The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

[*]( Que c’est de l’estat d’vne Republique.) vis que nous auons dict de la souueraineté, & des droicts & marques d’icelle il faut voir en toute République, ceux qui tiennent la souueraineté, pour iuger quel est l'estat. comme si la souueraineté gist en vn seul Prince, nous l’appellerons Monarchie: si tout le peuple y a part, nous dirons que l'estat est populaire: s'il n'y a que la moindre partie du peuple, nous iugerons que l'estat est Aristocratique: & vserons de ces mots pour euiter à cônfusion & obscurité, qui prouient de là variété des gouuerneurs bons ou mauuais: qui ont donné occasion à1 [*]( Aristotel. in Polit. Polyb. lib. 6.) plusieurs, de mettre plus de trois sortes de Republiques, mais si ceste opinion auoit lieu, & qu’on mesurast au pied des vertus, & des vices l'estat des Republiques, il s’en trouueroit vn monde. Or il est certain, que pour auoir les vrayes diffinitions, & refolutions en toutes choses, il ne faut pas s'arrester aux accidens, qui sont innümerables, mais bien aux différences essèntielles, & formelles, autrement on pourroit tomber en vn Labyrinte infini, qui ne reçoit point de science. car on forgeroit des Republiques, non seulement pour la diuersîté des vertus & desvices, ains aussi des choses indifferentes. comme sî le monarque estoit éleu pour sa force, ou pour sa beauté, ou pour sà grandeur, ou pour sa noblesse, ou pour ses richesses, qui sont chosès indifférentes: ou bien pour estre le plus belliqueux, ou le plus paisîblê, ou le plus sage, ou le plus iuste, ou le plus magnifique, ou le plus sçauant, ou le plus sobre, ou le plus hümble, ou le plus sîmple, ou le plus chaste. ainsi de toutes les autres qualitez, on seroit vne infinité de monarchies: & en cas pareil de l'estat aristocratique, si la moindre partie du peuple tenoit la souueraineté, comme les plus riches, ou les plus nobles, ou les plus sàges, ou les plus iustes, ou les plus belliqueux: & autant des vices, ou autres qualitez indifférentes: chose qui seroit absurde: & par consequent l’opinion de laquelle reüffist vne telle absurdité doit estre regettee. [*]( La qualite ne change point la nature des choses.) Puis donc que la qualité ne change point la nature des choses, nous dirons qu’il n’y a que trois estats, ou trois sortes de Republiques, asçauoir la monarchie, l’Ari-

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stocratie, & la Démocratie, la monarchie s'appelle quand vn seul a la souuerainete, comme nous auons dit, & que le reste du peuple n'y a que voir: la Démocratie ou l’estat populaire, quând tout le peuple, ou la plus parc d'iceluy en corps a la puissance souueraine: l'Aristocratie, quând la moindre partie du peuple a la souueraineté en corps, & donne loy au reste du peuple, soit en general, soit en particulier. Tous les anciéns ont bién accordé qu’il y en auoit trois sortes pour Ie moins: les autres y en ont adiousté vne quatrième meslee des trois. [*]( Opinion des anciens, touchant l’estat des Republiques.) Platon y a bien adiousté vne quatrième,, c'est à scauoir, ou les gens de bien ont la souuerainete, qui est en propres termes la pure Aristoçratie. mais il n’a point reçeu la meslange des trois pour forme de Republique. 1 [*]( lib. 4. cap. 7.) Aristote a receu celle de Platon, & la meslânge des trois, & en fait cinq sortes. Polybe 3 [*]( lib. 6. de militari ac domest. Roma. discipl.) en a fait sept, trois louables, trois viciéuses, &; vne cômposee des trois premieres. Denys Halicarnas 4 [*]( lib. 2.) a mis outre les trois premieres, la quatrième meslee des trois: & au mesme temps Ciceron, & apres luy Thomas le More, en sa Republique, Contarin, Macciauel, & plusieurs autres ont tenu la mesme opinion: qui est bien fort, ancienne, & n’a pas pris origine de Polybe, qui toutesfois s'en donne la louange, ny d’Aristote, ains auparauant luy plus de quatre cens ans Herodote l'auoit mis en lumière, disànt que plusieurs la tenoient pour la meilleure: mais il tient qu’il n’y en a que trois, & que toutes les autres sont imparfaictes. Et n’estoit que la raison m’a forcé de tenir le contraire, peut estre que l’auctorité de si grands personnages m'eust vaincu. Il faut donc monstrer par viues raisons, que c’est vn erreur, & par les raisons mesmes, & exemples qu’ils ont mis en auant. Car ils ont mis en faict, que les Republiques