History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Dans le même été, le général athénien Démosthène, se rendit à Naupacte avec quarante vaisseaux, immédiatement après son retour de Mégaride. Quelques Béotiens avaient noué des intelligences avec lui et avec Hippocratès, dans le but d’opérer une révolution dans leur pays, et d'y établir la démocratie à l’imitation d’Athènes. L’agent le plus actif de cette intrigue était Ptéodoros, exilé thébain. Leur plan consistait à s’emparer de Siphæ, qui devait leur être livrée par trahison; c’est une ville du territoire de Thespies, située au fond du golfe de Grisa. Quelques Orchoméniens offraient aussi de leur remettre Chéronée, ville qui dépend d’Orchomène, dite jadis des Minyens[*](Cette ville est ainsi désignée pour la distinguer d’Orchomène en Arcadie. Les -Minyens étaient une ancienne tribu hellénique, ayant pour chef le héros Minyas, dont le fils Orchoménos passait pour le fondateur de la ville d’Orchomène en Béotie. ) et aujourd’hui de Béotie. Les bannis dOrchomène étaient les plus ardents instigateurs de ce projet; ils avaient même pris à leur solde quelques troupes du Péloponèse. Or Chéronée est la dernière place de Béotie, du côté de Phanotée, ville phocéenne. Le complot avait aussi des ramifications en Phocide. Il fallait enfin que les Athéniens occupassent Délion, endroit consacré à Apollon et situé sur le territoire de Tanagra, en face de l’Eubée. Tout cela devait s’exécuter de concert, dans un jour déterminé, afin que les Béotiens, retenus dans leurs foyers par les agitations locales, ne fussent pas en mesure de se concentrer à Délion. Si l’entreprise réussissait et que Délion fût fortifié, dût-il n’y avoir pour le moment aucune révolution en Béotie, on avait tout lieu de croire que ces divers points une fois occupés, le pays exposé au pillage, chacun ayant un asile à proximité, les affaires ne demeureraient pas longtemps dans le même état; mais qu’avec un peu de patience les insurgés, grâce au secours des Athéniens et à la dissémination de leurs adversaires, finiraient par établir en Béotie un gouvernement de leur choix. Telle était la conspiration qui se tramait.
Hippocrates avec des troupes d’Athènes devait, quand il serait temps, se porter en Béotie. Il avait envoyé Démosthène avec quarante vaisseaux à Naupacte pour lever des troupes chez les Acarnaniens et autres alliés de ces parages, et pour cingler ensuite vers Siphæ, que la trahison devait lui livrer. Un jour était fixé pour l’exécution simultanée de ces divers projets. A son arrivée, Démosthène trouva les
A la même époque, Brasidas partit'pour le littoral de la Thrace avec dix-sept cents hoplites. Arrivé à Heraclee en Thraehinie , il expédia un courrier à ses amis de Pharsale, pour les prier de lui faciliter la traversée de leur pays. Panéros, Doros, Hippolochidas, TorylaosetStrophacos, proxène des Chalcidéens, vinrent à sa rencontre jusqu’à Mélitie d’Achaïe[*](L’Achaïe thessalienne ou le pays des Achéens-Phthiotes, était la partie S. E. de la Thessalie, comprenant les deux versants du mont Othrys, depuis le golfe Maliaque jusqu’à celui de Pagase, entre les fleuves Sperchios et Énipée. La Thessalie propre commençait à Ge dernier. ). Il se mit en route avec eux. Il avait aussi pour con ducteurs d’autres Thessaliens, en particulier Niconidas de Larisse, ami de Perdiccas. En effet, il n’était pas facile de traverser la Thessalie sans guide, surtout avec des armes. D’ailleurs, dans toute la Grèce, c’était se rendre suspect que de traverser sans permission un territoire étranger. Enfin, le peuple de Thessalie a de tout temps été favorable aux Athéniens ; en sorte que si le pays eût joui de son indépendance au lieu d’être assujetti à quelques hommes puissants, jamais Brasidas n’eût passé. Même alors, des Thessaliens du parti contraire à celui de ses conducteurs se présentèrent à lui près du fleuve Énipée et lui défendirent d’aller plus loin sans l’assentiment de la nation. Ses guides répliquèrent qu’ils ne songeaient point à passer de force, mais qu’il était venu sans qu’ils l’attendissent, et qu’étant ses hôtes, ils avaient dû l’accompagner. Brasidas déclara qu’il traversait le pays des Thessaliens en qualité d’ami ; qu’il ne portait point les armes contre eux, mais contre les Athéniens ses ennemis ; qu’il ne savait pas qu’il y eût entre les Thessaliens et les Lacédémoniens aucune inimitié qui les empêchât de se prêter mutuellement passage, que pour Theure il ne pousserait pas plus avant contre leur gré, aussi bien la chose n’était-elle pas possible ; que cependant il n’estimait pas devoir être arrêté.
