The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

‘ v>- v *. . ■ • r ob PVIS que le Magistrat, apres le souuerain, est la personne ne principale de la Republique, & sus lequel se deschargent ceux qui ont la souueraineté, luy, communiquant l'auctorité, la force & la puissance de commander, c’est bien raison deuant que passer, outre, de toucher brieue- ment quelle obeissance il doit au Prince fouuerain;qui [*](Difference entre le prince, le Magistrat, & le particulier.)est la premiere partie de son deuoir. Et la difference est à remarquer entre Je Prince souuerain, les Magistrats & les particuliers:d’autant que le souuerain n’ainen plus grand ny egal à soy, voyant tous les sugets soubs sa puissance: Ie particulier n’a point de sugets fus lesquels il ait puifTance

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publique de commander: mais le magistrat soustenant plusieurs personnes change souuent de qualité, de port, de visage, de façon de faire: & pour s'aquitter de sa charge, il est besoin qu’il scache comment il faut obéir au souuerain, ployer soubs Ia puissance des magistrats, superieurs à soy, honnorer ses esgaux, commander aux sugets, defendre les petits, faire teste aux grands, & iustice à tous.[*]( Magistratus virum.) C'est pourquoy les anciens disoient que le magistrat descouure quelle est la personne: ayant à iouer comme en vn theatre public, & en veue d’vn chacun, beaucoup de personnages: aussi pouuons nous dire, que la personne fait cognoistre quel est Ie Magistrat: car fil est tel qu’il doibt, il rehausse la dignité du Magistrat: s'il en est indigne, il rauale l’auctorité d’iceluy, & la majesté du souuerain. & comme dit Tite Liue du Magistrat indigne de sa charge: non "qui sibi honorem adiecisset, sed indignate sua vim, acius Magistratui quem gerebat dempsisset." Or pour sçauoir quelle obeissance doibt le Magistrat au souuerain, il est besoin defçauoir quel est le mandement du souuerain. Car les mandemens du Prince font diuers: les vns portent edits & loix perpetuelles pour toutes personnes, de quelque qualité & condition quelles soient: ou pour quelques personnes, & pour quelques temps par maniere de prouision. les autres emportent quelque priuilege cotre les edits pour vn seulement, ou bien peu de sugets: ou quelque bien-fait qui n'est point contre la loy: ou bien loyer aux bons, ou peine aux mauuais: ou quelque office, ou quelque commission: ou bien declarant quelque edit ou priuilege, ou bien pour faire la guerre, ou publier la paix: ou pour faire leuee de gens de guerre, ou pour dresser estapes: ou pour leuer tailles, aydes, subsides, creües, nouueaux imposts ou empruns: ou pour enuoyer ambassades pour se coniouyr, ou condouloir du bien ou des infortunes des autres Princes: ou pour traitter mariages, alliances, ou autres choses semblables: ou pour construire & fortifier les places fortifiables, reparer les ponts, chemins, ports, & passages: ou pour iuger quelques procez: ou pour executer quelques mandemens: ou pour enteriner lettres de iustice, restituer les mineurs, Ies maieurs, les condamnez, ou pour abolition generale, ou particulière, ou remission ou lettres de pardon, qui font differentes. desquels mandemens cy dessus declarez, y en a qui contiennent diuerses especes: comme les priuileges, & bien-faits, soit pour quelque don, ou exemption & immunité de toutes charges, ou de quelques vnes, ou exoines, ou lettres d'estat, ou pour auoir droict: de bourgeoisie, ou de legitimation, ou de noblesse, ou de cheualerie: ou de foires, ou de corps & college: ou autre chose semblable. Toutes lesquelles lettres se peuuent resouldre en deux sortes, c'est à sçauoir, en lettres de commandement, ou lettres de iustice: combien que la clause, Si VOUS MANDONS, est aussi bien aux vnes comme aux autres: comme en cas pareil le mot Latin IVBEMVS estoit aussi bien aux lettres de iustice, comme aux lettres de grace & de faueur: comme on peut voir aux loix, & lettres
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patentes des Empereurs de Grece. Mais les lettres de grace, ou qui procedent de la seule puissance & auctorité du Prince, sont proprement appellees en ce Ryoaume Mandemens, & les secretaires qui les expedient, secretaires des commandemens: & les lettres de iustice, le plus souuent sont expediees par les autres secretaires, & la difference du grand & petit seel, & mesmes en la pluspart la varieté de cire, & de queüe simple ou double, ou le seel pendant en soye de diuerses couleurs fait cognoistre la difference des lettres. Ie sçay bien que les Latins appelloient "mandata Principum, ceque nous appellons en nostre langue Instructions aux gouuerneurs, capitains, ambassadeurs, & autres qui vont en quelque charge, ainsi se prende le mot de MANDATA en[*]( Constitut. 17. & in I. mandatis de poenis. ff.) droict, ou l'Empereur Iustinian dit, qu'il auoit composé vn liure des mandemens, ou commandemens pour les gouuerneurs de prouince. Mais laissant la subtilité des mots, examinons la force des clauses portees par les lettres patentes & mandemens comme est celle cy, A TOVS PRESENS & à venir. ceste clause est apposee seulement aux lettres, qui sont faites pour auoir trait perpetuel: & non pas aux edits qu'on fait par maniere de pouision, ny aux commissions, ou autres lettres de prouision. cela est bien notoire mais ceste clause TANT QV'A SVFFIRE FOYVE, est bien de plus grande importance, & ordinairement apposee és lettres qu'on appelle de Iustice, par laquelle le Prince laisse à la discretion de celuy à qu'il addresse ses lettres, pour les enteriner ou casser, selon que sa conscience & l'equité le iugera. ce qui n'est point és lettres de commandement, qui n'attribuent rien à celuy auquel elles s'adressent, si ce n'est quelquesfois la cognoissance du fait seulement, SI VOVS APPERT DE CE QVE DICT EST, &c. Tellement qu'on peut dire les lettres de Iustice, ores qu'elles soient ottroyees par le Prince, ne porter aucun mandement, ny contrainte quelconque au Magistrat, à qui elles sont ad dressees: ains au contraire par les[*]( Philip. Constit.attic.II.