des Lacedemoniens, Romains, & Venitiens estoient composees, & doucement entremeslees de la puissance royale, Aristocratique, & populaire. Or Platon ayant escrit, que la meilleure forme de Republique estoit composee de l’estat populaire, &; de la tyrannie, soudain fut releué par son disciple Aristote, disant qu’il ne s’en peut rien faire qui vaille, & qu’il est plus expedient d'en composer vne des trois ensemble. En quoy Aristote dispute contre soy-mesme: car si la meslange de deux Republiques est vicieuse, ascauoir des deux extremitez, qui font en toute autre chose le moyen, encores plus vicieuse sera la meslange de trois. Et d’autant que ceste opinion peut mouuoir de grânds troubles es republiques, & causèr de merueilleux effects, il est besoin de la bien examiner. [*]( Il faut establir loix contraires aux Republiques contraires.) Car il faut establir loix, & ordonnances contraires, pour le regard de l’estat, quand les republiques sont côntraires: comme sont la monarchie, & l’estat populaire. Et par ce que les plus sâges, & aduisez bourgeois de Florence, ayâs conceu l’opinion des anciens de la meslange des trois republiques, comme la meilleure, quand il fut arresté qu’on rendroit la seigneurie au peuple, suyuant l’aduis de Pierre Soderin, on ne vouloir pas, que le rebut du menu peuple eust part à la souueraineté: ains seulement les plus
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anciennes màisons, comme ils appelloient ceux de la premiere, & séconde ceinctüre de la ville, & des plus riches: & né furent pas d’aduisque le grand conseil de ceùx qui auroient part a la souueraineté, eust cognoissance de toutes les affaires d’estat, ains seulement de faire les loix & les officiers, & disposer des deniers de l’espargne, & que le surplus seroit manié par le conseil priué, & par les officiers, pour entremesler les trois fortes de République. Et s'il èst ainsi qu’il s’en puisse faire vne de trois ensemble, il est certain qu’elle sera du tout differente: comme nous voyons la proportion harmonique; composèe de la proportion arithmétique, & geometrique, estre du tout differénte de l’vne, & de l’autre, ainsi qu’en la mistion des choses naturelles ce qui est composé de deux simples, a vne vertu speciale, & tout autre que les simples dont il est composé. Mais la mistion des trois Republiques ensemble ne fait point d’espece differénte: veu que la puissance Royale, Aristocràtique, & populaire ensèmble, ne fait que l'estait populaire, si ce n’estoit qu’on dônnast la souueraineté pour vn iour au monarque, & que le iour ensuiuânt la moindre partie du peuple eust la seigneurie, & puis apres tout le peuple, & chacun des trois eust à son tour la souueraineté: comme les Senateurs Romains, apres la mort du Roy, auoient la puissance souueraine certains iours, & chacun en son tour, auquel cas neantmoins il n’y auroit que trois sortes de Republiques, qui ne la feroient pas longue: non plus qu’au mauuais mesnage ou la femme commande au mari en son rang, & puis les seruiteurs à l’vn & à l’autre. mais de poser la monarchie auec l’estat populaire, & auec la seigneurie, c'est chôsè impossible, & incompatible en effect, & qu’on ne sçauroit mesmes imaginer. Car si la souueraineté est chose indiuisible, comme nous auons monstré, comment pourroit elle se départir à vn Prince, & aux seigneurs, & au peuple en vn mesme temps? La premiere marque de souueraineté, est donner la loy aux sugets: & qui seront les sugets qui obéiront, s'ils ont aussi puissance de faire loy? qui sera celuy qui pourra dônnèr loy, estant côntrainct luy mesme de la receuoir de ceux ausquels il l’adonné? ainsî faut il conclure par necessité, que si pas vn en particulier n’a puissance de faire la loy, ains que ce pouuoir soit à tous ensemble, que la Republique est populaire. Si nous donnons puissance au peuple de faire les loix, & les officiers, & du surplus qu’il ne s’en messe point, il faudra neantmoins confesser que la puissance donnee aux officiers, appartient au peuplé, & qu’elle n’est baillee qu’en depost aux magistrats, que le peuple peut aussï bien destituer comme il les a instituez: tellement que l’estat sera tousiours populaire. Et pour verisîer ce que i’ay dit, prenons les exémples mesmes que Polybe, Contarin, & autres nous ont laissez. Ils disènt que l’estat des Lacedemoniens [*]( L’estat de Lacedemonne estoit simple, & non compose.) estoit composé des trois, parce qu’il y auoit deux Roys, & puis le Senat de x x v i i i. qui representoit l'Aristocratie, & les cinq Ephores, qui sîguroient l’estat populaire. Mais que respondront
