qui n’est pas collegue, ayant toutefois mesme pouuoir en son ressort , peut empescher les actes de l’autre. car souuent les Magistrats tombent en differend pour telles prerogatiues. & la difference est bien grande entre commandement & empeschement, ou opposition. les collegues n’ont point de puissance l’vn sus l’autre, & toutefois l’vn peut empescher l’autre. comme le Preteur Pison , qui estoit iuge entre les estrangers & bourgeois, fist apporter son siege pres celuy de Verres iuge entre les bourgeois, pour s’opposer aux iniques & iniurieux iugemens[*](Asconius & Cicero in praetura vrbana.) qu’il donnoit: de forte que les bourgeois procedoient volontairement par deuant Pison, comme il estoit alors permis . C’est pourquoy Ciceron en l’vne de ses loix dit, Magistratus nec obedientem, & nociuum ciuem, multa, verberibus, vinculisque coerceto, nisi par, maiorve potestas prohibescit. Encores ne suffist il pas de dire prohibescit, car le Magistrat egal en puissance, ne peut rien faire deuant son collegue, s’il ne consent expressément, ou qu'il se soumette à sa puissance: comme il ap-[*](Antinomie accordee sans oster la negation.)-pert en ce que dit Paul Iurisconsulte, Apud eum cui par imperium est manumitti[*](l. apud. de manumissis. l apud de manumissi vind.) non posse. le docteur Cuias a tranché la negation, comme en plusieurs autres lieux, & toutefois il est dit en autre lieu, Praetorem apud Praetorem manumittere non posse. & n’y a point d’antinomie en ce que dit[*](l.1.de offi. consulis.) Vlpian, que le Consul peut affranchir en presence de l’autre Consul, veu que cela s’entend au iour que celuy qui affranchist, a le commandement, & les massiers : par ce qu’ils n’auoient iamais puissance en mesme iour, comme dit Feste Pompee, & se peut voir en plusieurs lieux[*](Liuius de Claudio Nerone & Liuio Salinatore. Plutar. in Æmilio. Festus in verbo maiorem Consulem. l. Caesar dici putat eum penes quem fasces sint.), soit qu’ils fussent d’accord ou en discord. car Liuius, surnommé le Saunier, emporta le triomphe par dessus Neron fon collegue au Consulat, d’autant qu’il commandoit ce iour là, dit Tite Liue, & neantmoins la bataille fut donnee du commun consentement de l’vn & de l’autre. & mesmes les dix commissaires, qui dresserent les loix des xii. tables, commandoient l’vn apres l’autre[*](Liuius lib.1.) seulement. Or la reigle qui veut que les collegues s’empeschent l’vn l’autre, est fondee en raison generale, de tous ceux qui ont quelque chose en commun, celuy qui empesche a plus de force[*](l. in re communi de regul. l. Sabinus com diuid. l. per. fundum rusticor. dd. in c. cum omnes de constitut. l. fistulam. vrbanorum praediorum.), & sa condition en ce cas est meilleure que de celuy qui veut passer outre: qui fait aussi qu’entre plusieurs loix, celle qui defend est la plus forte. Quand ie dy en puissance egale, cela s'entend aussi en nombre egal : car en tous corps & Colleges, soient Magistrats, ou particuliers la pluspart l’emporte. Et par ainsi le moindre nombre du College des Magistrats ne peut empescher la plus grand part. Et quand tous les collegues estoient d’vn aduis, on mettoit ces mots PRO COLLEGIO. 338 Mais s'il est vray ce que nous auons dit, pourquoy Messala dit-il, Consulem ab omnibus Magiftratibus concionem auocare posse, ab eo neminem : deinde Praetorem ab aliis praeter quàm a Consulibus: minores Magistratus nusquam, nec concionem, nec commitiatum auocasse. Il s’ensuit que l’empeschemcnt & opposition des moindres Magistrats., ou egaux en puissance , ne pouuoit empescher les actions des plus grands. Il y a response, que l’euocation gist en commandement, & non pas l’opposition, comme nous dirons tantost: mais deuant que passer outre, ce que dit Messala n’a [*](Magistrats egaux s’empeschent par opposition.) point de lieu pour le regard des Tribuns du peuple: que nous auons monstré auoir qualité de Magiftrats, & puissance de conuoquer le menu peuple, & contraindre les Consuls de deferer à leur opposition, non pas par puissance de commander, mais par emprisonnement de leurs personnes, & saisie de leurs biens, comme nous lisons que le Senateur Seruilius, adressant sa parolle aux Tribuns, dist, Vos Tribunipleb. Senatus appellat, vt in tanto discrimine Reipublicae dictatorem dicere Consules pro vestra potestate cogatis. Tribuni pro collegio pronuntiant, placere Consules Senatus dicto audientes esse, aut in vincula se duci iussuros. Et tant s’en faut que les Consuls eussent puissance d’empescher l’assemblee du menu peuple euoqué par les Tribuns, qu’il n’estoit pas seulement