The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

NOVS auons dit que le Magistrat est l'officier qui a commandement public, or celuy a commandement, lequel a puissance publique de contraindre ceux qui ne veulent obeir à ce qu’il enioint, ou qui contreuient à ses defenses, & qui peut leuer les defenses par luy faites. car[*]( l. legis virtus. de legib.) la loy qui dit, que la force des loix gist à commander, defendre, permettre, de punir: est plus propre aux Magistrats qu’à la loy, qui est muete: & Ie Magistrat est la viue loy qui fait tout cela: veu que la loy en foy ne porte que les commandemens ou defenses, qui seroient illusoires, si la peine & le magistrat n’estoient au pied de la loy, pour celuy qui cotreuient. combien qu'a parler proprement la loy n’a rien que la prohibition de les menaces à faute d’obeir: attendu que celuy qui commande defend de contreuenir à son commandement. & quant à Ia permission, ce n'est pas loy: car la permission leue les defenses, de ne porte ny peine ny menasse, sans lesquelles la loy ne peut estre: veu que loy ne signifie autre chose que le commandement du souuerain., ainsi que nou's auons dit: de quelque menasse, ou peine qui soit apposee en la loy, iamais pourtant la peine ne s’ensuit la desobeissance, qu’il ne soit dit parla bouche du magistrat. de forte que toute Ia force des loix gist en ceux qui ont le commandement, soit le Prince souuerain, soit le magistrat* c'est à dire., puissance de contraindre les sugets d’obeir, ou de les punir: en quoy gist l’execution des commandemens, que[*]( Greek Text.) Demosthene appelloit les nerfs de la Republique. I’ay dit puissance publique, pour la difference qu’il y a de la puissance domestique: I’ay dit puissance de contraindre, pour la difference de ceux qui ont cognoissance des causes,[*]( La force du commandement gist en la contrainte.) qui iugent & donnent sentences, & font citer par deuant eux: mais ils n’ont point de puissance de contraindre, ny de mettre en execution leurs sentences de commandemens, comme les anciens Pontifes, & maintenant les Euesques: & anciennement les commissaires deleguez parles magistrats, auoient bien puissance de cognoistre des causes qui leur estoient commises, & de condamner, & mesmes souuent ils appelloient les parties par deuant eux: mais ils n’auoient puissance de contraindre, ains ils enuoyoient leurs sentences aux magistrats, pour les ratifier, ou casier, & les faire[*]( l.à diuo. prin.de re iudic.) executer si bon leur sembloit. c'est pourquoy la loy dit, que celuy qui auoit par force enleué quelqu’vn qu’on menoit aux commissaires donnez par les iuges, n'est point suget à la peine de la loy[*]( l.3. ne quis eum qui in ius vocat.) qu’il eust encourue si le commissaire eust eu commandement: comme à present par nos coustumes de ordonnances, les iuges commissaires ont puissance de commander, de faire executer leurs sentences par les sergens de autres

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personnes publiques, en vertu des commissions qu'ils decernent, seelees de leur cahet. mais les Euesques n'ayans aucune puissance de contraindre, enuoyent leurs sentences pour executer aux magistrats: comme font en tout l'Orient les Cadis, qui ont cognoissance de tous procés, & n'ont aucune puissance de contraindre, ains ils enuoyent leur iugemens aux Soubachis, qui ont le commandement & la force en main. Nous auons dit que la premiere coutrainte de tous ceaux qui ont puisance de commander, est la main mise, tant sur les personnes, que sur les biens que les anciens appelloient "Prehensio:" car ce n'est rien de faire appeller par deuant soy, ny de iuger, ny de condamner à l'amende, qui n'a la main-mise pour saisir les biens ou la personne de celuy qui desobeist. Nous auons monstré que tel a main-maise, qui n'a pas puissance de faire appeller par deuant soy, ny de cognoistre, ne de bailler main-leuee, ny d'elargir ceux qu'il a mis en prison: comme nous auons monstré des Tribuns du peuple, de XI. magistrats en Athens, du Triumuir capital en Rome, des Auogadour en Venize, des gens du Roy, & procureurs de ceux qui on droict de fisque és autres Royaumes & Republiques, &des commissaires du Chastelet de Paris, qui peuuent emprisonner, & saisir, & ne peuuent toutefois bailler main-leuee: qui appartient seulement aux Magistrats, qui ont pouuoir de condamner, & absouldre, & cognoistre les vns des biens, les autres des biens & de l'honneur, les autres des biens de l'honneur, & des peines corporelles iusques à la mort exlusiuement: les autres inclusiuement: & qui suget à l'appel, qui execute nonobstant l'appel. le denier degré est la puissance de la vie & de la mort, c'est à dire puissance de condamner à mort, & donner la vie à celuy qui a merité la mort.[*]( La plus haute marque de la Maiesté.) que est la plus haute marque de souueraineté, & propre à la maiesté, priuatiuement à tous magistrats, comme nous auons dit cy dessus. Ainsi peut-on iuger qu'il y a deux sortes de commander par puissance publique: l'vne en souueraineté, qui est absoluë, infinie, & par dessus les loix & au souuerain, qui est propre aux magistrats & à ceux qui ont puissance extraordinaire de commander, iusques à ce qu'ils soient reuoquez, ou que leur commission soit expiree. Le Prince souuerain ne recognoist, apres Dieu, rien plus grand que soymesmes: le Magistrat tient apres Dieu, du Prince souuerain sa puissance, & demeure tousiours suget à luy & à ses loix: les particuliers recognoissent apres Dieu (qu'il faut tousiours mettre le remier) leur Prince souuerain, ses loix & ses Magistrats, chacun en son ressort. Soubs le nom de Magistrats i'entends aussi ceux qui ont la iurisdiction annexee aux fiefs, attendu qu'ils la tiennent aussi bien du Prince souuerain comme les Magistrats. de sorte qu'il semble qu'il n'y a que les Princes souuerains qui ayent puissance de commander, & qui puissent vser proprement de ces mots, "Impero, & iubeo," qui signifioient[*]( notat Donatus in illud Andriæ, animo iam nunc otioso esse impero. id est volo. & iubeo te saluere, id est volo & iubeo. Terent. te saluere, id est quiscis an quæ iubeam faciat: Donat, iubeam pro velim.) anciennement,