Sur cette réponse, les Thessaliens se retirèrent. Alors Brasidas, d’après l’avis de ses guides, partit sans perdre un instant, et s’avança à marches forcées, avant qu’un rassemblement plus considérable ne lui barrât le chemin. Le jour même de son départ de Mélitie, il atteignit Pharsale et campa au bord du fleuve Apidanos. De là il gagna Phacion et finalement la Per-, rhébie. En cet endroit, ses guides thessaliens le quittèrent. Les Perrhèbes, sujets des Thessaliens, le conduisirent jusqu’à Dion,
C’est ainsi que Brasidas traversa la Tkessalie comme à la course, avant qu’on fût en mesure de l'arrêter. D se rendit auprès de Perdiccas et en Chalcidique.
Perdiccas et les villes insurgées du littoral de la Thrace avaient appelé du Péloponèse cette armée, à cause des craintes que leur inspiraient les progrès des Athéniens. Les Chaki-déens s’attendaient à se voir attaqués les premiers; de plus, ils'étaient secrètement stimulés par les villes de leur voisinage non encore révoltées. Quant à Perdiccas, sans être positivement brouillé avec les Athéniens, ses anciens démêlés avec eux lui avaient donné de l’ombrage. Il aspirait aussi à soumettre Arrhibéos, roi des Lyncestes. Au surplus, l’envoi de cette armée péloponésienne fut singulièrement facilité par les revers qui pesaient alors sur Lacédémone.
Comme les Athéniens ne cessaient d’infester le Péloponèse et spécialement la Laconie , les Lacédémoniens pensèrent que le meilleur moyen de faire diversion était de jeter une armée chez leurs alliés ; d'autant plus que ceux-ci offraient de la défrayer, et l’appelaient dans un esprit de révolte. D’ailleurs, ils n’étaient pas fâchés d’avoir un prétexte pour envoyer au dehors un cehain nombre de leurs Hilotes; car ils craignaient qu’ils ne profitassent de l’occupation de Pylos pour se soulever. Les Lacédémoniens sont dans une perpétuelle appréhension au sujet des Hilotes: et, comme à cette époque ils redoutaient leur jeunesse et leur multitude, ils poussaient à l’extrême les précautions à leur égard[*](C’était le but d’une institution atroce, attribuée à Lycurgue et nommée κρυπτεΐα, la chasse aux Hilotes (Plutarque, Lycurgue, xxvm). Les jeunes Spartiates sortaient en secret de la ville, se répandaient dans les campagnes en se cachant pendant le jour, et la nuit ils couraient sus à tous les Hilotes qu’ils rencontraient, pour les tuer et diminuer ainsi leur nombre. Platon (Des lois, I, p. 783) cherche à atténuer la barbarie de cette institution. ). C’est ainsi qu’ils avaient fait publier que ceux d’entre eux qui croyaient leur avoir rendu le plus de services à la guerre eussent à se déclarer et qu’ils seraient affranchis. C’était une manière de les éprouver ; car on pensait bien que les plus désireux de liberté seraient aussi les plus enclins à la révolte. Ils en choisirent jusqu’à deux mille, qui firent le tour des temples, la tête couronnée comme affranchis ; mais peu après on les fit tous disparaître, sans que personne ait jamais su comment ils avaient péri. On saisit donc avec empressement l’occasion d'en faire partir six cents avec Brasidas en qualité d’hoplites. Le reste de son armée se composait de mercenaires levés par lui dans le Péloponèse.
