The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

L’Estat populaire est la forme de Republique, où Ia pluspart du peuple ensemble commande en souueraineté au surplus en nom collectif, & à chacun de tout le peuple en particulier. le principal poinct de l’estat populaire se remarque en ce que la pluspart du peuple a commandement, & puissancé souueraine non seulement sur chacun en particulier, ains aussi sur la moindre partie de tout Ie peuple ensemble: de sorte, que s'il y a xxxv. lignees, ou parties du peuple, cômme à Rome, les dix huict ont puissancé souueraine sur les xvii. ensemble, & leur donnent loy: ainsi qu’on peut voir quând Marc Octaue fut destitué du Tribunat à la requeste de Tibere Gracchus son compaignon, 1 [*]( Plutar. In vita Graec.) l’histoire porte qu’il fut prié de quitter vo- CHAPTER 244 lontairement son estat au parauant que les dix huit lignees eussent donné leur voix. [*]( La difference qu’il y a de donner les voix par testes, ou par lignees.) Et d’autânt que Rullus tribun vouloit par la requeste qu’il presenta au peuple, touchânt la diuision des terres, que les commissaires qui auroient ceste charge, fussent eleus par la plus grande partie. des xv ii. lignees du peuple seulemént, Ciceron alors Consul print ceste occasion entre autres, d’émpescher l’enterinement de sa requeste, & la publication de la loy, disant que le Tribun vouloit frustrer la pluspart du peuple de sa voix. mais c’estoit la chose la moins considerable, d'autânt que la requeste du Tribun portoit, S’il plaisoit au peuple (c’est à dire à la pluspart des xxxv. lignees) que la moindre partie du peuple (à sçauoir xvii. lignees) deputast les commissaires. car la majesté du peuple demeuroit entiere, attendu que la moindre partie du peuple estoit députée au plaisir & vouloir de la pluspart: afin qu’on ne fust point empesché d'assembler les xxx v. lignees pour peu de chose, cômme il se faisoit à la nomination des benefices par la loy2 [*]( Cicero in Rullum.) Domitia: s’il vaquoit quelque benefice par la mort des Augures, Prestres & Pôntifes, on assembloit xvii. lignees du peuple, & celuy qui estoit pourueu & nommé par neuf lignees du peuple estoit receu par le Chapitre ou College des Pontifes. Quand ie dy la pluspart du peuple tenir la souueraineté en l'estat populaire, cela s’entend si on prend les voix par testes, comme à Venize, à Rhagusè, à Genes, à Luques, & presqu’en toutes les Republiques Aristocratiques: mais si on prend les voix par lignees, ou paroisses, ou communes, il suffïst d’auoir plus de lignees, ou de paroisses, ou de communes, ores qu’il y ait beaucoup moins de citoyens: cômme il est quasi tousiours aduenu és anciennes Republiques populaires. En Athenes le peuple estoit diuisé en dix lignees principales, & en faueur de Demetrius & Antigonus on y en adiousta deux: & outre ceste diuision, le peuple estoit départi en trénte & six classes. ainsi en Rome la premiere diuision du peuple faite par Romule, estoit de trois lignees: & depuis fut diuisé en trente paroisses, qui auoiént chacune vn curé pour chef: & chacun, dit 4 [*]( lib. I.) Tite Liue, dônnoit sa voix par teste. mais par l’ordonnance du Roy Seruius, il fut diuisé en sïx classes, sélon les biens & reuenu d’vn chacun: en telle sorte, que la premiere classe où estoient les plus riches, auoit autânt de pouuoir que toutes les autres, 2 [*]( Dionis. Halicar. Lib. 4.) si les Centuries de la premiere demeuroient d’accord: c’eft à dire lxxx. Centuries qui n’estoient que huict mil: & les quatre suiuântes n’estoient que de huict mil: or il fustisoit de trouuer en la sécondé classe autant de Centuries qu’il s'en falloit de la premiere: tellement qu’on ne venoit pas souuent à la tierce ni à la quarte, & moins encores à la cinquiesme, & [*]( Liuius lib. I. Dionis. Lib. 4.) iamais à la sixiesme, où estoit le rebut du peuple & des pauures bourgeois, qui estoit alors de soixante mil & plus, au nombre qui en fut leué: outre les bourgeois des cinq premieres classes. & si l’ordonnance du Roy Seruius fùst tousiours demeuree en sa force, apres que les Roys furent chassez, l’estat n’eust pas esté populaire: car la moindre partie

