The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

Le Senat. est l’assemblee légitimé des Conseillers d’estat, pour donner aduis à ceux qui ont la puissancé souueraine en toute Republique. Iusques icy nous auons discouru de la souueraineté, & des marques d’icelle: puis nous auons touché la diuersîté des Republiques. Disons maintenant du Senat, puis nous dirons des Officiers, mettant les choses principales en premier lieu. Non pas que la Republique ne puisse estre maintenue sans Senat. Car le Prince peut estre si sage, & sî bien auisé, qu’il ne trouuera meilleur conseil que le sien: ou bien se défiant d’vn chacun, ne prendra l’aduis ny des siens, ny des estrangers: comme1 [*]( Plutar. In Demetrio.) Antigon Roy d’Asîe, Loys x i. en ce Royaume, que l’Empereur Charles v. suiuoit à la trace, 2 [*]( Tranquil. In Caesar.) Iules Cesar entre les Romains qui ne disoit iamais rien des entreprises, ny des voyages, ny du iour de la bataille: qui font venus à chef de hautes entreprises, ores qu’ils fussent assaillis dé grands & trespuissàns ennemis: & d’autant estoient-ils plus redoutez, que leurs desseings estans clos & couuerts, se trouuoient plus tost executez, que les ennemis en eussent le vent, qui par ce moyen estoient surpris: & les sugets tenus en ceruelle, & prests d’exploiter, & obéir à leur Prince, sî tost qu’il auroit leué la main: tout ainsi que les mémbres du corps bien composez sont prests à receuoir, & mettre en effect les mandemens de la raison, sans auoir part au conseil d’icelle. Or ° [*]( ceste question est touchee par Lampridius en la vie de Seuere.) plusîeurs sans cause, à mon aduis, ont doubté, s’il est plus expedient d’auoir vn sage & vertueux Prince sans conseil, qu’vn Prince hébété pourueu de bon cônseil: & les plus sages ontresolu que l'vn ny l’autre ne vaut rien. Mais si le Prince [*]( S’il est moins dangereux d’avoir vn bon Prince assiste d’vn mauuais conseil, au’vn mauuais Prince conduit par bon conseil.) est si prudent qu’ils supofent, il n’a pas grand affaire de conseil: & le plus haut poinct qu’il peut gaigner és choses de cônsequence, c’est de tenir ses resolutions secrettes, lesquelles descouuertes, ne seruent non plus que mines esuentees. Aussi les sages Princes y donnent fi bon ordre, que les choses que moins ils veulent faire, sont celles dot ils parlent le plus. Et quant au Prince hebeté, comment seroit-il pourueu de bon conseil, puis que le chois dépend de sa volonté? & que le premier

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poinct de sagesse gist à sçauoir bien cognoistre les hommes sàges, & en faire le chois à propos, pour suiure leur conseil? Mais d'autant que la splendeur & beauté de sagesse est si rare entre les hommes, & qu’il faut receuoir en toute obeissance les Princes qu’il plaist à Dieu nous enuoyer, le plus beau souhait qu’on peut faire, c’est d’auoir vn sàge conseil: & n’est pas à beaucoup pres si dangereux d'auoir vn mauuais Prince, & bon conseil, qu'vn bon Prince conduit par mauuais conseil, comme disoit l’Empereur Alexandre. I’ay dit que le Prince soit conduit par l’aduis du conseil: ce qu’il doit faire non seulement és choses grades & d’importance, ains encores és choses legeres. car il n'y a rien qui plus authorise les loix, & mandemént d’vn Prince, d’vn peuple, d’vne seigneurie, que les faire passer par l’aduis d’vn sage conseil, d’vn Senat, d’vne Cour. comme Charles v. sùrnommé le Sage, ayant receu les appellations & plaintes de ceux de Guyene, sugets du Roy d’Angleterre, contreuenant directement au traité de Bretigni, il assembla tous les Princes en Parlement, disant qu’il les auoit fait venir pour auoir leur aduis, & se corriger, s’il auoit fait chose qu’il ne deust faire. Car les sugets voyâns les edits & mandemens passez, contre les resolutions du conseil, sont induits à les mesprisèr: & du mespris des loix vient le mespris des Magistrats, & puis la rébellion ouuerte contre les Princes, qui tire apres soy la subuersion des estats. C’est pourquoy on remarqua, que Hierosme Roy de Sicile perdit son estat, & fut cruellement tué, auec tous ses parens & amis, pour auoir mesprisé le Senat, sans rien luy3 [*]( Liuius de Hieronymo: Reguante Hierone manserat publicum consilium: post mortem eius nulla de re neque conuocati, neque consulti fuerunt.) communiquer: & par le moyen duquel son ayeul auoit gouuerné l’estat cinquante ans & plus, ayant empieté la souueraineté. Cesàr fist la mesme faute gouuernant la Republique sans l’aduis du Senat: & la principale occasion qu’on print pour Ie tuer, fut par ce qu'il ne daigna se leuer deuânt le Senat, à la suasion de son flateur Cornélius Balbus. & pour mesme cause les Romains auoient tué le premier, & chassé le dernier Roy, d’autant que l’vn mesprisoit le Senat, faisant tout à sa teste: l’autre le vouloit abolir du tout, suprimant les Senateurs par mort. Et pour ceste cause le Roy Loys x i. ne voulut pas que son fils Charles viii. sceust plus de trois mots de Latin, qu’on a rayez de l’histoire de Philippe de Comines: afin qu’il sè gouuernast par conseil, cognoissant bien que ceux qui ont bonne opinion de leur suffisance, ne font rien que de leur cerueau: ce qui auoit réduit Loys xr. à vn doigt pres de sa ruine, comme il confessa depuis. Aussi est-il certain que le sçauoir d’vn Prince, s’il n’est accompli d’vne bien rare & singuliere vertu, est comme vn dangereux cousteau en la main d’vn furieux: & n’y a rien plus à craindre qu’vn sçauoir accompaigné d’iniustice, & armé de puissancé. Il ne s’est point trouue de Prince, hors le faict des armes, gueres plus ignare que Traian, ny quasi plus sçauant que Néron: & toutefois cestuy-cy n’eut onques son pareil en cruauté, ny cestuy-là en bonté; l’vn mesprisoit, l’autre reueroit le Senat. Puis donc que le Senat est
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vne chose sî vtile en la Monarchie, & sî necessaire és estats populaires & Aristocratiques, qu’ils ne peuuent subsîster, disonsen premier lieu des qualitez requises aux senateurs, puis du nombre d’iceux: & s’il doibt y auoir plus d’vn cônseil, & les chosès qu’on y doibt traiter: & en dernier lieu quelle puissance on doibt donner au senat. I’ay dit que le sènat est vne assemblee légitimé, cela s’entend de la puissance qui leur est donnee du souuerain, de s'assembler en temps, & lieu ordonné. Quant au lieu il ne peut chaloir où soit: car bien souuent l’occasîon le presente ou les affaires sè doibuent executer. mais Lycurgue Legislateur a esté loüé de la defense qu’il fîst de mettre pourtraits, ny peintures, au lieu où le senat deliberoit: parce qu’il aduient souuent, que la veüe de telles chosès distrait la fantaisîe, & transporte la raison qui doibt entièrement estre tendue à ce qu’on dit. I'ay dit Conseillers d’estat, pour la différence des autres Consèillers & Officiers qui souuent sont appelez, pour donner aduis aux Princes, chacun sélon sa vacation & qualité, & neantmoins ils ne sont point conseillers d’estat, ny ordinaires. Et quând au tiltre de sènateur, il sîgnifie vieillard, comme aussî les Grecs appellent le Senat GREEK TEXT, qui monstre bien que les Grecs & Latins composoient leur consèil de vieillards, ou de Senieurs, que nous appellons Seigneurs, pour l’auctorité & dignité qu’on a tousîours donné aux anciens, comme aux plus sàges & mieux experimentez. Aussî par la coustume des [*]( Demosthene. Contra Leptinem.) Atheniens, quand le peuple estoit assemblé pour donner aduis, l’huissîer appelloit a haulte voix ceux qui auoient attaint cinquante ans, pour cônsèiller ce qui estoit bon & vtile au public. Et non seulement les Grecs & Latins ont déféré Ia prerogatiue aux vieillards de donner conseil à la Republique: ains aussî les Ægyptiens, Perses, Hebrieux, qui ont apris aux autres peuples de bien & sâgement ordonner leurs estats. Et quelle ordonnance plus diuine voulons nous que celle de Dieu? Quand il voulut establir vn senat, Assemblez moy, dit-il, soixante & dix des plus anciens de tout le peuple, gens sages & craignans Dieu. Car combien qu’on peust trouuer nombre deieunes hommes attrempez, sages, vertueux, voire experimentez aux affaires (chosè toutesfois bien difficile) sî est-ce qu’il seroit perilleux d’en composèr vn senat (qui seroit plustost vn iuuenat) d’autant que leur conseil ne seroit receu, ny des ieunes, ny des vieux: car les vns s'estimeroient autant, & les autres plus sages que tels conseillers. Et en matiere d’estat, sî en chose, du monde, l’opinion n’a pas moins, & bien souuent a plus d’effect que la vérité. Or il n’y a rien plus dangereux, que les sugets ayent opiniôn d’estre plus sages que les gouuerneurs. Et sî les sugets ont mauuaise opinion de ceux qui commandent, comment obeyront-ils? & s'ils n’obeissent quelle issue en peut-on esperer? C’est pourquoy Solon defendit au ieune homme l’entree du senat, ores qu’il semblast estre bien7 [*]( GREEK TEXT.) sage. Et Lycürgue au parauant Solon, composa le senat de8 [*]( GREEK TEXT vocauit.) vieillards. Et non sans cause Ies loix ont donné la
