The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

L’ARISTOCRATIE est vne forme de Republique, où la moindre partie des citoyens commande au surplus en general par puissance souueraine, & sur chacun detous les citoyens en particulier. enquoy elle est contraire à l'estat populaire, où la pluspart des citoyens commande à la moindre en nom collectif: & neantmoins semblable, en ce que ceux là qui ont commandement souuerain en l'vne & l’autre Republique, ont puissance sur tous en nom particulier, mais non pas en nom collectif & general. La puissance du Monarque est plus illustre que les deux autres, d'autant que son pouuoir s'estend sur tous en general, & sur chacun en particulier. Et tout ainsi que la Monarchie est royale, ou seigneuriale, ou tyrannique:[*](Difference de l'Aristocratie à la Monarchie.) aussi l'aristocratie peut estre seigneuriale, legitime, ou factieuse, qu’on appelloit anciennement Oligarchie, c'est à dire, seigneurie de bien petit nombre de seigneurs: comme estoient les trente seigneurs d’Athenes defaits par Thrasybule, qu’on appelloit les trente tyrans: ou les dix commissaires deputez pour corriger les coustumes de Rome, qui auoient par factions, & puis à force ouuerte empietè la seigneurie. C'est pourquoy tousiours les anciens ont pris le mot d’Oligarchie en mauuaise part, & l’Aristocratie en bonne

230
part, c'est à dire la seigneurie des gens de bien. Mais nous auons monstré cy dessus, qu’il ne faut pas auoir esgard en matiere d’estat (pour entendre quelle est la forme d’vne Republique) si les Seigneurs sont vertueux ou vicieux, comme il est requis pour (sçauoir le gouuernement d’icelle. Aussi est-il bien difficile, & presque impossible, d’establir vne Aristocratie composee seulement de gens de bien. car cela ne se peut faire par sort, & aussi peu par election: qui sont les deux moyens vsitez, ausquels on adiouste le troisiesme du chois, & du sort ensemble. Or est-il qu’il faut auoir des plus gens de bien & de vertu, pour faire chois des bons: attendu que les meschans n’eliront iamais que leurs semblables: & toutesfois les plus gens de bien ne seront pas si effrontez & impudens, de se nommer, de choisir eux-mesmes pour gens de bien: comme disoit Lactance Firmian, en se moquant des sept Sages de Grece: s'ils estoient sages à leur iugement, ils n'estoient pas sages: si au iugement des autres, encores moins: puis qu'il n’y auoit que sept sages, & que tous les autres estoient fols. Si on me dit qu’il faudroit suiure la forme des anciens Romains, & autres Latins, aux chois qu’ils faisoient par ferment solennel de nommer les plus vaillans & guerriers, celuy qui estoit cogneu des plus belliqueux en nommoit vn semblable à luy, & cestui-cy vn autre, & le troisiesme par mesme suitte nommoit le quatriesme, iusques à ce que le nombre des legions fust rempli. mais il faudroit faire loy, que le nombre des Seigneurs fust limité. Et qui pourroit estre garend au public, que l'vn des nommez ne choisist pas plustost son pere, son fils, son frere, son parent, son amy, qu’vn homme de bien & de vertu? C'est pourquoy il n’y a point, & n’y eut peut estre iamais de pures Aristocraties, ou les plus vertueux eussent la Seigneurie. Car combien que les[*](Polyb.lib.2.) Pythagoriens ayans attiré a leur cordelle les plus nobles & genereux Princes d’Italie, au temps du Roy Seruius Tullius, eussent changé quelques tyrannies, en iustes Royautez, esperans que peu à peu ils pourroient aussi reduire les Oligarchies, & Democraties en Aristocraties, si est-ce toutesfois que les chefs de parties & Tribuns populaires, craignans estre despoüillez de leur puissance, dresserent de grandes coniurations contr'eux, &, comme il estoit aisé aux plus forts de vaincre les plus foibles, Ies bruslerent en leur diette, & massacrerent presque tous ceux qui auoient eschappé le seu. Soit donc que les nobles, ou vertueux, ou riches, ou guerriers, ou pauures, ou roturiers, ou vicieux, tiennent la Seigneurie: si c'est la moindre partie des citoyens, nous l’appellerons du nom d Aristocratie. Quand ie dy la moindre partie des citoyens, i'entends la plus grande partie du moindre nombre des citoyens, assemblez en corps & communauté: comme fil y a dix mil citoyens, & que cent gentilshommes feulement ayent part à la souueraineté, si soixante sont d’vn aduis, ils ordonneront & commanderont absoluëment au reste des neuf mil neuf cens citoyens en corps, qui n’ont que voir en l'estat,
231
& aux autres quarante qui ont bien part en l'estat, mais ils sont en moindre nombre. en outre les soixante que i’ay dit, auront commandement souuerain fur chacun des dix mil citoyens en particulier: comme aussi feront les cent en corps, s'ils font d’accord: & en ceux là feront les marques de la Majesté souueraine. Il ne faut pas auoir esgard au petit, ou plus grand nombre des citoyens, pourueu qu’ils soient moins de la moytié. car s'il y a cent mil citoyens, & que dix mil ayent la seigneurie, l'estat n’est ny plus ny moins Aristocratique, que s'il y auoit dix mil citoyens, & que mil seulement tiennent l'estat: attendu qu’en l’vne & l’autre Republique la dixiesme partie a la fouueraineté. autant pouuons nous dire de la centiesme, ou miliesme partie des citoyens. Et moins il y en a, l’estat en est plus asseuré & plus durable. comme l'estat des Pharsaliens a esté des plus florissans de la Grece:[*](L’estat de Pharsaliens.)  & neantmoins il n’y auoit que XX. seigneurs. & mesme la Republique de Lacedemonne, qui a emporté le prix d’honneur par dessus toutes les autres d’Orient, ores qu'elle fust tres-peuplee d’hommes & plantureuse, si est-ce qu’il n’y auoit que XXX. seigneurs qui estoient eleus, des plus gens de bien pour demeurer en l'estat toute leur vie. Les Epidauriens, dit[*](in apophteg.græcor.)  Plutarque, n’auoient que cent quatre vingt citoyens, des plus riches & apparens qui eussent part à la souueraineté: & de ce nombre on prenoit les Conseillers d'estat. L’ancienne Republique de Marseille en Prouence,[*](L’ancien estat de Marseille.)  auoit six cens[*](Strabo.)  hommes des plus riches qui tenoient la seigneurie, & qui a esté des plus, voire, au iugement de Ciceron, la mieux ordonnee qui fut onques en tout le monde. & de ce nombre de six cens estoient pris les Senateurs, & quinze Magistrats, & des quinze y en auoit trois Presidens, qui estoient comme les Consuls Romains. Nous pouuons faire mesme iugement des Republiques des Thebains, & Rhodiots, apres que leurs estats populaires furent changez en Aristocraties, les plus riches s’emparerent de la seigneurie. Aussi[*](Liuius lib.34.)  voyons nous que le Proconsul Q. Flaminius, establit les villes des Thessaliens en forme d’Aristocratie, faisant les Senateurs & les iuges des plus riches, & donnant la puissance souueraine à ceux qui auoient plus d’interest que leur Republique demeurast en paix & en repos. Eam partem ciuitatum fecit potentiorem, cui salua tranquillaque omnia magis esse expediebat, dit Tite Liue. Comme il s'est fait aussi en la Republique de Genes, apres qu’elle fut distraite de l'obeissance des François, André Doria du consentement des habitans, l’an m. d. xxviii.[*](l’estat de genes.)  establit vne Aristocratie de XXVIII. familles choisies des nobles & roturiers, de ceux qui auoient six maisons dedans Genes, qui furent toutes anoblies, laissant à la discretion de la Seigneurie de choisir par chacun an dix personnes pour leur vertu, ou pour leur noblesse, ou bien pour leurs richesses. de ces XXVIII. familles il establit vn conseil de quatre cens hommes par chacun an, qui elisent le Duc, & les huict gouuerneurs pour
232
deux ans continus, qu’on appelle la Seigneurie: qui cognoissent des affaires d'estat. & s'il y a chose de consequence, on la rapporte au Senat, qui est composé de cent hommes eleus par forme de baloter, comme à Venize. & chacun des huict gouuerneurs, apres son office expiré, demeure pour deux ans procureur de là Republique, & dés lors en auant demeurent du conseil priué, auec ceux qui font, & ont esté Ducs, qui font procureurs de la Republique tant qu'ils viuent. En outre, il. y auoit quarante capitaines eleus par chacun an, & cent hommes deputez à chacun capitaine, qui est: vne legion de quatre mil hommes, pour la force & defense de la ville: & auoit ceste légion vn colonnel, ou capitaine en chef, qu’ils appelloient Ie general. Quant au potestat, il est tousiours estranger, qui a deux lieutenans estrangers, l’vn pour le criminel, l’autre fiscal: & cinq luges ciuils estrangers pour deux ans, qu'on appelle la Rote. Mais il y a sept Iuges extraordinaires du pays, pour delayer ou abreger les procez. Outre lesquels y a cinq Syndics, pour informer contre le Duc & les gouuerneurs, apres leur charge expiree, faisant publier, s'il y a personne qui ait rien à dire contr’eux. & s'ils sont trouuez innocens, on leur baille lettres d'innocence. La mesme annee que Genes fut establie en estat Aristocratique, la Republique de Geneue fut aussi changee de Monarchie Pontificale en Aristocratie.[*](L’estat de Geneue.)  combien que ia long temps auparauant la ville pretendoit liberté contre le Duc, & contre l'Euesque. mais alors la souueraineté absoluë fut restituee à la ville: & deux cens hommes establis en forme Aristocratique, qu’ils appellent le grand conseil, auec puissance souueraine & perpetuelle. & du grand conseil est eleu le Senat de LXXV. perpetuel : & du Senat est composé le priué conseil de XXV. aussi perpetuel: & les quatre Syndics eleus de deux en deux ans, pour les souuerains magistrats: outre les Iuges, & autres magistrats ordinaires. Mais la difference de ceste Aristocratie est notable d’auec celle de Genes: d’autant que Ie grand conseil, le Senat, & priué conseil sont eleus à perpetuité: à Genes, & presqu’en tous les Cantons de Suisse, tous magistrats, Senat, & grand conseil font muables par chacun an, horsmis quelques Magistrats qui demeurent deux ans. qui fait que l'estat est beaucoup plus suget à changement: & à Geneue beaucoup plus asseuré. Dauantage, le chois du grand conseil, du Senat, & du priué conseil de Geneue ne se fait pas tout à coup, comme à Genes, mais vacation aduenant par mort, ou forfaiture d’vn Conseiller du priué conseil des vingtcinq on procede au chois d’vn Conseiller, du Senat, des septante cinq pour substituer au priué conseil: & d’vn Conseiller du grand conseil, pour mettre au Senat, & d’vn bourgeois, ou pour le moins d’vn des citoyens, pour mettre au grand conseil, qui ne soient notez ny diffamez, & sans auoir esgard aux biens ny à la noblesse, ains à la vertu, & reputation entiere, autant que faire se peut. qui est vn autre moyen duquel vsoient les Lacedemoniens, elisant les seigneurs
233