en leur puissance de les interrompre quand ils parloient au peuple, sus peine de la vie, par la loy Icilia[*](Dionysius lib. 7.), si celuy qui auoit interrompu le Tribun en sa harangue ne payoit l’amende au vouloir du Tribun: comme le Tribun Drusus fist cognoistre au Consul Philippe, qu’il fist mettre en prison, pour [*](L’opposition du Tribun empeschoit tous les magistrats & ses collegues mesmes.) l’auoir interrompu. Encores y a-il vne exception pour le regard des Tribuns du peuple, en ce que nous auons dit, que la pluspart d’vn College de Magistrats emporte la moindre : car vn seul Tribun pouuoit empescher les actes de tous ses compaignons, en vertu de son opposition: & les actes d’vn feul auoient leur effect, s’il n’y auoit opposition des autres: comme on peut voir en Tite Liue[*](lib. 43.), où il dit que les fermiers du domaine furent deschargez, rogatione sub vnius Tribuni nomine promulgata: & en ce que dit le Tribun Sempronius, Ego te, inquit, Appi, in vincula duci iubebo, nisi Æmyliae legi parueris: approbantibus sex Tribunis actionem collegae, tres auxilio fuerunt, summaque invidia omnium solus censuram gessit. Aussi voit-on que neuf Tribuns d’vn commun consentement, furent d’aduis qu’on enuoyast querir les forces de Pompee, pour reprimer la puissance de Ciceron, qui estoit redoutable à la Republique, apres qu’il eut donné la chasse à Catilina : mais Caton Tribun du peuple s’opposa[*](Plutar. in Cicer. Liuius lib. 48. Cic. in prouinc. consulat.), & luy seul empescha l’execution du decret de ses collegues. Et alors que Scipion l’Asiatique fut accusé, il n'y eut que Sempronius Gracchus qui empeschast qu’on ne l’emprisonnaft. Comment, dira quelqu’vn, vn seul Tribun pouuoit-il empescher les actions du Senat & des Consuls, & mesmes de tous ses collegues? Il est certain, si les autres Tribuns ne presentoient requeste au peuple, tendant

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Afin que le Tribun fust destitute de son estat: comme il fut fait à Marc[*](Plutar.in Gracchis.) Octaue Tribun du people, pour l’opposition qu’il forma contre la requeste de Tiberius Gracchus, aprouuee de tous ses compaignons, & receüe du people. C’est puorquoy Tite Liue disoit, Faxo ne iuuet vox ista Veto, qua collegas nostros tam læti concinnentes auditis. Contemni iam Tribunosplebis, quippe potestas tribunitia suam ipsa vim frangat intercedendo . Mais cela s’entend quand l’opposition du Tribun regardoit le public: car s’il estoit question de son fait particulier en ciuil ou criminel, on n’y auoit point d’egard, & souffroit condamnation, si l’vn de ses compaignons ne l’empeschoit:comme on peut voir du Tribun L.Cota, qui ne vouloit plaider, ny payer, fiducia sacrosanctæ potestatis: mais ses collegues luy denoncerent, qu’ils aideroient aux creanciers, s’il ne vouloit payer: autrement l’opposition d’vn collegue empeschoit de passer outre. Vray est que peu à peu par coustume, on pratiqua la maxime vsitee en tous corps & collegues, à sçauoir que la pluspart des Tribuns estant d’accord, ne fust empeschee par l’opposition d’vn, ou de la moindre partie: comme on peut voir en ce que dit Tite Liue, Ex auctoritate Senatus latum est ad populum, ne quis templum aram ve iniussu Senatus, aut Tribunorumplebis maioris partis dedicaret. & par la loy[*](Liuius lib.39.Iustin.de attilian.tutore. institut.) Attilia, il estoit porté, que le Preteur, & la pluspart des Tribuns du peuple, decerneroient tuteurs aux femmes, & aux pupilles. Et ceste coustume print tellement force, que le[*](Dio.lib.40.) Senat fist mettre en prison Q. Pompeius Rufus Tribun du peuple, voulant empescher l’assemblee des Estats:qui estoit enfraindre les loix sacrees, comme nous auons dit cy dessus. autrement on n’eust pas eu la raison d’vn seditieux Tribun, s’opposant aux actions des autres Magistrats. C’est pourquoy le Consul voulant assembler les grands Estats faisoit publier son edit à son de trompe, portant defenses à tous Magistrats moindres que luy, de prendre garde aux auspices: c’est à dire à la disposition de l’air, & au vol des oiseaux, pour coniecturer si la chose qu’on entreprenoit estoit agreable à leurs Dieux: car s’il tonnoit tant soit peu, ou que l’vn des assistans tombast du mal caduc, qui pour ceste cause estoit appellé Mal comitial, le peuple s’en alloit sans rien faire. c’estoit la charge des Augures, qui pouuoient bien denoncer, mais ils n’auoient pas droict d’opposition, comme les Magistrats egaux en puissance, ou plus grands. & si les Magistrats estoient inferieurs à celuy qui tenoit les Estats, leur