History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
D’autre part, le transport des denrées alimentaires fournies par l’Eubée, qui précédemment avait lieu par voie de terre, en suivant la route directe par Oropos et Décélie, dut s'effectuer à grands frais parjner, en doublant le cap Sunion. Athènes tirait absolument tout du dehors ; ce n’était plus une ville, c’était une place de guerre. Le jour, les citoyens à tour de rôle faisaient la garde des créneaux ; la nuit, tous à la fois, hormis les cavaliers , étaient de service, les uns près des armes, les autres sur les remparts. Ces fatigues n’étaient interrompues ni l’été ni l’hiver.
Ce qui mettait le comble à la détresse, c’était d’avoir deux guerres sur les bras. Néanmoins, à cette époque, Athènes déploya une énergie qui auparavant eût semblé incroyable. Presque assiégée par les Péloponésiens, au lieu de rappeler ses soldats de Sicile, elle assiégeait Syracuse, ville qui le disputait avec elle en grandeur. Au début delà guerre, on avait calculé que les Athéniens ne résisteraient qu’une, deux ou tout au plus trois années aux invasions des Péloponésiens ; et voici qu’ils étonnaient les Grecs par un prodigieux déploiement de puissance et d’audace, portant leurs armes en Sicile dix-sept ans après la première invasion de leur pays. Bien qu’à bout de ressources, ils entreprenaient une guerre non moindre que celle des Péloponésiens. Qu’on y joigne les pertes occasionnées par l’occupation de Décélie, les frais qui allaient toujours croissant, et l’on se fera une idée du délabrement des finances. Ce fut alors qu’au tribut payé par les sujets, ils substituèrent un droit du vingtième sur toute espèce de provenances maritimes[*](C’était remplacer un impôt direct par un impôt indirect de cinq pour cent sur les provenances maritimes. Le nom de tribut était devenu odieux. D’ailleurs la perception de cette nouvelle taxe était plus commode pour l’État, parce qu’elle s’affermait à des particuliers ou à des compagnies. ), dans l’espoir que cet impôt serait plus productif. Les dépenses n’étaient plus les mêmes qu’autrefois ; elles grandissaient avec la guerre, tandis que les revenus disparaissaient.
Ce fut donc par mesure d’économie et à cause de la gêne du moment, que les Athéniens renvoyèrent les Thraces arrivés après le départ de Démosthène. On chargea Diitréphès de les emmener ; et, comme il devait traverser l’Euripe, il eut ordre de les employer à faire, pendant ce trajet, tout le mal possible à l’ennemi. Diitréphès les fit descendre sur le territoire de Tanagra, et enleva rapidement quelque butin ; puis il partit de Chalcis en Eubée, traversa l’Euripe sur le soir, débarqua
Au premier bruit de cet événement, les Thébains accoururent en armes. Ils atteignirent les Thraces encore peu éloignés, leur arrachèrent leur butin, et les poursuivirent jusqu’à l’Euripe, où les vaisseaux les attendaient. Ils en tuèrent un bon nombre, surtout pendant l’embarquement ; car les Thraces ne savaient pas nager, et les équipages, voyant ce qui se passaient à terre, avaient mouillé hors de la portée des traits. Jusque-là les Thraces s’étaient assez habilement défendus contre la cavalerie thébaine, qui fut la première à les as-saillir. Par une manœuvre particulière à leur nation, ils prenaient les devants à la course, puis se formaient en hérisson pour résister ; aussi leur perte pendant la retraite fut-elle minime. Quelques-uns, attardés au pillage, furent surpris dans la ville et y trouvèrent la mort. Sur treize cents Thraces, il en périt deux cent cinquante ; les Thébains et leurs alliés perdirent une vingtaine d’hommes, cavaliers et hoplites, entre autres le béotarque thébain Scirphondas. Quant aux Mycales-siens, ils furent presque tous exterminés. Telle fut la catastrophe de Mycalessos, catastrophe qui, proportion gardée, ne le céda à aucune autre de cette guerre.
Démosthène, après l’achèvement du fort construit en Laconie, fit tvoile pour Corcyre. En passant à Phéa en Élidé.