au pris qu'ils mouroient, & pour le seul respect d’honneur, & de vertu. Les seigneurs des ligues, horsmis les Grizons, & les cinq petits Cantons, ont quasi semblable forme de Republique Aristocratique. comme on voit à Surich le grand conseil de deux cens, & le Senat, & le conseil secret estre establi à la forme de Geneue:ou pour mieux dire celuy de Geneue à la forme de Suric, qui est presques semblable à Berne. La difference toutesfois est telle, que ceux ci changent tous les ans de grand conseil & de Senat: car les confrairies qu'ils appellent Zünfft, composees chacune d’vn ou deux, ou trois mestiers, qui sont XI. à Schaphuze, XII. à Suric, XV. à Basle, és autres plus ou moins, elisent douze personnes de chacune confrairie pour le grand conseil, & pour Ie Senat ils en elisent deux autres, comme à Suric, ou trois comme à Basle, desquels l’vn est le chef de la confrairie: en forte qu’il se fait vn grand conseil de deux cens à Suric, à Baste de CCXLIIII. à Schaphuze de LXXXVI. & le Senat de Suric est de cinquante, à Schaphuze de XXVI. à Basle de LXIII. mais qui font eleus par les confrairies, sont confirmez par le grand conseil, soient Senateurs ou magistrats, ou par l’ancien Senat: comme Basle. car Ie Senat pour moytié est ancien, qui a esté en charge six mois, & l'autre moytié du Senat est de ceux qui sont nouuellement eleus: affin que tout à coup le Senat ne change pas. vray est que l'ancien Senat de Basle elist tousiours Ie Senat pour l'annee suiuante, & les Burgermeistres: qui ont pour compagnons trois Tribuns, comme à Suric: & deux à Basle, qui font quatre, auec les deux Burgermeistres, qui ont neuf autres personnes pour adioints, qu’on appelle les XIII. lesquels manient toutes les affaires secretes, & aduisent entr’eux de ce qui doibt estre deliberé au Senat: & à Suric il y a en outre le conseil des finances, qui est de huict personnes, ou l’vn des Burgermeistres preside: & le nouueau Senat iuge les causes criminelles, à Suric & à Scaphuze: és autres le Preuost de l'Empire & trois Senateurs au nom de tout le Senat, lequel Preuost est eleu par le Senat: & generalement tous ceux qui font infames ou bastards n'ont iamais entree au Senat, qui sont tous arguments necessaires pour monstrer que leur estat est Aristocratique: & encores plus à Berne, Lucerne, Fribourg, & Soleurre, ou les confrairies & assemblees n'ont aucun pouuoir ny puissance de s'assembler, que pour les choses qui concernent leurs mestiers. mais tous les. ans les quatre capitaines des villes choisissent XVI. bourgeois des plus gens de bien, & sans reproche: & le mardi prochain deuant Pasques elisent le grand conseil de deux cens, combien, qu’il n'y en a que cent à Lucerne, & plus de deux cens à Berne. & puis le grand conseil elist l'Auoyer, qu’ils appellent ein Schuldthessen: & les autres magistrats. & particulierement l'Auoyer auec les XVI. susdits, & les quatre capitaines elisent le Senat: qui est de XXVI. à Berne, & dex XVIII. à Lucerne: qui n’est que six moisen charge: & à Berne vn an: & les quatre capitaines sont aussi annuels eleus parle grand conseil: & tous les iuges sont.
234
eleus par les quatre capitaines, & tresoriers: & sont confirmez par le Senat. & quant au dernier ressort les appellations des premiers iuges ressortissent au Senat de XXVI. & du Senat aux LX. qui sont composez des XXVI. que i’ay dit, & XXXVI. eleus par les XXVI. & le dernier ressort est au grand conseil. quand il question de la vie le grand conseil est assemblé, ou l'Auoyer preside, & l'arrest est donné en dernier ressort. Fribourg vse de mesme façon pour elire le grand conseil de CC. qui elist le Senat de XXIIII. personnes, & l'Auoyer, & les quatre capitaines. Il est bien vray que telles Aristocraties font gouuernees populairement: car chacun du peuple, s'il n'est infame, peut estre du grand conseil & du Senat, & paruenir aux plus grands estats, & d’autant plus aisément que tous magistrats sont annuels. & telles Républiques feront moins sugettes au changement d'estat, que si le grand conseil estoit composé des nobles, ou des plus riches seulement, contre lesquels le menu peuple a tousiours querelle, car les autres Aristocraties sont establies des plus riches, ou des plus nobles, ou des plus anciennes familles, ores qu'elles ne soient nobles. Toutesfois il y a tousiours plus eu d’Aristocraties des familles anciennes, ou nobles, que de riches, ou vertueux. comme les Republiques des Samiens, Corcyreans, Rhodiots, Cnidiens, & presque toutes les Republiques de Grece, apres la victoire de Lysandre, furent par luy changees[*](Thucydid.Xeno.Plutar.in Lysandro.)  en Aristocraties des plus anciennes familles: en prenant X.OUXX ou XXX. pour le plus, ausquels il attribua la puissance souueraine. Aussi voyons nous l'estat de Venize, que nous auons monstré cy deuant estre du tout Aristocratique, & celuy de Rhaguse, de Luques, d’Ausbourg, de Nuremberg, estre aussi composé en forme Aristocratique des plus anciennes familles, qui sont en bien petit nombre. Car quant aux Rhagusiens,[*](L’estat des Rhagusiens.)  qu’on appelloit anciennement Epidauriens, & qui ont rebasti la ville de Rhaguse pres de l’ancienne Epidaure, qui fut rasee de fond en comble par la rage des Gots, s'estans exemptez de la puissance des Albanois, ont establi vne Republique Aristocratique des plus nobles, & anciennes familles, presque au pourtraict de Venize. encores sont ils beaucoup plus soigneux de leur noblesse que les Venitiens: car le gentil-homme Venitien peut prendre vne roturiere: mais le Rhagusien ne peut espouser vne citadine, ny vne estranger pour noble qu’elle soit, si elle n’est damoyselle de Zarafin ou de Cantharo, & quelle ait du moins valant mil ducats. aussi n’y a il que XXIIII. familles nobles qui ayent parc à l'estat, pourueu qu’ils soient aagez de vingt ans: alors ils ont entree au grand conseil, qui elist vn Senat de lx. gentils-hommes, pour le maniement des affaires d'estat, & des causes d’appel au dessus de trois cens ducats, & des procez criminels de consequence, comme s'il est question de l’honneur, ou de la vie d’vn gentil-homme. & outre le Senat y a vn conseil priué de douze personnes, auec le Recteur de la Republique, muable par chacun an: & cinq prouiseurs, qui reçoiuent tous ceux qui