& Carol.VII. art.66.) ordonnances de Charles VII. & Philippe le Bel, il est defendu aux iuges d'y auoir esgard, si elles ne sont equitables. Et combien que la mesme forme de lettres de iustice, soient ottroyees en Angleterre, qu'ils appellent Briefs de iustice, & en Espagne, & autres Royaumes, si est-ce neantmoins que cela s'est plustost fait pour le profit particulier de quelques vns, que pour la grandeur & accroissement de la majesté des Roys ( qui les ottroyent par forme de bien fait) ou pour necessité qu'il en soit: puis que le tout est remis en la puissance du Magistrat apres l'ottroy de lettres: ce qui n'est pas auparauant l'ottroy d'icelles. Qui fut la cause que les estats tenus à Orleans presenterent requeste au Roy, pour retrancher ceste formalité de lettres, qui ne neuient qu'à la foule du peuple, sans que le Roy ny le public en tire aucun profit. Aussi les anciens Grecs & Latins, n'ont iamais cognu ceste forme de lettres de iustice: mais les Magistrats sus la requeste de parties, faisoient autant 303 que nos iuges sus l’ottroy des lettres de iustice. & la clause, Tant qu'a suffire doyue, est celle mesme qui est portee par les edits des[*]( l.1. exquila. causis maior.) Preteurs en ceste forme, SI QVA MIHI IVSTA CAVSA VIDEBITVR. Vrav est que la puisance de corriger, suployer, & declarer les loix, concernans la iurisdiction ciuile, ensemble de restituer & releuer ceux qui auoient esté circonuenus, ou qui auoient failli aux formalitez des loix (puissance qui estoit donnee aux Preteurs par l’erection de leur magistrat, comme dit[*]( l. penult. de iustitia.) Papinian) ressent ie ne sçay quoy des marques de la majesté souueraine: & pour ceste cause on appelloit le droict des Preteurs, droict honorable, que les[*]( Bartol. Alexan. Alberic. ad l. Imperium de iurisdict.), Docteurs appellent Noble-debuoir. Quant à la déclaration & correction des edits & ordonnances, nous auons dit que cela appartient à ceux qui ont la souueraineté: mais quant aux restitutions, & tout ce qui concerne les lettres de iustice, il n’y a pas grande apparence que le Prince souuerain s'en empesche, ou pour mieux dire les officiers des Chanceliers sous le nom du Prince. I'excepteray seulement quelques lettres de iustice, qui passent soubs Ie grand seel, & ausquelles la clause que i’ay dit, Tant qu'a suffire doyue, est inseree: laquelle clause depleut à certain personnage tenant l’vn des plus hauts degrez d’honneur en ce Royaume, qui n’entendoit point la force d’icelle, & la voulut rayer, disant que la majesté du Roy estoit diminuee, mais il estoit excusable, n’ayant pas bien leu les ordonnances de nos Roys. Et comment seroit diminué la majesté des Roys pour ce regard, veu mesmes que les anciens Roys d’Egypte faisoient iurer les Magistrats de n’obeir iamais à leurs mandements, fils commandoient de iuger iniquement, ainsi que nous lisons aux sentences des Roys d’Egypte rapportees par Plutarque. Puis donc que l'enterinement, ou rescision des lettres de iustice, adressees soubs le nom du Roy aux Magistrats, depend de leur equité & discretion., il n'est pas besoin d’en dire d’auantage. Mais quant aux lettres de commandement, qui ne portent que la question du fait simple, sans attribuer la cognoissance au magistrat du merite d’icelles, il n'est pas sans difficulté., si le magistrat estant informé du fait, comme il estoit porté parla teneur des lettres, les doit verifier ou executer estant iniustes. & la difficulté est encores plus grande quand les lettres n’attribuent puissance au magistrat, ny du fait, ny du merite de l’ottroy: & mesmement s'il y a mandement expres. Car quelquesfois les Princes vsent de prieres enuers les magistrats, par lettres particulieres de cachet, pour accompagner les lettres de commandement iniustes: & bien souuent és lettres patentes les prieres font accompagnées de commandemens. Nous vous prions, & neantmoins commandons: enquoy il semble que le Prince deroge à sa majesté, si la chose est iuste, on à la loy de Dieu & de naturel elle est iniuste. Or iamais le Magistrat ne doibt estre prié, pour faire son debuoir, ny déprié pour ne faire chose qui soit inique & deshonneste. comme disoit Caton le Censeur: ioint aussi que le com-
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mandement est incompatible auec les prieres. Donc pour resouldre ce poinct, si les lettres du Prince n’attribuent aucune cognoissance au Magistat, ny du fait, ny du droite ains seulement l'execution luy en est donnee, le Magistrat n’en peut prendre aucune cognoissance, si les lettres ne font notoirement[*]( Rotæ decis. 3. de except.. in nouis. Felin. in cap. de cætero col.2. Pano. eod. col. 7 Hostiens. & Imola in c. cum concingat. de rescript.) faulses, ou[*]( Imol. in Clement. 