opposition ne pouuoit empescher qu’on ne passast outre: mais les actes estoient vicieux & sugets à[*](Varro vitiosa comitia, vitio creatos magistratus, Cicero Phil.2.Augures nuntiationem habent, cęteri magistratus spectionem. Sed Festus Pompeius ait spectionem, siue aspectionem Augures habuisse, non tamen vt alios impedirent nuntiando.) recision: de sorte que Caius Figulus Consul auec son collegue, apres auoir esté eleu, presté le serment, & mené l’armee iusques en Espaigne, furent rappellez, & destituez par[*](Cic.lib.2.de natura Deor. & 2.de legib.) arrest du Senat: par ce que les Augures auoient denoncé à Tibere Gracchus Consul, que les auspices estoient contraires alors qu’il tenoit les Estats, & ne laissa de passer outre. Et afin que la pluralité des oppositions, & denonciations n’empeschast l’vne l’autre: il n’estoit pas licite de prendre (FOOTNOTE #7 MISSING)
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Garde aux auspices, ny denoncer, ny s’opposer plus d’vne fois en vn iour. Mais quant aux autres actions des Magistrats, l’opposition des Tribuns les arrestoit: & si on vouloit passer outre, ils procedoient par voye de faict: & quelquefois il s’y faisoit des meurtres: comme le Preteur Asellisu portant faueur aux debteurs, fut tué en sacrifiant, par la sedition des creanciers, ayant pour chef vn Tribun du peuple. Et tout ainsi que pendant, & au parauant l’acte, les oppositions des Magistrats egaux, ou superieurs l’empeschent: aussi apres les actes, le moyen d’appel est, & a tousiours esté en toute Republique, du moindre au plus grand Magistrat, chacun en son ressort & iurisdiction. Et s’il n’est pas en la puissance du moindre Magistrat de commander au plus grand, ny d’empescher ses actions: aussi ne peut-il[*](l.3.si aduersus rem iudic.C.l.minor.autem.de minor.) restituer contre le iugement du superieur, ny corriger ses actes, ny cognoistre des[*](l.I.§.si quis.de appel.) appellations intergettees de luy, non plus que de son collegue: ains au contraire si le commis, ou lieutenant d’vn Magistrat est pourueu d’vn estat en pareil degré que le Magistrat, la commission, & charge de lieutenant cesse:& les actes par luy encommencez sont interrompus &[*](l.iudicium soluitur.de iudic.) resolus. Et iaçoit que cela n’est pas gardé à la rigueur, si est-ce que s’il y va de la vie, ou de l’honneur, on y doit prendre garde. Et s’il aduient au moindre Magistrat, ou collegue, ou egal en puissance, de prendre cognoissance, & receuoir les accusations de son collegue ou superieur, il peut prendre à partie, & faire appeller en action d’iniure le Magistrat & l’accusateur. Et pour ceste cause Cesar n’estant que Preteur, accusé par deuant vn Questeur d’auoir eu part à la coniuration de Catiline, fist mettre en prison le iuge & l’accusateur & les fist condamner en grosses amendes: & mesmement le Questeur quod apud se maiorem potestatem compellari passus esset, dit[*](in Iulio.) Suetone. Et par arrest de Parlement du VII. Ianuier M.D.XLVII. defenses furent faites à tous iuges subalternes d’vser d’aucunes defenses enuers les iuges Royaux, & sugets du Roy: autrement que les iuges Roy aux pourroient proceder contr’eux par voyes de droict. Mais on peut icy doubter, si le Magistrat inferiuer, qui peut estre commandé par le superieur, peut aussi estre commandé par le lieutenant du superieur. Plusieurs penseroient que cela est sans difficulté, attendu que les lieutenans ne commandent rien en leur nom, & ne le peuuent aussi, ains, au nom du Magistrat duquel ils tiennent la place, auquel le Magistrat inferieur doit obeissance. & s’il estoit permis aux Magistrats inferieurs desobeir aux lieutenans des superieurs, les particuliers par mesme raison s’en voudroient exempter, qui seroit renuerser tout l’estat. Toutfois on pourroit dire aussi, que les lieutenans des Magistrats erigez en tiltre d’office, ont puissance de commander en leur nom, & en ceste qualité contraindre les Magistrats inferieurs. neantmoins ie dy que les lieutenans ne peuuent commander, ny decerner commission en leur nom propre: & s’ils font, les Magistrats inferieurs ne sont tenus d’y obeir. cela a esté iugé par arrest de la Cour de Parlement, à la re-