235
ont à presenter requeste en quelque conseil que ce soit: outre les six Consuls des causes ciuiles, & les cinq iuges criminels, & les trente Iuges d’appel iusques à trois cens ducats inclusiuement. il y a plusieurs autres magistrats, desquels nous parlerons en leur lieu. Nous ferons mesme iugement de la Republique de Luques,[*](L’estat de Luques.)  qui est aussi Aristocratique, attendu que de cinquante & deux mil citoyens, qui furent leuez il y a vingt ans ou enuiron, il n’y a que les anciennes familles de la cité qui ont part à la puissance souueraine: desquels on elist le Senat de six XX. hommes par chacun an. & du Senat font eleus les dix conseillers du priué conseil annuel, y compris le Gonfalonnier. Nous dirons aussi en son lieu des magistrats de ceste Republique. Il suffist pour Ie present de monstrer les estats Aristocratiques, pour le regard de la souueraineté, affin d’entendre par exemples diuers des nouuelles & anciennes Republiques, la vraye nature de l’Aristocratie. Disons aussi de l'estat d’Alemagne, que plusieurs croyent, & mesmes les plus sçauans d’Alemagne ont publié par escrit, que c’estoit vne monarchie.[*](L’empire d’Alemaigne est vne aristocratie.)   I’en ay touché cy dessus quelque mot, mais il faut icy monstrer que c’eft vn estat Aristocratique. Car depuis Charlemaigne iusques à Henry l’Oiseleur, c'estoit vne pure Monarchie par droit successif du sang de Charlemaigne. & depuis Henry l'Oiseleur, la Monarchie a continué par droict d’election, assez longuement, & iusques à ce que les sept Electeurs ont peu à peu retranché la souueraineté, ne laissant rien à l’Empereur que les marques en apparence, demeuranten effect la souueraineté aux estats des sept Electeurs de trois cens Princes ou enuiron, & des Ambassadeurs deputez des villes Imperiales. Nous auons monstré que l'estat est Aristocratique, où la moindre partie des citoyens commande au surplus en nom collectif, & à chacun en particulier. Or est-il que les estats de l’Empire, composez de trois à quatre cens hommes, comme i’ay dit, ont la puissance souueraine, pratiquement à l’Empereur, & à tous autres Princes & villes en particulier, de donner la loy à tous les sugets de l’Empire, decerner la paix ou la guerre, mettre tailles & imposts, establir Iuges ordinaires & extraordinaires pour iuger des biens, de l’honneur, & de la vie de l’Empereur, des Princes, & des villes Imperiales, qui sont les vrayes marques de souueraineté. S’il est ainsi, comme il est tout certain, qui peut nier que l'estat d’Alemagne, ne soit vne vraye Aristocratie? Qu’il soit vray ce que i’ay dit, il est assez euident, puis qu’il est ainsi que la force du commandement souuerain depend des recez, ou decrets des estats: les decrets font faits par les sept Electeurs, qui ont vn tiers des voix, & par les autres Princes de l’Empire, qui ne font pas trois cens, qui ont aussi vn tiers des voix, & par les deputez des villes Imperiales, qui sont soixante & dix ou enuiron, qui ont I'autre tiers desvoix deliberatiues: pour arrester, casser, confirmer, ou infirmer ce qui est proposé. Et n’y arien de particulier pour le regard
236
de l'estat, qui soit differed des autres Aristocraties, sinon que les sept Electeurs ont vn tiers des voix, les Princes vn autre, les villes le surplus. de forte que si les sept Électeurs & les deputez: ou les deputez, & les Princes: ou les Electeurs, & les autres Princes sont d’accord, le decret passe. & d’autant que les Princes Ecclesiastiques sont en plus grand nombre, ils emportent bien souuent par dessus les laiz. qui fut la cause qui empescha les Princes laiz se trouuer à la diette de Ratisbonne l'an M.D.XLVI. & tout ainsi qu’au dessoubs de vingt ans, les gentils-hommes de Venize, de Luques, & de Rhaguse n’ont point d'entree au grand conseil, ny part en la souueraineté: aussi les enfans de famille des Princes, soient ieunes ou vieux, n’ont point de voix deliberatiue, s'ils ne font qualifiez Princes de l’Empire. qui sont certain nombre de Ducs, Marquis, Comtes, Landgraues, Burgrafues, Margraues, Barons, Archeuesques, Euesques. Car combien que le Duc de Lorraine soit Prince de l’Empire, si est-ce que le Comte de Vaudemont son oncle n’est reputé, ny assis aux ceremonies qu’entre les enfans de famille des Princes. Plusieurs toutesfois pensent que les Princes, & villes Imperiales ont leur estat souuerain à part, & que les estats de l’Empire sont comme ceux des ligues des Suisses. Mais la difference est bien grande: car chacun Canton est souuerain, & ne soufre loy, ny commandement des autres, & n’ont autre obligation entre eux que d’alliance offensiue & defensiue, comme nous auons dit en son lieu. mais l’Empire d’Alemagne est vni par les estats generaux, qui mettent les villes, & les Princes au ban Imperial, & despoüillent les Empereurs de leur estat par puissance souueraine, comme ils ont debouté les Empereurs Adolphe, & Ouancelot fils de Charles quatriesme, & plusieurs autres. Dauantage les estats font ordinairement