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ils à Hérodote, lequel met pour exemple d’vne pure Aristocratie l'estat. des Lacedemoniens? que respondront ils à Thucydide, Xenophon, Aristote, & Plutarque? qui disent, parlant de la guerrePelopone siaque (qui dura xxj. an entre les Republiques populaires, & Aristocratiques) que le seul but des Atheniens & de leurs alliez, estoit de changer les Aristocraties en Démocraties, comme ils firent en la ville de Samos, en Corfou, & en toutes Ies autres villes qu’ils assugetirent: & au contraire, l’intention des Lacedemoniens estoit de chânger les estats populaires en seigneuries Aristocratiques, comme de faict ils executerent en toutes les villes de là Grece, apres la victoire de Lyfandre, & en la ville d’Athenes mesmés, ostant la souueraineté au peuple, & la donnant à xxx. feigneurs qu’on appella les xxx. tyrans, en la forme & maniéré des Lacedemoniens. Et aux villes des Samiens, Sicyoniens, Æginetes, Meliens, & autres villes de l’Asie mineure, ils donnèrent la souueraineté à dix sèigneurs, & vn capitaine, r'appellans les bannis, qui auoient tenu pour l'Aristocratie, & bânnissant les principaux des factions populaires. Que diront ils à 5 [*]( in oratione 3.) Maximus Tyrius, qui met pour exémple des seigneuries Aristocratiques, les Lacedemoniéns tous les premiers, puis les Thessaliens, Pelleniens, Cretois, Mantineâns? Il faudroit conuaincre de ménterie tous ces autheurs là, qui estoiént des lieux mesmes, & la plus part du temps que florissoient les Republiques des Atheniéns, & Lacedemoniéns: pour le moins ils seront plus croyables qu’vn Floréntin, vn Venitien, vn Anglois. Mais ce qui les a peut estre abusez, c'est le nom de Roys, que Lycurgue auoir laissé à deux seigneurs yssus de la maison d’Hercules, apres leur auoir osté leur puissance, & de leur gré & consentement, l’ayant donnée au peuple. Vray est qu’ils estoient ia fort ebranlez. car depuis que le Roy Aristodemus, Prince souuerain des Lacedemoniens eut laissé deux enfans, qui sùccederent ensemble à l’estat royal, (comme A mphareus, & Leucippus sus les Messeniens) estant tous deux Roys parindiuis ny l’vn, ny l’autre n’estoit Roy, & s'empeschoient souuent par ialousîe: & en fin furent depoüillez par Lycurgue, qui estoit aussî Prince dü sang, de la souueraineté, demeurânt le nom Royal en leur maison, & rien plus que les autres xxviij. sèigneurs. Et tout ainsî qu'en Athenes, & en Rome, apres que les Roys en furent chassez, on laissa le nom de Roy à quelque prestre, qu’on appelloit le Roy des sacrifices, pour faire certain sacrifice, que le Roy seul faisoit auparauant, lequel neânt moins estoit suget au grand Pontife: & ne pouuoit comme dit Plutarque, auoir aucun estat, ny magistrat: ce que pouuoiént tous les autres prestres. Ainsi fist Lycurgue aux deux Roys de Lacedemone, qui n’estoient rien que Senateurs, n’ayans que leurs voix, sans aucun pouuoir de commander: ains au contraire ils estoient contraints d’obeir aux mandemens des Ephores, qui les condemnoient souuent à l’amende, & quelquesfois à la mort, comme ils firent es Roys Agis, & Pausànias,6 [*]( Pausan. lib. 4.) demeurant la souuerainéte au peuple, qui auoit toute puis-
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sance de confirmer, ou infirmer les aduis, & arrests du Senat, aussi Thucydide regette l’erreur de ceux qui pensoient que les Roys eussent chacun deux voix. mais cent ans apres, l’estat ordonné par Lycurgue, fut changé par Polydore, & Theopompe Roys, voyant qu’il estoit difficile d’assembler le peuple, & qu’il r’enuersoit bien souuent les sàincts arrests du Senat. Ils changèrent donc l’estat populaire en sèigneurie Aristocratique, par subtil moyen d’vn oracle d'Apollon, qu’on fist seruir à, l’entreprise: par lequel oracle il estoit porté, que le Senat des xxx. auroit deflors en auant toute puissance des affaires d’estat: tellement que de Senateurs ils furent seigneurs souuerains. & pour contenter le peuple, & luy faire oublier ce qu’on luy ostoit, ils aduiserent de faire les cinq Ephores, qui estoient pris du peuple, comme Tribuns, pour empescher la tyrannie. Et de fait les Ephores de neuf en neuf