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prerogatiue d’honneur, priuileges, & dignitez aux vieillards, poùr Ia presumprion qu’on doibt auoir qu’ils sont plus sages, mieux entendus, & plus propres à conseiller que les ieunes. Ie ne veux pas dire que la qualité de vieillessè suffise pour auoir entree au Senat d’vne Republique, & mesmement si la vieissesse est recrue & ia decrepite, defaillant les forces naturelles, & que le cerueau affoibli ne puisse faire son debuoir. Platon mesme, qui veut que les vieillards soient gardes de la Republique, excuse ceux-là. Aussi est-il dit en l’escriture, que Dieu ayant eleu soixante & dix vieillards, leur donna l’infusion de sagesse en abondance. Et pour ceste cause les9 [*]( HEBREW TEXT & corrupta Graecorum voce sanedrim.) Hebrieux appellent leurs senateurs, les sages. Et Ciceron appelle le senat l’ame, la raison, l’intelligénce d’vne République: voulant conclure que la République ne peut non plus se maintenir fans sènat que le corps sans ame, ou l’homme sans raison, & partant qu’il faut que les senateurs soient resolus par vne longue exercice d’ouir, pezer, & resouldre les grandes affaires. Car les grands & beaux exploits en armes, & en loix, ne sont rien autre chose que l'execution d’vn sage conseil, que les Grecs pour ceste cause appelloient chose sacree: les Hebrieux [*]( HEBREW TEXT fundamentum & consilium.) fondement, sus lequel toutes les belles & louables actions sont basties, & sans lequel toutes les entreprises se ruinent. Quand ie dy sagesse, i’entends qu’elle soit coniointe à la iustice & loyauté: car il n’est pas moins, & peut estre plus dangereux d'auoir de meschans hommes pour senateurs, quoy qu'ils soient subtils & bien experimentez, que d'auoir des hommes ignares & lour daults. d’autant que ceux-là se souciént peu de renuerser toute vne cité, pourueu que leur maison demeure entiere au milieu des ruines: & quelquesfois par ia lousie de leurs ennemis defendent vne opinion contre leur conscience: ores qu’ils n’ayent autre profit, que le triomphe qu’ils rapportent de la honte de ceux qu’ils estimeront âuoir vaincus, tirant ceux de leur faction à leur cordelle. Il y en a d’autres qui ne sont poulsez ny d’enuie, ny d’inimitié, mais bien d'vné opiniastrete indomtable, pour soustenir leur aduis, sans iamais ployer à la raison, & viennent bien souuent armez d’arguments, comme s'ils auoient à combatre les ennemis en plein Senat [*]( Opiniastrete pernicieuse en vn senateur.): qui est vne peste presque aussi dangereuse comme l’autre, & qu’on doibt euiter comme la roche en haute mer: ou il est necessaire d’obeir à la témpeste, caler les voiles, laisser la route, & se reculer du port, auquel en fin on surgira, quand on aura le vent en poupe. C’est pourquoy Thomas le More Chancelier d’Angleterre, estoit d’aduis qu’on ne disputast point de ce qu’on auroit proposé le mesme iour: ains que la dispute en fust reseruee au iour suyuant: affin que celuy qui aura dit son aduis sans y pensèr, s’efforce de le soustenir, plustost que s'en departir. Il faut donc que le sage seriateur despoüille à l'entree du conseil la faueur enuers les vns, la hayne enuers les autres, l'ambition de soy-mesme: & qu’il n’ait autre but que l’honneur de Dieu, & le salut de la Republique. Enquoy les Lacedemoniens estoient fort
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louables, quand il y alloit du public: car ceux-là mesmes qui auoient combatu vne opinion, sè formalisoient pour la defendre, quand elle estoit resôluë par le conseil: par ce qu’il estoit2 [*]( Plutar. In Lycurgo.) expressément defendu de disputer de ce qui estoit passé par le Senat: comme il estoit en la Republique des Acheans3 [*]( Liuius lib 32.) & des Florentins. Quant au sçauoir, bien qu’il soit requis, & mesmement la science des loix, des histoires, & de l’estat des Republiques: toutesfois le bon iugement, l’intégrité, la prudence sont beaucoup plus necessaires. Mais la principale qualité, & la plus requise en vn Sénateur, c’est qu’il ne tienne rien des autres princes & seigneuries, soit en foy & hommage, soit par obligation mutuelle, soit pour la pensîon qu’il en tire: & combien que c’est la chosè la plus dangereuse à vn estat, si est-ce qu’il n'y a rien plus frequent au conseil des Princes [*]( Il est dangereux d’avoir vn conseiller d’estat pesionnaire d’vn autre Prince.). Toutesfois les Venitienspourleur regard ont. tousîours donné assez bon ordre, iusques à clore l’entree de leur conseil aux prestres, par ce qu'ils ont ferment au Pape de ne rien faire contre luy: & deuant que baloter, on crie tout haut fora i preti. Et mesmes ils bannirent Hermolaus Barbarus Ambassadeur, comme ils ont fait encor’ depuis peu de témps le Cardinal de la Mule aussî leur Ambassàdeur, pour auoir pris le chapeau du Pape sans congé de là seigneurie. mais en ce Royaume ie trouue que xxxv. Chanceliers ont. esté Cardinaux, ou Euesques pour le moins: & en Angleterre on a veu le sem blable. & mesmes en Polongne l’Archeuesque de Guesne est Chancelier naturel du Royaume: de sorte que les Roys ont esté contraints d’auoir vn vichancelier homme lay. Et quant aux pensîons donnees par les estranges aux mignons & gouuerneurs des Princes, c’est chose sî ordinaire, que cela a passé en coustume. Et mesmes Cotignac Ambassadeur de France en Turquie, osa bien espouser vne Dame Grecque sans en aduertir le Roy: comme depuis peu d’annees vn autre a voulu espouser la seur du Roy de Valachie [*]( Qualitez du senateur.), à la suscitation de Mehemet Bàscha, & du Duc de Nixe, & pour le refus qu’il en a fait, le Bascha l’a despoüillé de son estat, & en inuestit celuy qui a vsurpé le Royaume de Polongne. Telles entreprises sont dangereuses à vn estat, & ne deuroient pas ainsî passèr par soufrance: Voila les principales qualitez du vray Conseiller d’estat. En plusîeurs Républiques on y requiert aussî la noblesse, comme à Venize, Rhagusè, Nuremberg: ou les richessès comme à Genes: & anciennemënt èn Athenes par les ordonnances de Solon, & presque en toutes les Republiques anciennes: Et mesme l'Empereur Augustene vouloit pas que le Sénateur Romain de son temps eust moins de xxx. mil escus valant, & supploya ce qui deffailloit aux sages Senateurs, non que cela fust necèssaire au conseil: mais pour oster les plaintes des vns, & la faction des autres, qui sont ordinaires quand on esgale les pauures aux riches, les nobles aux roturiers, aux estats & honneurs qu’on distribue en lâ principauté Aristocratique: telle qu’estoit l’estat soubs Auguste. Il estoit aussî requis pour auoir éntree au Senat, qu’on
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eust eu office honnorable & charge publique. Et pour ceste cause les Censeurs de cinq en cinq ans enregistroient au roole du Senat tous ceux qui auoient eu Magistrat. Et quand Sulla voulut supployer le nombre des Senateurs, par ce qu’on en auoit fait8 [*]( Appian. Lib. 7. GREEK TEXT.) mourir xc. il institua x x. Questeurs, & Cesar quarante, 2 [*]( Dio. Lib. 43.) affin qu’au mesme instant ils eussènt entree au Senat, & puissance d’opiner ce qui n’estoit pas3 [*]( Valer. Lib. 2. C. I. de Fabio max. & P. Crasso.) permis ànciennemént, ores qu’ils ne füssent appellez Senateurs, iusques à ce qu’ils fussènt nommez & enregistrez par les cénseurs. Ceste coustume est encores à present gardee és Republiques bien ordonnées: & nul n’estreceu en Polongne Senateur, qui ne soit Palatin, Euesque, Castellan, ou Capitaine, ou qui n’ait eu charge d’Ambassadeur. & nul n’a seance au Diuan du Roy de Turquie, que les quatre Bachats, les deux Cadilesquers, & les xii. BelIerbeis, apres les enfans du Prince qui president au conseil en l'absence du pere. Mais cela ne doibt pas auoir lieu enuers les marchans d’office, ny. en la Republique où lon traffique les honneurs, & magistrats à prix d’argent, attendu que la science & la vertu, qui sont necessàires aux conseillers d’estat, sont choses sacrees & si diuines quelles ne tombent iamais en commerce. quant à l'examen du Conseiller d'estat, il se faisoit aussî soubs les derniers Empereurs, comme nous lisons en Cassiodore, Admittendos in Senatum examinare cogit sollicitus honor Senatus[*]( Nombre des senateurs.). Quant au nombre des Senateurs, il ne peut estre grând, veu la perfection requise au Coseiller d’estat. ll est bien vray qu’és Republiques populaires & Aristocratiques, on est forcé pour euiter aux seditions, de paistre bien souuént la faim enragee des ambitieux qui ont part à la souüeraineté. comme en Athenes, on tiroit tous les ans au sort quatre cens Senateurs, par l’ordonnance6 [*]( Plutar. In Solo.) de Solon. depuis le nombre fut augmenté iusques à cinq cens, qui estoient cinquante de chacune lignée: & apres qu'on eut adiousté deux autres lignees, à sçauoir l'Antigonide & Demetriade on accreut le nombre iusques à six cens, qui chângeoient tous Ies ans: ores qu'il n’y eust du temps de Pericle que x iii. mil citoyens, & x x. mil au témps de Demosthene. Pour la mesme cause que i’ay dit, Platôn en sà Republique, qu’il a fait populaire, compose le Senat de cent soixante & huit, des plus accorts & aduisez, qui estoit la trentiesme partie des cinq mil & quarante citoyens. En cas sembIable Romule print la trentiesme partie des sugets pour faire le Senat Romain: car de iii. mil qu’ils estoiént [*]( Dionys. Lib. 2.) il en print cent des plus nobles. & apres auoir receu les Sabins il doubla le nombre, qui fut accreu de cent par Brutus. & ce nombre de trois ces Senateurs en trois ou quatre céns ans ne fut point augmenté, comme nous lisons en Dion: iaçoit que du témps de Cicerôn ils n’estoiént gueres moins de cinq céns: car luy-mesme escrit qu’il s’en trouua ccccxv. au Senat, quând il fut délibéré de fàire le procez à Claude, qui depuis fut Tribün du peuple, outre ceux qui estoiént és Prouinces, ou que la vieillesse, ou maladie excusoit. Et peu apres Cesàr en fîst iusques à mil, partie Gaulois, & autres estrangers: & mesmes