Il était dans ces parages, lorsqu’il rencontra Eurymédon, revenant de Sicile où il avait été envoyé pendant Thiver pour porter des fonds à l’armée [*](On a vu au ch. xvi que la mission d’Eurymédon en Sicile était antérieure à sa nomination comme collègue de Nicias et de Démosthène. Il n’apprit qu’alors cette élection, qui avait eu lieu pendant son absence. ). Ce général lui annonça, entre autres nouvelles, qu’étant déjà en mer il avait su la prise du Plem-myrion par les Syracusains. Gonon, qui commandait à Naupacte, vint trouver les deux généraux, et leur dit que les vingt-cinq vaisseaux corinthiens, en croisière devant cette ville, ne discontinuaient pas les hostilités, et se disposaient à livrer un combat. Il insista pour qu’on lui prêtât quelques navires, les dix-huit qu’il avait sous la main ne pouvant tenir tête aux vingt-cinq de l’ennemi. Démosthène et Eurymédon lui donnèrent dix de leurs bâtiments les plus agiles, afin de renforcer la station de Naupacte ; eux-mêmes s’occupèrent à lever des troupes. Eurymédon, qui avait rebroussé chemin en apprenant son élection comme collègue de Démosthène, se rendit à Gorcyre pour y équiper quinze vaisseaux et y enrôler des hoplites, tandis que Démosthène rassemblait en Acamanie des frondeurs et des gens de trait.
Les députés que les Syracusains avaient envoyés en tournée après la prise du Plemmyrion, avaient réussi dans leur mission et se disposaient à amener les renforts qu’ils avaient recueillis. Nicias, prévenu à temps, fit dire aux Sicules alliés, dont ces renforts devaient traverser le pays, savoir aux Gentoripes, aux Alicyéens et à d’autres, de ne pas leur donner passage, mais de se réunir pour les arrêter. Toute autre route leur était fermée, car les Agrigentins ne leur permettaient pas de traverser leur pays. Sur cet avis de Nicias, les Sicujes dressèrent une triple embuscade aux Grecs de Sicile déjà en marche, fondirent sur eux à l’improviste, et leur tuèrent près de huit cents hommes, parmi lesquels tous les députés, à l’exception d’un seul, le Corinthien. Celui-ci recueillit les fuyards, au nombre de quinze cents, et les conduisit à Syracuse.
A la même époque, il arriva de Gamarine un renfort de cinq cents hoplites, de trois cents gens de trait et de trois cents archers. Gela envoya des rameurs pour cinq vaisseaux, quatre
Dès que les troupes de Corcyre et du continent furent prêtes, Démosthène et Eurymédon, avec toute leur armée, traversèrent le golfe Ionien, en se dirigeant sur la pointe d’Iapygie. De là ils touchèrent aux îles Ghérades [*](Deux îlots adjacents à la côte orientale de l’Italie, et nommés aujourd’hui Sainte-Pélagie et Saint-André. ), qui appartiennent à ce pays.
Ils prirent à bord cent cinquante gens de trait, Iapygiens de la race messapienne; et, après avoir renoué d’anciennes relations d’amitié avec un ohef nommé Artas, qui leur avait fourni ces gens de trait, ils passèrent à Métaponte en Italie. Ils obtinrent des Métapontins , à titre d’alliés, trois cents hommes armés de javelots et deux trirèmes ; avec ces renforts. ils gagnèrent Thurii, où ils trouvèrent le parti contraire aux Athéniens récemment expulsé par une sédition. Leur dessein était d’y concentrer toute leur armée et d’en faire la revue, après avoir rallié les traîneurs ; ils voulaient aussi profiter de la circonstance pour conclure avec les Thuriens une alliance offensive et défensive. Ils s’arrêtèrent donc à Thurii pour cette négociation.