ans regardoient au ciel serain, & s'ils voyoient quelque estoile sauteler, ils mettoient, dit Plutarque, leurs Roys en prison, & n’en sortoient qu’il ne fust dit par l’oracle d’Apollon. ainsi faisoit le phylacte, ou geolier, au Roy de Cumes, qu’il mettoit en prison tous les ans, & n’en sortoit point que le Senat ne l’eust ordônné: comme nous lisons aux Apophthegmes des Grecs. Or la: Republique des Lacedemoniens dura cinq cens ans, & iusques à Cleomenes, qui tua les Ephores, & osta la puissance aux xxx. seigneurs. & combien que le Roy de Macedoine Antigon ayant vaincu Cleomenes, eust mis l’estat en sa puissance, & aussi tost restabli, comme il estoit au parauant, neantmoins estant retombé xx. ans apres soubs la puissance de Nabis le tyran, qui fut tué par Philopæmen, Ia République fût vnie à l’estat des Acheans, iusques à ce que xxx. ans apres elle fut afranchie par les Romains. Voila en peu de mots la vraye histoire de l’estat des Lacedemoniens, que Plutarque 6 [*]( in Lycurgo, Lysandro, Agesilao, Cleomene.) a recueilly en fueilletant tous les registres fus les lieux, qui n’auoit du tout auparauant esté bien entendue ny de Platon, ny d'Aristote, ny de Polybe, ny de Xenophon: ce qui a donné occasion à plusieurs de s’abuser, & de penser qu'elle fust messee des trois Republiques. Ce qu’on peut cognoistre par la response que fist Nabis, premier4 [*]( Liuius lib. 34.) Tyran de Lacedemone à Q. Flaminius: Noster Legumlator Lycurgus, non in paucorum manu Rempublicam esse voluit, quem vos Senatum appellatis, nec eminere vnum aut alterum ordinem in ciuitate: sed per aequationem fortunae, ac dignitatis fore credidit, vt multi essent, qui pro patria arma ferrent. Combien qu’il vouloit couurir sa tyrannie du tout contraire à ce qu’il disoit: neantmoins il disoit la vérité de ce qu’auoit fait Lycurgue. Mais passons outre. Ils ont aussi mis pour exemple l’estat des Romains, qu’ils disent auoir esté méslé de l’estat royal, populaire, & Aristocratique: & qu'ainsî soit, dit Polybe, on voit la puissance royale és Consuls, l'Aristocratie au Senat, la Démocratie aux estats du peuple: Denys d’Halicarnas, Ciceron, Contarin, & quelques autres ont suiui ceste opinion, qui n’a point d’apparence. car premiere mést la puis-
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sance royale ne peut estre en deux, & la monarchie estant vnie en soy; ne soüffre iamais de compagnon, ou bien ce n’est plus Royaume, ny monarchie, comme nous auons monstré: [*]( L’estat de Rome estoit simple, & non pas compose.) il y auroit plus d’apparence. d’attribuer cela à vn Duc de Gennes, ou de Venise. & quelle puissance royale pouuoit estre en deux Consuls, qui n’auoient ny puissance de faire loy, ny paix, ny guerre, ny officier, ny donner grâce, ny tirer vn denier de l’espargne, ny mesmes condemner vn citoyen aux verges, s'ils n’estoient en guerre: puissance qui a tousiours esté donnée à tous capitaines en chef, qu’il fâuldroit aussi appeller Roys, & auec plus d'apparence que les Consuls, qui n’auoient que puissance l’vn apres l’autre, & pour vn an seulement. Le Connestable en ce Royaume, le premier Bascha en Turquie, le Bethudete en Æthiopie, le Degnare és Royaumes d’Afrique, ont dix fois plus de puissance que les deux Consuls ensemble, & toutesfois ils sont esclaues & sugets des princes, comme eftoient les Cônsuls seruiteurs, & sugets du peuple. Et a quel propos disent ils que les Consuls auoient auctorité Royale, veu que le moindre Tribun du peuple les mettoit en prison? comme fist Druse le Tribun, qui fist prendre au colet le consul Philippe & le getta en prison par vn sergent, pour ce qu’il l’auoit interrompu parlant au peuple. la puissance qu’ils auoyent, estoit de conduire les armees, d’assembler le senat, de receuoir, & presenter les lettres des capitaines, & des alliez au senat, de donner audience aux Ambassadeurs deuant le peuple, ou le senat, d’assembler les grands estats, & demander l’aduis au peuple, sus la création des officiers, ou publication des loix, parlant neântmoins debout, & baissant les masses, en sîgne de sugetion, deuant le peuple, qui estoit affis. & en l'absence des Consuls, le premier magistrar qui se trouuoit a Rome auoit mesme puissance. 