decrets, & ordonnances qui obligent tous les sugets de l’Empire, tant en general qu’en particulier. Et qui plus est les dix cicles, ou circuits de l’Empire, qu’ils appellent aussi banlieues, tiennent leurs estats particuliers, & rapportent les requestes, plaintes, & doleances aux estats generaux pour receuoir leurs commandements & resolutions. Dauantage les Princes electeurs le iour d’apres le couronnement de l’Empereur, aduoüent tenir leurs estats de l’Empire, & non pas de l’Empereur, iaçoit que cela se face entre les mains de l’Empereur. Brief le ressort, & souueraineté de toutes appellations en matiere ciuile. au dessus de vingt escus, par les anciennes, & de quarante par les nouuelles ordonnances, appartiennent à la chambre Imperiale, commune à tous les sugets de l’empire, qui est composee de XXIII. iuges, & d’vn Prince de l’Empire, pris par chacun an, selon l’ordre des circuits. & s'il faut iuger entre deux Princes, ou entre les villes, soit de la vie, de l’honneur, ou des biens, la cognoissance en appartient à la chambre Imperiale, s'il ne plaist aux estats d’euoquer, & retenir la cognoissance: comme l'an M.D.LV. il est porté par ordonnance de
237
l'empire, que s'il y a deslors en auant Prince, ville, ny suget de l’empire qui leue les armes contre la nation Germanique, qu’il sera iugé par les estats, qui à ceste fin seront tenus à Worme. & par le recez de la diette d'Ausbourg de l’an M.D.LV. defenses furent faictes à tous sugets de l’Empire, de ne sortir hors les limites au secours des Princes estrangers, soubs grandes peines. & qui plus est, il est expressément porté par les ordonnances de l’Empire, liure II. chapitre XXVIII. qu’il n y ait Prince, ville ny communauté, qui soit si hardi d'empescher les appellations des sugets de l’Empire à la chambre Imperiale, sus grandes peines. En dernier lieu, l’Empereur comme chef, vnist encores plus les membres de l’Empire en vne Republique, que. fil n’y auoit que les estats seulement. I’ay dit chef de l’Empire, ou Capitaine en chef, non pas qu’il soit souuerain, comme plusieurs pensent: car au lieu que les Roys & monarques sont les Princes, l’Empereur tout au contraire est eleu & faict par les Princes. Et comment seroit il souuerain & suget de l’Empire, seigneur & vassal de l’Empire? maistre & contraint d’obeir aux estats? & non seulement aux estats, ains aussi aux vicaires de l’Empire: ce qu’on pourroit trouuer estrange: & toutesfois il est veritable. Il me souuient auoir leu vne lettre d’vn seigneur pensionnaire du Roy, escripte au Connestable en date du XII. May M.D.LII. par laquelle il escriuoit que le Roy de France se debuoit plaindre au Duc de Saxe, & Comte Palatin vicaires de l’Empire, pour auoir iustice de l’Empereur, Charles V. & de Ferdinand Roy des Romains, suiuant la bulle d’or, & les ordonnances des estats, par ce qu’ils auoient intercepté Ies lettres du Roy addressees aux estats de l'empire, au refus qu’auoit fait l'Archeuesque de Magonce, de receuoir & presenter lesdictes lettres aux estats comme Chancelier de l’empire. Et par le recez de la diette Imperiale tenue à Hildeberg l’an M.D.LIII. il fut arresté, que pas vn de la Cour de l’Empereur ne maniroit les affaires de l’empire: comme i’ay veu par lettres de l’Ambassadeur de France. Et quand il est question de leuer deniers pour les affaires de l’empire, ils ne font pas portez à l’espargne de l’Empereur, ains ils sont mis en depost és villes de Strasbourg, de Lubec, & d'Ausbourg, & n’est pas au pouuoir de l’Empereur d’en leuer vn seul denier sans la permission des estats. Qui monstre que ceux-là sont. bien loing de leur opinion qui pensent que l’Empereur soit souuerain, & appellent l’Empire monarchie, comme fil estoit soubs la puissance d’vn Monarque: Ains au contraire Maximilian I. bisayeul de cestui-cy, quoy qu’il fust Empereur assez ambitieux, dist aux estats de l’empire, qu’il n’eftoit pas besoin de prendre la couronne Imperiale du Pape, ny s'arrester à telles ceremonies, veu que la puissance souueraine estoit aux estats. Si on medit quel’Empreur fait assembler les estats: cela est vray, fil y a quel que affaire vrgent, & extraordinaire: mais les diettes ordinaires sont assignees aux recez de chacune diette. combien que le moindre
238
magistrat en Rome, & en Athenes auoit puissance de faire assembler tout le peuple qui tenoit la majesté souueraine: & le Consul commandoit aux Senateurs de s'assembler soubs peine de proceder contre eux par saisie de corps & de biens. & neantmoins les Princes ne font contraints de venir aux estats, s'il n’y a que l’Empereur qui les mande, comme ils firent bien entendre à l’Empereur Charles V. l’an M.D.LIIII Et s'il aduient que l’Empereur, ou le Roy des Romains sortent des frontieres de leur pays, ils marchent fus les terres des autres Princes quasi comme estrangers. Si on dit que l’Empereur est iuge entre les Princes, & villes Imperiales: cela est bien vray en premiere instance, & quand les parties l’ont accepté: mais c’est en qualité de lieutenant pour l’Empire: comme en cas pareil le Duc de Saxe, & Comte Palatin peuuent aussi iuger en qualité de vicaires Imperiaux: & neantmoins l’appel aux estats suspend la puissance de l’Empereur, aussi bien comme des vicaires Imperiaux. Encores peut on dire, que les Princes de l’empire en l'assemblee des estats, vsent de ces qualitez enuers l’Empereur, VOSTRE SACREE MAIESTE, qui ne peut conuenir sinon à celuy qui est souuerain: Ie di que ces honneurs ne donnent pas la souueraineté: autrement le Roy des Romains, seroit aussi souuerain, tellement qu’il y auroit deux souuerains: & toutesfois l’vn suget à I’autre. Et de fait Georges de Helfustein Baron de Gondelfingen, portant les remonstrances du Roy des Romains aux estats de l’empire tenus au moys de May M.D.LVI. dist ainsi: DE LA PART du Roy des Romains nostre souuerain seigneur. Mais il y a bien plus d’argument en ce que l’Empereur donne les fiefs de l’empire vacans, & en inuestit qui bon luy semble, sans le consentement des estats. Ie responds que le consentement expres des estats n’y est pas requis: aussi n’est-ce pas outre le vouloir des estats qui le souffrent, & peuuent retrancher cest article, comme ils ont fait les autres marques de souueraineté, combien que l'Ambassadeur Marillac, pensoit que l’Empereur n’a pas ceste puissance: & aduertit le Roy que l’Empereur Charles v. auoit inuesti Philippe d’Espagne du Duché de Milan à Bruxelles l’an M.D.LI.sans auoir eu le consentement des estats: mais il ne se trouuera pas vne feule inuestiture de fief Imperial, où le consentement expres des estats y soit. Aussi est-il certain que l’Empereur ne baille les inuestiturees sinon en qualité de Lieutenant pour l’empire:tout ainsi qu’il reçoit la foy & hommage des Princes pour & au nom de l’empire: comme il receut en cas semblable le sieur de Chantonet chargé de procuration speciale du Roy Catholique l’an M.D.LXV. pour faire la foy & hommage à l’empire du Duché de Milan, & vicariat perpetuel de Syenne. Nous ferons mesme iugement des confirmations des benefices, & droits de regales, qu’il donne à ceux qui sont eleus parles chapitres, corps, & colleges, suiuant les concordats du Pape auec l’empire: & des lettres de sauuegarde, qu’il
239
donne aux Ambassadeurs, Heraux d’armes, & autres estrangers où Ia clause ordinaire y est apposee portant ces mots, D'autant que toute chose nous est possible à cause de nostre charge Imperiale: qui monstre assez que l'Empereur estoit anciennement Monarque souuerain. Ce qu'il n'est plus. & mesmes Ies electeurs, & autres Princes de l’Empire, refuserent à l’Empereur la diette qu'il demandoit l'an M.D.LXVI.&ordonnerent que l'argent qu'on leueroit pour subuenir aux affaires de Ja guerre, ny l’Empereur, ny ses ministres n'y toucheroient point. Et pour le trancher court, il ne faut que voir Ies articles du ferment fait par les Empereurs, entre les mains des electeurs de l’Empire, que i'ay cotez au chapitre du Prince qui tient en foy & hommage d’autruy, pour cognoistre encores plus euidemment que la souueraineté de l’empire n’est aucunement à l’Empereur: ores qu’il porte les sceptres, les couronnes, les habits imperiaux, & qu’il precede les autres Roys aux ceremonies, & mesme qu’on luy attribue la qualité de majesté tres-sacree. Et à dire vray, on ne sçauroit luy. faire tant d’honneur que la majesté du sainct Empire, duquel il est chef, merite: mais la coustume des Aristocraties bien ordonnes, est d’ottroyer le moins de puissance à celuy qui plus est honoré: & moins d’honneur à ceux qui plus ont de pouuoir: comme les Venitiens sçauent aussi tresbien pratiquer. Puis donc que nous auons monstré que l’empire est vn estat Aristocratique, il faut conclure qu’il n’y a Prince, ny ville imperiale qui ait la souueraineté: ains ne sont autre chose que membres de l’empire gouuernant chacun son estat soubs la puissance, & sans deroger aux loix & ordonnances de l’empire. En quoy plusieurs s'abusent qui font autant de Republiques, comme il y a de Princes & de villes imperiales. Nous auons monstré cy dessus le contraire. mais tout ainsi qu’en ce Royaume chacune ville & seigneur a ses Iuges, Consuls, Escheuins, & autres magistrats particuliers qui gouuernent leur estat, ainsi est-il des villes Imperiales: horsmis qu’il y a plus de iuges Royaux, & l’empire n’a que la chambre Imperiale, qui cognoist des appellations des autres iuges, & les vicaires imperiaux. Et neantmoins quand il aduient que l’empire est diuise en factions &. partialitez, & les Princes bandez les vns contre les autres, ce qu'on a veu assez souuent, alors l'estat municipal des villes, & iurisdiction subalterne des Princes, se tourne en plusieurs estats Aristocratiques & monarchies particulieres: & de chacun membre se fait vn corps particulier de Republique souueraine. Et tout ainsi que le corps vniuersel de l’empire est entierement Aristocratique: aussi les villes imperiales tiennent l'estat Aristocratique, comme Ausbourg, Nuremberg, Worme, & autres villes imperiales qui sont presque toutes Aristocratiques: & s'il y en a quelques vnes plus populaires, comme Strasbourg, si est-ce que le gouuernement est Aristocratique. Ie mettray seulement pour abreger, l'estat de la ville de Nuremberg, la plus grande, la plus illustre,
240