1. de re Iudic. col. 9. Bartol. in l. à diuo. de re iudic. text. in cap. pastoralis. de rescri. ext.) nulles, ou contre les loix de nature, comme si le Prince commandoit aux Magistrats de faire mourir les innocens, ou tuer les enfans, ainsi que Pharaon & Agrippa: ou de voler & piller les pauures gens: comme de nostre aage ie Marquis Albert, entre ses nobles cruautez faisoit planter des gibets aux villes qu’il auoit forcees, & commandoit aux soldats de piller & voler les habitans sus peine d'estre pendus: ores qu’il n'eust cause veritable, ny vray-semblable de prendre les armes. Or si le suget d’vn seigneur particulier, ou iusticier n'est pas tenu[*]( l.vlt. de iurisdict.) d’obeir en termes de droit si le Seigneur ou le Magistrat passe les bornes de son territoire, ou de la puissance qui luy est donnee, ores que la chose qu’il commande fust iuste & honneste, comment seroit tenu le Magistrat d'obeir, ou d'executer les mandemens du Prince en choses iniustes & deshonnestes? car en ce cas le Prince franchist & brise les bornes sacrees de la loy de Dieu & de nature. Si on me dit, qu’il ne se trouuera[*]( Bald. in l.nuptæ de Senator. & in l. imperium. de iurisdic. Innocent. in cap. quæ in ecclesiarum. de constit.) point de Prince si mal apris, & n'est pas à presumer qu’il voulust commander chose contre la loy de Dieu & de nature: il est vray, car celuy pert le tiltre & l’honneur de Prince, qui fait contre le debuoir de Prince. Nous auons monstré par cy deuant[*]( cap. de la souueraineté.) que le Prince ne peut rien contre la loy de nature, touché les distinctions qu’on peut faire és loix humaines, & que veut dire la puissance absoluë, & quel poix a la clause des lettres patentes, TEL EST NOSTRE PLAISIR, qui peuuent esclarcir la question touchant l'obeissance du Magistrat enuers le Prince, qui depend aucunement de la puissance du Prince sus le Magistrat, en laquelle nous ne voulons entrer, ains feulement remarquer le debuoir du Magistrat en l'execution des mandemens du souuerain. Mais il y a quelquesfois de fi meschans Magistrats, qu’ils font pis qu’il ne leur est commandé, comme il est tout notoire d’vn qui eut mandement de leuer quatre vingt mil francs sus vne Prouince extraordinairement, il en leua iusques à quatre cens mil & plus: & en receut bon loyer. Et toutesfois Tibere l’Empereur quoy qu’il fut appele cruel Tyran, reprist aigrement le gouuerneur d’Egypte d’auoir plus leué de deniers qu’il ne luy estoit mandé, disant "Tonderi meas oues, non cutem detrahi volo." Si donc le mandement du Prince n'est point contraire aux loix de nature, le magistrat le doibt executer, ores qu’il soit contraire au droit des gens, qui peut estre changé & alteré par la loy ciuile: qui ne concerne point la iustice, & l'equité naturelle que le Prince ne peut alterer, ains seulement le profit & vtilité soit publique ou particuliere. Car combien que nous ayons dict que le Prince doibt garder le ferment par
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luy fait à son peuple, s'il s'est obligé par serment, & ores qu'il ne fust obligé par serment, neantmoins il doibt garder les loix de l'estat, & Republique où il est souuerain: toutesfois il ne faut pas conclure, que si le Prince contreuvient en tel cas à son debuoir, que le Magistrat ne luy obeisse: car ce n'est pas au Magistrat de prendre cognoissance, ou contreuenir aucunement à la volonté de son Prince és loix humaines, ausquelles le Prince peut deroger. Mais si le Magistrat cognoist que le Prince casse le plus iuste, ou le plus profitable edict pour donner lieu au moin iuste & moins proufitable au public, il peut tenir l'execution de l'edict ou mandement en soufrance, iusques à ce qu'il ait fait ses remonstrances, comme il est tenu de fair, non pas vne, mais deux & trois fois: & si nonobstant ces remonstrances le Prince veut qu'il soit passé outre, alors le Magistrat le doibt executer, voire dés la premiere iussion, si le delay estoit perilleux. Et à cela se doibt raporter ce que disoit[*]( in cap. cum inceperit. de offi.deleg.) Innocence auparauant qu'il fust Pape, qu'il faut executer les mandemens du Prince, ores qu'ils soient iniques: ce qui [*]( can. non licet. 10. distinc. Bald. in cap. cum adeo de rescript. ait obediendum si ius est positiuum.) s'entend de la Iustice & vtilité ciuile, non pas si le mandement est contraire à la loy naturelle. Et la mesme interpretation doibt seruir à l'opinion des[*]( glo. & Cynus in l.vlt.si contra ius vel vtilitatem pub.C. dd. in l.1. de constitut. princip. ff. & in cap. quæ in ecclesiarum. de constitution.) Docteurs, quand ils disent que le Prince peut deroger au droict naturel, qu'ils entendent le droict des gens & constitutions communes des autres peuples: affin que soubs vmbre de l'auctorité des Docteurs, ou de l'equiuocation du droict naturel, on ne vienne temerairement à faire breche à la loy de Dieu & de nature. Et si on dit que la loy[*]( l.vlt. si contra ius. C.) de l'Empereur Anastase mande expressément, que les Igues & Magistrats ne soufrent pas seulement qu'on produise les lettres, & rescripts ottroyez aux particuliers, contre les edicts & ordonnances generales: ie responds que cela s'entend s'il n'est expressément derogé à l'ordonnance generale: & nonobstant la derogation, le Magistrat doibt faire ses remonstrances au Prince: & combien que la chose soit dommageable au public, & contre les loix & ordonnances, si doibt-il passer outre à la seconde iussion, suyuant les termes de la loy[*]( authent. de manda. princ.§. deinde & authent. vt nulli iudicum. §. & hoc. Bald. in l. puniri. si contra ius. C. l. vlt. sententiam rescindi.C. Bart. in trac. de re presal.q.6. & in authent. vt determinatus sit iudic.Bal.consil.309.Ancharam consil.235. & 399. ) de l'Empereur, à l'exemple de laquelle l'edict de Charles neufiesme a esté faict, touchant les remonstrances des Magistrats au Prince. & long temps auparauant Theodose le grand auoit fait vne loy à la requeste de sainct Ambrois, par[*]( l.si vindicari. de pœnis.C.) laquelle il veut que l'execution de ses lettres patentes & mandemens soient tenuës en soufrance XXX. iours apres la signification d'icelles, quand il est mandé de punir quelques vns plus rigoureusement que de coustume: pour autant qu'on auoit fait mourir sept mil Thessaliens, au mandement de Theodose, pour la rebellion du peuple & meurtres commis en la personne des Magistrats. Et de là est venu la coustume d'obtenir anciennement trois[*]( cap. literis. de rescript.) rescripts du Pape, qu'on appelloit monitoires, iussoires, & executoires. Nous ferons mesme iugement, si le Prince mande par ses.