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L. Licinius barbier, comme dit Acron. Mais Auguste cognoissant le danger qu’il y auoit dé faire sî grând nombre de Senateurs, n'en retint que sîx cens, qu’il vouloit reduire à l’ancien nombre de trois cens: qui toutesfois n’estoit à peu pres que la dix milliesme partie des citoyens. Il ne faut donc pas establir le nombre des Senateurs, eu esgard à la multitude du peuple, ny pour seruir à l’ambition des ignorans, & moins encores pour en tirer argent: ains seulement pour le seul respect de la vertu & sàgesse de ceux qui Ie meritent. ou bien s'il n’est possible autrement de saouler l’ambition de ceux qui ont part à l’estat és Républiques populaires & Aristocratiquës, & que la necessité contraigne d'ouurir la porte du Senat à la multitude, qù’il soit ordonné qu’il n’y ait que ceux qui auront eu Ies plus grands charges, & magistrats qui ayent voix deliberatiue: comme en Ia Republique populaire des Candiots, tous les citoyens auoient entree au Senat, & opinoient, mais il n’y auoit que les1 [*]( Aristot. Lib. 4. Chap. 14. polit.) Magistrats qui eussent voix deliberatiue. & au conseil des Achæans il n’y auoit que le Capitaine en chef, & les dix Demiourges qui eussent voix deliberatiue pour arrester les2 [*]( Liuius lib. 32.) opinions. mais il n’en faut pas venir là, si autrement on peut obuier aux séditions populaires. car outre le danger euident, qui est d’euenter le conseil communiqué à tant de personnes, c’est donner occasîon aux factieux de troubler vn estat, si ceux là, qui ont voix deliberatiue, ne s’accordent à l'opinion de ceux qui n’ont que voix cônsultatiue, qui n’est comptee pour rien. Et affin de preuenir l’vn & l’autre danger, les anciens Grecs trouuerent moyen de faire vn conseil à part des plus sàges Senateurs, qu’ils appelloient GREEK TEXT affin d’aduisèr aux affaires vrgentes, & de ce qu’on deuoit tenir sècret, ou cômmuniquer au Senat. ioint aussi qu’il est bien malaisé d’assembler les Senateurs en tel nombre qu’il est requis, & les faire tomber d’accord, & ce pendant l’estat demeure en danger, & l’occasîon de bien negotier passe. car combien que la dignité de Senateur en Rome fust grande, si est-ce que l’Empereur Auguste quelques amendes qu’il eust ordonnées à faute d’y assister n’y peut remedier, & fut contraint comme escrit Dion, de cinq qui deuoient l’amende en prendre vn au fort. &Ruscius Cæpio pour les inuiter à leur deuoir, laissa par testament certaine somme de deniers à ceux qui viendroient au Senat. car il estoit requis du moins cinquante Senateurs pour faire arrest, & bien souuent cent., ou deux cens: & quelquesfois quatre cens, qui estoient les deux tiers des sîx cens Senateurs, comme il se fait és corps & colleges. mais Auguste osta Ia necessité qui estoit de quatre cens, comme escrit Dion. 4 [*]( Dio. 54.) dauântage le Senat ordinaire n’estoit assemblé que trois fois le mois, & s’il ne plaisoit au ConsuI, sans le mandement duquel le senat ne sè pouuoit assèmbler, ou du plus grand Magistrat en l’absence du Consul, on passoit quelquesfois vn an sans appeller le senat, 2 [*]( Tranquil in Caesare.) comme fist Çæsar en son, premier Consulat, ayant Ie sènat contre luy, & ce pendant fist arre-
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ster au peuple ce que bon luy sembla. Solon auoit bien mieux pourueu aux Atheniens, car il auoit ordonné, outre le Senat des quatre cens muable par chacun an, vn conseil priué & perpetuel des Areopagites, composé de soixante des plus sages, & sans reproche, qui auoit le maniment des affaires plus secrettes. On apperceut bien de quelle importance estoit ce conseil, car aussi tost que Pericles, pour gaigner la faueur du peuple, eut,4 [*]( Plutar. In Pericle.) osté la puissance aux Areopagites, renuoyant le tout au peuple, a Republique fut ruinee. Nous trouuôns aussi que les Ætoliens auoiént outre le grand conseil qu’on appelloit Panaetolium, vn priué conseil choisi des plus sages d’entr’eux, desquels3 [*]( Liuius lib. 35.) parlant Tite Liue, Sanctius est apud Ætolos consilium eorum quos apocletos appellant. & peu apres, Arcanum hoc gentis consilium. auparauant il auoit dit, Legibus AEtolorum cauebatur, ne de pace belloue, nisi in Panaetolio, & Pylaico consilio ageretur. Nous lisons aussî que la République populaire des Carthaginois, auoit outre le Senat de c c c c. vn cônseil particulier de xxx. Senateurs des plus experiméntez aux affaires. Carthaginenses dit 5 [*]( lib 30.) Tite Liue, xxx. legatos sèniorüm Principes ad pacem petendam mittunt. id erat sanctius apud eos concilium, maximaque ad Senatum regendum vis. ce que les Romains n'auoient pas. Aussi Tite Liue s'ebahist, comme d’vne chose estrange, que les Ambassadeurs de Grece & d’Asîe, qui estoiént venus à Rome, n’auoient rien peu sçauoir dés propos que le Roy Eumenes auoit tenu en plein Senat contre le Roy Perseus, adioustânt ces mots, Eo silentio clausa curia erat. en quoy il monstre assez que de son temps, & ia long temps au parauânt, rien ne se faisoit au Senat qui ne fust euenté. qui faisoit que les Senateurs quelquesfois estoient contraints de faire la charge de secretaires d’estat, aux arrests qu’ils appelloient secrets, & prendre le sermént d’vn chacun que la chose ne seroit diuulguee, qu'elle ne fust executee, commé dit Iulle Capitolin: car ia loy Siquis aliquid. De pœnis, qui condamne au gibet ou au feu ceux qui reuelent les secrets du Prince, n'estoit pas encores publiee. Et comment eust on tenu chose secrette où il y auoit quatre à cinq, & quelquesfois sîx cens Senateurs, outre les secretaires? & mesmes les ieunés enfans des Senateurs y entroient auparauant Papyrius prætextatus, & en portoient les nouuelles aux Meres. Mais Auguste en fin y remedia par le moyen que i’ay dit, establissant vn conseil particulier des plus sages Senateurs, & en petit nombre: sans faire entendre au Senat que ce fust pour deliberer des affaires secrettes: ains seulement pour aduiser sur ce qu’on deuoit proposer au Senat. & tost apres la mort d’Auguste, Tibere demanda au Senat xx. hommes pour aduiser sèulement, comme il faisoit entendre, à ce qu'on rapporteroit au Senat. & depuis ceste coustume fut suiuie des plus sages Empereurs, à sçauoir Galba, Traian, Adrian, Marc Aurele, Alexandre Seuere. & de cestui-cy parlant Lampridius: Il ne fist onques, dit-il, ordonnance, qu’il n’y eust x x. Iurisconsultes, & plusîeurs autres gens sîgnalez & entendus aux affaires iusques à cinquante, affin qu’il ny en eust pas moins
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que pour faire vu arrest du Senat. Où il appert euidemment qu'en ce conseil priué se depeschoient les chosès grandes, & que ce n’estoit pas seulement pour deliberer sur ce qu’on proposèroit au Senat: ains pour resoudre & decider les affaires secrettes & importantes, & peu à peu les oster au Senat. Et par ce moyen on remedia aussi à vne autre difficulté (qui seroit ineuitable en la Monarchie) pour la multitude de Senateurs qui ne pouuoit suiure l’Empereur, auquel toutesfois doit tousiours assîster son conseil, ainsî que les anciens Theologiens & Poetes ont sîgnifie, faisant que la deesse Pallas fust tousîours à la dextre de lupiter. autrement il faudroit que le Prince fust attaché au lieu où le Senat feroit sa residence, ce qui n’est conuenable à la majesté souueraine., ny possîble. Et combien qu’il se depesche plusîeurs choses au priué conseil qu’il n’est pas besoin de rapporter au Prince: sî est-ce qu’il est bien expedient qu'vn chacun pense qu’il les entend, pour les auctorisèr dauantage, affin que les sugets ne dient point, le Roy ne l’entend pas. Et pour ceste cause le grand Seigneur des Turcs a tousîours vn treillis qui respond de sa chambre au Diuan, ou se tient le consèil, affin de tenir les Bachats, & ceux du conseil en ceruelle, & qu’ils pensent tousîours que leur Prince les voit, les oyt, les entend. Mais peut estre dira quelqu’vn la Republique est sî estroitte, & les hommes d’experience en sî petit nombre, qu’il ne s'en trouuera pas à sufîre. Il est bien vray sî l’estat est sî anguste, qu’il n’en seroit pas grand besoing, comme en la Republique des Pharsàliens, il n’y auoit que xx. personnes qui eussent la sèigneurie, & n’y auoit point d’autre Senat, ny conseil priué que les xx. Seigneurs. Et toutesfois la Republique des Lacedemoniens tousîours auparauant, & depuis auoir conquesté toute la Grece, n’auoit que xxx. Seigneurs pour la seigneurie & pour le Senat: mais neantmoins de ce nombre de xxx. il y en auoit vn fort petit nombre pour le consèil priué, comme nous lisons en2 [*]( lib. 3. Rerum graecar.) Xenophon establissant ceste forme d’estat en Athenes, où ils deputerent xxx. Seigneurs, & aux autres villes de la Grece dix Seigneurs souuerains, sans autre Senat ny conseil particulier, la raison estoit qu’ils auoient resolu de changer toutes les Republiques populaires de la Grece en Aristocraties, ce qu’ils n’eussent peu faire és moindres villes, s'ils cussent erige seigneurie, Senat, & conseil priué. Mais à present il n’y a presque Republique soit populaire ou Aristocratique qui n’ait vn Senat, & vn conseil particulier, & bien souuent outre l’vn & l’autre, vn conseil estroit, & principalement les Monarques. Car quoy que l’Empereur Auguste surpassàst tous les autres, qui depuis l’ont suiuy en prudénce & heureux exploits, sî auoit il outre le Senat, & le conseil particulier, vn autre conseil estroit de Mecenas & d’Agrippa, auec lesquels il decidoit les hautes affaires: &6 [*]( Dio. Lib. 53.) n’appella que ces deux pour arrester s'il debuoit retenir ou quitter l’Empire: comme Iulle Cæsar auoit Q. Pædius & Cornélius Balbus, pour son conseil estroit, & [*]( Tranquil. In Iullio.) aus-