& Ia mieux ordonnee de toutes les villes imperiales, qui est establie en forme Aristocratique. car il n’y a que XXVIII. familles anciennes qui ont puissance souueraine fur tout le reste des sugets, qui sont plus de quatre cens mil au ressort de Nuremberg.[*](Conrad.celt.) De ces XXVIII. familles on elist tous les ans des Censeurs sans reproche:[*](L’estat de Nuremberg.)  & cela faict, tous les magistrats font destituez de leur puissance. alors les Censeurs elisent le Senat de XXVI. personnes: lequel Senat en elist XIII. pour le priué conseil des affaires secrettes. & du mesme Senat on elist les XIII. Escheuins: outre les sept Burgomaistres, qui est vn autre conseil particulier, qui a pareille puissance que le conseil des dix à Venize. Voila ceux qui manient l'estat. Ie laisse à parler des cinq iuges criminels, & douze pour le ciuil, & du Preuost des viures, & des deux tresoriers, & des trois arbitres des tutelles, qui sont quasi en mesme office que les procureurs sainct Marc à Venize, au pourtraict de laquelle ceux de Nuremberg ont voulu figurer aucunement la leur. Et combien qu'il y ait des villes imperiales plus libres les vnes que les autres, à sçauoir, celles qui ne font ny en fugetion, ny en protection des Princes, comme Nuremberg, Strasbourg, Lubec, Hambourg, Breme, Worme, Spire: si est-ce qu'elles font toutes sugettes à l’Empire. Vray est qu’il y en a plusieurs qui se font exemptees de la puissance des Princes pour se maintenir en liberté, & tenir nuëment de l’empire, comme la ville de Brunsuich, qui s'est distraicte de l'obeissance des Princes de Brunsuich: Worme, & autres qui se font exemptees de la puissance des anciens seigneurs: & en cas pareil les Suisses & Grizons, qui ont Republiques separees, & qui estoient sugets de l’empire. Et mesmes les seigneurs du Canton de Fribourg au traicté de combourgeoisie faict entr’eux, & les seigneurs de Berne, appellent la ville de Fribourg membre de l’empire, iaçoit qu’ils ont leur estat à part en pleine souueraineté: les autres confessent tenir leurs priuileges & liberté de gouuerner leur estat des Empereurs, comme Vri, Vnderualden, & Suits, & en ont lettres patentes de Loys de Bauieres Empereur, en datte de l’an M.CCC.XVI. Aussi les Tietmarsois, pour l'asseurance, & assiette inuiolable de leur pays, situé aux frontieres du Royaume de Dannemarc, se font soustraits de l’Empire: & ont establi leur Republique en forme Aristocratique de XLVIII. seigneurs, qui tiennent la souueraineté tant qu’ils viuent: & s'il en meurt quel qu’vn, on en elist vn autre en sa place. Vray est que l'an M.D.LIX. Adolphe Duc de Holstein s'efforça les assugetir: pretendant que Christierne son bisayeul auoit obtenu de l’Empereur Friderich III. la seigneurie des Tietmarsois, pour s'estre demembree de l’empire: comme i’ay veu par lettres du sieur Danzai, Ambassadeur pour le Roy en Dannemarc. Il appert donc que l'estat d’Alemagne est vne droite Aristocratie, & non pas monarchie. Mais il faut prendre garde en l'estat Aristocratique, de ne confondre pas les seigneurs souuerains auec les magistrats, & auec le
241
Senat. Car quelquefois Ia Republique a si peu de Seigneurs, qu'ils sont Senateurs & Magistrats. comme les Pharsaliens n’auoient que x x. Seigneurs, les Lacedemoniens xxx. les Tietmarsois xlvii i. & n’y auoit point d’autres Senateurs que Ia Seigneurie, mais les Çnidiéns, qui elisoiént tous les ans lx. citoyens, qu’ils appelloient Amymones, 6 [*]( Plutar. In apoph. Graecor.) ausquels ils donnoient toute puissancé de manier l’estat sans rendre compte: ils n’estoient pas pourtant Seigneurs souuerains, mais bien Magistrats souuerains: demeurânt la souueraineté absoluë en Ia Noblesse, comme i’ay dit. En cas semblable ceux de Surich elisoient tous les ans xxxvi. Magistrats, qui gouuernoient quatre mois chacune douzaine: & dura ceste forme iusques à l’an m. cccxxx. que le menu peuple chassa les Magistrats, faisant vn Senat de deux cens hommes, & vn CônsuI. Mais c’est beaucoup le plus seur, pour petite, que soit l’Aristocratie, de separer les seigneurs du senat, & le senat des magistrats: comme il se fait à Rhaguze, ores qu’il y ait peu de Seigneurs, & que Ia Republique foit de petite estendue. & par cy déuânt Ies Seigneurs de là République de Chio, qui estoit establie en forme Aristocratique par certains géntils-hommes Geneuois de la maison Iustiniénne l’ayant conquestee sus les Empereurs d’Orient, elisoient tous les ans x ii. Conseillers d’estat pour leur Senat, auec quatre gouuerneurs muables de six en six mois, & vn Magistrat souuerain de deux en deux ans: & ont maintenu leur estat iusqu’à ce que le grand seigneur, depuis peu d’annees, l’a reünià l’Empire d’Orient. Voila quant à la definition d’Aristocratie. Nous dirons en son lieu les vtilitez, & dangers qui sont en l’estat Aristocratic, & Ia manière de s’y gouuerner. Reste maintenant de respondre à ce que dit Aristote touchânt l’Aristocratie, qui est du tout contraire à ce que nous auons dit: Il y a, dit7 [*]( lib. 4 cap. 5. Polit. Opinion d’Aristote touchant l’Aristocratie.) il, quatre sortes d’Aristocraties. la premiere, ou il n’y a que les riches, & iusqu’à certain reuenu, qui ont part à la Seigneurie: la sécondé, ou les estats & offices sont distribuez par sort à ceux qui plus ont de biéns: la troisiesme, quand les enfans succedent aux peres en la seigneurie: la quatriesme, quand ceux-là qui succedent vsent de puissancé seigneuriale, & commandent sans loy. Et neantmoins au mesme liure, 8 [*]( lib. 4. Cap. 7.) & peu apres il fait cinq sortes de Republiques: c’est à sçauoir la royale, la populaire, celle de peu de seigneurs, & celle des gens de bien, & puis vne cinquiesme composee des quatre. puis il dit que la cinquiesme ne se trouue point. Nous àuons monstré cy dessus, que telles meslanges de Republiques est impossible, & incompatible par nature: monstrôns aussi que les especes d Aristocratie posees par Aristote, ne sont aucunement considerables. L'erreur est venu de ce qu’Aristote ne definist point que c’est d’Aristocratie. De dire que c’est ou il n’y a que les riches, ou les gens de bien qui ayent part à la seigneurie, il n’y a point d’apparénce: car il se peut faire que de dix mil citoyens, il y en ait six mil qui auront deux cens escus de rente, & part à la seigneurie, & neantmoins l’estat sera populaire, at-