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lettres patentes qu'on procede à l'execution de la peine de ceux qui auront contreuenu à ses edits & ordonnances, par longue soufrance du Prince ou des Magistrats, car la soufrance du Prince & conniuence des Magistrats, au veu & sceu desquels les ordonnances sont enfraintes, remet la peine meritee par la loy, laquelle ne peut[*](l.2. quæ sit longa consuet.C.) autrement estre infirmee par l'abus de ceux qui ont contreuenu. Et par ainsi le Magistrat ne doibt pas proceder temerairement à la peine, auparauant que d'auoit fait republier les ordonnances decheuës par sa faute. mais bein le Prince doibt proceder contre les Magistrats, qui par negligence ont laissé aneantir ses edits. autrement ce seroit chose fort inique, & ressentant sa tyrannie de faire des edits, & apres les auoir mesprisez vn long temps, soudain proceder contre ceux qui par exemple auroient contreuenu, voyant que les premiers n'auoient esté punis. Ce fut l'vn des traits de la tyrannie du cruel Neron, & des anciens Tyrans. & au contraire le bon Empereur Traian[*]( Plin.lib.10.epist.) manda à Pline gouuerneur de Natolie, faire publier derechef les edits qui estoient aucunement enseuelis par la contrauention ou erreur des sugets, & soufrance des Magistrats: par ce que l'erreur commun[*]( l.3.de suppel lega.I.2. deo ffi. præt.) est tenu pour loy, si ala loy de nature[*]( Bartol. Alexan. Alberic. in d.l. barbarius. de offi. prætoris & in l. regula de iuris ignorant.) ne resiste à l'erreur que on pretend. Mais dira quelqu'vn, le Magistrat doibt il obeissance aux mandements qu'il croit estre contre nature, ores qu'ils ne soient point contraires à icelle: car la iustice & raison qu'on dit naturelle, n'est pas tousiours si claire qu'elle ne trouue des aduersaires: & bien souuent les plus grands Iurisconsultes s'y trouuent empeschez, & du tout contraires en opinions, & les loix des peuples sont quelquesfois si repugnantes que les vns donnent loyer, les autres punissent pour mesme fait. les liures, les loix, les histoires en sont pleines, & seroit chose infinie de les coter par le menu. Ie responds à cela, si ce que les anciens disoient a lieu, qu'on ne doibt iamais faire ce qu'on dout estre iuste, ou iniuste, à plus forst raison doibt auoir lieu quand on tient pour certain, que la chose que le Prince commande est iniuste par nature. Mais le Magistrat, quand il est question de la iustice ciuile seulement, doit verifier & mettre en eecution les mandemens, ores qu'il pense qu'ils soient ciuilement iniques. C'est pourquoy en toute Republique, on fait iurer tous les Magistrats de garder les loix & ordonnances: affin qu'ils ne mettent pas en dispute, ce qu'on doit tenir pour resolu. C'estoit la coustume des Romains, quand les anciens magistrats receuoient le serment des nouueaux, deuant qu'ils entrassent en charge: & cela se faisoit au temple du Capitole apres les sacrifices. autrement le Magistrat perdoit son estat si dedans cinq iours il ne faisoit le[*]( Liuius in fine libri 31.) serment, & le Magistrat qui tenoit les estats du peuple, contraignoit en particulier ceux qui auoient empesché la publication d'vne loy, de iurer qu'ils la[*]( Appian. lib.1.ciuil.1498.le XV. Iuing.) garderoient sur peine d'estre bannis. Ainsi L. Metellus Numidicus fut banni par arrest du peuple, n'ayant voulu iurer les loix publiees à la requeste du Tribun Saturnin. & lors que les
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ordonnances de Loys XII. furent publiees en Parlement, pour ce qu'il y en auoit plusieurs qui ne les trouuoient pas bonnes, le Procureur general requist qu'elles fussent gardees, & que defenses fussent faites de les reuoquer en doubt, sus peine de leze majesté, comme il se trouue aux registres de la Cour. c'estoit apres la publication des ordonnances. Mais d'autant que Loys XI. auparauant auoit vsé de menaces griefues enuers la Cour de Parlement, qui refusoit publier & verifier quelques edicts qui estoient iniques, le President Lauacrie, accompagné de bon nombre de conseillers en robbes rouges, all faire ses plaintes & remonstrances, pour les menaces qu'on faisoit à la COur. le Roy voyant la grauité, le port, la pignité de ces personnages qui se vouloient demettre de leur charge, plustost que verifier les edits qu'on leur auoit enuoyez, s'estonna, & redoubtant l'auctorité du Parlement, fist casser les edicts en leur presence, les priant de continuer à faire Iustice, & leur iura qu'il ne enyoyroit plus edict qui ne fust iuste & raisonnable. Cest acte fut de bien grande importance pour maintenire le Roy en l'obeissance de la raison. qui autrement auoit tousious vsé de puissance absoluë, & deslors mesmes qu'il n'estoit que Dausin, il enuoya querir les Presidens de la Cour, & leur dist qu'ils eussent à affacer la clause DE EXPRESSO MANDATO, que la Cour auoit fait mettre sus la verification des priuileges ottroyez au COmté du Maine, autrement qu'il ne sortiroit de Paris que cela ne fust faict, & qu'il laisseroit la commission que le Roy luy auoit donnee: la Cour ordonna qu les mots seroient effacez, mais affin qu'on peust voir ce qui estoit biffé, elle ordonna que le registre seroit gardé, que se trouue encores en la sorte qu'il fut ordonné, en date du XXVIII. Iuillet M.CCCXLII. Or les mots DE EXPRESSO MANDATO, & "de expressissimo mandato," & quelquefois "multis vicibus iterato," que se trouuent fort souuent és registres des cours souueraines, sus la publication des edicts, ont telle consequence, que tels edicts & priuileges ne sont gardez, ou bien tost apres oubliez & delaissez par soufrance des Magistrats: & par ce moyen l'estat a esté conserué en sa grandeur, qui autrement fust ruiné par les flateurs des Princes, qui arrachent tout ce qu'ils veulent: & les Roys estants bien aises quelquesfois qu'on a vsé de ces restrictions ont tousiours esté bien aymez des sugets, sans que la verification portast effect au suget ny d'esobeissance au Roy à bien parler, ny charge à la conscience des Magistrats. Encores peut-on doubter si le Magistrat est receuable à quitter son estat, plustost que verifier vn edict, vne commission, vn mandement qu'il tient pour certain estre iniuste, & contre la raison naturelle, quand la Iustice d'iceux est reuoquee en doubte, & mesmement si plusieurs tiennent que l'edict soit iuste, au contraire des autres. Car les bonnes & viues raisons sortent d'vn cerueau bien resolu, qui n'est qu'en bien peu d'hommes sages & entendus, & qui se trouuent tous-