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du peuplé auoit la 3 [*]( Dionis. Halycarn. Lib. 4.) souueraineté: Mais le menu peuple tost apres se reuolta contre les riches, & voulut tenir ses estats à part, afin qu’vn chacun eust voix egale, autant le pauure que le riche, le roturier que le noble. & ne se contenta pas: car voyant que les nobles tiroiént à leur cordelle leurs adhérans, il fut dit, que la Noblesse n’assisteroit plus aux estats du mena peuple, qui fut alors diuisé en dixhuit lignees: & peu à peu par succession de temps on y adiousta iusques à trente cinq lignees: & par les menees & factions des Tribuns, la puissancé pareille qu’auoit l’assemblee des grands estats en six classes, fut attribuee aux estats du menu peuple, comme nous auons dit cy dessus. Et d’autant que les afranchis, & autres bourgeois receus par mérités, confus, & méslez par toutes les lignees du peuple Romain, estoient en plus grand nombre sans comparaison, que les naturels & anciens bourgeois, ils emportoient Ia force des voix: ce que le5 [*]( Liuius lib. 9. & Flor. Epito. 20.) Censeur Appius auoit fait pour gratifîer le menu peuple, & obtenir par ce moyen ce qu’il voudroit. Mais Fabius Maximus estant Censeur, fist enrooller tous les afranchis, & ceux qui estoient iffus d’eux en quatre lignees à part, pour conseruer les anciennes familles des bourgeois naturels en leurs droicts: & emporta le nom de Tresgrand, pour ce seul acte, qui estoit de consequence bien grande: & toutefois personne ne s’en remua. Cela continua iusques à Seruius Sulpitius Tribun du peuple, lequel trois cens ans apres [*]( Flor. Epito. 77. & 8.) voulut remettre les afranchis aux lignees des maistres qui les auoient afranchis, mais il fut tué deuant qu’en venir à chef: & tost7 [*]( Idem epito. 84.) apres cela fut executé pendant les guerres ciuiles de Marius & de Sylla: pour rendre l’estat plus populaire, & diminuer l'auctorité de la Noblesse. 8 [*]( Plutar. In Demosthene.) Demosthene s’efforça de faire le semblable en Athenes, apres la victoire de Philippe Roy de Macedoine, ayant presenté requeste au peuple, tendant afin que les afranchis & habitans d’Athenes fussent enroollez au nombre des citoyens: mais il fut débouté de sa requeste sus le champ: combien qu’il n’y eust alors que vingt mil citoyens, qui estoit de sept mil plus que du temps de 9 [*]( Plutar. In Pericle.) Pericles: qui n’en leua que treize mil, & cinq mil qui furent vendus comme esclaues, pour s’estre qualifiez citoyens. Ce que i’ay dit seruira de response à ce qu’on pourroit alleguer, qu’il n’y a point, & peut estre qu’il n’y eut onques Republique populaire, ou tout le peuple s’assemblast pour faire les loix & les Magistrats, & vsèr des marques de puissancé souueraine: ains au contraire bonne partie d’iceux ordinairement sont absens: & Ia moindre partie donne la loy: mais il suffist que la pluralité des lignées l'emporte, ores qu’il n’y eust que cinquante personnes en vne lignée, & mil en vne autre, attendu que la prerogatiue des voix est gardee à chacun, s’il y veut affister. vray est que pour obuier aux factions de ceux qui briguoient les principaux des lignees, quand on faisoit quelque loy qui portoit coup, on y adioustoit cest article, Que Ia loy-qui seroit publiee ne pourroit estre cassee, si ce n’estoit par les estats du peuple, ou il y eust