6 [*]( Cice. in epistol. samil. ad Lentulum. Cornutus Praetor Vrbanus, quia consules aberrant, more maiorum cogit senatum.) Ioint aussi qu’ils n’auoient puissance que pour vn an. ie laisse donc ceste opinion, qui ne mérité pas d’estre regettee. Quânt au Senat, qu’ils disent auoir eu forme de puissance Aristocratique, tânt s'en faut qu’il n’y eut onques priué conseil, qui n’en eust presque dauantage. car il n’auoit aucune puissance de commander, ny aux particuliers, ny aux magistrats, & mesmes il ne sè pouuoit legitimemént assembler s'il ne plaisoit aux Consuls. tellement que Cæsar, pendant l’annee de son Consulat, n’assembla qu’vne fois ou deux le Senat, presèntant requeste au peuple, de tour ce qu’il vouloit obtenir. & n’estoit point chose nouuelle, que le Consul fist à son plaisir contre l’aduis du Senat. Car lors mesme que le Senat estoit en plus grande auctorité qu’il fut onques, nous lisons7 [*]( Liuius lib. 4.) que le Senat ayant prié les Consuls de nommer vn Dictateur, estânt la Republique en danger, les Consuls n’en voulurent rien faire: le Senat n’ayant aucun pouuoir de commander, ny mesmes aucun sergent, ny massier, qui sont les vray es marques de ceux qui ont commandement, enuoya Seruilius Priscus senateur, pour supplier les Tribuns en ceste sorte, Vos Tribuniplebis Senatus appellat, vt in tanto discrimine Reipublicae Dictatorem
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dicere Consules pro vestra potestate cogatis: Tribuni pro collegio pronuntiant, placere Consules Senatui dicto audientes esse, aut in vincula se duti iussuros. Et en autre8 [*]( Liuius lib. 27.) lieu, il est dit, que le Senat fut d’aduis, que le Consul presentast requeste au peuple, pour commander celuy qu’il vouloit estre Dictatueur: & si le Consul n’en vouloit rien faire, que le Preteur de la ville presentast la requeste, si ne is quidem vellet, Tribuniplebis: Consul negauit se populum rogaturum, Praetoremque rogare vetuit: Tribuniplebis rogarunt. ainsî voit-on cuidemment, qu’ils n’auoient pas seulement puissance de commander aux moindres magistrats, par dessus les defenses des plus grands. Et quant à ce que dit Polybe,9 [*]( lib. 6.) que le Senat auoit puissance de iuger les villes, & prouinces, & punir les coniurez contre l'estàt, il apert assèz du contraire en Tite Liue,1 [*]( lib. 26.) quand il fut question dé chastier les trahistres Capoüans, qui s'estoient alliez du capitaine Annibal apres la iournee des Cannes, vn ancien Sénateur dist en plein Senat, Per Senatum aegi de Campanis iniussu populi non video posse. & peu apres, Ut rogatio sèratur ad populum, qua Senatui potestas fiat statuendi de Campanis: & sus la requeste presentee au peuple à ceste fin, le peuple decerne sa commission, & commande au Senat de faire le procez aux Capoüans en cèste sorte, Quod Senatus maxima pars censèat, qui assident id volumus iuubemùsque. Aussi Polybe s'est abusé de dire, que le Senat ordonnoit des prouinces, & gouuernemens à son plaisîr, veu ce que dit Tite Liue lib. xxviii. Q. Fuluius poslulauit a Consule, vt palam ïn Senatu diceret, permitterétne Senatui, ut de prouinciis decerneret, staturûsque eo esset quod censuisset, an ad populum laturus: Scipio respondit, sè quod è Republica esset facturum. Tum Fuluius, a vobis peto Tribunipl. vt mihi auxilio sitis. Où l’on voit euidemment, que le Senat n’auoit aucun pouuoir que par souffrance des Tribuns, & du peuple. Or celuy qui n’a rien que par souffrance, n'a rien, comme nous auons dit cy deffus. Brief de toutes les affaires d’estat, & mesmes de tout I'aduis, & arrests du Senat, il n’y auoit rien qui eust force ny vertu, sî le peuple ne Ie commandoit, ou si Ie Tribun du peuple ne le consentoit, comme nous auons touché cy déssus, & dirons plus amplement au chap. du Senat. & n’y a doubte quelconque, que l’estat des Romains, depuis qu’on donna la chasse aux Roys, ne fust populaire, horsmis deux annees que les dix commissaires establis pour corriger les coustumes, changèrent l’estat populaire en Aristocratie, ou, pour dire plus proprement, en Oligarchie: de laquelle ils furent chassez par coniuration. I’ay dit cy dessus, que la puissance des magistrats pour grande qu’elle soit, n’est point à eux, & ne l’ont qu’en depost. Or il est certain, que le peuple au commencement elisoit ° [*]( Festus.) les Senateurs: & puis pour sè descharger de là peine, donna la commission aux Censeurs, qui estoient aussi eleus par le peuple: tellement que toute l’auctorité du Senat dependoit du peuple, qui auoit accoùstumé de confirmer, ou infirmer, ratifier ou casser à son plaisîr Ies arrests du Senat. Contarin a faict