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-iours en moindre nombre que les autres. Ie dy en ce cas, que le magistrat n'est pas receuable, s'il ne plaist au Prince souuerain, à quitter son estat, ains doibt estre contraint d'obeir aux mandements du Prince, si la iustice d'eceux estant reuoquee en doubte, est approuuee de la pluspart des magistrats, qui ont charge de verifier les edicts. autrement s'il estoit permis de quitter son estat, plustost que de passer vn edict approuué des autres, on feroit vne perilleuse ouuerture à tous les sugets de refuser & regetter les edicts du Prince: & chacun en sa charge pouroit quitter la Republique au danger, & l'exposer à la tempeste, comme vn nauire sans gouuernail, soubs vmbre d'vne opinion de Iustice qui, peut estre, seroit affectee d'vn cerueau bisarre sans propos, sinon pour faire contre carre à l'opinion commune.[*]( Saincte ordonnance de Loys XII.) C'est pourquoy entre les lüables ordonnances faictes par Loys XII. il y en a vne qui porte, que si les Iuges sont de trois ou plusieurs opinions, ceux qui tiendront la moindre, seront contraints se reduire & ranger du costé de l'vne des plus grandes, pour conclure les arrests. la Cour se trouua empeschee sus la verification de l'ordonnance, pa ce qu'il sembloit fort dur, & bien estrange à plusieurs de forcer la conscience des Iuges és faits qui sont remis à leur prudence & religion. Toutesfois apres auoir consideré l'inconuenient qu'on voyoit ordinairement reüssir, pour la varieté d'opinions, & que le cours de la Iustice, & la conclusion des arrests estoit souuent empeschee, la Cour verifia l'ordonnance, laquelle par succession de temps a esté trouuee fort iuste & vtile. aussi estoit-ce le coustume des anciens de se reduire, ores qu'ils ne fussent contraints, comme lon peut voir en[*]( lib.epist.8) Pline d'vn iugement où partie des Iuges auoient condamné le coulpable à mort: l'autre l'auoit absouls à pur & à plein, l'autre l'auoit banni pour quelque temps. ceux qui auoient absouls& condamné à mort se reduisirent au bannissement. Et en telles disputes, la reigle des sages ne peut faillir, qui veut que de deux choses iustes on suyue la plus iuste, & de deux inconueniens qu'on fuye le plus grand. autrement il n'y auroit iamais de fin aux actions des hommes. Aussi peut on dire que la iustice d'vne loy n'est point proprement naturelle, si elle est obsure & reuoquee en doubte. car la vraye iustice naturelle, est plus luysante que la splendeur du Soleil. Et neantmoins depuis l'ordonnance de Loys XII. ie n'ay point entendu qu'il y ait eu Magistrat qui se soit voulu demettre de son estat, craignant d'estre forcé de tenir vne opnion contre sa conscience, alors mesmes que les estats de Iustice estoient donnez à la vertu. l'rondonnance de Loys XII. n'a pas contraint les Iuges de iuger contre leur conscience, ains tacitement leur a permis de se demettre plustost de leur estat. mais ie dy qu'il pouuoit iustement le faire. Pour mesme cause les procureurs du Roy souuent ont contraint les Iuges de garder les ordonnances, ores que tous les Iuges fussent de contraire aduis. & me souuient que le
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President d’vne des chambres des enquestes de Toulouze nommé Barthelemi, voyant tous les Conseillers de sa chambre de mesme opinion en vn procez, & directement contre l’ordonnance, il les contraignit apres auoir fait assembler routes les chambres de changer d’opinion, & iuger selon l'ordonnance. Toutesfois en ce cas, ou l’iniustice seroit euidente au fait qui se presenteroit, les sages Magistrats ont accoustumé d’en aduertir le Roy, pour declarer son ordonnance: qui est LAN des poincts concernans la majesté: & n’appartient pas au Magistrat de passer par dessus l'ordonnance,[*]( l. placuit de iudic. C.l.1. de legib. C.) ny disputer d’icelle, estant claire & sans difficulté, ains il la faut bien estudier, pourl’executer de poinctt en poinct. autrement si le Magistrat iuge contre l’ordonnance sciemment, la loy le note[*](l.1. ad Turpil.) d’infamie: & s'il fait par ignorance, ou ne pensant point que son iugement soit contraire à l’ordonnance, il n'est point infame pour cela, mais neantmoins son iugement demeuroit[*]( l. cum prolatis de re iudicat.) nul de soy. de sorte qu’il n'estoit point besoin[*]( l. si expressim quando appellare non est neces.) anciennement d’en appeller. Or la difference est bien notable entre les edits & ordonnances publiees, & celles qui sont enuoyees pour publier, car tous Magistrats par le serment qu’ils font quand on les reçoit, iurent garder les ordonnances, & s'ils font autrement, outre la peine apposee aux edits qu’ils encourent, ils font aussi sugets à la note d’infamie, comme[*]( can infames. 21. q.5.) panures. mais aux edits & mandements non publiez, & qu’on leur apporte pour verifier, ils ont liberté de les examiner, & faire leurs remontrances au Prince deuant que les publier, comme nous auons dit cy dessus, encores qu’il ne soit question que de l’interest particulier de quelqu’vn: à plus forte raison s'il y va de l'interest & dommage que peut soufrir, ou de l’vtilité qui peut reussïr à la Republique: laquelle si elle est fort grande, couure aucunement l’iniustice de l'edict, comme disoient les anciens, mais il ne faut pas proceder fi auant que le profit pour grand qu’il soit commande à la raison, ny suiure les Lacedemoniens qui n’auoient autre iustice que l’vtilité publique, ainsi que dit[*]( Plutar.in Alcibiad.) Plutarque, pour laquelle il n’y auoit serment, ny raison, ny iustice, ny loy naturelle qui tint en leur endroit, quand il alloit du public.[*]( Il vaut mieux quiter l'estat que d'obeir à chose qui soit contraire à la loy de nature.) Il est beaucoup plus expedient pour la Republique, & plus seant pour la dignité du Magistrat de se demettre de l'estat (comme fist le Chancelier de Philippe II. Duc de Bourgongne) que de passer vne chose inique: combien que le Duc voyant la constance inuariable de son Chancelier, qui vouloit quitter les seaux, reuoqua le mandement par luy fait, & souuent ceste constance & fermeté des magistrats. a sauué l’honneur des Princes, & retenu la Republique en sa grandeur, quand il y va de l’equité naturelle.. Mais s'il n'y a plus de remede aux fautes du Prince souuerain, & qu'il mande aux magistrats que ses actions soient exeusees enuers les sugets, il vaut beaucoup mieux obeir, & en ce faisant, couurir & enseuelir la memoire d’vne meschanceté ia faite, qu’en le refusant l’irriter pour faire pis, & getter le manche apres la coignee: comme fist Papinian