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du moins six mil bourgeois, comme on void souuent en Demosthene & aux vies des dix Orateurs. ° [*]( In Aristide.) & Plutarque dit, que l’ostracisme n’auoit point de lieu, s’il y auoit moins de six mil citoyens qui eussent consenti. Ce qui est aussi gardé parles ordonnances de3 [*]( in statutis Venet.) Venize en ce qui est de consequence, & mesmes en celles de là iustice ceste claufe y est adioustee, Qu’il ne sera aucunement derogé aux ordonnances par le grand Conseil, s’il n'y a du moins mil gentils-hommes Venitiens, & que les quatre parts, les cinq faisant le tout, ou les cinq parts, les six faisant le tout, en demeurent d’accord. ce qui est conforme à la loy des corps & Colleges où il faut que les1 [*]( I. nominationum de decur. C. I. vlt. Quot cuiusque vniuersitat.) deux tiers assîstént aux délibérations, & que la pluspart des deux tiers soit d’accord, pour donner loy au surplus: car de mil cinq cens gentils-hommes Venitiéns, ou enuiron, au dessus de vingt ans, ( car il ne se trouue point depuis cent ans qu’ils ayent esté plus qui tiennént la Seigneurie) ils ont ordonné que mil s’y trouueroiént, qui sont les deux tiers: & que du nombre de mil gentils-hômmes, huit cens pour le moins, qui sont quatre cinquiesmes, demeureront d'accord: ce qui n’est pas necessaire és corps & Colleges, où la pluspart des deux tiers l’emporte. mais il appert par ces ordonnances, que de quinze cens, il en faut huit cens pour le moins, qui est la pluspart des citoyens pris par testes, & non par lignees ou paroisses, comme il se fait és estats populaires, pour la multitude infinie de ceux qui ont part à la Seigneurie: encores le plus souuent on confondoit les suffrages des lignees, iusqu’à la loy Fusia publiee l’an de là2 [*]( Dio lib. 38.) fondation de Rome d. cx ciii. pour les reproches que les vns faisoient aux autres d’auoir consenti vne loy inique. Ainsi font les Seigneurs des ligues, & les villes d’Alemaigne, qui font plus populaires, comme Strasbourg, & par ci deuant la ville de Mets, qui estoit aussi populaire, & les treize Magistrats estoiént eleus par les paroisses, comme ils sont encores à present, & aux ligues grises par les communes. Vray est que les Cantons Duri, Schuuits, Vnderuald, Zug, Glaris, Appenzel, qui sont vrayes démocraties, & qui retiennent plus de liberté populaire, pour estre montaignars, s’assemblént pour la pluspart en lieu public, depuis l’aage de x iiii. ans, & par chacun an: outre les estats extraordinaires, & là ils elisent le Senat, & l’Aman, & autres Magistrats, & leuent la main pour donner la voix à la forme de l’ancienne chirotonie des Republiques populaires, & contraignént bien souuént leurs voisins à coups de poing de leuer la main, comme on faisoit anciennement. & encores d'auantage aux ligues des Grisons qui sont les plus populaires, & gouuernees plus populairement que Republiques qui soient. Ainsi sont ils les assemblees des communes pour elire l’Aman, qui est en chacun des petits Cantons le souuerain Magistrat: où celuy qui a esté par trois ans Aman il se leue debout, & s'excusànt au peuple demande pardon en ce qu’il auroit failli, & puis il nomme trois citoyens, desquels le peuple en choisist vn: apres on elist son lieutenant, qui est comme Chancelier, &
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treize autres conseillers, entre Iesquels y en a quatre pour le conseil secret des affaires d’estat. Et puis le Camarling thresorier de l’espargue. Et Ia différence est notable pour le gouuernement des autres Cantons de Suisses, & des Grisons: car celuy qui a gaigné deux ou trois officiers prin cipaux d’vn Canton des Suisses, qui se gouuernent par Seigneurs, il sè peut asseurer d'auoir gaigné tout le Canton: mais le peuple des Grisons ne se tient aucunement suget ny ployable aux officiers, si on ne gaigne les communes, comme i’ay veu par lettres de l’Euesque de Bayonne Ambassadeur de France. Et depuis M. de Bellieure Ambassadeur, homme