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mesme iugement de là Republique de Venise, disànt qu'elle estoit meslee des trois Republiques, comme celle de Rome, & de Lacedemonne. [*]( L’estat de Venize est simple, & non compose.) Car, dit-il, la puissance royale est aucunement au Duc de Venise, l’Aristocratie au Senat, l'estat populaire au grand Conseil. Depuis luy Ianot a mis en lumiere le vray estat de la Republique Vénitienne, où il monstre par euidens tesmoignages, recueillis des anciens registres de Venize, que Contarin s'estoit bien fort abusé. Il monstre qu’il n’y a pas trois cens ans, auparnuant Sebastian Cyanec, Duc de Venize, que l’estat de Venize estoit vne pure monarchie, combien que Contarin dit y auoir huict: cens ans qu’elle est ainsi establieque nous la voyons: & Paul Manuce dit x i i. cens ans. mais quoy qu’il en soit, il est tout certain qu'a present c’est vne vraye seigneurie Aristocratique, car du nombre de cinquante neuf mil c c c. xlix. Vénitiens qui fut leué il y a xx. ans sans y comprendre les ieunes au dessoubs de x x. ans, & les gentils-hommes Venitiens, il ny a que quatre, ou cinq mil gentils-hommes ieunes & vieux qui ayent part à l’estat: encores les gens d’Eglise, & les ieunes au dessoubs de xx v. ans n’y ont que voir, & n’entrent point au grand consèil, sî ce n’est que par requeste les ieunes à x x. ans y soiént receus, sélon qu’on voit la discretion plus grande aux vns qu’aux autres. & ne se trouue point depuis cent ans, que le grand consèil assemblé pour decider les grandes affaires, ait passé le nombre de xv. cens, comme on peut voir en l’histoire de Sabellic, & du Cardinal Bembe, les autres estans absens. C’est donc la moindre partie des Venitiens qui a la souueraineté, & de certaines familles nobles, car tous les géntils-hommes natifs de Venise n’y sont pas receus, ains il y en a de mesme estoc, de mesme race, de mesme nom, dont les vns font Citadins, qui n’entrent point au conseil, les autres y entrent. Ie ne diray point icy la raison que chacun peut voir en Sabellic. Ce grand conseil, dit Contarin, a puissance souueraine de faire les loix, & les casser, instituer, ou destituer tous officiers: receuoir les appellations en dernier ressort: decider la paix ou la guerre: donner grâces aux condamnez. En quoy Contarin se condamne soy-mésme: car puis qu’il est ainsi qu’il dit, on ne peut nier que là souueraineté de ceste Republique là ne soit Aristocratique, quand bien le grand conseil n’auroit autre puissance, que de faire les officiers: car si les officiers ont quelque puissance, il la tiennent de la seigneurie: qui sufist pour monstrer que les dix, ny le Senat, ny les sàges, ny le Duc, auec les sîx conseillers, n’ont aucun pouuoit, que par souffrance, & tant qu’il plaist au grand conseil. Et quânt au Duc, Contarin mesmes cônfessè, qu’il n’a pas la puissance de faire appeller pérsonne par deuant luy, qui est la premiere marque de commandement, attribuee aux moindres magistrats: & ne peut rien decider soit pour les affaires d'estat, soit en iùstice, qu’en l’assemblee de sîx consèillers, ou des dix, ou des sages, ou du Senat, où des x L. iuges en ciuiI, ou criminel, ou du grand consèil: car combien qu’il a entree en tous corps, & colleges,
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si est-ce qu’il n’a que sa voix comme vn autre, & n’osèroit ouurir vne lettre, de quelque lieu qu'elle s'adresse à la seigneurie, sînon en la presence des sîx conseillers, ou des dix: & n’oseroit sortir de la ville. Et mesme le Duc Falier s'estant marié à vne femme estrangere, sans l’aduis dù conseil, fut pendu: & douze autres Ducs de Venize ont esté mis à mort abusant de leur puissance: comme on peut voir enSabellic. Mais il porte la barette precieuse, la robbe de drap d’or, il est suiui, honnoré, respecté comme vn Prince, & la monnôye porte son nom, ores que la marque de la seigneurie y soit: qui sont tous arguments qu’il est Prince: ie l’accorde, mais en effect il n’a puissance aucune, ny commandement. Et fil estoit ainsi que par les habits, & les mines apparentes on iugeast l’estat des Republiques, il ne s'en trouueroit pas vne qui ne fust meslee en la sorte qu’ils disent. L’empire d'Alemagne seroit beaucoup plus meslé que celuy des Venitiéns: car l’Empereur a