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grand Preuost de l’Empire, & tuteur ordonné aux Empereurs Caracala, & Geta, par le testament de l’Empereur Seuere: auquel Caracala manda d’exeuser enuers le Senat, le meurtre par luy commis en la personne de Geta son frere: il n’en voulut rien faire, & trencha sa response courte, disant[*]( Spartian.) qu’il n'estoit pas fi facile d'exeuser, que de faire vn parricide. l’Empereur irrité de ceste response l’enuoya tuer, & ne cessa desiors en auant de tuer, meurtrir. & tyranniser sans contredit. Et si Papinian eust: couuert ce qui ne pouuoit plus se corrigerai eust sauué sa vie, & fait contrepoix aux tyrannies & cruautez de l’Empereur, qu’il auoit tousiours eu en grand honneur, & respecté bien fort. I’ay bien voulu remarquer ceste faute que fist Papinian, laquelle plusieurs ont haut loué, sans prendre garde, que la resistence qu’il fist ne profita rien, & apporta vn dommage irreparable aux affaires de l’Empire: estant priué d’vn si grand personnage, & qui pouuoit plus que nul autre, pour estre Prince du sang, & le plus grand Magistrat. Si les choses eussent esté entieres, & que l'Empereur luy eust mandé de faire mourir Geta, ou qu’il ne trouuast point mauuais s'il tuoit, alors il y eust eu iuste cause de mourir plustost, que d’obeir ny consentir le parricide fraternel. Mais Seneque & Burra gouuerneurs de Neron, seront tousiours blasmez d’auoir conseillé[*]( Tranquil. in Nerone & Tacit. lib.14.) à Neron de tuer sa mere, ayant failli à la faire noyer, & le conseil, & le mandement, & l'execution d’vn tel acte tousiours seront iugez detestables. Mais posons le cas que le Prince ait donné mandement, qu’on ait ia commencé à executer, s'il vient à reuoquer son mandement, le magistrat doibt il differer à passer outre? on diroit de prime face qu’il faut sursoir sans passer outre, suiuant les maximes de droit: Ie di que cela souffre distinction, c'est à sçauoir si la chose se peut laisser sans dommage du public: mais si elle est tellement acheminee, qu’on ne la puisse laisser fans danger euident de la Republique, le magistrat doibt passer outre: comme nous auons dit cy dessus au fait de la guerre: & à ce propos le Consul Marcel[*]( Liuius lib.24.) disoit, "Multa magnis ducibus sicut non aggredienda: ita semel aggressis non dimittenda. " Mais si le magistrat suiuant le mandement à luy fait, a commencé d'executer les condamnez, ou ceux que le Prince a commandé mettre à mort, il doibt sursoir l'execution, si le mandement est reuoqué: & ne faire pas comme le Consul Fuluius, lequel ayant pris Capoue, comme il faisoit flaistrir, & puis decapiter les Senateurs Capouans, on luy apporta lettres du Senat Romain, qu’il eust à desister & sursoir l'execution: il mit les lettres au sein sans les lire, se doubtant bien du contenu d’icelles, & continua de faire mourir[*]( Liuius lib.26.) le surplus iusques à LXXX. Vray est que le Senat n’auoit aucune puissance de rien commander aux Consuls, comme nous auons dit cy dessus: & toutesfois le plus souuent on obeissoit au Senat. La cause principale pour laquelle les Gantois firent mourir les XXXVI. hommes de leur loy, apres la more de Charles Duc de Bourgongne. fut pour auoir condamné vn
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homme à mourir depuis la mort du Duc, sans confirmation de leur office, iaçoit que cela ne fust point necessaire. Or tout ce que nous auons dit s'entend seulement des lettres de commandement, ne portant aucune cognoissance de fait. mais que dirons nous quand les lettres au narratif d'icelles emportent quelques faits qui ne sont point notoires, ou pour le moins qui sont ingognus au Magistreat? Il faut distinguer, s'il est mandé au magistrat de cognoistre de la verité du fait ou non, ou bien si la cognoissance du fait luy est defendue expressément par les lettres. Quant au premier, il n'y a doubte[*]( l.vniuersa de diuersis rescript.C.ca. ex parte.de rescript. ext.) que le Magistrat doibt congnoistres si le narratif des lettres est veritable.[*]( Le magistrat doibt cognoistre de la verité du faict.) quant au second, quelques vns en ont doubté, mesmement s'il est porté, que le Prince estant bien informé de la verité, a commandé qu'on passast à l'execution des lettres: toutesfois la plus saine opinion est, que le magistrat en l'vn & l'autre cas doibt cognoistre de la verité du faict. car quand il n'y a ny defense ny commandement de cognoistre du fait, ores qu'il soit porté qu'on passe à l'execution, le magistrat doibt cognoistre du fait, & affin que les magistrats n'en pretendissent cause d'ignorance, l'Empereur Constantin[*]( l.4. si contra ius vel vtilitatem. C.) en fist vn edit expres. & quant à l'autre poinct s'il est porté qu'on procede à l'exectuion estant le Prince bien informé de la verité du faict: neantmoins le magistrat doibt cognoistre de la verité nonobstant la clause que i'ay dit, qui ne doibt empescher la cognoissance, ny faire aucun preiudice[*]( Paul. Castrens. consil. 156.Alexand.consil.10. lib. 7. Panor. in cap. ad audientiam col. 3. de præscripti. Innocent. in cap. inquisitioni fine de sentent. excommuni.) à vn tiers, & beaucoup moins au public, encores moins à la verité, & generalement en terms de droit les clauses narratiues des mandemens, commissions, loix, priuileges, testaments, sentences, ne peuuent faire aucun preiudice à la verité.[*]( l.epistol. de pactis.) Et combien que pendant la tyrannie des Sforces, ils firent vne ordonnance,[*]( Bossius sentaor Mediolanens. tit. de Principe.) que foy & creance entiere seroit adioustee aux mandemens, & lettres du Prince, si est-ce qu'elle fut cassee, depuis que les Sforces furent chassez de l'estat de Milan par les François. Et s'il faut adiouster foy au narratif des lettres, & mandements du Prince, celà ne se peut entendre[*]( Castrens. consil. 158. examinato. col. vlt. Decius consil. 168. col. vlt.. Felin. in cap. cum venissent de iudic. col.2.nu 7.Curtius senior. consil. 49. & seq.) que de la declaration de leurs edicts, commissions, mandemens, ou iugemens: que nul ne peut[*]( l.imperiali l.3.l.humanum de legib. C. l.vlt. eod. l. placuit. de iudic.) declarer qu'eux mesmes: combien que telles declaration sont plustost dispostitions que narrations. mais si le Prince afferme par ses lettres, que celuy qui les a impetrees est sçauant, ou homme de bien, le magistrat n'y doibt auoir aucun[*]( l. vt gradatim de munerib. Bald. in l. præscriptione. si contra ius. C. Innocent. in cap. super literis de rescript. Bart. in l. Aurelius. §. sticho. de liberat. legat.) esgard, ains doibt s'enquerir de la verité. car le Prince entend qu'il soit tel. mais si le Prince a donné vn estat, ou vne commission à quelqu'vn, cestui-là est estimé digne, & n'apparient pas au magistrat de s'en enquerir: [*]( l. disputare. de crimine sacrileg. C. l. quidam consulebant. de re iudic.) si le Prince ne le permet, ou que la coustume ne soit telle, comme elle fut depuis en Rome, [*]( l. vt gradatim. de muneribus.) & par tout maintenant, mesmement pour le regard des iuges. ce qu'on faisoit anciennement pour les Senateurs du temps de Theodoric Roy des Gots, lequel escriuant au Senat Romain pour receuoir vn nouueau Senateur, dit, "Admittendos in Senatum, examinare