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Queste du Seneschal de Touraine contre son lieutenant, qui fut constraint d’ottroyer les commissions au nom du Seneschal. cela estoit bien sans difficulté au parauant l’ordonnance de Charles VII. Que les lieutenans estoient instituez & destituez par les Seneschaux: mais le doubte suruint, quand ils furent erigez en tiltre d’office, ayans puissance du Roy, & non du Seneschal. Mais il ne faut pas pourtant presumer que le Prince ait voulu oster la puissance aux Seneschaux & Baillifs, ce qui ne pouuoit estre fait que par edit de supression: ains au contraire, l’erection de lieutenans, en qualité de lieutenans, estab list de plus en plus la puissance des Seneschaux & Baillifs. Et combien que le Senat de Rome, & puis les Empereurs s’attribuerent l’auctorité de donner lieutenans aux gouuerneurs de pays: neantmoins la loy dit, Apud legatum Proconsuls non est legis actio. Aussi pouuons nous dire, que la force de commander n’est point en la personne des lieutenans. Et cela est si certain, que le Magistrat se mettant au siege d’autruy n’a pas puissance de[*](l.& si prætor.de offic.eius cui.l.3.de offic.Proconsul.) commander en son nom. Qui fait qu’il n’y a[*](l.I.quis & à quo.) iamais d’appel du lieutenant, à celuy duquel il tient la place:iaçoit que le Magistrat puisse cognoistre de l’iniure & entreprise de son lieutenant: car le lieutenant n’a pas toute la cognoissance du Magistrat duquel il tient la place. & moins anciennement qu’à present:où les lieutenans des gouuerneurs de pays n’auoient aucune puissance de punir[*](l.si quid erit.de offic.Proconsul.) corporellement. Aussi les lieutenans du Prince en guerre, bien qu’ils ayent commandement sur les Princes du sang, si est-ce que s’ils contreuiennent aux loix militaires, la cognoissance en appartient au souuerain, ou bien au chapitre des Cheualiers de l’Ordre, s’il y va de l’honneur, ou de la vie. Et en plus forts termes, quand il est question de la discipline ecclesiastique, seulement les Euesques ne sont pas tenus de respondre par deuant les Officiaux, ou Vicaires generaux des Archeuesques:comme il a esté iugé pour les Euesques de Troye & de Neuers par arrest du[*](l’an 1550.& 1553.) Parlement de Paris: par lequel il fut dit, qu’ils n’estoient tenus d’obeir sinon aux Archeuesques en personne. Ce que I’ay dit de la puissance des Magistrats superieurs aux inferieurs, s’entend en leur territoire, en leur siege, & au faict de leur iurisdiction: hors laquelle ils sont[*](l.3.de offic.præsid.l.vlt de iurisd.) priuez & particuliers, sans puissance, ny commandement. Mais on peut demandet si les magistrats egaux en puissance, ou collegues sont aussi egaux enhonneurs & presseances. Ie dy que l’vn n’a rien de commun auec l’autre: & souuent ceux qui sont les plus honorez ont moins de puissance:[*](La prerogatiue d’honneur n’a rien de commun auecla puissance.) quiest l’vn des plus beaux secrets d’vne Republique, & mieux gardé à Venize qu’en lieu du monde, entre les Consuls le premier designé Consul estoit le premier nommé aux actes publiques & aux fastes, & auoit la presseance:autrement c’estoit le plus aagé, iusqu’ à la loy[*](Nicephor.lib.7.So zomen.lib.I.cap.9.l.I.de iure deliber.C.l.I.de iis qui numero liber.C.Tacit.lib.56.Tranq.in August.) Pappia, qui donna la prerogatiue d’honneur au Consul marié: ou s’ils estoient tous deux mariez, à celuy qui auoit le plus d’enfans, qui suploient le nombre des ans. Et entre les Preteurs, celuy qu’on appelloit Vrbanum estoit le premier, & te
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Noit la place des Consuls, assembloit le Senat, tenoit les[*](Festus in verbo maiorem.) grands estats. & entre les dix Archontes egaux en puissance, il y en auoit vn quon appelloit Archon eponymos, qui passoit deuant tous les autres, & les actes publiques estoient auctorisez de son nom. Ainsi pouuons nous dire, qu’entre tous les Parlemens de ce Royaume, le Parlement de Paris a la prerogatiue d’honneur par dessus tous, & s’appelle encores la Cour des Pairs de France, ayant cognoissance des Pairs, priuatiuement à tous autres. Et combien que du temps de Charles VIII. Le grand Conseil maniast les affaires d’estat, si est-ce que par edit expres, le Roy ordonna qu’en tous edits & mandemens où il seroit fait mention de la Cour de Parlement & du grand Conseil, la Cour seroit tousiours premise. L’edit est verifié le XIII. Iuin M. CCCCXCIX. & mesmes entre tous les Procureursdu Roy, celuy du Parlement de Paris a tousiours eu la prerogatiue d’honneur par dessus tous autres, qui doiuent tous serment aux cours souueraines, horsmis le Procureur general au parlement de Paris, qui ne doit serment sinon au Roy. Aussi voit-on que le Connestable de France & le Chancelier, ores qu’ils n’ayent rien à commander l’vn sus l’autre, & qu’ils soient vis à vis l’vn de lautre en séance, & en marchant coste à coste, neantmoins le lieu d’honneur est reserué au