C’était à sa demande expresse que les Lacédémoniens
Informés de son arrivée sur le littoral de la Thrace, les Athéniens déclarèrent la guerre à Perdiccas, qu’ils regardaient comme le promoteur de cette expédition, et surveillèrent de plus près les alliés de ce pays.
Sitôt que Perdiccas eut réuni à ses propres forces l’armée de Brasidas, il marcha contre son voisin Arrhihéos, fils de Broméros, roi des Lyncestes-Macédoniens, avec lequel il était brouillé et qu’il voulait soumettre. Lorsque Parmée fut à l’entrée du Lyncos, Brasidas déclara qu’avant d’en venir aux hostilités, il désirait faire une démarche pour engager Arrhi-béos dans l’alliance de Lacédémone. Ce prince offrait de s’en remettre à la médiation de Brasidas ; les députés chalcidéens qui se trouvaient présents conseillaient à ce dernier de ne pas ôter à Perdiccas tout sujet de crainte, afin de s’assurer de son dévouement; enfin, les envoyés de Perdiccas à Lacédémone avaient donné à entendre qu’il ferait entrer dans l’alliance beaucoup de nations voisines. Brasidas se croyait donc autorisé à exiger que les affaires d’Arrhibéos fussent traitées en commun. Perdiccas, au contraire, soutint qu’il n’avait pas appelé Brasidas pour être l’arbitre de ses différends, mais pour combattre les ennemis qu’il lui désignerait; qu’il n’était pas juste, quand lui-même nourrissait la moitié de l’armée pélopo-nésienne, que Brasidas s’entendît avec Arrhibéos. Nonobstant cette altercation, Brasidas ne laissa pas d’avoir une entrevue
Le même été, aussitôt après ces événements, Brasidas réuni aux Chaldidéens marcha contre Acanthe, colonie d’Andros. C’était peu de temps avant la vendange. Quand il fut question de le recevoir, une lutte s’engagea entre le peuple et ceux qui l’avaient appelé de concert avec les Chalcidéens. On craignait pour la récolte encore pendante. Aussi Brasidas persuada-t-il au peuple de le recevoir seul et de ne se décider qu’après l’avoir entendu. Pour un Lacédémonien, il ne manquait pas de talent oratoire. Il se présenta donc à l’assemblée et prononça le discours suivant.
« En me faisant partir avec une armée, les Lacédémoniens ont voulu confirmer ce que nous avons déclaré dés le début de cette guerre, savoir que nous prenions les armes pour affranchir la Grèce du joug des Athéniens. Si nous arrivons tard, ne nous en faites point de reproches. Nous nous sommes trompés sur la durée probable des hostilités entreprises sur un autre théâtre. Nous avions espéré avoir promptement raison des Athéniens à l’aide de nos seules forces et sans vous impliquer dans le danger. Nous sommes venus aussitôt que nous l’avons pu; et nous essayerons, avec votre coopération, de consommer leur ruine.
« Je m’étonne que vous m’ayez fermé vos portes; au lieu de me recevoir à bras ouverts. Nous pensions venir à vous comme à des alliés qui, même avant notre arrivée, nous attendaient avec sympathie et nous appelaient de leurs vœux. C’est là ce qui nous a fait affronter le péril d’une longue marche à travers un pays étranger et déployer tout le zèle possible.