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cogit sollicitus honor Senatus," comme nous lisons en Cassiodore. Et s'il y a chose qui soit faulse, portee parle mandement du Prince, ottroyé au au profit des impetrans, le magistrat les doibt du tout casser: Encores seroit-il bien requis en toute Republique, que l’ordonnance[*]( in cap. de rescript. in constitutionib. Mediolan.) de Philippe de Valois pour le regard des dons, & de Milan pour toutes choses, fust entretenue: par laquelle il faut que l’impetrant donne à entendre ce qu’il a auparauant obtenu, ou autre que luy, touchant le fait porté parles lettres s'il ne l’auoit ignoré. Et d’autant que les mandemens qui portent plus grande consequence au public, sont les priuileges, dispenses, exemptions, & immunitez, les Magistrats doibuent fur tout y veiller. Et principalement és estats populaires, ou l’inequalité causee par priuileges, tire apres foy les seditions populaires, & bien souuent la ruine des Republiques. Et pour ceste cause, il y auoit vne loy aux douze tables qui defendoit d’ottroyer aucun priuilege, ny dispense sus peine de la vie, sinon par les grands estats du peuple: "Priuilegia nisi commitiis centuriatis ne irroganto,[*]( Cicero pro domo.) qui secus faxit capital esto." Depuis l’Empereur Constantin[*]( l.nec damnosa. de precib.C.) refermant au peuple disoit, qu’il ne faut pas obtenir mandement qui soit dommageable au fisque, ou contraire aux ordannances. combien que touts priuileges sont dire&ement contraires aux ordonnances, autrement ce ne seroient pas priuileges. Et s'il est: question de les passer apres la seconde iussion, encores faut il donner coup, & les declairer le plus estroittement que faire se pourra,[*]( ca.vlt.de filiis præsbyter. Andr.Panor. Bal. Butrio imol. in cap. causamquæ. de rescript.Felin. eod. col 10.) comme chose odieuse,[*]( l. si quando de iuoffi. testa.C. l.2.§. merito ne quid in loco publico.) & contraire[*]( l. quod vero l.ius singulare de legib.) au droit commun: & non pas les tirer en consequence, comme par cy deuant ont fait les gens de iustice & les clercs, qui ont[*]( Accurs. Bart. Angel. in l. milites. de re iudic. decisio. capel. Tolos. 246. Panor. in cap. olim de restitut. & in cap. 1. de cleric. ægrot.) tiré à leur profit les priuileges ottroyez aux gensdarmes: vsant de ces beaux mots gendarmerie forense, gendarmerie celeste, & ont chargé tout le fais fus les pauures paysans, ausquels on debuoit plustost communiquer les priuileges. Il n'est icy besoin d’entrer en la dispute des priuileges, qui seroit chose infinie: mais il suffist generalement en passant d’aduertir les magistrats, de prendre garde aux lettres qui portent quelque priuilege, & les examiner plus diligemment qu’on ne fait, quelque bon rapport que face le Prince de celuy qui obtient le priuilege: car on sçait allez que les Princes bien souuent n’ont iamais cogneu ceux qui arrachent les priuileges, combien qu’il n’y a ruse ny subtilité qu’on n’ait cherchee pour frauder les loix,, & abuser de Ia religion du Prince, & des Magistrats, comme il s'est inuenté vne clause à Rome, DE MOTV PROPRIO," qui a coulé en toute l’Europe: car il n’y a Empereur ny Roy, lors qu’il est question de rompre vne loy, ou casser vn edict, & faire place aux dispenses & priuileges qui n’adiouste ces mots, de nostre propre mouuement[*]( Clause pernicieuse. "De motu proprio."): ores que les Princes ayent esté importunez, & quasi forcez d’ottroyer ce qu’on leur a demandé. On sçait assez qu’il y a tousiours des tesmoings au camp Fiori, qui deposent de la vertu,
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probité, sçauoir, & preudhommie d'vn qui sera au bout du monde, pour faire glisser la clause DE MOTV PROPRIO, qui excuse tous impetrans de lettres, ores qu'elles fussent tresiniques[*]( cap. si motu proprio de præben. lib.), & en vertu de ceste clause, la cognoissance des subreptions & obreptions cesse: si nous receuons l'opinion de quelques[*]( Clementin. si Romanus. eod. decis. rotæ 282.) vns trespernicieuse & dangereuse à vn estat, & à laquelle en ce Royaume on n'a iamais eu egard, qu'il n'ait tousiours esté licite s'enquerir de la verité du faict. Et d'autant qu'il estoit facile de circonuenir le Prince, & les Magistrats quand les mandemens, lettres patentes, & rescripts auoient tract perpetuel, il a esté sainctement ordonné qu'elles ne seroient receuables apres l'an reuolu[*]( cap. plerunque de rescript.ext. Felin in cap. eam te. de rescrip. col.3. Panormit. in cap. dilectus. 2. de præbend. Masuer. in practic. titul. de literis notat. §. item literæ cap. vt debitus de appel. cap. vt nostrum eod. cap. si capitulo de concess. præb.), & qu'elles n'auroient aucun effect, iusques à la verification ou execution d'icelles. Et me semble que l'ordonnance de Milan est encores meilleure, c'est à sçauoir que les mandemens, & lettres patentes adressees au Senat, ne soient receuables l'an reuolu: ny celles qui s'addressent aux Magistrats apres le mois expiré: & que non seulement on mette l'an & le iour, ains aussi l'heure, comme il se fait quasi par tout en Alemaigne, suiuant l'opinion de plusieurs[*]( Accurs. in glo. vlt. in l. si ex pluribus §. vlt. de solut. Baldus laudat in l. imperator. 1. commentario primo. & in l. vlt. col. 4. de edicto. diui Adri. C. Io An. Panor. Imol Butrio in cap. pastoralis de rescri. ext. text. in cap si à sede.) Iurisconsultes, pour clorre les procés, & differens qui suruiennent pour les dons, offices & benefices ottroyez en mesme iour à plusieurs. Le troisiesme poinct de nostre distinction estoit, quand le Prince defend expressément par ses lettres patentes, de prendre aucune cognoissance des faict portez au narratif d'icelles, ores que les faicts soient faux, ou doubteux: sçauoir si le Magistrat en doit prendre cognoissance. il semble qu'il en doit cognoistre: car nous auons dit, qu'il peut & doit cognoistre, & s'enquerir des faicts portez par les rescripts, ores que le Prince declare sçauoir la verité. Ie dy neantmoins qu'il est à presumer qu'il a esté circonnuenu, & que s'il eust bien sceu, qu'il n'eust pas affermé le vray pour le faux. comme s'il donnoit vne iudicature à vn soldat, ou vn estat de Capitaine à vn aduocat, ny l'vn ny l'autre ne doit estre receu par le Magistrat, ny ioüir du bien-faict, s'il est ainsi que le soldat s'est dit aduocat, & l'aduocat s'est dit soldat: attendu que la qualité prentendue auroit donné[*]( Bart. in l. si pater de hæredib. instituend. C. Bald. in l. eam quam de fidei commiss.C.text. in l. cum tale de condit & demonstra §.quod autem.) occasion au Prince de s'abuser. Mais quand le Prince defend au Magistrat de prendre cognoissance du faict, on doibt presumer qu'il a bien entendu ce qu'il faisoit, & qu'il n'a pas voulu que le Magistrat en print cognoissance. mais bien pourra-il vser du remede que nous auons dit cy dessus, & remonstrer au Prince la verité, & l'importance de son mandement: & s'estant acquitté de son debuoir, obeir si luy est mandé derechef: autrement la majesté du Prince souuerain seroit illusoire, & sugette aux Magistrats. Combien qu'il n'est pas taut à craindre que la majesté soit dimunuee, que les autres Magistrat soient induits, & puis le peuple à des-