Pendant ce temps, les Péloponésiens qui croisaient avec vingt-cinq vaisseaux devant Naupacte, dans le but de faciliter le départ de leurs transports pour la Sicile, se décidèrent à livrer un combat naval. Ils armèrent encore quelques vaisseaux, de manière à égaler presque le nombre de ceux d’Athènes, et vinrent jeter l’ancre à Ërinéos en Achaïe, dans le territoire de Rhypæ, sur une côte en forme de croissant. L'infanterie des Corinthiens et des alliés du pays s’était réuuie et rangée en bataille sur les deux promontoires; les vaisseaux occupaient tout l’intervalle. Le commandant de cette flotte était le Corinthien Polyanthès. Les Athéniens, sous les ordres de Diphilos, appareillèrent de Naupacte avec trente-trois vaisseaux [*](Il paraît qu’aux vingt-huit vaisseaux mentionnés au ch. xxxi, il s’en était joint cinq autres, amenés vraisemblablement par Di philos, successeur de Conon. ) et s’avancèrent contre eux. Les Corinthiens se tinrent d’abord immobiles; ensuite, quand le signal fut élevé et que l’instant parut propice, ils fondirent sur les Athéniens et l’action s’engagea. Elle fut longue et opiniâtre. Les Corinthiens perdirent trois vaisseaux ; les Athéniens n’en eurent aucun d’entièrement coulé ; mais sept furent mis hors de service. Heurtés de proue, ils eurent leur avant fracassé par les vaisseaux corinthiens,
Après la retraite de la flotte péloponésienne et de l’armée de terre, les Athéniens, en signe de victoire, dressèrent à leur» tour un trophée sur la côte d’Achaïe, à vingt stades d’Érinéos où avaient mouillé les Corinthiens. Telle fut l’issue de ce combat naval.
Démosthène et Eurymédon, après avoir reçu des Thuriens un renfort de sept cents hoplites et de trois cents gens de trait, ordonnèrent aux vaisseaux de longer la côte jusqu’à Crotone ; eux-mêmes passèrent en revue toute leur infanterie au bord du fleuve Sybaris, et se mirent eu marche par le territoire des Thuriens. Quand ils furent près du fleuve Hylias, les Crotoniates leur interdirent le passage. Ils se rapprochèrent donc de la mer, et vinrent bivaquer à l’embouchure de l’Hy-lias, où la flotte les rejoignit. Le lendemain ils s’embarquèrent, et suivirent la côte en touchant à toutes les villes, Locres seule exceptée, jusqu’à ce qu’ils fussent parvenus à Pétra, sur le territoire de Rhégion.
A la nouvelle de leur approehe, les Syracusains résolurent de les prévenir et de tenter de nouveau le sort des armes sur les deux éléments avec les forces qu’ils avaient réunies. Ils firent subir à leur flotte les modifications dont le précédent combat leur avait démontré l’utilité. Ils abattirent l’extrémité des proues de leurs vaisseaux, afin de les fortifier en les accourcissant ; ils adaptèrent aux étraves de lourdes épotides, solidement arc-boutées contre les deux flancs du navire, sur une longueur de six coudées en dedans et en dehors. C’était
Tels furent les expédients imaginés par les Syracusains pour suppléer à leur inexpérience et à leur faiblesse. Encouragés par le résultat de la précédente action, ils se disposèrent à attaquer simultanément sur terre et sur mer. D’abord Gylippe fit sortir de Syracuse les troupes de terre, et les conduisit contre le mur des Athéniens du côté qui regardait la ville. En même temps, les troupes syracusaines postées à l’Olympéioh, hoplites, cavaliers, soldats armés à la légère, se portèrent contre le revers opposé. Immédiatement après, les vaisseaux des Syracusains et de leurs alliés démarrèrent Au premier moment, les Athéniens ne s’étaient crus menacés que
Une bonne partie du jour fut employée à manœuvrer en avant, en arrière, à se tâter réciproquement, sans aucun avantage prononcé ni d’un côté ni de l’autre, si ce n’est que'les Syracusains coulèrent un ou deux vaisseaux athéniens : ensuite, on se sépara. L’année de terre se retira aussi de devant les murs.
Le jour suivant les Syracusains Se tinrent tranquilles, sans manifester leurs intentions. Nicias, qui s’attendait à une nouvelle attaque après l’issue douteuse du combat naval, obligea les triérarques à réparer leurs avaries. Il fit mettre à l’ancre des bâtiments de charge en avant de l’estacade qu’il avait établie dans la mer, pour abriter la flotte et tenir lieu de port fermé. Les bâtiments furent placés de deux en deux plèthres [*](C’est-à-dire deux cents pieds. Voyez liv. VI, ch. ai, note 1. ), afin que le vaisseau qui serait pressé par l’ennemi pût se retirer en sûreté et ressortir à son aise. Ces opérations occupèrent les Athéniens tout le jour jusqu’à la nuit.