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quels il bailloit son chifre pour communiquer leurs secrets. Aussî Cassîodore parlant des secrets du Prince disoit, Arduum nimis est Principis meruisse secretum. Nous voyons en cas semblable la Cour de Parlement de Paris, auoir esté l’ancien Senat de ce Royaume, auparauant le grand conseil, & le conseil priué, & le consèil estroit, où les resolutions sont prises des plus grandes affaires deliberees auparauant au conseil priué, & conseil des finances, si les chosès meritent qu'on les rapporte. la son signez les rooles des dons, lettres, & mandemens: là sont ouuerts les paquets des Princes, des Ambassadeurs, des Gouuerneurs & Capitaines, & les responses commandées aux Secrétaires d’estat. Et combien que par l’ordonnance de Charles ix. faire au mois dé Nouembre m. d. lxiii. non imprimee, il est porté au premier article quand le Roy sera esueillé, que tous les Princes, & ceux de son conseil entreront en la chambre: neantmoins l’ordonnance n’a pas tousiours esté gardee. Il y a aussi vn conseil à part pour les finances, auquel assistent les Intendants & secretaires d’estat des finances, & le tresorier de l’espargne. Et outre cela, les Princes ont tousiours eu vn consèil estroit de deux ou trois des plus intimes & feables. Et ne faut pas trouuer estrange la diuersité, & pluralité de conseils en ce Royaume, veu qu'en Espagne il y en a sept, outre le conseil esftroit, qui sè tiennent tousiours pres du Rôy en châmbres separees, & toutesfois en mesme corps de logis, affin que le Roy, allant de l'vn à l’autre soit mieux informé des affaires, c’est à sçauoir, le consèil d’Espagne, le conseil des Indes, le conseil d’Italie, & du bas pays, le conseil de la guerre, le conseil de l’ordre sainct Iean, le conseil de l’inquisition. Si on dit que la grandeur de l’estat le requiert, ie ne le nie pas: mais sî voit-on aussî à Venize qui n’a pas grande estendue de pays, quatre conseils outre le Senat & grand conseil, c’est à sçauoir, Ie conseil des sages de la marine, le conseil des sages de la terre, le conseil des dix, le conseil des sept, où le Duc fait le septiesme qu’ils appellent la sèigneurie, quand il est ioint auec le conseil des dix, & les trois Presidens de la quarantaine, outre le Senat de lx. qui reuient à sîx vingts compris les Magistrats. Et qui empeschera s'il y a peu d’hommes dignes d’estre Consèillers d’estat, qu’on face le Senat petit & le conseil priué moindre? l’estat de Rhaguse est bien estroit, & neantmoins le Senat est de Lx. personnes, & le conseil priué de douze. Le Senat de Nuremberg est de xxvi. le conseil priué de xiii. & vn autre conseil des sept Burgomaistres. Le Canton de Schuits est Ie plus petit de tous, & neantmoins outre le Senat de xlv. personnes, il y a vn consèil secret des sîx premiers Senateurs & de l’Aman, & la mesme forme se garde au Canton d’Vri. Car quant aux Cantons de Suric, Berne, Schaphuze, Basle, Soleurre, Fribourg, Lucerne, il y a outre le grand consèil vn petit conseil. le grand conseil de Berne est de c c. le petit est de xxvi. à Lucerne de cent, & le petit de x v iii. à sainct Gal aussî le grand conseil est de
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LXVI. le petit de XXIIII. à Coire Ie Senat est de xxx. Ie conseil estroit de XV. Et sans aller si loing, on sçait assez que l'estat de Geneue est enclos au pourpris & circuit de la banlieue: & neantmoins outre le conseil des deux cens, il y a vn Senat de LXXV. & puis le conseil priué de XXV. Et n’y a si petit Canton (horsmis les trois ligues grizes, gouuernees par communes populaires) qui n’ait outre le Senat vn priué conseil. & les vns en ont trois, voire quatre: comme le Canton de Basel, ou les affaires secrettes sont maniees par deux Burgomaistres, & deux Soubmaistres. & à Bern en cas semblable, les deux Auoyers, & quatre Banderets, manient les choses secrettes, comme le conseil estroit en la Monarchie. Et mesmes aux diettes & iournees des treize Cantons, il n'y a que le conseil priué des Ambassadeurs qui arreste les abscheids, & decerne les commissions touchant les affaires communes. Ie dy donc qu’il est tres-vtile en toute Republique, d’auoir pour le moins vn conseil priué, outre le Senat, puis que la reigle des anciens Grecs & Latins nous l’enseigne, la raison nous le monstre, l’experience nous l’apprend. Mais la difference est notable entre le Senat des Republiques populaires, ou Aristocratiques & des Monarchies: car en celles là, les aduis & deliberations sont prises au plus estroit, & particulier conseil: & les resolutions arrestees au plus grand conseil, ou en l’assemblee des Seigneurs ou. du peuple, si la chose est telle qu’on la doiue publier: mais en la Monarchie, on prend les aduis & deliberations au senat, ou conseil priué: & la resolution au conseil estroit. Cela se peut voir à tout propos en Tite Liue, quand il est question de la paix, ou de la guerre, ou des autres affaires de consequence qui touchent la Majesté, la deliberation est prise au Senat, & la resolution arreftee par le peuple, comme i’ay monstré cy[*](au chap.des marques de la souueraineté.)  dessus par plusieurs exemples. Et en cas pareil, quand la guerre fut denoncee aux Romains par les Tarentins, le Senat, dit Plutarque,[*](In Pyrrho.)  donna l’aduis, & le peuple de Tarente ottroya son mandement. Cela se peut voir à Venize, quand il se presente quelque difficulté entre les sages, elle est rapportee au conseil des dix, & s’ils se trouuent parties, on assemble auec les dix le conseil des sept: & si la chose tire apres foy consequence, on fait appeller le Senat: & quelques fois aussi, (combien que rarement) le grand conseil de tous les gentils-hommes Venitiens: ou la derniere resolution se prend.[*](Bombus in historia.venet.Contaren.in Repu.)  Qui estoit l’ancienne coustume[*](Aristot.lib.2.cap.9.polit.)  de Carthage: ou si le senat ne tomboit d’accord, le differend estoit disputé, debatu, & decidé par le peuple. Or ceste difference de resouldre & arrester les aduis, prouvent de la souueraineté, & de ceux qui manient le gouuernement. Car en la monarchie, tout se rapporte à vn seul:en l'estat populaire, au peuple. Et plus le monarque s'asseure de sa puissance & suffisance, moins il communique d’affaires au senat: ou bien pour s’en deueloper, il luy r’enuoye les commissions de la iustice extraordinaire ou le iugement des causes d’appel: mesmement si le senat est en telle multitude, que le Prince publiant à tant de personnes ses secrets, ne