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"volo, & imperium," volonté. puis que le vouloir d vn chacun Magistrat, & de tous ceux qui ont puissance de commander, est lié, & depend entierement du souuerain, qui le peut alterer, changer & reuoquer à son plaisir. & pour ceste cause, il n’y a pas vn Magistrat, ny tous ensemble, qui puissent mettre en leurs commissions, Tel est nostre plaisir; & la clause, sus peine de la mort, qu'il n’y a que le Prince souuerain qui puisse vser en ses edits & ordonnances. Et de là est issu vne question notable, qui n'est point encores decidee: à sçauoir si la puissance du glaiue, que la loy appelle "Merum imperium" au Prince souuerain, & inseparable de la souueraineté: & que les Magistrats n'ayent point "merum imperium," ains seulement l'execution de la haute iustice[*]( Notable question disputee deuant l'Empereur Henri VII.): ou bien si telle puissance est propre aux Magistrats, ausquels le Prince la communiquee. Ceste qu_eftion fut disputee entre Lothaire & Azon, les deux plus grands Iurisconsultes de leur aage, & choisirent pour arbitre l’Empereur Henry VII. lors qu’il estoit à Boulongne la Grasse, à la peine d’vn cheual, que deuoit payer celuy qui seroit condamné par l'Empereur. Lothaire emporta le prix d’honneur: mais la pluspart, & presque tous les autres Iurisconsultes, tenoient l’opinion d’Azon, disans que Lothaire "Equum tulerat, sed Azo aequum." Et depuis il s’en est trouué qui ont[*]( Alciat. lib.2.paradox.c.6. & capit. 1. Molinæ.§. 1. glo.5.nu.58. in consuet. Paris.) tenu l’opinion de Lothaire, de sorte que la question est demeuree indecise, qui toutefois doit estre bien entendue pour la consequence quelle tire apres soy. La difficulté est venue de ce que Lothaire & Azo n’ont pas eu cognoissance de l'estat des Romains, desquels ils exposoient les loix & ordonnances, ny pris garde au changement suruenu soubs les Empereurs. Car il est bien certain qu’auparauant il n’y auoit pas vn Magistrat en Rome, ny tous ensemble, qui eussentla puissance du glaiue sur les citoyens: &, qui est beaucoup moins, ils n’auoient pas feulement puissance de condamner vn citoyen aux verges, de puis la loy Portia, publiee à la[*]( Liuius lib.10.Cicero.pro Rabirio perduel. salust. in Catilin.) requeste de Caton le Tribun du peuple, l’an de la fondation de Rome CCCCLIIII. par laquelle le peuple osta non feulement aux Magistrats ceste puissance, ains aussi s’en despoüilla soymesme, entant qu’il pouuoit, permettant aux condamnez pour quelque crime que ce fust, de vuider le pays. & qui plus est, il n’y auoit pas vn seul Magistrat qui eust pouuoir de iuger vn citoyen, s’il estoit question de l’honneur, ou d’vn crime public, car le menu peuple s’en estoit reserué la cognoissance: & s'il y alloit de la vie, ou de perdre le droict: de bourgeoisie, il n’y auoit que les grands estats du peuple qui en eussent la cognoissance, comme il estoit[*]( Cicero pro Rabirio. perd. & pro domo sua.) ordonné par les loix qu’on appelloit Sacrees. & iaçoit qu’elles ne fussent gardees à la rigueur, si estce que Ciceron pour y auoir contreuenu fut banni, & perdit tour son bien. Depuis le Dictateur Sulla publia les loix des iugemens publiques, par lesquelles on erigea en tiltre d’offices ordinaires certain nombre de Preteurs, qui deuoient iuger ce que le menu peuple iugeoit[*]( l.2. de origine iuris.) auparauant, ou deputoit commissaires pour iuger: comme des meurtres, des concus-
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sions, du pecuIat, de leze majesté: mais de celle forte que les Preteurs auoient leur leçon par escrit, & n’en[*]( Asconius in commentariis ad Ciceronem, Cic. pro Cluentio in Verr.) pouuoient passer vn seul poinct. car ils tiroient au sort certain nombre de iuges particuliers, de ceux qui pouuoient estre iuges parles loix iudiciaires. & apres auoir ouy deuant tout le peuple les accusations & defenses de part & d’autre, on portoit à chacun iuge trois tablettes de diuerses couleurs: en l’vneil y auoit vn A. en l’autre vn C. en la troisiesme N. L. pour[*]( absoluo, condemno, non liquet.) absouldre, ou condamner, ou bien ordonner qu’il en seroit plus amplement enquis, ce qu’ils disoient "ampliare, & amplius quaerere," auec vn vase, dans lequel ils iettoient l’vne des trois tablettes sans mot dire: & cela fait, on contoit: & s’il y auoit plus de tables cottees par C. le Preteur vestoitsa robe tissue de pourpre, & montoit en vn haut siege en place publique, & au veu de tout le peuple[*]( Festus in verbo patum cauisse. quelques vns ont voulu corriget patrauisse, sans propos.) prononçoit ces quatre mots, REVS PARVM CAVISSE VIDETVR, c'est à dire, qu’il sembloit que l'accusé ne s'estoit pas gardé de mesprendre: ou bien, "Non iure videtur fecisse:" ou, "Videtur prouinciam spoliasse." c'estoit l’ancienne modestie & forme de parler, de peur d'estre trouuez menteurs: comme en ces mots, SI QVID MEI IVDICII EST, soudain la peine des loix estoit executee: Ie condamné vuidoit le pays, les receueurs saisissoient son bien. & s’il n'obeissioit aux loix, Ie Triumuir capital le mettoit en[*]( simile est in l.1. ad S.C. Turpilianum, Si iudex pronunciauit, calumniatus es, condemnauit eum, & quamuis de pœna nihil subiecerit, attamen legis potestas aduersus eum exercebitur.) prison. Voila la forme ordinaire des condamnations publiques faites par les Magistrats: par laquelle on peut iuger, que les iuges n’estoient que simples executeurs des loix, fans pouuoir adiouster ny diminuer vn seul poinct. Mais quand le peuple iugeoit, qui estoit tousiours extraordinairement, comme font tous ceux qui ont la souueraineté, la peine estoit portee par la sentence: comme en celle-cy, SI "M. Posthumius ante Cal. Maias non prodisset, neque exeusatus esset, videri eum in exilio esse: ipsi aqua & igni placere interdici." qui n'estoit pas la peine des loix., mais du peuple. & dura ceste forme quelque temps, apres que la Republique fut changee de populaire en Monarchie: comme on peut voir du temps de Papinian: qui a donné occasion à Lothaire & Azon de disputer,[*]( l.1. de offi. eius cui mandat.) car il pose ceste maxime, Que tout ce qui est attribué aux Magistrats par ordonnance, ou loy speciale, il n'est pas en leur puissance de le commettre à personne: & pour ce les Magistrats, dit il, faillent en ce qu’ils commettent ceste charge à d’autres, si ce n'est qu’ils soient absens: ce qui n'est pas, dit-il, de ceux qui ont la puissance sans astriction de loix speciales, ains seulement en vertu de leur office, qu’ils peuuent commettre, ores qu’ils soient presens. Voila ce que dit Papinian, vsant du mot "Exercitionem publici iudicij": comme s’il disoit, que ceux qui ont la majesté souueraine, se sont reseruez la puissance du glaiue, & en ont donné par loy speciale l'execution aux Magistrats: c'est l’aduis de Lothaire: & Azon entendoit par ces mots, que le droict & puissance du glaiue estoit attribué aux Magistrats. Or il n’y a doubte que l’opinion de Lothaire ne fust veritable, quand il n'eust parlé que des