« Si vos intentions étaient différentes, si vous deviez contrarier votre propre délivrance et celle des autres Grecs, ce serait fort regrettable; car non-seulement vous seriez pour moi une entrave, mais votre exemple détournerait de se joindre à moi ceux à qui je pourrais m’adresser. Ils se montreraient difficiles en me voyant repoussé par vous, les premiers que j’ai visités; par vous qui possédez une ville si importante et qui passez pour un peuple intelligent. Je ne pourrais plus alléguer de raison valable: il semblerait que je n’apporte qu’une liberté mensongère ou que, si les Athéniens viennent vous attaquer, je serai sans force et impuissant à vous défendre.
« Et pourtant lorsque, avec cette même armée que je commande, je me suis présenté devant Niséa, les Athéniens, quoique supérieurs en nombre, n’ont point osé accepter le combat Or il n’est pas vraisemblable qu’ils envoient par mer contre vous une armée aussi formidable que celle de Niséa.
t Quant à moi, je viens non pour opprimer les Grecs, mais pour les affranchir. A ma demande, les magistrats de Lacédémone se sont engagés parles serments les plus solennels à laisser l’indépendance à tous les alliés que j’aurais gagnés. D’ailleurs, notre intention n’est pas de vous faire entrer par force ou par ruse dans notre alliance , mais de vous délivrer des Athéniens. Vous ne devez pas me suspecter, puisque je vous offre les meilleurs gages, ni me regarder comme un impuissant protecteur, mais plutôt vous joindre à moi avec confiance.
« Si quelqu’un de vous appréhende que je ne soumette la ville à un parti, qu’il se rassure. Je ne viens point appuyer une faction, ni vous offrir une liberté illusoire, en entreprenant, au mépris de vos lois, d’asservir la majorité au petit nombre ou la minorité à la multitude. Un pareil joug serait plus intolérable que la domination étrangère , et nos efforts, à nous Lacédémoniens, n’auraient droit à aucune reconnaissance. Au lieu de gloire, nous ne recueillerions que le blâme. Les mêmes reproches que nous faisons aux Athéniens, on les rétorquerait contre nous, avec d’autant plus de justice que ceux-ci ne se piquent pas de vertu. Pour qui jouit de l’estime publique, il est .plus honteux de s’agrandir par l’astuce que par une violence flagrante. Celle-ci du moins trouve une sorte d’excuse dans le droit du plus fort qu’elle tient de la fortune; l’autre, au contraire, trahit un esprit bassement artificieux. Aussi apportons-nous la plus grande circonspection dans les affaires mêmes qui nous touchent le plus.
« Une garantie bien plus sûre encore pour vous que nos serments, ce sont nos actes. Rapprochez-les de nos paroles, et vous trouverez une preuve irréfragable de la sincérité de nos propositions. Si cependant à ces ouvertures vous opposez l’insuffisance de vos forces ; si, -tout en protestant de votre bon vouloir, vous nous repoussez avant d’avoir souffert aucune offense ; si vous dites que cette liberté ne vous paraît pas sans danger, et qu’on ne doit l’apporter qu’aux peuples en état de la recevoir, sans l’imposer de force à personne ; alors je prendrai à témoin de l’inutilité de mes avances les
« Délibérez donc avec sagesse. Que vos efforts, en vous donnant une gloire immortelle, ouvrent au reste des Grecs l'ére de la liberté. Sachez sauvegarder vos intérêts particuliers et assurer à votre ville entière le nom le plus glorieux. »
Ainsi parla Brasidas. Les Acantbiens, après avoir pesé le pour et le contre , votèrent au scrutin secret. Séduits par le langage de Brasidas et inquiets pour leur récolte, la plupart furent d’avis d’abandonner les Athéniens. En conséquence ils exigèrent de Brasidas le même serment qu'il avait, à son. départ, fait prêter aux magistrats de Lacédémone, et par lequel il garantissait l’indépendance à tous les alliés qu’il aurait gagnés ; puis ils reçurent son armée. Peu de temps après, Stagire, autre colonie d’Andros, imita cette défection. Tels furent les événements de l’été.