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puisse venir à chef de ses desseins. Ce fut le moyen que Tibere l’Empereur trouua d’amuser le Senat au iugement des procez de consequence, pour-leur faire oublier peu à peu la cognoissance des affaires d'estat. & apres luy Neron ordonna que le Senat cognoistroit des causes d’appel, qui auparauant s'adressoient à luy, & que l’amende du fol appel au Senat fust aussi grande, que si luy mesmes eust cogneu de la cause: faisant par ce moyen d’vn senat, vne cour & iurisdiction ordinaire, qui n’auoit iamais accoustumé de iuger pendant la liberté populaire, sinon extraordinairement[*](Polyb.lib 6.de militari ac domestica Rom.)  des coniurations contre la Republique, & d’autres crimes semblables qui touchoient l'estat: ou que le peuple qui auoit la cognoissance de plusieurs cas, renuo yast la cognoissance au Senat. C’est pourquoy Ciceron accusant Verres disoit en celle forte. Quo confugient socij? quem implorabunt? ad Senatum deuenient, qui è Verre supplicium sumat? non est vsitatum. non est Senatorium. En quoy se sont abusez ceux qui ont pensé que le senat iugeoit, quand ils ont veu que les senateurs estoient tirez au sort pour iuger des causes publiques & criminelles, tantost à part soy, tantost auec les cheualiers parla loy Liuia, & puis auec les cheualier, & les financiers par la loy Aurelia. car il y a bien difference du Senat en corps, & des Senateurs pris en qualité de iuges: & du conseil priué, ou des conseillers d’iceluy venans és cours souueraines pour iuger. Mais le Senat n’eut onques deuant Neron iurisdiction ordinaire. mesmes Auguste ne voulut pas que le Senat s'empeschast au iugement de l’honneur, ou de là vie des senateurs, bien qu’il en fust importuné[*](Dio lib.55.)  par son ami Mecenas: & combien que Tibere souuent leur renuoyast telles causes, si est-ce que ce n’estoit que par forme de commission:[*](Tacit.lib.3.& sequent.)  ce que depuis l’Empereur Adrian[*](Spartian.in Adriano.)  fist passer en forme de iurisdiction ordinaire. On a veu en cas semblable que Philippe le Bel, pour se deffaire de la Cour de Parlement, & luy oster doulcement la cognoissance des affaires d’estat, l'erigea en cour ordinaire, luy attribuant iurisdiction, & seance à Paris: qui estoit anciennement le senat de France: & s'appelle encores auiourd’huy la cour des Pairs, qui fut erigee par Loys le ieune selon Ia plus vraye opinion, & pour donner conseil au Roy, comme on peut voir en l’erection du Comte de Mascon en pairrie par Charles V. Roy M.CCCLIX où il est dit que les Roys de France ont institué les XII. Pairs pour leur donner conseil & ayde, & s'appelloit comme encores à present par prerogatiue d’honneur la Cour de Parlement, (sans queue) comme on peut voir és lettres qu’elle escrit au Roy: au lieu que les autres nouuellement establies y adioustent Parlement de Roüan, de Bordeaux, de Dijon. Et neantmoins sus les remonstrances de la Cour pour la difficulté qu’elle faisoit de publier les lettres patentes donnees à Roüan le XVI. Aoust M.D.LXIII. Ie Roy dist aux deputez de la Cour, Ie ne veux plus que vous mesliez d’autre chose que de faire bonne & briefue iustice. Car les Roys mes predeces- seurs nevous* ont mis au lieu où vous estes que pour ceste effect: & non
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pour vous faire ny. mes tuteurs, ny protecteurs du Royaume, ny conseruateurs de ma ville de Paris: Et quand ie vous commanderay quelque chose, si trouuez aucune difficulté, ie trouueray tousiours bon que men faciez remonstrances, & apres les auoir faictes, sans plus de replique ie veux estre obey, toutesfois le Parlement fist encores d’autres remontrance, d’autant qu’il y eut partage sus la publication desdictes lettres: qui donnerent. occasion à l'arrest du priue conseil du XXIIII. Septembre ensuiuant, par lequel Ie partage fut declairé nul, auec defenses au Parlement de mettre en deliberation les ordonnances emanees du Roy concernant les affaires d'estat: ce qui audit esté fait aussi par lettres patentes. de l'an M. D. XXVII. En cas pareil le grand conseil qui n’estoit presques. employé qu’aux affaires d'estat, au regne de Charles VII. & VIII. fut peu à peu si rempli de procez, que Charles VIII. en fist vne cour ordinaire de dix sept conseillers, ausquels Loys XII. en adiousta iusques à XX. outre le Chancelier, qui estoit president d'iceluy. de forte que soubs le Roy; François on y fist vn president au lieu du Chancelier: qui n'estoient employez sinon à la cognoissance des causes extraordinaires par forme de commission, & renuoy du conseil priué, & ordinairement aux appellations du. Preuost de l’hostel. Aussi voyons nous le conseil priué estre quasi reduit en forme de cour ordinaire, cognoissant des differens entre les villes & parlemens, & le plus souuent entre les particuliers pour peu de chose: affin que cette grande compagnie d’hommes illustres & signalez fust empeschee à quelque chose, ayant quasi perdu la cognoissance des affaires d'estat, qui iamais ne peuuent reüssir à heureuse fin, si elles sont communiquees à tant de personnes: où la plus saine partie des meilleurs cerueaux est tousiours vaincue parla plus grande. ioint aussi qu’il est impossible de tenir le conseil secret, ny sçauoir qui le decouure en telle multitude, ny chasser ceux qu’on tient pour suspects: si on ne vouloit vser de là coustume des anciens Atheniens, en vertu de laquelle les senateurs, par vn secret iugement qu’on appelloit GREEK TEXT pouuoient condamner en toute liberté, sans enuie, le senateur languard, ou qui souilloit la splendeur de son estat. comme en cas pareil les Romains auoient les Censeurs, qui sans forme ny figure de procez auoient accoustumé de rayer les senateurs in dignes, & par ce moyen les exclurre du Senat, s’ils ne vouloient essayer la sentence des iuges, qui estoit par dessus la censure, ou bien que Ie peuple donnast nouueau magistrat, & charge honnorable à celuy qui auroit esté rayé parles censeurs, ou condamné par les iuges. Mais on peut blasmer les Romains, d'auoir trop aisement receu & rayé les senateurs, & en trop grand nombre: car pour vne fois Fabius[*](Florus epito.98.)  Buteo qu’on fist Dictateur pour suployer le Senat, en receut CLXXVII. & Lentulus & Gellius censeurs pour vne reueue en rayerent LXIIII. Combien est-il plus seant & conuenable à la grandeur & dignité d’vn senat, d’en receuoir peu qui soient choisis & triez comme perles, que d’esleuer au plus haut degré
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d'honneur les hommes dignes & indignes, pour apres les precipiter auec vne eternelle infamie & deshonneur d’eux, & de ceux qui leur ont presté la main? ce qui toutesfois ne se peut faire fans danger de sedition. Depuis quatré cens ans que le conseil priué d’Angleterre fut establi à l’instance & poursuitte d’vn Archeuesque de Canturberi Chancelier d’Angleterre, il n’y eut que XV. personnes: & n’a iamais passé XX. personnes. & par le moyen de ce petit conseil, ils ont entretenu leur estat tresbeau & florissant en armes & en loix. celà se voit parleurs histoires, & par le traicté de paix fait entre Loys IX. & Henry Roy d’Angleterre, qui pou seureté plus grade fut iuré par les XVII. conseillers du conseil priué, c’est à sçauoir, vn Archeuesque Chancelier, vn Euesque, six Cotes, & six autres Seigneurs auec le grand thresorier, & le magistrat qu’ils appeller la grade Iustice d’Angleterre. Si on me dit que bien souuent l’ambition, la faueur, l'importunité, la necessité presse d’en receuoir plusieurs, sans auoir moyen de les cognoistre. Ie responds que l’ordonnance de Solon auoit pourueu à toutes ces difficultez, & seroit de besoin qu’elle fust gardee en toute Republique, c’est à sçauoir que nul ne fust receu au saint Senat des Areopagites, qui n'eust passe aux plus hauts lieux d’honneur fans pris & sans reproche: s'asseurans bien que ceux-là qui s'estoient peu tenir en precipices si dangereux & si glissans, qu’ils pourroient bien tenir place au senat fans tomber ny chanceler. C’est pourquoy tous les anciens Grecs & Latins ont si haut loué le Senat des Areopagites, qui estoit composé de LX. personnes, comme nous lisons en Athenæus. On garde bien encores celte coustume aux cinq petis Cantons, que ceux-la qui ont passe par touts les estats honorables, ils demeurent senateurs perpetuels. mais ce n’est pas pour auoir fort bonne resolution, & moins encores pour tenir les affaires d'estat secrettes, en ce que les senateurs des petits Cantons, qui font XLV. à Zoug, CXLIIII. à Appenzel, & plus ou moins és autres, quand il est question de chose de consequence chacun senateur a charge de mener auec luy au conseil deux ou trois qu’il aduisera pour le mieux: en forte qu’ils se trouuent quelquesfois quatre ou cinq cens, partie senateurs, partie qui ont voix deliberatiue. Voila quand au nombre des conseillers d'estat. Disons aussi vn mot de ceux qui doiuent proposer, & de ce qui doit estre proposé. Quant au premier on a tousiours eu grand esgard anciennement a la qualité de ceux qui demandoient l’aduis au senat. Car on voit que c’estoit la propre charge des plus grands magistrats en Rome, qui pour ceste cause s'appelloient Consuls: ou en leur absence le plus grand magistrat qui fust en Rome, c’est à sçauoir, le[*](Cicero in epistolis de Cornuto Prætore vrbano.)  Preteur de la ville: qui receuoient les requestes des particuliers, les lettres des gouuerneurs, les ambassadeurs des Princes, & peuples alliez pour en faire le raport au Senat. & en Grece ceux qu’on appelloit GREEK TEXT qui auoient mesme charge que ceux qu’on appelle Prouiseurs en la Republique de Rhaguse: & en la Republique de Venize les Sages. combienque les trois Auogadours or