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anciens Preteurs Romains, & qu'il fust demeuré és termes de la reigle de Painian. mais il a failly en ce qu'il a tiré en consequence ceste maxime à tous Magistrats, qui depuis ont esté, & qui sont par toutes les Republiques, ayant la cognoissance des meurtres, voleries, concussions & autres crimes semblables, qui leur sont par l'erection de leur office attribuez. Car les Empereurs & Iurisconsultes ayans cognu à veüe d'œil less inconueniens, & iniustice qui se faisoit, de condamner tous les meurtriers à mesme peine, ou les aboudre du tout, & faire le semblable des autres crimes, qu'ils appelloient Publiques, aduiserent pour le mieux, d'eriger certains Magistrats, qui pourroient selon leur conscience, & religion croistre & diminuer les peines, ainsi qu'ils verroient estre à faire par raison. Et le premier ce fut Augustre, qui outre les tablettes cotecs A.C.N.L. ordonna vne quatriesme tablette, par laquelle il estoit licite au iuge de pardonner à ceux qui auoient failly par la fraude d'autruy, & suyuant vn faux testament, comme nous lisons en suetone. Ainsi peu à peu on quitta[*]( l.ordo. de public. iudic.) l'ordre, & circuit ancien porté par les loix iudiciaires, demeurant encores la peine establie par chacune, sans qu'on la peust croistre ny diminuer[*]( l.1.ad Turpil.), horsmis ceux que i'ay dit. & souuent les Empereurs commettoient[*]( Tacit. & Tranquil. in Tiberio. in Vespasiano.) ou le Senat, ou les plus dignes Magistrats, pour cognoistre extraordinairement des plus grands personnages, our des crimes les plus qualifiez, & les punir ainsi qu'ils verroient, & iugeroient pour le mieux, sans les obliger aux loix penales, & ordinaires. & du temps de Papinian, l'Empereur Seuere[*]( l.1.de offic. præfec. vrbi.) donna puissance au grand Preuost de Rome, de cognoistre extraordinairement de tous crimes quel qu'il fussent, qui se commettoient dedans, & hors la ville quarante lieuës à la ronde. & mesmes les Preteurs, qui n'auoient cognoissance que des causes ciuiles, & des crimes particuliers,[*]( toto titul. de extraordinai.) cognoissoient de plusieurs crimes extraordinaires par preuention auec le grand Preuost: & encores plus les gouuerneurs des Prouinces, qui auoient, comme dit la loy, iurisdiction tresample, & la puissance du glaiue, qui pour ceste cause estoient appellez Potestats. d'autant qu'il n' auoit au paruant l'erection du grand Preuost, que les gouuerneurs des Prouinces qui eussent la puissance du glaiue: & qui s'appellent encores à present Potestats. Or il est tout notoire par les maximes de droict, que les Magistrats qui cognoissent extraordinairement, peuuent condamner à telle peine qu'ils voudront, sans fraude: comme dit la loy, "Hodie. de Pœnis." Il faut donc conclure que le grand Preuost, & les gouuerneurs de pays, & tous ceux qui cognoissent extraordinairement de crime public, soit par commission, soit en vertu de leur office, ont la puissance de iuger, condamner ou absoudre. & non pas l'execution de la loy seulement, à laquelle ils ne sont point sugets pour ce regard. Mais pour esclaircir ce poinct, il faut resoudre deux questions, à sçauoir si l'office est à la Republique, ou bien au Prince souuerain, ou propre à celuy qui en est pourueu, ou commun 321 au public, & au suget. le second poinct est, à sçauoir si la puissance qui est ottroyee par l’erection du Magistrat est propre à celuy qui en est pourueu en qualité de Magistrat, ou si elle est eu la personne du Prince, demeurant l’execution au Magistrat : ou commune au Prince & au Magistrat . Quant à la premiere question, il est sans difficulté, que tous les estats, Magistrats & offices appartiennent à la Republique en proprieté (horsmis en la Monarchie seigneuriale) demeurant la prouision à ceux qui ont la souueraineté., comme nous auons dit cy dessus: & ne peuuent estre appropriez au particulier, si ce n’est par l’ottroy du souuerain, & consentement des estats, confirmé d’vne longue possession à tiltre de bonne foy. comme il s’est fait des Duchez, Marchisats, Comtez, & de toutes les iurisdictions feudales, qui anciennement estoient commissions reuocables au plaisir du souuerain, & peu à peu ont esté ottroyees aux particuliers à vie, puis à eux & à leurs successeurs masles, & par succession de temps aux femelles : en fin elles ont passe en forme de patrimoine en plusieurs Royaumes. Si doncques on parle de la puissance du glaiue, ou autre iurisdiction des feudataires, il n’y a doute que la proprieté est à eux, en rendant la foy & hommage, & auoüant tenir du souuerain : sauf le ressort & droits de souueraineté. Il y a d’autres offi-[*](Les duchés, comtez, Marquisats, estoient anciennement simples commissions.)-ces qui n’ont iurisdiction ny commandement, ains seulement vne simple charge publique & seruile, comme les quatre offices des chauffecires en ce Royaume: les autres fiefs, comme plusieurs sergenteries en Normandie. on a voulu aussi faire les Connestables de Normandie, & de Champaigne, & les grands Chambellans hereditaires: mais les poursuiuans en ont esté deboutez par plusieurs arrests : & entre autres il y en a vn solennel es registres de la Cour, donné l’an m.cclxxii.& deux ans apres Symon Comte de Montfort, fut debouté du droict successif, qu’il pretendoit pour l’estat de Mareschal de la foy, que les seigneurs de Mirepoix s’attribuent en leurs qualitez . Et d’autant qu’il y auoit certains Mareschaux de France, qui vouloient continuer leurs estats en leurs successeurs, ils en furent deboutez par arrest donné ep Parlement le xxii. Ianuier m.ccclxi. comme il se trouue és registres de la Cour, où il est expressément dit, que les estats de Mareschaux de France sont du domaine de la Couronne , & l’exercice ottroyé aux Mareschaux tant qu’ils viuroient. Or combien que la puissance des Mareschaux ne soit que pour le faict de la guerre, comme il fut iugé par arrest du x v. iour d’Aoust l’an m. cccclix. neantmoins la discipline militaire emporte auec soy la puissance du glaiue, ores qu’elle ne soit attribuee par edit, ou loy expresse : & n’a rien de commun auec les edits & ordonnances de la police, ny des autres Magistrats. Car combien que la puissfance du glaiue, & mesmes des verges fust ostee à tous Magistrats Romains, par la loy Porcia. que nous auons cottee cy dessus: neantmoins le Consul auoit toute puissance de la vie & de la mort sus les gendar- 322 mes, sans qu’il y eust aucun moyen d’appel, [*](lib 6. de militari ac domestica Rom.)comme dit Polybe, & pour ceste cause , dit-il, les Consuls ont puissance royale : mais il n’a pas pris garde, que les Preteurs, Dictateurs, Questeurs, & tous autres Capitaines en chef, auoient mesme9 puissance. Aussi par les lettres du Connestable de ce Royaume, la puissance du glaiue ne luy est pas ottroyee: mais ayant la conduicte de la guerre, & en son absence, les Mareschaux de France, la puissance du glaiue leur est attribuee, sans laquelle la discipline militaire ne peut estre maintenue : de laquelle puissance, par cy deuant abusoient les simples Capitaines, tuant les soldats sans forme ny figure de procés, iusques à ce que le Roy Henry leur eust fait defense d’en vser plus en ceste sorte par edit expres, publié à la requeste du sieur Dandelot, lors qu’il estoit Colonel des gens de pied. Si donc les Magistrats militaires, & Capitaines en chef, ont en toute Republique puissance du glaiue, sans aucune limitation, ny restriction de la forme de proceder, ny des peines, pour la varieté des crimes & forfaits, le tout à leur discretion & iugement, on ne peut dire qu’ils soient simples executeurs de la loy, attendu qu’ils n’ont point de loy à laquelle pour ce regard ils soient sugets : & par consequent, il faut conclure, que la puissance du glaiue est transferee en leur personne, suiuant la reigle de Papinian: & que par mesme