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obeir au Prince, qui tire apres soy la ruine de l'estat. Si on me dit qu’il ne faut pas que le Prince commande rien qui soit inique, ie le confesse, & ne faut iamais, s’il est possible, que le Prince commande rien qui soit suget mesmes à reprehension, ny à calomnie: où s’il cognoist que ses Magistrats soient de contraire aduis, & qu’il faudra vser de contrainte en leur endroit. Car par ce moyen le peuple ignorant est esmeu à desobeissance, & à mespris des edits & ordonnances, comme estans publiees, & receues par force, & impression. Mais il est question de sçauoir que doit faire le Magistrat, si Ie Prince contreuenant à son debuoir, commande quelque chose contre l'vtilité publique, contre la iustice ciuile, pourueu qu’il n’y ait rien contre la loy de Dieu & de nature. Et s’il est ainsi que le moindre Magistrat doit estre obei, ores qu’il commande chose inique, "ne Praetoris maiestas contempta videatur", comme dit la loy, combien plus doit-on obeir au Prince souuerain de la majesté duquel depend tous les Magistrats? Or cecy est repeté en plusieurs[*]( l.prætor.ait.§. ait. prætor de noui operis l.penult. de iustitia. l. seruo.§. cum prætor. ad Trebel.ff.) loix, qu’il faut obeir au Magistrat, soit qu’il commande chose iuste ou iniuste, suiuant I’aduis de tous Ies sages[*]( Plato in Critone. Cicero pro Cluentio.) qui en ont escrit. Et à ce propos disoit Ciceron[*]( lib.de legib.) quoy qu’il fust ennemy capital des Tribuns du peuple, qu’il faut obeir a l’opposition inique des Tribuns "quo nihi, inquit, praestantius. impediri enim bonam rem melius est, quam concedi male." & au parauant il auoit dit, "nihil exitiosius ciuitatibus, nihil tam contrarium iuri, ac legibus, nihil minus ciuile est, & humanum, quam comporta, & constituta Repub. quicquam agi per vim." Et qui est celuy qui ne sçait qu'on a veu les sugets s’armer contre le Prince souuerain, voyans Ia desobeissance & refus que faisoient les Magistrats de verifier, & executer ses edits & mandemens? Toutefois on crie, l'edict est pernicieux au public, nous ne pouuons, ny ne deuons le verifier: cela est bon à remonstrer: mais voyant Ie vouloir du Prince ferme & immuable, faut il mettre vn estat au hazard? faut-il se laisser forcer? il seroit plus honneste de quitter l'estat & l’office. Mais y a-il chose plus dangereuse ny plus pernicieuse, que la desobeissance & mespris du suget enuers le souuerain? Nous conclurons donc qu’il vaut beaucoup mieux ployer soubs la majesté souueraine en toute obeissance, qu’en refusant les mandemens du souuerain, donner exemple de rebellion aux sugets: gardant les distinctions que nous auons cy dessus posees: & mesmement quand il y va de l’honneur de Dieu, qui est & doit estre à tous sugets plus grand, plus cher, plus precieux que les biens, ny la vie, ny l’honneur de tous les Princes du monde. Et pour sçauoir comme il s’y faut porter, entre plusieurs exemples, nous auons celuy de Saül, qui commanda de mettre à mort les Prestres sans cause, il n’y eut pas vn qui voulust obeir, horsmis Doeg, qui tout seul en fist l’execution. Nous auons vn tresbel exemple de Petronius gouuerneur de Surie, qui receut mandement de mettre la statue de l’Empereur Caligula au plus beau lieu du
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temple de Hierusalem, ce qui auoit esté fait en tous les temples de l’Empire[*]( Exemple memorable de la prudence da magistrat, & constrance d'vn peuple.): mais les luifs ne l'auoient iamais souffert en leurs temples, & auoient getté, rompu & brisé toutes les images, & iusques aux boucliers des Empereurs qu’on y auoit mis par force. De quoy irrité Caligula vsa de mandement expres, & rigoureux. Petronius assemble les vieilles bandes des garnisons, & met sus vne puissante armee pour executer sa commission. Les luifs laissant les villes & la culture de la terre, s’en allerent à grandes trouppes, luy remonstrer qu’il ne deuoit pas tant craindre vn homme mortel, que de commettre vne meschanceté si detestable contre la majesté de Dieu: & le suppliant receuoir en bonne part leur confiance, qui estoit de mourir deuant que de voir cela. Petronius toutes fois leur dist qu’il y alloit de sa vie: & pour les estonner fist marcher son armee à Tyberias, où le peuple accourut de toutes parts desarmé, & resolu de mourir deuant que voir l’image mise au temple, baissant les testes deuant l’armee de laquelle il auoit enuironné tout le peuple. mais voyant ceste fermeté, & l’affection si ardente à l’honneur de Dieu, il fut tout changé: & leur promist qu’il enuoyeroit ses remonstrances à l’Empereur, & mourroit plustost, que d’executer la commission, en racheptant fa vie au prix du sang innocent de tant de peuples. Nonobstant les remonstrances, l’Empereur luy enuoya mandement iteratif, auec menaces rigoureuses de luy faire souffrir tous les tourments dont il se pourroit aduiser, s’il n’executoit la commission. mais le nauire qui portoit la commission fut destourné par la tempeste; & ce pendant les nouuelles arriuerent à Petronius que l’Empereur auoit esté occis: & en ceste sorte le sage gouuerneur s'estant acquitté de fa conscience enuers Dieu, & de son deuoir enuers son Prince, & enuers les sugets d’vne pitié grande, fut diuinement guarenty des cruautez dont il estoit menassé. Mais aussi faut-il bien prendre garde, que le voile de conscience & de superstition mal fondee, ne face ouuerture à la rebellion. car puis que le Magistrat a recours à sa conscience sus la difficulté qu’il fait d’executer les mandemens, il fait finistre iugement de la conscience de son Prince: il faut donc qu'il soit bien asseuré de la loy de Dieu, qui ne gift pas en mines. Ie mettrois d’autres exemples, si ie ne craignois que ceux qu'on appelle Payens, ne nous fissent honte: car l’amour feruent de l’honneur de Dieu, est tellement attiedy, & puis refroidy par succession. de temps, qu’il y a danger qu’en fin il ne gele du tout.
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