bien d’autres marques, & plus seigneuriales que le Duc de Venisè: les sept Princes electeurs auec les autres Princes ont apparence d’Aristocratie ou d’Oligarchie: les Ambassàdeurs des villes Impériales, ressemblent vne Démocratie: & neantmoins il est bien certain que l’estat Impérial d’Alemagne est vne pure Aristocratie, composèe de trois ou quatre cens personnes pour le plus, comme nous auons dit cy deslus. Aussi diroiènt les Suisses, que leur estat est méslé des trois Republiques, où le conseil semble vne seigneurie Aristocratique: l’Auoyer, ou Bourguemaistre represente l’estat royal: & les assemblees generales & particulieres, l'estat populaire: & neantmoins on sçait assez que toutes leurs républiques sont ou Aristocratiques, ou populaires. [*]( L’estat de la France est simple, & pure monarchie.) On a voulu dire, & publier par escrit que l’estat de France estoit aussi composé des trôis Republiques, & que le Parlement de Paris tenoit vne forme d’Aristocratie, les trois estats tenoient la Démocratie, & le Roy representoit l’estat royal: qui est vne opinion non seulement absurde, ains aussî capitale. Car c'est crime de leze majesté de faire les sugets compagnons du Prince souuerain. Et quelle apparence y a il d’estat populaire en l’assemblee des trois estats, attendu qu’vn chacun en particulier, & tous en general ploient le genoüil deuant le Rôy, vsant d’humbles requestes, & supplications, que le Roy reçoit., ou regetté ainsi que bon luy semble? quel contrepoix de puissance populaire contre la majesté d’vn, monarque peut estre en l’assemblee des trois estats, voire de tout le peuple, s'il pouuoit estre en vn lieu, qui supplie, requiert, & reuere son Roy? tant s'en faut qüe telle assemblee diminue la puissance d’vn Prince souuerain, que par icelle sa majesté êst de beaucoup acreue & releuee. Car il ne peut estre eleué en plus hault degré d’honneur, de puissance, & de gloire, que de voir vn nombre infini de princes & grands seigneurs, vn peuple innumerable de toutes sortes, & qualitez d’hommes, sè getter à sès pieds, & faire hommage à sà majesté: veu que l’honneur, la gloire, & la puissance des princes ne gist
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qu’en l’obeissance, hommage & seruice des sugets. Si donques il n’y a aucune image de puissance populaire en l’assemblee des trois estats qui se font en ce royaume, non plus, & encores moins qu’en Espaigne & Angleterre, beaucoup moins, y aura de seigneurie Aristocratique en la cour des Pairs, ny en l'assemblee de tous les officiers du royaume, attendu mesmement que la presence du Roy fait cesser la puissance & auctorite de tous les corps & Colleges, & de tous les officiers tant en general qu’en particulier, de sorte qu’il n’y a pas vn seul Magistrat qui ait pouuoir de commander, comme nous dirons en son lieu. Et combien que le Roy seant en son sîege de iustice, Ie Châncelier s’adresse premieremént au Roy pour sçauoir ce qu’il luy plaist, lequel commande au Chancelier, qui va recueillant l’aduis & opinion des Princes du sang, & des plus grands Seigneurs, Pairs & Magistrats, si est-ce que ce n’est pas pour iuger au nombre des voix, ains pour rapporter au Roy leur aduis, si luy plaist le suiure, ou le regeter: & iaçoit que le plus souuént il fuit l’opinion du plus grand nombre, toutefois pour faire entendre que ce n’est pas pour leur regard, le Châncelier prononçant l’arrest ne dit pas le Conseil, ou la Cour dit, ains le Roy vous dit. aussi voyons nous que la Cour de Parlement ecriuant au Roy, garde encores à present l’ancien stile, qui est tel en l’inscription des lettres, [*]( Forme que les cours de parlement tiennent escriuant au Roy.) Avroy nostre sovverain seignevr: & au commencemént des lettres, Nostre souuerain Seigneur, tant & si treshumblement que pouuons à vostre bonne grâce nous recommandons. & la soubscription au plus bas endroit que faire se peut: Vos tres-humbles & tres-obeissans sugets & seruiteurs, les gens tenans vostre Cour de Parlement, qui n’est pas la forme de parler des seigneurs Aristocratiques, ny de compaignons en puissance, mais bien de vrais & humbles sugets. Et d’autant que i’ay touché ce poinct ci dessus, ie le passeray plus legerement. C’est donc vne pure Monarchie, qui n’est point meslee de puissance populaire, & moins encores de seigneurie Aristocratique: & telle meslange est du tout