suite ils peuuent1 commettre ceste puissance, ores qu’ils soient presens, & en retenir ce que bon leur semblera: çe qu’ils ne pourroient pas, si par loy speciale ils estoient contraints d’en cognoistre eux-mefmes, & suiure de mot à mot les solennitez, & peines portees par les ordonnances. C’est pourquoy la loy dit, que le Preteur Vrbain auoit puissance de commettre qui bon luy sembloit, ores qu’il fust present: ce que n’auoient pas les Preteurs des causes publiques, car le Preteur Vrbain cognoissoit de toutes causes ciuiles & des criminelles (excepté les causes qu'on appelloit Publiques) entre les bourgeois de Rome: comme aussi faisoit le Preteur estably pour les causes d’entre les estrangers & bourgeois, & condamnoient, ou renuoyoient absouls ceux qui estoient conuenus par deuant eux selon leur discretion, ployant, suployant, & corrigeant la rigueur & douceur des loix. mais quand la loy leur attribuoit quelque cause particulierement, ores que ce fust à leur conscience, neantmoins ils ne pouuoient commettre en ce cas : comme on peut voir en plusieurs[*](l.nec mandante.de tutorib. datis l.cum ii.sed nec mandante de transact. l.& si de offic. eius cui mand.) exemples cotez par les Iurisconsultes. Ce poinct esclaircy nous achemine à la decision de l’autre, c’est à sçauoir que la puissance ottroyee aux Magistrats, en vertu de l’erection qui est faite de leur office est propre à l’office, ores que l'office ne soit pas propre à la personne: car Papinian[*](l.1.§. qui mandatam.de offi.eius cui mand.l. & si.eod.) disant que les commissaires & lieutenans n’ont rien de propre, ains qu’ils vsent de la puissance & iurisdiction de ceux qui les ont commis & deputez, monstre assez que la puissance est propre à ceux qui ont commis & deputé, soient Princes souuerains ou Magistrats. & en cas pareil la loy disoit que le 323 gouuerneur de pays a toute puissance, apres le Prince, en son gouuernement, elle n’est donc pas seulement au Prince. Mais le neud de la question depend principalement de ceste distinction, à laquelle les Docteurs n’ont pas pris garde : c’est à scauoir, qu’il y a grande difference de dire, que la puissance ou iurisdiction est propre au Magistrat , en qualité de Magistrat, ou bien en qualité de particulier. car il ne s’ensuit pas si la iurisdiction est propre au Preteur, que la Preture soit propre à la personne: ains au contraire la[*](l.vnica. de offic. praefecti august.) loy dit, qu’il a en depost, & qu’il en est garde. ainsi disons nous, Garde de la Preuosté, qui est parler proprement, & monstrer que les Estats & Magistrats demeurent en possession, & proprieté à la Republique, comme le depost au seigneur, & que la garde en eft baillee à ceux qui en sont pourueus. & pour mesme cause les Baillifs sont ainsi appellez du mot de Bail, c’est à dire gardien: & la Baillie ancienne de Florence des dix deputez estoit garde de l’estat & souueraineté. c’est pourquoy la Cour de Parlement en l’arrest des Mareschaux de France cy dessus coté, dist que leurs estats estoient du propre domaine de la Couronne, & l’exercice à eux tant qu’ils viuroient. Par ainsi nous pourrons decider la question generale, & sortir des termes de l’hypothese de Lothaire & d’Azon, qui n’ont parlé que de la puissance du glaiue, & conclure, que toutesfois & quantes que les Magistrats, ou commissaires sont obligez par les loix & ordonnances, de commander, & vser de la puissance qui leur est baillee, en la forme & maniere qu’il est prescript, soit en la forme de proceder, soit en la peine, sans y pouuoir adiouster ny diminuer, en ce cas ils ne sont que simples executeurs, & ministres des loix & des Princes, n’ayans aucun pouuoir pour ce regard, soit pour le faict de la police ou de la iustice, ou de la guerre, ou des traitez entre les Princes, ou des charges des Ambassadeurs. & en ce qui leur est permis, & laisse à leur discretion, en ce cas le pouuoir & puissance gist en eux. Et tout ainsi qu’il y a deux poincts principaux en toute Republique, que les Magistrats doiuent auoir deuant les yeux, c’est à sçauoir la loy & l’equité : aussi dirons nous qu’il y a l’execution de la loy, & le deuoir du Magistrat : que les anciens appelloient Legis actionem, & iudicis officium: lequel consiste à commander, ou decreter, ou executer. & tout ainsi que le mot Iudicium, s’entend proprement de ce qui est ordonné par le Magistrat, suiuant les termes de la loy : aussi le mot Decretum, s’entend proprement de ce que le Magistrat a ordonné suiuant l’equité sans loy : & pour ceste cause tous les arrests du Prince s’appellent proprement[*](l.1. de constitu.princip.& Pauli libri decretorum in cognitionib. prolatorum duntaxat ad principem refertur, cuius propria iurisdictio dicebatur cognitio.) Decreta, & non pas ludicia: car le Prince souuerain n’est point suget à la loy. en quoy s’abusent ceux qui ont appellé Decreta autre chose, que la sentence du Senat és deliberations resolues de son aduis: ou l’arrest du souuerain Prince, ou de ce que le Magistrat a ordonné, sans obligation de loy, ny coustume. Or telle proportion qu’il y a de la loy à l’execution d’icelle, sem- 324 blable y a-il de l’equité au deuoir du Magistrat. Et en cas pareil les Magistrats, és cas où ils n’estoient point sugets à la loy, ressembloient aux arbitres: &[*](Cicero eleganter pro Quintio: & in 3.offic. distinguit iudices ab arbitris iure datis: vt Aristot. GREEK.) ceux qui estoient du tout attachez aux loix, ressembloient aux iuges commis pour cognoistre du faict seulement, qui n’auoient aucun pouuoir decognoistre du merite ny de la iustice de la cause. Or l’vn est seruil, l’autre est noble : l’vn est. obligé à la loy, l’autre ne l’est point : l’vn gist en faict, l’autre en droict : l’vn est propre au Magistrat, l’autre est reserve à la loy: l’vn est escrit és loix, l’autre est hors la loy : l’vn en la puissance, l’autre hors la puissance du Magistrat. Et pour mieux remarquer ceste difference, la loy dit, qu’il n’est pas licite[*](l.cum prolatis.de re iudic.Felin. in e. cum non ab homine. de iudiciis.) d’appeller de la peine, portee par les loix, prononcee par le Magistrat, ains seulement de ce que le iuge a declaré coulpable l’accusé: mais il est permis d’appeller de la peine decernee par le Magistrat. par ce que la peine de la loy est du Prince, duquel il n’y a point d’appel. Voila sommairement la distinction, par laquelle non seulement la question d'Azon & de Lothaire sont decidees, ains aussi vne infinité d’autres, qui concernent la charge & deuoir des Magistrats, esquelles plusieurs se sont fort enueloppez: les vns pour auoir mesprisé la prattique, les autres pour n’auoir rien veu en la Theorique, la plus part pour n’auoir entendu l’estat des Romains , ores qu’ils fussent bien exercitez,.