Connestable, qui est à la dextre dueant le Roy, & le Chancelier à la senestre. Si ce n’est qu’on voulust dire qu’il a ce lieu pour tenir à dextre l’espee du Roy. Mais outre cela au sacre & couronnement du Roy, & au ceremonies où il y a lieu de precedence, le Connestable passe duant le Chancelier, qui est suiuy du grand Maistre de France. Ce que I’ay mis en passant pour exemple, & non pas pour traiter des honneurs. Mais d’autant que nous auons dit que les Magistrats egaux en puissance, ou qui ne tiennent rien l’vn de l’autre, ne peuuent estre commandez les vns par les autres:on peut doubter si entre plusieurs Princes, ou conseigneurs, l’vn peut estre corrigé par l’autre ayant offensé. car la iurisdiction de sa nature est[*](l.imperialem §.præterea.de proh.feud.alin.) indiuisible, & les seigneurs d’vne mesme iustice ont autant de puissance l’vn comme l’autre, & chacun pour le[*](Bart.in l.inter tu sores.de administ.tut.) tout a puissance entiere. ce qui n’est pas entre les Princes, ou Magistrats, qui ont leurs charges, ou territoires diuisez, & qui n’ont rien à commander l’vn à l’autre: & beaucoup moins quand plusieurs Magistrats en corps & College ont vne charge tous ensemble:car pas vn d’eux n’a puissance, ny commandement, si ce n’est par commission du College, qui luy soit donnee expressément. Il y en a plusieurs qui[*](Felin.in cap.prudentiam.nu.4.de offic.deleg.) tiennent que l’vn des seigneurs peut estre corrigé par ses conseigneurs, comme ayant per du sa iustice par sa faute: comme il a esté iugé à la Rote de[*](Rotæ decis.253.in nouis.Angel.in l.est receptum.de arbitr.idem tenet.) Rome. Le iugement se peut bien soustenir, mais la raison n’est pas bonne. Car de dire qu’il a perdu sa iustice ayant offensé, ce seroit[*](l.nimis propere.de execut.rei iudic.Cod.) executer dueant que iuger, & despoüiller le seigneur, ou le Magistrat de son estant deuant que l’auoir ouy. Et quand bien les menasses, peines & decrets irritans portez par les loix, auroient force de chose iugee com-
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Me quelques-vns ont pensé, si est-ce au’il faut tousiours cognoistre du faict: & s’il est confessé, eoncores faut-il que la[*](l.I.de confes.C.) sentence soit prononcee par la bouche du iuge: qui ne peut estre competent de celuy qui est egal à luy en puissance, comme nous quons monstré cy dessus, suiuant la plus saine opinion, & de la pluspart des[*](Bart.in d.l.inter tutores.Andr.Barbat.ad Bartolum ita consuluisse tradit.contra Baldum in d.§.pręterea Bartol.suam sententiam confirmat. ex l.si vt certo.§. si duo, quem Panorm. Buttio, Imola in ca. prudentiam sequuentur. castrensis in l.est receptum. De iurisdict.& in l.cætera.§.si duob.delegat.I.Dominicus geminian.in cap.2.de arbitris.lib.6.Ancara.in cap.postulast.de foro compet.) Iurisconsultes: sans auoir egard à ce que les autres disent, qu’il faut que chacun soit iugé où il a failly, car cela[*](Felin.in d.cap.prudentiam & Panor.in c.inferior.de maioritate.) s’entent s’il n’y a empeschement legitime. Cela ne reçoit point de difficulté, si la pluspart du corps & College des Magistrats est d’accord: car en ce cas ils pourront iuger & chastier l’vn des collegues, ou la moindre parite du College, comme il se faisoit au Senat Romain, apres l’ordonnance de l’Empereur Adrian. & se fait en toutes les Cours de ce Royaume. Mais cela ne se peut faire entre plusieurs seigneurs: car ayant chacun iurisdiction[*](l.si vnus iudicatum solui.d.l.2.§.ex iis.) pour le tout, ils ne peuuent iuger sinon l’vn apres l’autre, & ne peuuent auoir qu’vn siege de iustice, si le seigneur[*](Molin.in consuet.feud.) dominant ne le permet. qui est la difference de la iustice à la seruitude que chacun peut ioüir pout le tout, & en mesme temps: mais non pas de la iustice, comme[*](Bart.in d. l inter tutores. Butrio.Imola. Panor Dominic.Gemin.Felin.in d.c. prudentiam.Bald.in ca.vno.delegatorum.de offic.delegati.) quelques-vns ont pensé, qui ont excepté les Duchez, Marquisats & Comtez, qui ne souffrent point de diuision par les anciens droits des fiefs. Mais il n’est pas icy besoin de regeter l’opinion de ceux qui ont attaché la iurisdiction aux fiefs, afin de ne sortir des termes de nostre traité. Il suffira de dire en passant, que la iustice tient si peu di fief, que le Prince souuerain vendant ou donnant vn fief de quelque nature qu’il soit, n’est point reputé donner ny vendre la iurisdiction: comme il a esté iugé plusieurs fois. & passé en force d’edit fait par Philippe le Bel: encores que la donation fust pitoyable: ce que[*](Bald.in