Le lendemain, de meilleure heure, les Syracusains renouvelèrent leur attaque sur terre et sur mer. Les deux flottes en présence passèrent, comme l’avant-veiHe, une grande partie du jour en tentatives réciproques. A la fin, le Corinthien Ariston, fils de Pyrrichos, le meilleur pilote des Syracusains, conseilla aux chefs de leur flotte d’envoyer aux commissaires des marchés [*](Il y avait dans toutes les villes grecques une magistrature de cette espèce, connue sous le nom d’agoranomes ou surveillants des marchés. A l’ordinaire, la vente des denrées se faisait sur la place publique. ) l’ordre de faire transporter au plus tôt le débit des comestibles sur le bord de la mer, en contraignant tous les vendeurs à exposer leurs marchandises en ce lieu. C’était afin que les matelots n’eussent qu’à descendre à terre pour prendre leur repas près des vaisseaux, et qu’ensuite, sans perte de temps, ils revinssent attaquer les Athéniens le même jour A Timprovisle.
On suivit son conseil; l’ordre fut transmis et le marché préparé. Tout à coup les Syracusains reculent à la rame, cinglent vers la ville, et descendent pour prendre leur repas sans s’éloigner. Les Athéniens, s’imaginant que ce mouvement rétrograde était un aveu de leur défaite, débarquent à loisir, et
Enfin, grâce à cette manœuvre, les Syracusains furent complètement vainqueurs. Les Athéniens se retirèrent à travers les transports et se réfugièrent dans leur station. Les Syrracu-sains les poursuivirent jusqu’aux vaisseaux de charge; mais là ils furent arrêtés par les antennes armées de dauphins [*](Les dauphins suspendus à ces vergues consistaient en lourdes masses de métal qui, en tombant sur le navire ennemi, en fracassaient les ponts. Les mains de fer ou corbeaux, également employés dans les batailles navales, étaient des grappins destinés à saisir le vaisseau ennemi pour l’empêcher de reculer. ) et dressées au-dessus des passages. Deux vaisseaux syracusains, dans l’entraînement de la victoire, s'y engagèrent et se perdirent ; l’un d’eux fut pris avec son équipage. Les Syracusains, après avoir coulé sept vaisseaux athéniens, maltraité beaucoup d'autres, pris ou tué ceux qui les montaient, se retirèrent et érigèrent des trophées pour leurs deux victoires navales. Dès lors ils se crurent invincibles sur mer, et ne désespérèrent même pas de triompher de l’armée de terre. Ils se préparèrent donc à renouveler leurs attaques sur les deux éléments.
Peu de temps après arrivèrent Démosthène et Eury-médon, à la tête des renforts envoyés d'Athènes. Ils amenaient soixante-treize vaisseaux, y compris les bâtiments étrangers, environ cinq mille hoplites athéniens et alliés, un grand nombre de gens de trait grecs et barbares, en un mot un armement complet. Les Syracusains et leurs alliés eurent un moment de stupeur ; ils se demandaient si le péril n’aurait aucun terme, puisque l’occupation de Décélie n’empêchait pas les Athéniens d’expédier une armée égale à la première et de faire cet immense déploiement de forces. L’ancienne armée athénienne, au contraire, reprit courage après les maux qu’elle avait soufferts.
Démosthène, voyant l’état des choses, estima qu’il ne fallait pas perdre de temps ni tomber dans la même faute que Nicias. Celui-ci avait d’abord répandu l’épouvante ; mais, au lieu d’attaquer immédiatement Syracuse, il avait passé l’hiver à Catane ; son irrésolution avait provoqué le dédain de ses adversaires et donné à Gylippe le temps d’arriver avec les secours du Pélo-ponèse, secours que les Syracusains n’auraient pas même eu l’idée de réclamer si Nicias les eût assaillis d’emblée; dans leur sécurité présomptueuse, ils n’auraient reconnu l’insuffisance de leurs forces qu’en se voyant investis ; alors, eussent-ils demandé du secours, il ne leur eût plus été si utile. Démo-sthène faisait ces réflexions, et convaincu que jamais il n’inspirerait plus de terreur que dans ce premier jour, il voulut profiter aussitôt du prestige de ses armes. Quand il vit que le mur parallèle, opposé à la circonvallation parles Syracusains, était simple et que, pour faire tomber toute résistance, il suffirait d’enlever la montée des Ëpipoles et le camp placé en ce lieu, il se hâta de tenter une entreprise qu’il regardait comme décisive. En cas de succès, il était maître de Syracuse; autrement, il lèverait le siège, sans laisser les Athéniens, les alliés et la ville entière s'épuiser en efforts superflus.