bien entendu aux affaires, ayant la mesme charge, donna aduis du mois de May m. d. lxv. que l’Ambassadeur d’Espaigne auoit presque fait reuolter les ligues des Grisons, de sorte qu’en la ligue de la Cade il y auoit plus de voix pour l’Espaigne que pour la France. & depuis Ia ligue de Linguedine n’ayant pas receu les deniers promis par les Espaignols, mist la main sus les pensionnaires d’Espaigne, & les appliqua à la torture, & puis les condanna en dix mil escus d’amende: où l'Àmbassadeur de France fist si bien. que deux mois apres ils enuoyerent conioinctement auec les Cantons de Suisses vingt sept Ambassadeurs en France, pour renouueler & iurer l’alliance. Nous conclurons donc que la République est populaire, ou la pluspart des bourgeois, soit par testes, soit par lignees, ou classes, ou paroisses, ou communes, a la souueraineté. Et toutefois Aristote tient Ie2 [*]( lib. 4. Cap. 4.) contraire, Il ne faut pas, dit-il, suiure l’opinion commune, qui iugé l'estat populaire, quand la pluspart du peuple a la souueraineté. Et [*]( Opinion d’Aristote touchant l’estat populaire.) puis il baille pour exemple treize cens bourgeois en vne cité, où les mille estas les plus riches & bien aisez ont la seigneurie, & en déboutent le surplus, on ne doit pas, dit-il, estimer cest estat populaire: non plus que l'aristocratie n’est pas celle où la moindre partie des citoyens a la souueraineté, qui soient les plus pauures. Puis il conclud ainsi. L’estat populaire est auquelles pauures bourgeois ont la souueraineté: & l’aristocratie, quand les riches ont la seigneurie, soient plus ou moins en l’vne & en l’autre. Et par ce moyen Aristote renu erse l’opinion commune de tous les peuples, voire mesmes des Legislateurs & Philosophes: laquelle opinion commune a tousïours esté, est & sera maistresse en matiéré de Republiques. Combien qu’il n’y a raison veritable, ny vraisèmblable pour se departir de la commune opinion: autrement il s’en ensùiura mil absurditez intolérables & indissolubles Car on pourra dire, que la faction des dix commissaires deputez pour corriger les coustumes de Rome, qui empieterent l'estat, estoit populaire: iaçoit que tous les3 [*]( Dionysius Halycarnas. & Liuius.) historiens l’appellent Oligarchie, ores qu'ils fussent choisîs, non pour leurs biens, ains seulement pour leur prudence: & au contraire quand le peuple les chassa pour maintenir sa liberté populaire, on eust dit que la Republique fust changee en àristocratie. & s’il y a vingt mil citoyens riches qui tiennent la seigneurie, & cinq cens pauures qui en
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soient deboutez, l’estat sera aristocratique: & au contraire s’il y a cinq cens pauures gentils-hommes qui tiennent la Seigneurie, & que les riches n'y touchent point, on appellera telle Republique populaire. Ainsi parle Aristote, où il appelle les Republiques d’Apollonie, de Thera & de Colophon populaires, où bien petit nombre des anciennes familles fort pauures auoient la seigneurie sus les riches. Il passe plus outre, car il dit, que sî la pluspart du peuple ayant la souueraineté donnoit les offices aux plus beaux, ou aux plus grands, l’estat, dit-il, ne seroit pas populaire, ains aristocratique: qui est vn autre erreur en matiere d estat: attendu qu’il n’est pas question, pour iuger vn estat, de sçauoir qui à les Magistrats & offices, ains feulement qui a la souueraineté, & toute puissancé d’instituer ou destituer les officiers, & donner loy à chacun. Toutes les absurditez susdictes resultent de ce qu’Aristote a pris la forme de gouuerner, pour l’estat d’vne Republique. Or nous auons dit cy dessus en passànt, que l’estat peut estre en pure Monarchie Royale, & le gouuernement sera populaire: c’est à sçauoir, sî le Prince donne les estats, offices & benefices aux pauures aussi bien qu’aux