cap.quanto.de iud.Oldtad.consil.252.) plusieurs auoient excepté. Puis donc que les Magistrats egaux en puissance, ou qui ne tiennent rien les vns des autres, ne peuuent estre commandez, ny corigez les vns par les autres, ny les seigneurs iusticiers d’vne mesme iustice, il faut que le Magistrat superieur, ou le seigneur iusticier dominant en prenne la cognoissance: ou s’il est question d’executer les iugemens des vns sur le territoire des autres, ils doiuent vser de prieres honnestes, comme sont les Princes souuerains entr’eux par commissions rogatoires, n’ayans puissance ny commandement hors leurs frontieres, & beaucoup moins que les Magistrats entr’eux, qui qeuuent, en cas de refus, estre contraints par le superieur. Les commissions rogatoires peuuent estre du moindre au superieur, ou egal en puissance, pour executer, ou souffrir executer le iugement donné hors son territoire, offrant en son endroit, où l’occasion se presentera, faire le semblable. C’est la forme qui est, & a esté gardee de toute[*](l.episcopale.de episcopali audi.c.Romana §.contrahente.de foro compet.lib.6.l.iudices.de fide in stru.C.Oldrad.cons.167.lib.2.q.3 Felin.in cap.significasti.de offic.deleg.) ancienneté. Toutefois il semble que soubs l’Empire Romain, il estoit besoin, pour faire executer vn mandement, ou sentence hors le territoire, obtenir lettres de l’Empereur: veu que la[*](i.à diuo.§.sententiam.de re iudic.) loy dit, Sententiam Romæ dictam, possunt Præfides in prouinciis, si hoc iussi fuerint, exequi: car combien que le mot Iubere[*](Donat.in illud Terent.quis scis an quę iubeam sponte faciat?iubeam pro velim.) signifie proprement vouloir, si est-ce qu’il ne se peut ainsi prendre 344 au passif. mais il est beaucoup plus seant d’vser de prieres, que de commencer par contrainte, comme disoit Marc Aurele à celuy qui se plaignoit de son compaignon, sans luy en auoir parlé: Alloquere illum,[*](l.quidam hiberus vrbanorum prædior.)  dit-il, ne rem iniustam faciat. d'autant que la contrainte du superieur en tel cas, donne occasion de querelles, & ialousies entre les Magistrats, qui tournent bien souuent au grand dommage des sugets, & des honneur de la Republique: caries vns, en despit des autres, dechargent leurs passions sur les innocens: comme le Consul Marcel, qui en despit de Cesar fist foüeter quelques habitans de Nouocome, pour leur faire cognoistre, comme il disoit, que Cesar n’auoit peu leur donner le droict de bourgeoise Romaine. Et si le different suruient entre les Magistrats souuerains, c’est au grand dommage des pauures sugets, comme i’ay veu vn different entre le Parlement de Paris & de Bourdeaux sur l'execution d’vn arrest donné au Parlement de Paris, que le Parlement de Bourdeaux permist estre executé en son ressort, à la charge que s’il y auoir opposition, le parlement de Bourdeaux en cognoistroit. l’executeur voulant passer outre par dessus l’opposition, il y eut appel du condamné, qui fut par luy releué au parlement de Bouudeaux, & fut neantmoins anticipé au parlement de Paris, le different des deux parlemens fut renuoy é par le Roy au grand Conseil: qui iugea que le parlement de Paris deuoit cognoistre de l’appel. car chacun doit estre interprete de sa volonté: & tout ainsi qu’il n’y a que le Prince qui peut declarer ses[*](l.I l.non dubium.de legib.C.) loix, & mandemens: aussi le Magi- strat doit declarer sa[*](l.I.§.vlt.de prætor.stipul.)  sentence. Et si les Magistrats ne veulent auoir egard aux requestes & annexes, ny soufrir l’execution des mandemens d’autruy en leur ressort, il faut auoir recours au[*](Alexan.Bart.Cuma.in l àdiuo.de re iudic.l I.de seruis fugit.Aufre.q.411.Tolos.Felin.in cap.vlt de foro compet.)  superieur. Enquoy plusieurs se sont abusez, qui ont pensé qu'vn Magistrat peut contraindre l’autre hors son ressort, de soufrir l’execution des mandemens d’autruy: & appliquent les mots de la loy[*](in d.§.sententiam.vbi.dd.)  (si hoc iussi fuerint) aux Magistrats: qui s’entendent de l’Empereur aux gouuerneurs de pays. car la maxime de droict touchant les mandemens, & commissions, s'entendent des lieux, où celuy qui commande a pouuoir de commander. or est-il qu’il n’y a point de commandement hors le ressort, ou hors le pouuoir de celuy qui commande. Par cy deuant on auoir accoustumé de prendre lettres Royaux, qu'ils appellent Pareatis, quand il estoit question d’executer les mandemens des Magistrats Royaux au territoire des feigneurs iusticiers, mais ceste coustume est abolie, & souuent les Cours de[*](Arrests de Bourdeaux 1517.Mars 5.& 1519.Decembre 3 & 1525.Ianuier 23.