En conséquence, les Athéniens sortirent d’abord, et dévastèrent le territoire voisin de l’Anapos. Leur armée reprit son ancien ascendant sur terre et sur mer. Les Syracusains ne lui opposèrent d’autres forces que les cavaliers et les gens de trait postés à l’Olympéion.
Ensuite Démosthène jugea à propos d’attaquer avec des machines le mur parallèle ; mais, dès la première approche, elles furent brûlées par les ennemis, qui se défendaient du haut du rempart. Les assauts tentés sur divers points ne réussirent pas davantage. Sentant alors qu’il n’y avait plus de temps à perdre, Démosthène, après avoir fait agréer son plan à Nicias et à ses autres collègues, entreprit l’attaque des Ëpipoles. De jour, il paraissait impossible d’en approcher et d’y monter sans être aperçu. Il fit prendre pour cinq jours de vivres, rassembla les maçons et les charpentiers, se pourvut de traits et de tout le matériel nécessaire pour se retrancher en cas de succès ; puis, à l’heure du premier sommeil, lui-même, Eurymédon et Ménandros mirent en mouvement toute la troupe et marchèrent aux Ëpipoles. Nicias resta dans les retranchements.
Ils abordèrent les Ëpipoles par l’Euryale, à l’endroit où l’ancienne armée était montée la première fois. Us trompèrent la
Cependant les Syracusains et leurs alliés, Gylippe en tête, accourent des ouvrages avancés ; mais, déconcertés par cette brusque attaque de nuit, ils n’abordent l’ennemi qu’avec effroi, sont enfoncés et d’abord ramenés en arrière. Déjà les Athéniens, se croyant vainqueurs, s’avançaient toujours plus en désordre ; ils voulaient passer sur le corps de ce qui restait d’ennemis à combattre, sans leur laisser le temps de se reconnaître et de se rallier, lorsque les Béotiens les premiers leur résistent, les chargent victorieusement et les mettent en fuite.
Dès ce moment les Athéniens tombèrent dans une étrange confusion. Quant aiix détails, aucun des deux partis na pu me les fournir d’une manière précise. De jour, où tout est plus distinct, ceux qui assistent à une bataille savent à peine ce qui se passe autour d’eux : comment donc, pour un combat nocturne — le seul que, dans le cours de cette guerre, se soient livré de grandes armées, — obtenir des renseignements certains? La lune brillait à la vérité, mais on ne se voyait que comme on peut se voir à sa lumière, c’est-à-dire qu’on apercevait bien la forme des corps, mais sans discerner l’ami de l’ennemi. Une foule d'hoplites des deux partis tournoyaient dans un étroit espace. Parmi les Athéniens, les uns étaient déjà vaincus, d'autres poussaient en avant sans rencontrer d’obstacles; ceux-ci étaient sur la hauteur, ceux-là gravissaient encore. On ne savait où se diriger; car, une fois la défaite commencée, le désordre devint général, et les clameurs empêchaient de se reconnaître. Les Syracusains et leurs alliés, se sentant victorieux, s’exhortaient à grands cris, seule manière de communiquer entre eux pendant la nuit; en même temps, ils recevaient le choc des assaillants. Les Athéniens se
Le lendemain, les Syracusains érigèrent deux trophées : l’un à la montée des Ëpipoles, l’autre à l’endroit où les Béotiens avaient les premiers résisté. Les Athéniens relevèrent leurs morts par composition. La perte, pour eux et leurs alliés, fut considérable ; le nombre des armes prises dépassa de beaucoup celui des morts; en effet, plusieurs soldats avaient jeté leurs boucliers pour être plus légers dans leur fuite.
Ce succès inespéré rendit aux Syracusains leur première ardeur. Ils envoyèrent à Agrigente, alors en dissension, Sicanos avec quinze vaisseaux, pour essayer de soumettre cette ville. Gylippe parcourut derechef la Sicile, afin d’en tirer de nouveaux renforts. Depuis l’affaire des Ëpipoles, il ne désespérait pas d’enlever de haute lutte les retranchements des ennemis.
En présence du désastre qu’ils venaient d’essuyer et de la démoralisation croissante de l’armée, les généraux athéniens tinrent conseil. Tous leurs plans avaient échoué;