riches, aux roturiers aussi bien qu’aux nobles, sans acception ni fauêur de personne. & se peut faire aussî que l’estat royal sera gouuerné aristocratiquement, sî le Prince donne les estats & offices à peu de nobles, ou aux plus riches seulemént, ou aux plus fauoris. Et au contraire, sî la pluspart des citoyens tient la souueraineté, & que le peuple donne les offices honorables, loyers & benefices aux nobles seulemént: comme il se fist en Rome, iusqu’à la loy Canuleia, l’estat sera populaire, gouuerné aristocratiquemént: & sî la noblesse, ou peu de riches, a la Seigneurie, & que les charges honorables, & bienfaits soient donnez par les Seigneurs aux pauures & roturiers, aussi bien comme aux riches sans faueur de personne, l'estat sera aristocratique gouuerné populairement. Si donc tout le peuple, ou la pluspart d’iceluy, a la souueraineté, & qu’il donne les estats & benefices à tous sans respect de personne: ou bien que les offices & benefices soint tirez au sort de tous les citoyens, on pourra iuger que l’estat est non seulement populaire, ains aussi gouuerné populairement: comme il fut pratiqué par l’ordonnance faite à la requeste d’Aristide, que tous citoyens fùssent retenus à tous estats, sans auoir égard aux biens, qui estoit casser la loy de Solon: & par mesme moyen sî la seigneurie des nobles, ou des plus riches seulement a part à la souueraineté, & que tous les autres soient deboutez des estats & charges honorables, on pourra dire que l’estat est non seulement aristocratique, ains aussi gouuerné aristocratiquemént, ainsî qu’on peut voir en l'estat de Venize. Peut estre on me dira, qu’il n’y a que moy de cest aduis, & que pas vn des anciens, & moins encores des nouueaux, qui ont traité de la Republique, n’a touché ceste opinion: Ie ne le veux pas nier, mais ceste distinction m’a semblé plus que necessaire, pour bien enténdre l’estat de chacune Republique: si on
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ne veut se précipiter en vn labyrinthe d’erreurs infinis, esquels nous voyons qu'Aristote tombe, prenant l’estat populaire pour aristocratique, & au contraire: contre la commune opinion, voire mesmes contre le sens commun. Or ces principes mal fondez, il est impossible de rien edifier seurement. De cest erreur pareillement est issu l’opinion de ceux qui ont forgé vne République meslee des trois, que nous auons cy dessus regetee. Nous tiendrons donc pour resolu, que l’estat d’vne Republique est tousiours simple, ores que le gouuernement soit contraire à l'estat: comme la Monarchie est du tout contraire à l'estat populaire: & neantmoins la majesté souueraine peut estre en vn seul Prince, qui gouuernera son estat populairement, comme i’ay dit, ce ne sera pas pourtant vne confusion de l'estat populaire auec la Monarchie, qui sont incompatibles: mais bien de la Monarchie auec le gouuernement populaire, qui est la plus asseuree Monarchie qui soit. nous ferons semblable iugement de l'estat aristocratique, & du gouuernemént populaire: qui est beaucoup plus ferme & asseuré, que si l'estat & le gouuernement estoient aristocratiques. Et combien que le gouuernement d’vne République soit plus ou moins populaire, ou aristocratique, ou Royal, si est-ce que l'estat en soy ne reçoit comparaison de plus ni de moins: car tousiours la souueraineté indiuisible & incommunicable est à vn seul, ou à la moindre partie de tous, ou à la pluspart: qui font les trois fortes de Republique que nous auons posees. Quant à ce que i’ay dit, que le gouuernement peut estre plus ou moins populaire, cela se peut iuger és Republiques des Suisse, ou les Cantons Duri, Schuuits, Vnderual, Zug, Glaris, Appenzel, se gouuernent par les communes qui tiennent la souueraineté: aussi de ces cinq Cantons, il n’y a pas vne ville muree, hors mis Zug. les neuf autres Cantons, & Geneue