& de Grenoble.Guido Papus q.346.)  parlement ont defendu d’en vser, parce que la maiesté du souuerain est en cela diminuée aucunement. Mais quelques vns ont doubté, si les Magistrats inferieurs peuuent faire executer leurs mandemens fans le congé du superieur, auquel l’appel estoit deuolu, & ce apres la desertion d'iceluy, & le temps coulé, qui estoit prefix pour releuer, & faire la poursuite:[*](Erreur du mot Fatalia.)  qu’ils appellent Fatalia; mal à propos d’vn erreur enuieilly, & faute inueteree, de ceux qui ont tourné le Code & les Authentiques de Grec en Latin, ayant leu. 345 GREEK TEXT, pour GREEK TEXT, c'est à dire iours prefix, & iours d'assigna tion, que la loy des douze[*](Cicero lib.3.offic.si status dies cum hoste. Sic appellabant GREEK TEXT.idem Cicero GREEK TEXT rata & certa decreta pro quo vsurparunt GREEK TEXT, quod fatum significat : sed in optimis exemplaribus legitur GREEK TEXT.)  Tables appelloit statos dits, stata tempora. aussi iamais Iurisconsulte, ny homme parlant Latin n’a vsé de ceste forme de parler, mais bien ils ont dit dies sesionum, dies continuos. & pour les defauts emportans gain de cause, ils ont dit edicta peremptoria, in l. ad peremptorium. de iudic. ff. & cest. erreur est demeuré iusques icy à corriger. Or pour resoudre nostre question, ie dy qu’il n’est point necessaire que le Magistrat inferieur ait licence, comme il se faisoit par cy deuant par lettres qu’ils appelloient de iustice, abolies par l’ordonnance de Charles VII. si ce n’est que le Magistrat superieur eust fait defenses particulieres d’executer: en ce cas il est besoin que les defenses soient leuees deuant que passer outre. car autrement il n’est point[*](Felin.in ca.ex parte.de rescript.ext.col.5.nu.9.)  requis que l’appel soit declaré desert par le Magistrat superieur, pour l’execution de la sentence, d’autant que la desertion eft acquise par la loy, & non pas en vertu de la sentence du Magistrat. Et la dignité des Magistrats supérieurs n’est point offensee parles inferieurs, quand il n’y a point defenses particulieres, pour la reuerence desquelles les Magistrats inferieurs doiuent sursoir l’execution, si la retardation n’estoit perilleuse à la Republique: auquel cas on peut passer outre, ores qu’il fust question de la vie: puis apres, dit la[*](l.si quis filio.§.4.de iniusto.rupto.)  loy, il faut en efcrire: autrement si le Magistrat ne defere à l'appel, quand il eft question de la vie, il merite peine[*](l.addictos.de episcop.audient.C.Faber.in l. a proconsu-lib.de appel.C.)  capitale, & mesmes par la loy[*](Cicero.pro Rabrio perduel.)  Sempronia le Magistrat estoit coulpable de leze majesté, pour n’auoir deferé à l’appel, ores qu'il ne fust question que des verges. Tout ce que nous auons dit des Magistrats, & de l'obeissance que doiuent les vns aux autres, s’entend des Magistrats d’vne mesme Republique. Que dirons nous donc des Magistrats de diuerses Republiques, si les vns ont condamné leur suget, les autres ausquels il s’est retiré, doiuent-ils executer Ia sentence sans cognoistre du merite de la cause? I’ay veu ce differend aduenir au Parlement de Paris, pour vn marchant François condamné à Venize par defaux & contumaces, à la requeste d’vn Venitien, qui vint en France demander l’execution du iugement, ayant obtenu commission rogatoire de la Seigneurie, comme les Princes & seigneuries ont accoustumé d’en vser en tel cas, par vn deuoir mutuel, que tous Princes ont à la iustice, de laquelle ils tiennent leurs sceptres & couronnes. la cause estoit ciuile, & sembloit à plusieurs qu’il n’estoit besoin de s’enquerir s’il estoit bien iugé, & qu’on feroit tort à la Seigneurie de Venize, qui pourroit vser de semblable circuit, & examiner les arrests des Magistrats de France, & les casser, plustost par ialousie de l'estat, que pour l'iniquité d’iceux. Mais d’autant que le marchant François estoit condamné par defaux, on voulut sçauoir s’il auoit contracté à Venize, ou s’il estoit submis à la seigneurie & iurisdiction des Venitiens pour ce regard, & si les defaux estoient bien & deuëment acquis selon les ordonnances de Venize, & rien plus. Toutefois s’il estoit que- 346 stion de l’honneur ou de la vie, on ne doit pas executer les iugemens des Magistrats estrangers, si on n’a cognu du merite de la cause, & veu les charges. car mesmes l’Empereur[*](l.diuus Adrianus.de custod.reor.)  