& resolus en toutes les parties du droict, neantmoins au faict des Magistrats, de leur puissance & auctorité ils se sont trouuez fort empeschez, Car mesmes du[*](§.1.glo.5.nu.58.de feudis.) Moulin, l’honneur des Iurisconsultes ,a suiuy l’opinion d’Alciat & de Lothaire, sans les distinctions que nous auons posees, ou il adiouste, que la puissance de faire, Lieutenans en ce Royaume a esté ostee aux Seneschaux & Baillifs, par ce qu’ils ne sont que simples vsagers, & que l’vsager ne peut faire autre que luy vsager: qui est vne raison sans apparence, comme nous auons monstré cy dessus: ioint aussi qu’il n’y a pas cent ou six vingts ans pour le plus, que Charles vii. & viii. ont les premiers[*](Carol.7.at.105.& Carol.8.art.73.) erigé les Lieutenans des Baillifs & Seneschaux en tiltre d’office. Et si ceste raison auoit lieu, pourquoy est-ce que[*](d.l.1 de offic.eius cui.l solet.l.more.de iurisdict.) Papinian dit expressement, que les Magistrats peuuent deputer & commettre en leur presence, tant & si longuement, & auec telle limitation qu’ils voudront, des choses qu’ils ont en vertu de leur office, & qui sont propres à leur estat? or les estats & offices estoient beaucoup moins propres, & moins affectez aux personnes qu’ils ne sont à present: car ils sont perpetuels, & en Rome ils ne duroient qu’vn an. & neantmoins ils commettoient qui bon leur sembloit, & mesmes les Iurisconsultes ont fait[*](toto titulo. de offi. eius cui.) liures expres de ceux à qui la iurisdiction est commise : & qui eussent esté inutiles, si la raison de l’vsager au Magistrat estoit receuable. Quant aux anciens Docteurs, ils se sont enueloppez de telle forte, qu’il appert[*](Bart. Folgos.Alexan. Paul. Castrens. in l.1. de offi. eius cui. Cyn. in l. vnica. q. 4. qui pro sua iurisdict.C. Bald. in l. nec quicquam.§.vbi decretum. de offi.proconsul. Io. andr. in addit. ad specul. tit. de iudic. deleg.§. vlt. vers.item. ludo. Roman. in l.imperium. de iurisdict. om. iudic. Anto. Imol. Panor. Felin.in cap. alias.& in cap. quod se des. de offi. de leg. Bald. in l.gesta col 1. de re iudic C. & in titul. de offi. de leg. dd. in d.cap. quod se des.) euidemment qu’ils n’ont rien veu en l’estat & gouuernement de la Republique des Romains, sans lequel il est impossible de rien decider 325 touchant ces questions. Car en ce que les Romains auoient proprement separé l’office du Lieutenant en tiltre du commissaire particulier, & de celuy à qui la puissance estoit baillee par le Magistrat de commander, qu’ils appelloient legatum, iudicem datum, & eum cui mandata iurisdictio est, les Docteurs ont tout confondu ensemble, soubs le mot de Delegué: qui seroit chose longue, & superflue à refuter, n’ayant autre but que traitter ce qui concerne l’estat, & debuoir des Magistrats en general. Or tout ainSi qu’anciennement on s’efforçoit de lier les mains au Magistrats, Gouuerneurs, Ambassadeurs, Capitaines, Lieutenans, & les obliger de suiure les loix, l’instruction, la forme prescripte, & les peines sans rien y adiouster ny diminuer: maintenant on fait tout le contraire, car il n’y a pres que Republique ou les peines ne soient en l'arbitrage, & puissance des magistrats. & presque en toutes causes ciuiles, tous les interests sont arbitraires, sans auoir esgard aux peines portees par les anciennes loix des Romains, ny aux decisions de l’interest ciuil, que l’Empereur Iustinian voulant resouldre en vne[*](l.vnica. de sentent. quae pro eo quod interest.C.) loy, pour contraindre les magistrats soubs la puissance des loix, a esté cause de troubler tous les Iuges & Iurisconfultes qui ont voulu suiure sa loy, impossible, & incompatible auec les loix anciennes : & en fin on a esté contraint de laisser le tout à la conscience, & religion des iuges, pour la varieté infinie des causes, des temps, des lieux, despersonnes: laquelle infinité ne peut estre comprise en loix ny ordonnances quelconques. Et iaçoit qu’il y a quelques peines & amendes portees par les edits, auec defense de les diminuer, neantmoins les magistrats souuent passent outre: comme pour l’edit des faussaires, que le Roy François i. a fait, y mettant la peine de mort, soit en causes ciuiles ou criminelles, les Parlemens, Baillifs, & Seneschaux qui l’ont publié, verifié, & enregistré purement & simplement, ne le gardent point, ayant cognu par trait & succession de temps, qu’il estoit inique, pour la varieté infinie des causes, qui ne soufrent iamais semblable decision. I’ay dit cy dessus qu’on erigea[*](lege lectoria apud Censorinum.) vn officier nouueau à Rome, qui estoit le Preuost de la ville, auec puissance de corriger, suployer, & amender les coustumes & ordonnances, en ce qui concernoit sa iurisdiction. & chacun an le nouueau Preteur en la Tribune aux harangues, apres auoir remercié le peuple de[*](Cicero in prima orat. in Rullum.) l’honneur qu’il auoit receu, faisoit entendre lesedits qu’il auoit progetez: puis il les faisoit pendre en lieu public. Toutesfois ce n’estoient pas loix, car ny les estats, ny le menu peuple, ny le Senat, ny les Consuls, ny les autres Preteurs,ny les Tribuns, ny les successeurs au mesme office, n’y estoient aucunement obligez : ains seulement les particuliers, & en ce qui touchoit la puissance du Preteur. C’est pourquoy disoit Ciceron. Qui plurimum edicto trïbuunt : legem annuam appellant : tu plus edicto complecteris quam lege. car le Magistrat, pour grand qu’il soit, ne peut deroger à la loy, & moins encores icelleabroger. & ne faut pas entendre que le[*](l.penult. de iustitut.) Iurisconsulte, quand 326 il dit que le Preteur pouuoit corriger, amender, ou suployer les loix: qu’il eust pouuoir de deroger à icelles, ou les casser : qui estoit le plus haut poinct de la souueraineté: mais cela s’entend de la declaration des loix obscures, & en ce qu’elles pouuoient estre equitablement ployees, sans toutesfois les rompre ny contreuenir à icelles. C’est pourquoy la[*](l.non est ambigodum de bonorum posses.) loy dit generalement, que le Preteur ne pouuoit iamais donner la possession des biens à ceux qui par les loix & ordonnances ne pouuoient estre heritiers. aussi n'estoit-il pas en la puissance des Preteurs, ny de tous les magistrats ensemble faire aucun heritier: car cela se faisoit en[*](§.sed remota in in stitut. de bonor. l. lege obuenite. de ver. signif.) vertu des loix seulement : par lesquelles le[*](l.