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(265) dinairement proposent au senat fur ce qu’on doit deliberer. Au conseil des Grecs le President faisoit crier par vn huissier s'il y auoit personne qui voulust suader quelque chose: ce que Tite[*](lib.32.)   Liue parlant des Acheans dit generalement, vti mos est Graecorum. Mais quant aux Ætoliens leur coustume estoit notable, digne d'estre gardee par tour, & fort loüee & approuuee[*](Liuius lib.35.)  de Philopemen Capitaine en chef de la ligue des Acheans: c’est à sçauoir que le President, ou celuy qui conseilloit le premier de faire quelque chose en plein Senat, n’auoir point de voix deliberatiue pour l’affaire qu’il proposoit: ce qui peut oster les pratiques & menees couuertes qui se font au senat des estats populaires & Aristocratiques, où les plus fascheux tirent aisément les autres à leur opinion. Mais ie ne puis approuuer la façon de Genes, où il n'y a que le Duc feulement qui ait puissance de proposer ce qu’il luy plaist au Senat, car outre la difficulté qu’il y a de parler au Duc assiegé de tous costez, & enuelopé d’vne infinité d’affaires, & luy mettre en veue mil raisons par le menu pour les deduire au conseil, encores y a-il danger de donner si grande authorité à vne personne, qu’il puisse dire, ou celer au Senat tout ce qu’il luy plaist, & qu’il ne soit licite à autre qu’à luy d en parler. Er mesmes il y a danger que celuy qui propose soit si grand qu’on ne le puisse franchement contre dire. C’est pourquoy on a sagement pourueu en ce Royaume, qu'il fust permis à tous ceux qui ont entree au conseil (ores qu’ils n'ayent ny voix deliberatiue, ny seance) de raporter les requestes d’vn chacun, & aduertir le conseil de ce qui est vtile au public, afin d’y pouruoir. Et le plus souuent on demande leur aduis, puis aux conseillers d'estat, qui ont seance & voix deliberatiue: en sorte que les plus grands seigneurs opinent les derniers: afin que la liberté ne soit retranchee par l’auctorité des Princes, & mesmes des hommes factieux & ambitieux, qui ne souffrent iamais de contredits: en quoy faisant, ceux qui ont voix consultatiue seulement, parent le chemin à ceux qui ont voix deliberatiue, & abreuuent le conseil bien souuent de bonnes & viues raisons: & s’ils ont failli ils sont reduits par les autres sans ialousie. Qui est vne coustume beaucoup plus louable que celle des Romains, où le Consul demandoit premierement l’aduis au Prince du Senat, ou bien à celuy qui estoit designé Consul pour l’annee suiuante. Et neantmoins le contraire se faisoit deuant le peuple, car les particuliers opinoient les premiers,[*](Dio.lib.38.)  puis les Magistrats, afin que la liberté des petits ne fust preuenue par l'auctorité des grands. ioint aussi que l’ambition de parler le premier, tire apres soy bien souuent l’enuie des vns, & la ialousie des autres. Aussi voit-on, que les Empereurs tyrans pour decharger sur le Senat le maltalent que le peuple auoit de leurs cruautez, ils proposoient, ou faisoient lire leur aduis: & si hardi de contredire. Cela n’est pas demander conseil, ains commander estroictement. dequoy se plaignant vn ancien Senateur, disoit: Vidimus curiam
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(266) elinguem, in qua dicere quod velles, periculosum: quod nolles, miserum esset: d’autant que l’Empereur Domitian, vnus solus censebat quod omnes sequerentur: loüant Traian, quod eo rogante sententias liberè dicere liceret, vincerétque sententia, non prima, sed melior. Mais ie desirerois que le conseil fust reserué au matin, car on ne doit pas tenir pour aduis bien digeré, ce qui et fait apres disner, comme dit Philippe de Comines: & mesmement au pays ou les hommes sont sugets au vin: laissant l'opinion de Tacite,[*](In lib.de morib.German.) qui trouue bonne la façon des anciens Alemans, qui ne deliberoient iamais des grandes affaires, sinon entre les gobelets: pour decouurir le cueur d’vn chacun, & pour s’echaufer à persuader ce qu’ils trouuoient le plus expedient: mais ils ont bien changé de coustume, d’autant que leurs contracts ne tiennent iamais, s’ils sont faits apres boire: & ceste seule cause suffist au iuge pour les casser. Quant aux affaires qu’on doit proposer, cela depend des occasions. & affaires qui se presentent.[*](Les affaires qu’on doibt proposer au senat.)  Les anciens Romains deliberoient premierement des choses touchant la religion, comme le but & la fin où toutes les actions humaines doiuent commencer & finir. Aussi iamais, dit[*](Polyb.lib.6.de militari ac domestica Rom.disciplina.)  Polybe, n’y eut peuple plus deuot que cestuy-là, adioustant que par le moyen de la religion, ils establirent le plus grand Empire du monde. Puis apres on doit parler des affaires d’estat plus vrgentes, & qui touchent de plus pres au public: comme le faict de la guerre & de là paix, ou il n’est pas moins perilleux de conuenir le conseil en longues difficultez, que la precipitation y et dangereuse. Auquel cas, comme en toutes choses doubteuses, les anciens auoient vne reigle qui ne souffre pas beaucoup d’exceptions: c’est à sçauoir, Qu'il ne faut faire, ny conseiller chose qu’on doubte si elle est iuste ou iniuste, vtile ou dommageable: si le dommage qui peut aduenir est plus grand que le profit qui peut reüssir de l'entreprise. Si le dommage est euident, & le profit doubteux, ou bien au contraire, il ne faut pas mettre en deliberation lequel on choisira. Mais les difficultez sont plus vrgentes, quand le profit qu’on espere est plus grand, & qu’il fait contrepoix au dommage, de ce qui peut resulter des entreprises. Toutefois la plus saine opinion des anciens doit emporter le prix: c’est à sçauoir, Qu'il ne faut faire ny mise ny recep te des cas fortuits, quand il est question de l’estat. C’est pourquoy Ies plus rusez font porter la parolle aux plus simples, pour mettre en auant & suader vne opinion douteuse, afin qu’ils ne soient blasmez s’il en vient mal: & qu’ils emportent l’honneur, si la chose vient à poinct. Mais le sage Senateur ne s’arrestera iamais aux cas fortuits & auantureux, ains s’efforcera tousiours par bons &fages discours tirer les vrais effects des causes precedentes. Car on void assez souuent les plus hazardeux & temeraires estre les plus heureux aux exploits. Et pour ceste cause les anciens Theologiens n’ont iamais introduit leur deesse Fortune au conseil des Dieux.[*](La deesse qu’on disoit Fortune chassee du conseil des autres Dieux.)  Et toutefois on n’oit quasi autre chose, que Ioüer ou blasmer les entreprises
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par la fin qui en reüssit, & mesurer la sagesse au pied de fortune. Si la loy[*](l.3.de re milit.ff.) condamne à mort le soldat qui a combatu contre la defense du Capitaine, ores qu'il ait rapporté la victoire, quelle apparence y a-il de pezer en la balance de sagesse les cas fortuits & succés heureux? Aussi telles aduantures continuees, tirent le plus souuent apres soy la ruine des Princes aduantureux. Et par ainsi, pour euiter à ce qu’il ne soit, rien arresté au conseil temerairement, l’aduis de Thomas le More me semble bon, qu’on propose vn iour au parauant ce qu’on doit resoudre le iour suiuant, afin que les deliberations soient mieux digerees: pourueu toutefois qu’il ne soit point question de l’interest particulier de ceux qui ont voix au conseil: car en ce cas il vaut beaucoup mieux prendre les aduis sus le champ, & sans delay, que d’attendre que le sain iugement des vns soit preuenu par les menees des autres & qu’on. vienne preparé de longue trainee de raisons, pour renuerser ce qui doit, estre conclud. Et tout ainsi que la verité plus elle est nue, & simplement deduite, plus elle est belle: aussi est-il certain, que ceux qui la deguisent par force de figures luy ostent son lustre & sa naïfue. beauté. chose qu’on doit sut tout fuir au conseil: afin aussi que la briefueté Laconique pleine de bonnes raisons donne place a chacun de dire son aduis comme il se doit faire: & non pas baloter comme à Venize, ou passer du costé-de celuy duquel on tient l’opinion, corne il se faisoit au Senat de Rome. Car ils se trouuoient tousiours empeschez, quand la chose mise en deliberation aiioir plusieurs chefs & articles, qui estoient en partie accordez, & en partie regettez, de sorte qu’il estoit. necessaire de proposer, chacun article à part: ce que les Latins disoient diuidere sententiam: & faire passer & repasser les. Senateurs de part & d’autre. les Venitiens se trouuent aussi és mesmes difficultez, qui les contraint de prendre souuent les opinions verbales, & quitter les balottes, desquelles mesmes ils vsent quand il est. question dès biens, de la vie & de l’honneur, à la façon des anciens Grecs & Romains: chose qui ne se peut faire sans iniustice, pour la varieté infinie des cas qui se presentent à iuger. Or combien que le Senat de la Republique ne soit point lié à certaine cognoissance, aussi ne faut-il pas qu’il s’empesche de la iurisdiction des Magistrats, si ce n’est sur le debat des plus grands Magistrats & Cours souueraines. Et pour ceste cause Tibere l’Empereur protesta[*](Tacit.lib.I.Tranquil.in Tiberia.)  venant à. l'estat, qu’il ne vouloir rien alterer, ny prendre cognoissance de Ia iurisdiction des Magistrats. ordinaires. & ceux qui font vne cohue du Senat, & conseil priué, rauallent grandement la dignité d’iceluy, au dieu qu’il doit estre respecté pour authoriser les actions des Princes pour vaquer entierement aux affaires publiques, qui suffisent, pour empescher vn Senat. si ce n’estoit quand il est question de la vie, ou de l’honneur des plus grands Princes & seigneurs, ou de la punition, des villes, ou d’autre chose de telle consequence, qu'elle merite l’assemblee d’vn Senat: comme ancienne-