se gouuernent par les Seigneurs qu’ils appellent le Conseil, comme i’ay apris de M. de Basse-fontaine Euesque de Limoges, qui a le plus longuemént, & aussi dextrement que pas vn Ambassadeur, manié ceste charge sans reproche, & auec bien grand honneur. & mesmes les Bernois, qui composent leur Senat de gens mechaniques, elisent leurs Auoyers des plus nobles & anciennes familles, aussi sont-ils moins sugets aux emotions: & au contraire les Seigneurs des trois ligues grises, qui font les plus populaires, font plus sugets aux seditions: comme les Ambassadeurs des Princes ont tousiours experimenté. Car le vray naturel d’vn peuple, c’est d’auoir pleine liberté sans frein ny mors quelconque: & que tous soient égaux en biens, en honneurs, en peines, en loyers: sans faire estat ni estime de la noblesse, ni de sçauoir, ni de vertu quelconque: ains, comme dit Plutarque aux Symposiaques, ils veulént que tout soit getté au fort, au poids, à la liure, sans respect ni faueur de personne. & si les nobles ou les riches sè veulent preualoir, ils s’efforcent de Ies tuer, ou bannir, & departir leurs confiscations aux pauures. comme il se fist à l'establissement des estats po-
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pulaires de Suisse, apres la iournee de Saupac, où presque toute la noblesse fut exterminee, & le surplus contraint de renoncera leur noblesse, & neantmoins deboutez alors des estats & offices, horsmis à Surich & à Berne. c'est pourquoy anciennement és Republiques populaires, on demandoit que les obligations fussent bruslees ou mises au néant, comme il se faisoit bien souuent: que les biens fussent départis également, auec defenses d’acquerir. Encorës voit-on quelques seigneurs des ligues diuiser les pensions publiques & ordinaires à chacun des sugets en particulier. & qui plus a d'enfans masles, il a plus que les autres au partage des deniers. Et mesmes le Canton de Glaris fist instance à l’AmbassadeurMorlet l’an m.d.l. que les pensions particulieres & extraordinaires fussent mises en commun. le Roy fist response à l'Ambassadeur qu’il retrancheroit plustost sa libéralité. Les anciennes Republiques populaires faisoient bien pis, de bannir ceux qui estoient les plus sages & plus aduisez au maniment des affaires, comme fut Damon maistre de Pericles: & non seulemént les plus accorts, ains aussi les plus iustes & vertueux, comme fut Aristide en Athenes, Hermodore en Ephese: craignans que la lumiere de vertu de quelque grand personnage, n’ebloüist les yeux du menu peuple, & luy fist oublier la douceur de commander, & par ce moyen asseruist volontairement sa liberté au iugement & discretion d’vn homme sage & vertueux: à plus forte raison craignoient ils, que la noblesse des hommes illustres, ou la prudénce, ou la richesse fist ouuerture à l’ambition pour empieter l’estat. Au contraire, les nobles & riches ne font point d’estat du populaire, mais ils estiment que c’est: bien la raison que celuy qui a plus de noblesse ou de biens, ou de vertu, ou de sçauoir, foit plus estimé, prisé & honoré: & que les charges honorables sont deuës à telles gens, & par ce moyen ils s’efforcent tousiours de forclorre lespauures, & le menu peuple de manier l'estat. Or il est impossible de moderer ces deux humeurs contraires de mesme breuuage. Combien que Solon se 3 [*]( Plutar. In Solone.) vantoit, que s’il auoit puissance de faire loy, qu’il establiroit des ordonnânces égalés aux riches, aux pauures, aux nobles, aux roturiers. ce que les riches enténdoient de l’equalité geometrique: les pauures de l’equalité arithmétique. Nous dirons en son lieu de l’vne & l'autre equalité, & les commoditez & inconueniens de chacune des trois Republiques, maintenant il suffist de sçauoir les définitions, & qualitez des Republiques.
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