& ex diuerso de rei vendic.) magistrat declaroit la succession appartenir à tel ou tel. Et combien que plusieurs edits fussent bien plus equitables que les loix, si est-ce que le premier Preteur qui vouloit (sans auoir egard aux edits de tous ses predecesseurs) en pouuoit faire de tous nouueaux, ou bien remettre en vsage les loix qui ia estoient enuieillies. Qui fut la cause que le Tribun Æbutius[*](Gellius lib.16.) presenta requeste au peuple, qui passa en force de loy, à ce que les articles des loix des douze Tables, qui n’estoient plus en vsage par traict de temps, fussent par loy expresse cassez & abolis, ce qui n’eust pas esté fair, si les Preteurs en vertu de leurs edits, eussent peu deroger aux loix. Et mesmes les Preteurs qui auoient fait les edits n’y estoient aucunement sugets, ains ne laissoient pas de iuger tout le contraire: ce que Ciceron reprochant a Verres disoit, Ille nulla religione motus, contràquàm edixerat, decernebat. Combien que ceste reproche n’eust pas grande apparence : car tout ainsi que nul n’est suget à la loy qu’il donne, aussi peut-il pour bonne & iuste cause deroger à icelle. mais quelques annees auparauant il auoit esté ordonné par le[*](Asconius Paedi. in Cornelianam. Dio. lib.26.) peuple, à la requeste du Tribun Cornelius, que chacun Magistrat seroit contraint de garder ses edits en iugeant: ce qui retranchea beaucoup des ports, & faueurs que faisoient les Magistrats à qui bon leur sembloit. Toutesfois ceste loy estant publiee, contre l’aduis de[*](Ascon.eod loco.) plusieurs, & contre la[*]( l. A Titio §. nulla. de verb.oblic.) nature des loix, qui ne peuuent iamais obliger ceux qui les ont faictes, fut bien tost aneantie : aussi ceste loy ne se trouue point en tout le droict, iaçoit[*](l.1.quod quisque iuris.) que les magistrats pour leur fait particulier fussent contraints de soufrir les mesmes edits, iugemens, & ordonnances qu’ils auoient donnez, & fait pratiquer aux autres : mais non obstant cela, tousiours la liberté demeura aux Magistrats de deroger a leurs edits, soit qu’ils fussent publiez pour l’annee qu’ils estoient Preteurs, ou pour vn mois, ou pour peu de iours. Et gencralement la[*](l.quod iussi. de re iudic.l.si opus.de noui operis.l.qui vetante.de regul.) loy dit, que le magistrat peut reuoquer son mandement, & defendre ce qu’il a commandé: iaçoit qu’il ne puisse reuoquer ce qu’il a iugé & prononcé auec cognoissance de cause. En quoy se sont mespris plusieurs qui ont appelle le simple commandement du magistrat praeceptum, non pas edictum, qui n’est autre chose, disoit[*](in lib.delingua lat.) Varron, quam Magistratus iussum: & ont pensé que tel commandement verbal n’obligeoit point, suiuant[*](Bartol. in l.pater filium.§.Iulius.de legat.2. Cynum praeceptorem secutus. Durandus in tit. de sententius.§.mista. secutus Iacobum Rauennam) l’opinion des anciens Do- 327 cteurs. Si cela estoit veritable, pourquoy la loy[*](l.praetor ait §. ait praetor. de noui operis.) commanderoit elle . d’obeir au simple mandement du Magistrat, sans auoir egard si le mandement est iuste ou iniuste. Et le Iurisconsulte[*](seruo.§cum praetor. ad Trebel.c. cum venissent. de restitut. in integrum.) Metian disoit, Reipublicae interesse, vt iniustis, & ambitiosis decretis pareatur. combien que tous les[*](Plato.in Critone. Cic. pro Cluentio & lib.3.de leg.) anciens Philosophes & Legislateurs, n’ont rien plus estroittement recommandé. Or il y a plus d’apparence d’obeir au simple mandement verbal, qui n’est que pour vn iour, qu’aux mandemens qui sont pour vn an, comme estoient tous les edits des Magistrats: d’autant que l’vn est de plus facile execution que l’autre. Qui plus est les loix, les ordonnances, les decrets, les sentences de soy n’obligent personne, si la commission, c’est à dire, le commandement n’est au pied. Et les Magistrats Romains s’empeschoient fort[*](Cicero, num Praetor iudicare solet de beri?) peu à iuger, ains seulement commandoient qu’on obeist aux sentences de ceux qu’ils commettoient pour iuger. Si donques leur mandement verbal n’eust obligé personne, ils n’eussent point esté obeis. C’est pourquoy la[*](l.t.si quis ius dicenti non obtemperane rit.) loy permet à tous magistrats, de condamner à l’amende si on ne leur obeist, sans distinction du mandement verbal, ou de la commission qui a traict, ou des ordonnances qu’ils font, ou des iugemens qu’ils donnent. De cest erreur en est issu vn plus grand, car les vns se glissans auec les autres, ont[*](Bart.Bald. in l. vt vim de iustitia. Zasius ad §. quadrupli. de action. dd. in l.memi nerint vnde vi. C. & in a. q. 1. Iaso. ad l.t. quod praetor. ne quis cum qui in ius.) tenu qu’il est licite de resister de fait & de force aux magistrats, vim inferentibus (c’est le mot dont ils vsent) soit en iustice, soit hors iugement. or la difference est bien grande entre l’vn & l’autre. car le Magistrat hors iugement, & hors la qualité de Magistrat, n’est rien plus qu’vn particulier: & s’il outrage personne on luy peut resister, ainsi que la loy le permet: mais en executant sa charge en son ressort, & n’excedant point sa iurisdiction, il n’y a doubte qu’il faut obeir: soit à droict ou à tort, comme[*](d l.praetor ait §. ait praetor de noui operis.) dit la Loy. s’il excede son ressort ou son pouuoir, on n’est pas[*](l. vlt. de iurisdict.) tenu luy obeir, si l’excez est notoire de faict: ains il se faut pouruoir par oppositions & appellations. s’il n’y a point lieu d’appel, ou qu’il passe outre, sans y auoir esgard, ny deferer au superieur, en ce cas il y a distinction, ou le grief est irreparable, ou bien il se peut reparer : si le grief se peut reparer, il n’est pas licite de faire aucune resistance: si le cas est irreparable, comme s’il est question de la vie ou de peine corporelle, & que le Magistrat voulust passer outre à l’execution sans deferer à l’appel, en ce cas il seroit licite de resister, non pas pour offenser le Magistrat, ains seulement pour defendre la vie de celuy qui seroit en danger, & que la defense fust sans fraude. [*](Bald. in l. si quis filio.§ 2.de iniusto rupto. Bart. in l.vt vim. de iust. Innocent. in cap. si quando. & in cap. pastoralis.de offic. delegati. ext. l.t. vnde vi.C.) autrement il n’est pas permis de resister au Magistrat en l’execution tortionnaire des biens, ores qu’il excedast son pouuoir, & qu’il ne deferast à l’appel, ou qu’il fist iniure: attendu qu’on se peut pouruoir par appellations, par requestes ciuiles, par actions[*](l. nec magistratibus.de iniuriis.) d’iniures, & autres moyens iustes & legitimes. Mais il n'y a loy diuine ny humaine, qui permette de reuanger ses iniures, de fait & de force contre les Magistrats, comme quelques[*](Specul in tit de citat §. sed numquid. Felin. in cap. ex literis de restitut. spoliat. Decius consil.459. Afflict. lib. 1. consuet. Neapol. tit. l. nu. 78. Bart.in l. prohibitum. de iure fisci.) vns ont pensé: qui 328 font ouuerture aux rebelles pour troubler tout vn estat: car s’il est permis nu suget de se reuanger de fait & de force contre les Magistrats, on vsera des mesmes arguments pour resister aux Princes souuerains, & fouler les loix aux pieds. Or les loix ont tousiours eu la voye de fait en si grand horreur, que mesmes elles ont[*](l.1.l si de fundo. de vi & vi armat.l.si pignore § si praedo. de pignora.l.t.§.si praedo.l. bona fides. de posit.l.ita vt si fur vel praedo commod.) reftitué les voleurs & brigands, es lieux qu’ils auoient iniustement occupez, si par force ils en estoient chassez: & ont debouté[*](l. si quis in tantam ad l.Iul.de vi. C l. extatquod nutus.l. quem admodum.§. 1. ad l. aquil. l. ex stipulatione. de acquir. vel amitt. pos.l.vnie. de suffrag. C. l. dotis. solutio l. in reb. de iuredot. C.) les vrays Seigneurs de leurs droicts, quand ils ont procedé par voye de fait. & mesmes en cas d’exploits domaniaux, le Seigneur doibt faire proceder par ses Iuges. Car la plus saine opinion est, que les Seigneurs particuliers, quelque iurisdiction qu’ils ayent, ne[*](ex l. creditores. ad l. Iul. de vi priu. contra Molm. §. 