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ment le senat Romain cognoissoit par commission du peuple des trahisons & coniurations des alliez contre la Republique, comme on void en T.[*](Liuius lib.26.)  Liue. Reste encores le dernier poinct: de nostre definition, c’est à sçauoir, que le senat est establi pour donner aduis à ceux qui ont la souueraineté. I’ay dit donner aduis, parce que le senat d’vne Republique bien ordonnee, ne doit point auoir puissance de commander, ny decerner mandemens, ny mettre en execution ses aduis & deliberations:[*](Le Senat establi seulement pour donner aduis, & non pas pour commander.)  mais il faut tout raporter à ceux qui ont la souueraineté. Si on demande s’il y a Republique ou le senat ait telle puissance, c’est vne question qui gist en fait: mais ie tiens que la Republique bien establie ne le doit pas souffrir, & qu’il ne se peut faire sans diminution de la majesté, & beaucoup moins en la Monarchie qu’en l'estat populaire ou Aristocratique. Et en cela cognoist-on la majesté souueraine d’vn Prince, quand il peut, & la prudence quand il sçait pezer & iuger les aduis de son conseil, & conclure selon la plus saine partie, & non pas selon la plus grande. Si on me dit qu’il n’est pas conuenable devoir les Magistrats & Cours souueraines, auoir puissance de commander & decerner leurs commissions en leur nom, & que le Senat qui iugé de leurs differens soit priué de ceste puissance. Ie respons que les Magistrats ont puissance de commander, en vertu de leur institution, erection & creation, & des edits fur ce faits, pour limiter leur charge & puissance. mais il n’y eut onques senat en aucune Republique bien ordonnee, qui ait eu pouuoir de commander en vertu de son institution. Aussi il ne se trouue point en ce Royaume, ny en Espaigne, ny en Angleterre, que le conseil priué soit erigé ou institué en forme de corps & College, & qu’il ait puissance par edit ou ordonnance de rien ordonner, ny commander, comme il est necessaire à tous Magistrats, ainsi que nous dirons ci apres. Et quant à ce qu’on dit que le conseil priué casse les iugemens & arrests des Magistrats & Cours souueraines, & que par ce moyen on veut conclure qu’il n’est pas sans puissance. Ie respons, que les arrests du conseil priué ne dependent aucunement d’iceluy, ains de la puissance royale, & par commission seulement en qualité de iuges extraordinaires pour le fait de la iustice: encores la comission, & cognoissance du conseil priué, est tousiours coniointe à la personne du Roy. Aussi voit-on que tous les arrests du conseil priué portent ces mots, PAR LE ROY EN SON CONSEIL: lequel ne peut rien faire si le Roy n’est present, ou qu’il n’ait pour agreable les actes de son conseil. Or nous auons monstré cy dessus, que la presence du Roy fait cesser la puissance de tous les Magistrats. comment donc le conseil priué auroit-il puissance le Roy present? s’il ne peut rien faire en l’absence du Roy, que par commission extraordinaire, quelle puissance dirons nous qu’il a? Si donques au fait de la iustice le conseil priué n’a pas puissance de commander, comment l’auroit-il aux affaires d'estat? C’est pourquoy on raporte au Roy ce qui a esté deliberé au conseil, pour entendre sa volonté.
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ce qui a esté fait de toute ancienneté, car mesme il se trouue vne charte ancienne faisant mention d’Endobalde Comte du Palais du Roy Clotaire,qui assembloit le Parlement du Roy, & assistoit aux deliberations qu’il rapportoit au Roy, qui donnoit ses arrests. Mais on pourroit douter si le Senat en l'estat populaire & Aristocratique ne doit auoir non plus de puissance qu’en la Monarchie: attendu la difference qu'il y a d’vn seigneur à plusieurs, d’vn Prince au peuple, d’vn Roy à vne multitude infinie d’hommes. Ioint aussi que nous lisons qu’en la republique Romaine, qu’on tient auoir esté des plus florissantes, & des mieux ordonnees qui fut onques, le Senat Romain auoit[*](Cicer.in Vatin.Ærarij dispensatio ita fuit penes Senatum, vt nunquam a populo sit appetita.Idem confirmat Polyb.lib.6.)  puissance de disposer des finances, qui est l’vn des grands poincts de la maiesté: & donner lieutenans à tous gouuerneurs de[*](Idem Cicero in Vatin.Esne patriæ certissimus parricida !ne hoc quidem Senatur relinquebas, quod nemo vnquam ademit vt legati ex eius ordinis auctoritate darentur.) Prouince: & decerner les[*](Liuius lib.28.Nunquam antea de triumpho per populum actum : semper æstimationem arbitriumque eius honoris penes Senatum fuisse.ne reges quidem maiestatem eius ordinis imminuisse.) triomphes: & disposer de la religion. Et pour seste cause Tertulian disoit, que iamais aucun Dieu ne fut receu en Rome sans decret du Senat. Er quant aux Ambassadeurs des Roys & peuples, il n’y auoit que le Senat qui les receust, & licentiast. Et qui plus est, il estoit defendu sur peine de leze majesté, de presenter requeste au peuple, sans auoir pris l’aduis du Senat, comme nous auons dit cy dessus. Ce qui n’eftoit pas seulement en Rome, ains aussi en toutes les Republiques de la[*](Arist.lib.4 de Republica.)  Grece: & pour y auoir contreuenu[*](Plutar.in Lysia.)  Thrasybulus fut accusé de leze majesté en Athenes, comme aussi depuis fut Androtion par Demosthene. ce qui est encores mieux gardé à Venize qu'il ne fut onques en Rome ny en Grece. Non obstant tout cela, ie dy que le senat des estats populaires & aristocratiques ne doit auoir que l’aduis & deliberation, & que la puissance depend de ceux qui ont la souueraineté. Et quoy qu’on die de la puissance du senat Romain, ce n’estoit que dignité, authorité, conseil, & non pas puissance: car le peuple Romain pouuoit quand bon luy sembloit, confirmer ou infirmer les decrets du Senat, lequel n'auoit aucune puissance de commander, & moins d’executer ses arrests, comme[*](lib.2.)  Denys d’Halicarnas a tresbien remarqué. Aussi voit-on à tout propos en Tite Liue ces mots. SENATVS DECREVIT, POPVLVS IVSSIT. où Feste Pompee s’est abusé interpretant ce mot, Populus iussit, qu’il dit signifier Decreuit: car c’estoit au Senat à decerner, & au peuple à commander: comme quand Tite Liue parle de l’auctorité de Scipion l’African, Nutus eius pro decretis patrum, pro populi iussis esse. Et le moindre Tribun s’opposant au senat, pouuoit empescher tous ses arrests. I’ay remarqué cy dessus quelques lieux de[*](lib.4.lib.30.& 17.)  T. Liue, ou il appert euidemment, que le senat ne pouuoit rien commander, & mesme par ce decret, ou il est dit, Que le Consul si bon luy semble, presentast requeste au peuple pour faire vn Dictateur: & s’il ne plaisoit au Consul, que le Preteur de la ville en prist la charge: & s’il n'en vouloit rien faire, que l’vn des Tribuns le fist: le Consul, dit T. Liue, n'en voulut rien faire, & fist defense au Preteur d’obeir au senat. Si le senat eust peu commander, il n'eust pas vsé de ce langage: & le Con-
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sul n'eust pas defendu d’obeir au senat. Et mesme le senat ne pouuoit pas commander aux Preteurs, ains il vsoit du mot, Si bon leur semble, Si leur plaist. Decreuerunt patres vt M. Iunius Praetor vrbanus, si ei videretur, decemuiros agro Samniti Appuloque quoad eius publicum erat, metiendo diuidendóque crearet. & si on veut dire que ces mots, Si Consulibus, si Praetoribus videatur, emporte commandement, le contraire se verifie en ce que dit T. Liue, parlant de la punition des Capoüans, que le Consul Fuluius ayant leu l'arrest du senat, qui portoit ces mots., Integram rem ad Senatum reijceret, si ei videretur, interpretatum esse quid magis è Republica duceret aestimationem sibi permissam, & passa outre sans auoir egard à l'arrest du senat. Aussi n’y auoit-il vne seule commission, ny mandement en toutes les deliberations & decrets du senat: & n’auoient ny massiers ny sergens, qui sont les vrayes marques de ceux qui ont puissance de commander, comme disoit[*](Gellius lib.13.cap.12.)  Varron apres le Iurisconsulte Messala. Mais les Magistrats ayans les decrets du senat en main, decernoient leurs mandemens & commissions pour les executer, si bon leur sembloit: s’asseurans bien que le senat soustiendroit leurs exploits & actions. C’est pourquoy Cesar dit, que les Consuls se voyans armez de cest ancien decret du senat, qui commençoit par ces mots: Que les Consuls, & autres Magistrats pouruoient à ce que la Republique ne souffre aucun dommage: soudain font leuee de gens & d’armes contre Cesar. Mais si le moindre des Tribuns s’opposoit au senat, il falloit vuider l’opposition deuant le peuple. Et pour ceste cause il y auoit ordinairement quelques Tribuns à la porte du senat., au parauant que la loy Atinia leur donnast entree, ausquels on monstroit le decret du senat, pour le consentir & auctoriser au nom du peuple, y mettant la lettre T. ou le dissentir, y mettant ce[*](Liuius lib.6.)  mot VETO, c’est à dire, Ie l’empesche. de forte que le senat ne faisoit rien que par souffrance du peuple, ou deses Tribuns, qui estoient comme espions du senat, & gardes de la liberté du peuple, qui ont tousiours eu leur opposition franche: si le peuple par loy expresse ne leur ostoit, comme il fist a la requeste de C.[*](Salus.in Iugur.Cicero in prouinciis Consular.)  Gracchus Tribun du peuple, donnant permission au senat de disposer des Prouinces consulaires pour Ceste annee là, auec defenses aux Tribuns de s’y opposer pour ceste fois là seulement. car depuis le peuple[*](Cicero pro lege Manil.Appian.lib.I.Liuius lib.18.)  donna souuent les Prouinces & gouuernemens sans auoir ny l’aduis ny l’auctorité du senat. De dire que le senat disposoit des finances, il est vray, mais c’estoit par souffrance, & tant qu’il plaisoit au peuple: comme on peut voir par la loy Sempronia, par laquelle le peuple ordonna que les soldats seroient vestus des deniers de l'espargne. Or celuy qui n'auoit pouuoir que par souffrance & par forme de precaire, n’a point de puissance, comme nous auons dit cy dessus. aussi voit-on en cas semblable, que les Auogadours de Venize souuent empeschent les oppositions du senat & du conseil des dix, & font renuoyer l’affaire au grand conseil. Mais encores on peut dire, que si le senat en corps & as-