242
tendu que la pluspart des citoyens tiendra la souueraineté: autrement il n’y aura point de République populaire. autant peut-on dire des gens de bien, qui peuuent estre la pluspart des citoyens qui auront part à la seigneurie: & neantmoins au dire d’Aristote l’estat sera Aristocratique, car s’il prend la bonté au plus haut degré de vertu, il ne se trouuera personne: sî à l’opinion populaire, chacun se dit homme de bien: & le iugement en est si perilleux, que le sage Caton, choisî pour arbitre d’hônneur, n’osa donner sentence, si Q. Luctatius estoit homme de bien ou non. Toutefois posons le cas que les gens de bien & de vertu en toute Republique facent la moindre partie des citoyens, & que ceux-là tiennent le gouuernail de la Republique: pourquoy par mesme moyén n’a fait Aristote vne sorte d’Aristocratie, où les Nobles tiennent la seigneurie, veu qu’ils sont tousiours en plus petit nombre que les roturiers? pourquoy n’a-il fait vne autre forte d’Aristocratie, où les plus anciennes familles, ores qu’elles soient roturieres, commandent? cômme il aduint à Florence apres que la Noblesse fut chassee. car il est bien certain qu’il y a plusïeurs familles de roturiers fort anciennes, & plus illustres que beaucoup de gentils-hommes frais émoulus, qui peut estre ne sçauent qui est leur pere. aussi pouuoit-il faire vne autre sorte d’Aristocratie, où les plus grands auront la seigneurie, comme il dit luymesme9 [*]( lib. 3. Cap. 5. polit.) qu’il se faisoit en Ethiopie. & par conséquent àussi l'Aristôcratie des beaux, des puissans, des guerriers, des sçauâns, & autres qualitez semblables, qui seroiént vne infinité d’Aristocraties toutes diuerses. Encores y a-il moins d’apparence en ce qu’il dit, que la troisiesme sorte d’Aristocratie est celle où les estats & offices sont donnez par sort aux plus riches: attendu que le sort tient entièrement de l’estat populaire. Or il confesse que la Republique d'Athenes estoit popülaire: & neântmoins les grands estats, offices & benefices ne se 1 [*]( Plutar. In Pericle.) donnoiént qu’aux plus riches au parauânt Pericles: & en Rome, qui estoit aussi populaire au parauant Ia loy Canuleia 2 [*]( Liuius lib. 4.) les estats & benefices ne se donnoient qu’aux plus anciens gentils-hommes, qu’ils appelloiént Patriciens, qui est vn trescertain argumént, que la Republique peut estre populaire, & gouuernee Aristocratiquemént. & qu’il y a bien notable differénce entre l’estat d’vne Republique & le gouuernement d’icelle: comme nous auons dit cy dessus. Quânt à l’autre sorte d’Aristocratie, qu’Aristote dit Seigneurier sans loy, & ressembler à la tyrannie, nous auôns monstré la différence de la monarchie royale, seigneuriale & tyrânnique, qui est sèmblable en l'aristocratie, où les seigneurs peuuént gouuerner leurs sugets esclaues, & disposer de leurs biens, tout ainsi que le Monarque seigneurial, sans vser de loix, & sans toutefois les tyrànnizer: comme le pere de famille, qui est tousiours plus soigneux de ses esclaues, qu’il n’est des seruiteurs à loüage. car ce n’est pas la loy qui fait Ie droit gouuérnemént, ains là vraye iustice & distribution egale d’icelle. & la plus belle chose du monde qu’on pourroit desîrer en matiere d'estat, au iugemént d’Aristote, est d’a-
243
uoir vn sage & vertueux Roy, qui gouuerne son peuple sans aucune loy: attendu que la loy sert à plusieurs de piege pour tromper, & qu’elle est muette, & inexorable, comme la noblesse de Rome3 [*]( lib. 2. Prin.) se plaignoit, qu’on vouloit establix loix, & se gouuerner [*]( I. 2. De orig. iuris.) par icelles apres les Roys chassez, qui gouuernoiént sans loy, sèlon la diuersîté des faits qui se presentoiént. ce que les Consuls & la Noblesse, qui tenoient aucunement la Republique en estat Aristocratique, continua iusques à ce que le peuple se voulânt preualoir en estat populaire, qui ne demande que l’equalité de loix, receut la requeste de son Tribun Terentius Arsa, & sîx ans apres auoir debatu contre l’Aristocratie seigneuriale des nobles, fist passer en force de loy, que deslors en auânt les Consuls & Magistrats seroient obligez aux Ioix, qui seroient fàictes par ceux là que le peuple deputeroit à ceste fin. Ce n’est donc pas la loy qui fait le Prince en la Monarchie, & les Seigneurs en l’Aristocratie iustes & bons, mais la droite iustice qui est grauec en l’ame des iustes Princes & Seigneurs, & beaucoup mieux qu’en tables de pierre. & plus Ies edits & ordonnances ont esté multipliées, plus les tyrannies ont pris leur force, comme il aduint soubs le tyran Caligula, qui à propos & sans propos faisoit des edits, & en lettre si 5 [*]( Tranquil. In Calig.) menue qu'on ne les pouuoit lire, afin d'y attraper les ignorans. & son successeur, & oncle Claude fist pour vn iour 6 [*]( Tranquil. In Claud.) vingt edits: & toutefois la tyrannie ne fut onc si cruelle, ni les hommes plus meschans. Or tout ainsî que l'Aristocratie bien ordonnée est belle à merueilles, aussi est elle bien fort pernicieuse si elle est deprauee: car pour vn tyran il y en a plusieurs: & mesmes quand Ia Noblesse se bande contre le peuple, comme il aduient souuent: & comme anciennement quand on receuoit les nobles en plusieurs Seigneuries Aristocratiques, ils faisoient7 [*]( Aristo. Lib. 5. C. 9.) serment d’estre à iamais ennemis iurez du peuple. qui est la subuersion des Aristocraties.