Adrian manda aux gouuerneurs de Prouince, qu’ils eussent à cognoistre derechef (ce qu’il appelle GREEK TEXT) de ceux qui estoient condamnez par les lrenarches sugets à vn mesme Prince. Ce que i’ay dit est bien estroitement gardé es Republiques de Suisse, Geneue, Venize, Luques & Genes. Car tous les[*](Bald in l.2.de seruis fugit.C.Odost.in authen.qua in prouincia.vbi de crimine.C Iacob.Bellouisi. in §.contrahentes.de foro compet.nu.115.Aflic.in constitut. Neapol. Lib.2.tit.3.nu.88.Chassan.in consuetu.Burgun.tit 12.nu 14.Fulgos.consil.149.col.2.Boer.decis.29.Paul.Eleazar.Imol.in Clement.pastoralis.de re Iudic.Aufrer.in addit.capel.Tolos.q.319.Bart.in l.qui sepulchri.de sepulchro violato.Angel.in l.hæres abseus de Iudic Felin.in cap.vlt.de foro compet.nu.II.)  Iurisconsultes depuis trois cens ans, on dit qu’il n’y est point tenu: c’est bien dit si on parle de l’obligation ciuile, de laquelle tous Princes souuerains sont exempts: mais ils tranchent tout outre sans aucune distinction: & n’y en a[*](Bal.in l.I.vbi de crimine.C.)  qu’vn qui mette vne condition, pourueu que le Prince où s’est retiré le coulpable en face la iustice. Or s’ils confessent que tout Prince est tenu de faire iustice, par obligation diuine & naturelle, il faut aussi confesser qu’il est tenu rendre le suget d’autruy à son Prince naturel: non seulement pour auerer le fait plus aisément, & descouurir les coniurez, & participans, en quoy le recolement & confrontation est necessaire: ains aussi pour la punition exemplaire qui se doit faire sur les lieux. car c’est du moins qu’on doit chercher que la mort du coulpable en matiere de iustice. Et si les Magistrats en mesme Republique sont tenus par obligation mutuelle prester l’espaule, & tenir la main forte à la poursuitte, & punition des meschans: pourquoy les Princes seront-ils exempts de l’obligation, à laquelle la loy de Dieu & de nature les astraint? Muhamed, surnommé le Grand, estant aduerty que le meurtrier qui auoir assassiné lulian de Medicis en pleine Eglise, s’estoit retiré à Constantinople. ille fist prendre, & renuoya pieds & poings liez à Florence. Ce n’estoit pas pour crainte qu’il eust des Florentins. Et tousiours en ce Royaume on a de coustume renuoyer les coulpables fuitifs aux Princes, & seigneuries qui en font instance, s’il n’y va de l'estat. car en ce cas le Prince n’y est pas tenu. à quoy se peuuent raporter trois arrests: l’vn du Parlement[*](allegué par Boyer in consuet.Biturig.§.21.de iurisdict.) de Paris, l’autre de[*](Oldrad.notat consil.124 Faber.alium quoque notat tempore Benedicti.vi.Pap.in §.est & inter.de Publicis.)  Rome, Contre le Roy d’Angleterre, qui demandoit son suget fuitif, ce qui luy fut denié: le troisiesme est du Parlement de[*](Boer.decis.29.)  Thouloze. quant à celuy de Rome, il estoit alors fondé en la souueraineté du siege de Rome sus le Royaume d’Angleterre. Mais hors les termes d’estat, & quand il n’est question que de la peine publique, il n’y a Prince qui ne soit tenu rendre le suget d'autruy: comme il fut iuge par arrest du Parlement de Bourdeaux, l’an M.D. XV III. le XXIIII Decembre, prononcé en robes rouges: combien qu’en plusieurs traitez cela eft expressément articulé, comme au traité fait entre les Suisses & Charles V. Empereur comme Duc de Milan, le VII. article porte la clause expresse de rendre les coulpables fuitifs. Et pour ceste cause le Roy Henry, apres auoir vsé de prieres enuers les feigneurs de Geneue par son Ambassadeur, pour luy renuoyer Baptiste Didato receueur general de Roüan, qui auoit emporté les deniers de la recepte, il protesta aux seigneurs de Berne, en la protection desquels estoit alors la sei-
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Gneurie de Geneue, qu’il vseroit du droict de represailles. les Geneuois au parauant auoient resolu au grand conseil des deux cens, de ne le renuoyer aucunement :mais depuis ils changerent d’aduis, & le renuoyerent, estant sommez par les Bernois. Ie tiens que c’est vne iniure faite à l’estat d’autruy, s’il appert que le fuitif soit coulpable. Comme il en print aussi à la lignee de Beniamin qui fut exterminee horsmis six cens, pour auoit refusé de rendre les coulpables qu’on leur demandoit. Et pour ceste cause nous trouuons que les Hippotes estans requis de rendre les meuritriers de Phoc Beotien, pour en auoir fait refus aux Thebains, furent par eux assiegez, pris, pillez leur ville rasee de fond en comble, & les habitans reduits en seruitude, & vendus comme esclaues. Mais si le Prince auquel s’est retire le fuitif, trouue qu’il soit iniustement poursuiuy, il ne doit pas le rendre. Car mesmes il est defendu par la loy de Dieu de rendre l’esclaue qui s’en est fuy en la maison d’autruy, pour euiter la fureur de son maistre.