Dès l’entrée de l’hiver suivant, les mesures se trouvèrent prises pour livrer la Béotie aux généraux athéniens Hippocratès et Déinosthène. Ce dernier avec la flotte devait se porter à Siphæ, tandis que son collègue marcherait sur Délion. Mais il y eut erreur sur le jour convenu pour ce double coup de main. Démosthène partit le premier et cingla vers Siphæ avec bon nombre d’Acarnaniens et d’alliés de ces contrées embarqués sur sa flotte. Le complot échoua ; il fut dévoilé par Nicomachos de Phanotée en Phocide, qui le communiqua aux Lacédémoniens, et ceux-ci aux Béotiens. Ces derniers, n’étant pas encore gênés dans leurs mouvements par la présence d’flip-pocratès, accoururent en forces à Siphæ et à Chéronée. Ce contre-temps empêcha les conjurés de remuer dans ces villes.
Hippocratès fit lever en masse la population d’Athènes,
Pendant ce temps, les Béotiens se rassemblaient à Tanagra. Quand les contingents de toutes les villes furent arrivés et qu’on sut les Athéniens en retraite, les béotarques, qui sont au nombre de onze, ne furent pas d’avis de les attaquer, puisqu’ils étaient hors de la Béotie. En effet les Athéniens, lorsqu’ils avaient fait halte, se trouvaient sur les frontières d’Oro-pos [*](Ville située sur l’Euripe, en face d’Érétrie. Elle appartenait originairement à la Béotie, mais les Athéniens s’en étaient rendus maîtres. Voyez liv. II, ch. xxm. ). Le seul Pagondas, fils d Êoladas, émit l’opinion contraire. Il était alors béotarque de Thèbes, conjointement avec Arian-thidas fils de Lysimachidas, et avait le commandement en chef. Il crut que le meilleur parti était d’engager le combat. Il réunit donc les soldats par bataillons, afin qu’ils ne quittassent pas les armes tous à la fois, et il prononça le discours suivant, qui décida les Béotiens à prendre l’offensive.
« Il n’aurait dû entrer dans la pensée d’aucun de nos généraux qu’il fallût renoncer à combattre les Athéniens du moment que nous n’avions pu les joindre en Béotie. C’est bien la Béotie qu’ils se préparent à ravager ; c’est chez nous qu’ils sont venus construire une forteresse; enfin ils sont toujours nos ennemis, quel que soit le lieu où nous les atteignions et celui d’où partent leurs attaques.
« Si quelqu’un a pu croire plus prudent de ne pas agir, qu’il se détrompe. Les règles de la prudence ne sont pas les mêmes pour des gens à qui l’on dispute leur territoire, ou pour un
« Cela est surtout nécessaire à l’égard des Athéniens, dont le pays touche le nôtre. Entre nations limitrophes, l’équilibre des forces maintient seul la liberté. Et comment ne pas lutter à outrance contre des hommes qui prennent à tâche d’asservir tous ceux qu’ils peuvent atteindre de près ou de loin ? Que leur conduite envers nos voisins de l’Eubée et envers la plupart des Grecs nous serve de leçon. Communément c’est pour des limites territoriales que s’élèvent les guerres entre peuples voisins; mais pour nous, si nous succombons, il n’y aura plus dans tout notre pays une seule limite solidement plantée. Une fois chez nous, ils nous dépouilleront violemment: tant il est vrai que leur voisinage est pour nous le pire de tous.
« D’ordinaire ceux qui, à leur exemple, se confient en leur force attaquent avec hardiesse un peuple tranquille, qui se borne à défendre ses foyers; mais ils sont moins ardents contre celui qui va à leur rencontre hors des frontières et qui sait prendre l’offensive dans un moment donné. Nous Pavons éprouvé avec ces mêmes Athéniens. La victoire que nous remportâmes sur eux à Coronée, à une époque ou nos dissensions leur avaient ouvert notre pays, a procuré jusqu’à ce jour une profonde sécurité à la Béotie.