1. glo. 4. nu 7. in consuetud. paris.) peuuent exploicter que par leurs officiers, s’il est question de leur fait .Et la[*](l.non est singulis. de regul.) loy qui dit qu'il ne faut pas permettre aux particuliers, ce qui peut estre fait par le magistrat, porte sa raison, ne occasio sit maioris tumultus faciendi. Aussi la loy des xii. tables qui dit, VIS IN POPULO ABESTO, ne s’entend pas seulement de la force, & violence par armes , ains aussi quand on[*](l. creditores. de vi priuata.l. in rebus de iuredot. C.) veut auoir ses choses, autrement que par la voye de iustice. Et s’il n’est pas licite au vray Seigneur, d’aposter mesme son cachet aux choses qui luy appartiennent, estans en la possession d’autruy, comment seroit-il licite au Seigneur feodal, de saisir & exploicter le fonds, duquel la proprieté est à autruy? Dauantage la[*](l.1. ne quis in sua causa. C.) maxime de droict naturel ne soufre pas que personne soit iuge en son fait. Or de ceste question en depend vne autre, touchant la puissance & auctorité du Magistrat, à sçauoir, s’il peut condamner celuy qui luy fait iniure : qui est encores[*](Bart. Bald. Alberic. Salic & in l. qui iurisdictioni de iurisdic. Panor. Butrio Felin. Barbat. Decius in ca. cum venissent de iudic. Oldrad consil.7.) indecise. Toutesfois sans entrer plus auant en dispute, il est, & a tousiours esté licite à tous Magistrats[*](l.t. si quis ius dicenti. l. item apud.§. adiicitur de iniuriis. Angel. in l. qui iurisdictioni. de iurisdict. cap 1. de poenis.) exerçans leur estat, ou commission, de condamner & chastier ceux qui parlent à eux temerairement, & proceder contr’eux par amendes & saisies de corps & de biens, selon la puissance & iurisdiction à eux donnee: si l’iniure n’estoit telle, qu’elle meritast punition corporelle, alors les magistrats doibuent depoüiller la personne publique, & receuoir Iustice de la main[*](d.l qui iurisdictioni. & l.t. ne quis in sua causa.) d’autruy : si ce n’est que l’iniure soit faicte à vn corps, & college de Iuges souuerains: en ce cas. ils pourroient cognoistre & iuger le crime: non pas pour vanger. l’iniure faicte à eux, ains à la Republique, qui est offensee beaucoup plus que ceux qui foustiennent la personne des magistrats. Et iaçoit que la loy dit, que l’action d’iniures se remet aisément, & par soufrance qu’elle est bien tost enseuelie, cela s’entend des particuliers, & non pas des personnes publiques, & mesmement des magistrats, lesquels on ne peut outrager, sans encourir crime de leze[*](l.3.ad l. Iul maiest.) majesté. Et pour ceste cause le crime commis en la personne du magistrat, l’indignité du fait, & la peine croissent. ie di en la personne du Magistrat, non pas seulement quad il exerce son estat: ains aussi en quelque lieu qu’il soit portant les marques de magistrat, ou qu’il soit cognu pour tel, il doibt estre inuiolable, & comme 329 disoient les anciens Latins Sacrosanctus : aussi Ia loy publiee pour la seurete des magistrats, s’appelloit Horatia de sacrosanctis Magistratibus, conceuë en ces termes[*](Liuius lib.3. Dionysius lib.5. lata anno ab V.C. ccciiii.) Qui Tribunis plebis, Ædilibus, Judicibus nocuerit, eius caput Joui sacrum esto: familia ad aedem Cereris, Liberi, Liberaeque venum ito. les vns ont voulu dire , que le mot de Iudices s’entend des Consuls, qui estoient seuls iuges alors entre tous les magistrats: en quoy il y a bien quelque[*](Cicero lib.3. de legib. & Varro lib.2. de lingua lat. Festus lib. 14. Regio imperio duo sunto iique praeeundo. iudicando, iudicando, consulendo Praetores Iudices, Consules, appellanto. Liuius lib.3. Nondum illis temporibus Consules dicebantur iudices, sed Praetores.) apparence : car ils s’appelloient premierement Preteurs & puis Iuges, & apres que’leur iurisdiction pour la ville fut attribuee à vn Preteur special, ils furent appeliez Consuls : mais toutesfois il semble que la loy ayant mis les Iuges apres les Tribuns, & les petits voyers (car les grands voyers, qu’ils appelloient Aediles curules, n’estoient encores erigez) a voulu comprendre tous les iuges, attendu mesmes que la loy n’est pas publiee à la requeste d’vn Tribun, au mespris des Consuls, ains par le Consul Horace, car xliiii. ans auparauant la loy Iunia[*](Dionis.lib.6. Liuius lib. 2. Cicero pro Sextio.) sacrata auoit esté publiee pour la seureté des Tribuns: ioint aussi que la personne des Iuges, qui ont la puissance des biens, de la vie, & de l’honneur, est beaucoup plus sugette aux dangers, que des autres officiers. & pour ceste cause la loy n’a pas dit qui tueroit les Iuges, ains qui les outrageroit tant soit peu, c’est à dire nocuerit. & fait bien à noter, qu’il n’est pas dit en exerçant leur estat seulement, car ce seroit ouurir la porte pour les tuer en tout autre lieu. Et celuy s’est abuzé, lequel ayant recueilly les arrests de la Cour, a pensé qu’vn gentil-homme auoit esté condamné par arrest, d’estre trainé sus vne claye, & puis auoir le poing couppé, & son corps mis en pieces, son bien confisqué, & cinq cens liures d’amende enuers le Conseiller, pour l’auoir frappé sus le bras d’vn coup d’espee lors qu’il l’interrogeoit. Car on sçait assez que ce n’est pas la coustume de venir pour estre interrogé l’espee au costé. Mais si le Magistrat estoit en habit deguisé,ou incogneu, ou si la nuict il rodoit les rues, comme faisoit Aulus Hostilius Ædile, qui[*](Gellius.) fut mal traitté faisant effort à la porte d’vne courtisane: & renuoyé auec sa courte honte quand il en fist sa plainte au peuple : en ce cas l’outrage a luy fait, ne doibt pas estre puni comme fait au magistrat. car mesmes vn certain Tribun du peuple ayant voulu attenter à l’honneur d’vne fille, fut pris par le Triumuir capital, & par luy[*](Valer.max. lib. 8.) puni comme vn esclaue ou estranger, & delaisse par les autres Tribuns ses collegues, iaçoit que les loix sacrees portoient defenses sus la vie d’offenser le Tribun, ny commander qu’il fust puni pour chose que ce fust. & en cas pareil si le Magistrat estoit masqué, & les particuliers masquez portants les marques de Magistrats: comme il se faisoit en Rome[*](Herodian. in Commodo.) durant la feste de Cybelle, l’iniure faite au Magistrat ne seroit point punie comme faite au Magistrat. hors ces cas là, le Magistrat doibt estre tenu pour tel, en quelque lieu qu’il soit. Et non seulement il n’est pas licite d’offenser, ny outrager les magistrats de fait,ny de parole, ains il est necessaire de les respe- 330 cter & honnorer, comme ceux à qui Dieu donne ceste puissance. Ce que les Romains anciennement faisoient bien d’autre sorte, qu’il ne se fait à present : car mesmes les Censeurs noterent d’ignominie, & degraderent vn bourgeois Romain de son ordre, pour auoir respiré & baàillé vn peu trop haut en leur[*](Valer.max.lib.2.) presence. & au Senat des Areopagites, il estoit defendu de rire : comme dit l’Orateur Æschine contre Timarque. Vn autre nommé