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semblee legitime n'eust eu puissance de commander, qu’il n’y eust eu aucune difference entre les decrets du senat, & ce qu'on appelloit Auctorité. Or est-il, que s'il y auoit moins de CCCC. senateurs par l’ordonnance d’Auguste, qui depuis furent reduits à cinquante: ils ne donnoient sinon[*](Dio.lib.54.)  auctorité, & ne s’appelloit pas decret: comme aussi on peut voir parla loy[*](Asconius in Cornelianam.)  Cornelia, publiee à la requeste d’vn Tribun du peuple, il fut defendu au senat de plus ottroyer priuileges ny dispenses, s’il n’y auoit du moins deux cens senateurs. il faut donc conclure que le senat en tel nombre auoit puissance de commander. Ie dy que le decret de sa nature n’emporte aucun commandement, non plus que la sentence du iuge, si la comission n’est au pied. Or le senat ne decernoit iamais, & ne pouuoit decerner commission ny mandement: il n'auoit donc point de puissance de commander. Et encores quelque decret que fist le senat, il n'auoit trait que pour vn an: comme a tresbien noté Denys[*](lib.9.)  d’Halycarnas: & n’estoient pas perpetuels, comme Conan[*](lib.I.cap.de Senatusconsul.) escrit. Comment donc, dira quelqu’vn, le senat fist-il amener trois cens soldats citoyens Romains, qui restoient de la legion qui auoit saccagé Rheges en Sicile, lors qu’elle y estoit en garnison, & les fist flaistrir, & puis decapiter deuant tout le peuple, nonobstant, & sans auoir aucun egard aux oppositions des Tribuns, ny aux appellations des condamnez, crians à haute voix, que les loix sacrees estoient soulees aux pieds. A cela y a double response, qu’il estoit question delà discipline militaire, qui n’auoit rien de[*](Polyb.lib.6.Liuius lib.4.)  commun pour ce regard auec les loix domestiques. en second lieu, c’estoit bien l’aduis du senat, mais l'execution se faisoit par les Magistrats, qui n’estoient tenus d’obeir au senat, s’ils n’eussent voulu. combien que la iuste douleur qu’on auoit d’vn si lasche & vilain tour commis à Rhege, faisoit cesser toute la puissance des loix. Et souuent en cas semblables on passoit la contrauention aux loix par[*](Valer.Max.lib.8.Appia.lib.I.)  souffrance. Mais outre cela, Papinian respond, qu’il ne faut pas auoir egard à ce qu’on fait à Rome, mais à ce qu’il faut faire, c’est pourquoy souuent les Tribuns du peuple empeschoient les entreprises du senat: & mesmes le Tribun Cornelius fist faire defense au senat de n’entreprendre rien de ce qui appartenoit à la majesté du peuple: ce que Dion n’eust pas escrit, si le senat n'eust fait plusieurs entreprises fus l'estat. Ie scay bien qu’on alleguera le dire d’vn autre Iurisconsulte,[*](l.non ambigitur de legibus.ff.)  Senatum ius facere posse. mais cela s’est dit de la puissance du senat, apres auoir eu iurifdiction ordinaire, comme nous auons monstré cy dessus: combien que les edits des moindres Magistrats, Ædiles, & Tribuns, & mesme l’auctorité priuee des Iurisconsultes faisoit vne partie[*](l.I. in rerum amot.l.gallus.quod ius constitutum dicitur in d.l I.)  du droict, & passoit en force de loix: ores qu’ils n’eussent aucune puissance ny commandement quelconque. Si donques lesenat, en l'estat populaire, n’a point de puissance ordinaire de commander, ny de rien faire que parsouffrance, beaucoup moins l’auroit-il en l'estat Aristocratique, ou en la Monarchie, & d’autant moins en la
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Monarchie, que les Princes sont plus ialoux de leur estat que le peuple. Et par ainsi quand on dit, qu’il n’estoit pas licite de presenter requeste au peuple, c’est à dire aux grands estats sans auoir l’aduis du senat: chose qui n’eftoit pas necessaire pour presenter[*](Interpres Appiani populum pro plebe vertit.lib.I.bell.ciu.& eodem errore lapsus est Ottomanus in cap.2.de Re.Senatorib.nam Cornelia lege ne ad plebem quidem iniussu Senatus rogationem ferre licebat, quod Pompeia lege abrogatum est.Plutar.in Pompeio.)  requeste au menu peuple: cela n’empeschoit pas les Magistrats, apres auoir eu l’aduis du senat contraire au leur de s’adresser au peuple. La mesme response sert aussi, à ce que dit loseph l’Historien, que Moyse defendit au Roy de rien faire en ce qui touche le public, sans l’aduis du senat & du Pontife combien que cest article ne se trouue point en toute la loy il ne s’ensuit pas que le Roy fust tenu de suiure leur aduis. Iaçoit[*](l.ius senatorum.de dignitatib.C.)  qu’il s’appelle le premier senateur, & le chef de son conseil. car telles qualitez ne diminuent en rien la majesté: ores qu’il appellast les senateurs ses compaignons, ou ses bons maistres & seigneurs, comme Tibere qui appelloit les senateurs indulgentissimos dominos, ainsi que nous lisons en Tacite. & neantmoins en vn decret du senat raporté par Pline le ieune, nous lisons ces mots: Voluntati tamen Principis sui, cui in nulla re fas putaret repugnare, in hac quoque re obsequi. Aussi les senateurs, ou conseillers d'estat, à parler proprement, ne sont ny officiers ny commissaires, & n'ont autres lettres en ce Royaume qu’vn simple breuet signé du Roy, sans seel ny cachet, portant en trois mots, que le Roy leur donne seance, & voix deliberatiue au conseil, tant qu’il luy plaira: & le Roy mort, ils ont besoin d’vn autre breuet: hors mis ceux qui pour leur qualité, ou charge en ce royaume, entrent au conseil. Et la raison principale pourquoy le senat d’vne Republique ne doit pas auoir commandement, est que s’il auoit puissance de commander ce qu’il conseille, la souueraineté seroit au conseil: & les conseillers d'estat au lieu de conseillers seroient maistres, ayans le maniement des affaires, & puissance d’en ordonner à leur plaisir.[*](La raison pour quoy le Senat ne doibt pas auoir puissance de commander.)  chose qui ne se peut faire sans diminution, ou pour mieux dire, euersion de la majesté, qui est si haute & si sacree, qu’il n’appartient à sugets, quels qu’ils soient, d’y toucher, ny pres ny loing. Et pour ceste cause le grand conseil de Venize, auquel gist la majesté de leur estat, voyant que les dix entreprenoient par dessus la charge à eux donnee, leur fist defense fur peine de leze majesté, de commander ny ordonner chose quelconque, ny mesme d’escrire lettres qu’ils appellent diffinitiues, ains qu’ils eussent recours à la Seigneurie, iusqu’à ce que le grand conseil fust assemblé. pour la mesme cause ils ont ordonné, que les six conseillers d'estat, qui assistent au Duc, ne seroient que deux mois en charge, afin que la coustume de commander ne leur fist enuie de continuer, & aspirer plus haut. Toutefois si mes aduis auoient lieu, ie ne serois pas d’opinion qu'on changeast & rechangeast les conseillers d'estat, ains plustost qu’ils fussent perpetuels, comme ils estoient en Rome, Lacedemone, Pharsale, & maintenant à Geneue & aux Cantons des Suisses. Car le changement annuel qui se faisoit en Athenes, & maintenant à Venize, Rhaguse, Luques, Genes, Nurem-
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berg, & en plusieurs autres villes d’Alemaigne, non seulement obscurcist bien fort la splendeur du senat, qui doit reluire comme vn soleil, ains aussi tire apres soy le danger ineuitable d’euenter & publier les secrets d’vn estat. ioint aussi que le senat tout nouueau ne peut estre informé des affaires passees, ny bien continuer les erremens des affaires encommencees. qui fut la cause que les Florentins ordonnerent à la requeste de Pierre Soderin Gonfalonnier, que le senat de LXXX. seroit muable de six en six mois, horsmis ceux qui auoient esté Gonfalonnier, pour informer le nouueau senat des affaires. la mesme ordonnance a esté faite à Genes, de ceux qui ont esté Ducs ou Syndics. En quoy les Rhagusiens ont mieux pourueu à leur senat que les Venitiens, car à Venize le senat change par chacun an tout à coup: mais à Rhaguse, les senateurs qui ne sont qu’vn an en charge, changent les vns apres les autres, & non pas tous en vn an. C’est donques le plus seur que les senateurs soient en charge perpetuelle, ou pour le moins les senateurs du conseil particulier, comme estoit celuy des Areopagites.