« Que ce souvenir nous excite, nous autres qui sommes âgés, à nous montrer les mêmes que jadis, et les jeunes gens, ceux dont les pères déployèrent alors tant de vaillance, à ne pas ternir des vertus héréditaires. Confions-nous dans la protection de ce dieu, dont leur sacrilège a converti le temple en forteresse; confions-nous dans les victimes qui nous présagent la victoire. Marchons droit aux ennemis, et apprenons-leur que, s’ils veulent assouvir leur convoitise, ils doivent s’attaquer à des peuples qui ne se défendent pas ; mais qu’avec des hommes accoutumés à combattre pour leur liberté sans jamais attenter à celle des autres, ils ne se retireront pas sans avoir soutenu le combat. »
Cette exhortation de Pagondas détermina les Boétiens à livrer bataille. Il mit aussitôt l’armée en mouvement ; car le jour commençait à baisser. Parvenu à portée de Pennemf, il prit position derrière une colline qui formait un rideau entre les deux armées ; puis il rangea ses troupes et se prépara au
Quand les Béotiens eurent achevé leurs dispositions, ils commencèrent à se montrer sur le sommet de la colline, où ils firent halte en ordre de combat. Ils avaient sept mille hoplites, plus de dix mille hommes légèrement armés, mille cavaliers et cinq cents peltastes. Les Thébains et leurs sujets occupaient la droite ; au centre étaient les Haliartiens, les Co-ronéens , les Copéens et autres riverains du lac [*](Le lac Copaïs ou Céphissis. ) ; à la gauche les Thespiens, les Tanagréens et les Orchoméniens. Les deux ailes étaient appuyées par la cavalerie et par les troupes légères. Les Thébains étaient rangés sur vingt-cinq de hauteur, les autres à volonté. Telles étaient les dispositions et l’ordonnance de l’armée béotienne.
Du côté des Athéniens, sur toute la ligne, les hoplites, égaux en nombre à ceux de l’ennemi, se rangèrent sur huit de hauteur. La cavalerie flanquait les ailes. Quant aux troupes légères, il n’y en avait point alors de régulièrement armées; les Athéniens n’en eurent jamais[*](L’armement des psiles athéniens ne fut régularisé que par Iphicrate, postérieurement à la guerre du Péloponèse. Il leur donna un petit bouclier ou rondelle (πέλτη), une lance plus longue et une épée plus forte que celle des hoplites, une cuirasse de lin et une chaussure commode, à laquelle son nom demeura attaché. Voyez liv. I, ch. lx, note 1. ). Il en était bien parti d’Athènes, et même en plus grand nombre que celles de l’ennemi ; mais c’étaient pour la plupart des hommes sans armes, composant la levée en masse des étrangers et des citoyens. Or, comme ils avaient pris les devants pour retourner au pays, il ne s’en trouva que fort peu à cette journée. Lorsque les troupes furent en bataille et l’action près de commencer, Hippocratès parcourut le front de son armée et la harangua en ces termes :
« Athéniens, mon exhortation sera brève ; mais qu’importe à des gens de cœur? Mon but n’est pas de relever votre courage, mais de vous en faire souvenir. Que nul de vous ne s’imagine que nous affrontons le péril sur une terre et pour une cause qui nous sont étrangères. C'est sur leur territoire, mais c’est pour le nôtre que nous allons combattre. Si nous sommes vainqueurs, jamais les Péloponésiens, dépourvus de la cavalerie béotienne, n’oseront envahir l’Àttique. Un seul combat nous rendra maîtres de ce pays et mettra le nôtre à l’abri du danger. Marchez donc avec une bravoure digne de la première des villes grecques, digne de cette patrie dont chacun