Vectius fut tué sus le champ, pour ne s’estre leué lors que le Tribun[*](Plutar.in vita Grac chor. Veturium vocat.) du peuple passoit deuant luy. Et de fait l’Empereur Valentinian appelle sacrilege de ne faire honneur aux Magistrats. Aussi lisons nous, que le fils de Fabius Max. voyant son pere de loing venir à luy, & que les massiers pour la reuerence paternelle, n’osoient le faire descendre de cheual, luy fist commandement[*](Plutar. in Fabio.) dedescendre: le pere obeissant ambrassa son fils, l’estimant d’auantage que s’il eust fait autrement. car la puissance domestique doibt ployer, dit la loy, [*](l nam quod attinet. ad Trebel.) soubs l’auctorité publique. .Vray est que les eftats alors se donnoient à la vertu, & non pasau plus offrant. mais pourtant s’ils sont acheptez, il ne faut pas que soubs ce voile, on vienne à mespriser le Magistrat: ce qui ne se peut faire sans vn mespris de Dieu, qui donne ceste puissance en quelque sorte que ce soit. Et pour ceste cause Dieu parlant à Samuel, ce n’est pas toy, dit-il, ains c’est moy qu’ils ont mesprisé. Et si les moqueurs ne sont touchez de la crainte de Dieu, si est-ce qu’ils ne peuuent nier qu’il ne soit plus que necessaire d’obeir, respecter, & honnorer les Magistrats pour la tuition des Republiques, & societé des hommes. ce que les anciens ont figuré, comme dit Æschine, par la Deesse Pitarchie, qui signifie l’obeissance des sugets aux Princes & Magistrats, laquelle ils ont appellee femme de Iupiter Sauueur: duquel mariage fut engendree Felicité. Aussi doibt le Magistrat donner si bonne opinion de luy, de sa iustice, prudence, & suffisance, que les sugets ayent occasion de l’honnorer, & ne souffrir pas que pour son indignité, l’honneur de la Republique soit foulé: car le crime en la personne d’vn Magistrat double. Et de fait Solon en vn article[*](Laertius.) de ses loix permist de mettre à mort le Magistrat, qui seroit trouué yure : qui monstre combien le vice estoit alors blasmé, & la bonne opinion requise es Magistrats. ce que plusieurs s’efforcent d’euiter par trop grande rigueur & seuerité de peines : les autres veulent gaigner la faueur en pardonnant. mais l’vn & l’autre est reprouué par la[*](l.respiciendum de poenis.) loy. En quoy plusieurs se sont mespris, lesquels ayans la puissance des peines sans loy, ont pensé quel’equité gist en douceur, contre la rigueur des loix: combien que l’equité est de telle nature, qu’elle n’a rien de commun auec la rigueur, ny auec la misericorde : mais elle resemble la reigle Lesbienne, laquelle estant de plomb, ploye aussi bien d’vn costé que d’autre. Si le forfait est plus grand que les peines apposees aux loix ordinaires, le Magistrat qui cognoist extraordinairement, doibt croistre la 331 peine: si la faute est moindre, il doibt adoulcir la peine : & non pas affecter[*](d.l.respiciendum.) le tiltre de Magistrat pitoyable, qui est l’vn des vices à fuir autant, voire plus que la cruauté. car la cruauté, bien qu’elle soit à blasmer, retient les sugets en l’obeissance des loix : & la trop grande doulceur, fait mespriser les Magistrats & les loix, & le Prince qui les a establies. c’est pourquoy la loy de Dieu defend expressément d’auoir pitié du pauure en iugement. Il y en a d’autres qui iugent bien, & ne se lachent point aller à la pitié, à laquelle les hommes naturellement sont plus enclins qu’à la rigueur, mais ils ne sçauent pas tenir la grauité seante au Magistrat : comme il s’est trouué de nostre aage l’vn des premiers Magistrats de ce Royaume, lequel au plus haut siege de iustice, & alors mesmes qu’il condamnoit à mort, il donnoit quelque traict de risee. Auguste faisoit bien autrement, car combien qu’il fust estimé fort entier, & droict en Iustice, si est-ce qu’il ne condamnoit iamais à mort qu’en souspirant, comme dit Seneque. Les autres au contraire, se cholerent, menassent, & iniurient ceux qu’ils iugent: comme faisoit ordinairement Claude[*](Tranquil.in Claudio.) l’Empereur, qui getta vn iour le tranche-plume aux yeux de celuy qu’il iugeoit, auecques vn visage plus bestial qu’Imperial. non pas que le vueille blasmer les cohortations & reprehensions acerbes, que le Magistrat doibt faire aux accusez, alors mesmes qu’il veut vser de punition plus doulce, enuers ceux qui par erreur ont failli, car c’est vne des choses les plus requises au Magistrat, de faire entendre la grauité des fautes, tant affin que les coulpables cognoissent ce qu'ils ont merité, que pour les induire à repentance. & en ce faisant la punition a moins d’acerbité, & plus de profit, comme Papyrius[*](lib.9.) Cursor, que Tite Liue met par dessus tous les hommes de son aage, qui auoit vne dignité incroyable de bien commander, & neantmoins la seuerité dont il vsoit, estoit entremeslee d’vne grauité doulce, ainsi qu’il fist cognoistre à vn Capitaine des Prenestins, qui estoit venu au secours apres la bataille, Papyrius luy monstra son visage, auec vne parole qui faisoit trembler vn chacun, & soudain commanda au Massier de deslier la masse. le Capitaine n’attendoit que la mort, & neantmoins Papyrius dit au Massier qu’il coupast vn escot, qui empeschoit de se pourmener: & condamna le Capitaine à vne bonne amende qu’il paya tres-volontiers, pensant qu’on luy eust donné la vie: & si on l’eust fait mourir il y auoit danger de faire reuolter les alliez. ce qu’il n’eust pas pardonné à vn Romain. mais tout ainsi qu’il y a grande difference entre les fautes qui se font en guerre & ailleurs: car, comme disoit vn ancien Capitaine, on ne peut faillir deux fois en guerre: auffi faut-il que les Magistrats militaires, vsent bien d’vne autre façon de commander, de punir, d’executer les peines qu’on ne fait en paix: d’autant que la discipline militaire doibt estre beaucoup plus seuere que la domestique. Non pas toutesfois que la rigueur doibue passer en cruauté: com- 332 me il s’est trouué plusieurs capitaines qui ne se monstroient iamais vaillans qu’à tuer les soldats sans les ouyr. comme Seneque[*](in lib.3. de ita.____) met vn acte de Pson proconsul, pour vn exemple de cruauté signalee enuers les soldats: ayant veu vn soldat qui retournoit seul au camp, le condamna à mourir, pour ce qu’il estoit retourné au camp sans compagnon, preiugeant qu’il l’auoit tué : le soldat affermoit qu’il venoit apres luy : Pison ne voulant receuoir ceste excuse l’enuoya au supplice: sus le poinct qu’on estoit de l’executer, son compagnon se presente plein de vie: alors le Capitaine qui auoit charge de faire executer, retourne au Proconsul auec les deux soldats: le Proconsul irrité les fait tous trois mourir: le premier par ce qu’il auoit esté condamné : le second par ce qu’il auoit esté cause de la condemnation : & le Capitaine, par ce qu’il n’auoit obeï. de forte que pour l'innocence d’vn homme, il en fist mourir trois. ce n’est pas vser iustement, mais abuser tres-cruellement de sa puissance: mais la cruauté d’autant estoit plus detestable, qu’il ny auoit moyen d’appel, ny de requeste ciuile, obstant la rigueur de la discipline militaire.