impossible, & incompatible. Et dé fait Aristote examinant ceste opinion de plus pres, au liure 1111. chapitre viii. de la République, dit bien qu’on appelloit GREEK TEXT c’est à dire Republique, celle qui est composee d’Aristocratie & Démocratie: mais il ne dit point comment cela se peut faire, & n’en donne point d’exemple: ains au contraire au chapitre dixiesme du mesme liure, il confesse qu’il n’y en auoit point de son temps, & qu’il n’en auoit point trouué au parauant, quoy qu’il eust recueilli, comme on dit, cent Republiques en vn liure, qui s’est perdu. Il est bien vray qu’il dit, que la Republique de Platon n’estoit ni Aristocratique, ni populaire, ains vne tierce espece composee des deux, qu’il appelle, comme i’ay dit, du nom de Republique. Et d’autant qu’Aristote n’a iamais raporté les vrayes opinions de Platon, ains au contraire qu’illes a tousiours desguisees, comme les anciens Académiques ont tresbien remarqué: & mesmement où il re
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gette sa Republique, au dire duquel plusieurs s’apuyans, ont esté bien fort abusez. ie mettray en trois mots la vraye opinion de Platon, qui mérité bien d’estre cogneue pour entendre la question où nous sommes, ioint aussique les vns l'appellent diuine, les autres la foulent aux pieds, deuant que l'alloit leue. [*]( Republique de Platon simple & non composee.) Platon fait deux Republiques: la premiere qu’il attribue à Socrate, qui ne pensa iamais, comme dit Xenophon, à ce que Platon luy fait dire: & en ceste-ci, il oste ces deux mots, Mien, & Tien, comme la source de tout mal, & veut que tous les biens, femmes & enfans soient communs. mais voyant que chacun la blasmoit, il s'en départit taisiblement, comme s’il eust plustost escrit pour en discourir que pour la mettre en effect. La séconde Republique, est celle qu’on attribue à Platon, qui oste la communauté des biens, des femmes & enfans: & au surplus les deux Republiques sont semblables. car en l'vne & l’autre il ne veut pas qu’il y ait plus de cinq mil & quarante citoyens, nombre par luy choisï, pour auoir cinquante & neuf parties entieres: & en fait trois estats, c’est à scauoir les gardes, les gendarmes, & Ies laboureurs. & puis il fait trois classes de citoyens, qui ne sont point égaux en biens: & quant à la souueraineté, il attribue à toute l’assemblee du peuple: car il donne la puissance à tout le peuple de faire la loy, & la casser: qui suffist pour iuger que l’estat est populaire, quând il n’y auroit autre chose. il passe plus outre, & donne à toute l'assemblée du peuple puissance d’instituer & destituer tous officiers. & non content de cela, il veut aussi que le peuple ait toute puissance de iuger tous les procès criminels, attendu, dit-il, que tout le peuple y a interest. Brief il donne au peuple la puissance de la vie & de la mort, de condamner, & ottroyer graces. qui sont tous argumens euidens d’vn estat populaire. car il n’y a point de Magistrat souuerain qui represente l’estat Royal, & aussi peu de forme Aristocratique. car il veut que le Senat, ou le conseil des affaires d’estat, qu’il appelle gardes, soit composé de quatre cens bourgeois, eleus au plaisîr du peuple. qui monstre euidemmént que la Republique de Platon est la plus populaire qui fut onques, voire plus que celle de son païs mesmes d’Athenes, qu’on dit auoir esté la plus populaire du monde. Ie laisse sèpt cens vingt six loix qu’il a couchees par escrit, pour le gouuernement de sa Republique: car il me suffist d’auoir monstré touchant l’estat qu’Aristote, Ciceron, Contarin, & plusieurs autres se sont mespris, d'auoir posé que la Republique de Platon fust temperee & composee des trois, ou du moins de la seigneurie Aristocratique, & de l’estat populaire. Nous conclurons donc, qu’il n’y a point, & ne se trouua onques Republique composee d’Aristocratie, & de l’estat populaire, & beaucoup moins des trois Republiques: ains qu’il n'y a que trois sortes de Republique, comme dit Herodote le premier, & encores mieux2 [*]( lib. 4.) Tacite, Cunctas nationes, dit-il, & vrbes populus aut primons, aut sînguli regunt. Mais dira quelqu’vn, ne se peut-il faire
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qu’il y ait vne Republique où le peuple face les officiers, & dispose des deniers, & donne les grâces, qui sont trois marques de souueraineté: & la Noblesse face les loix, ordonne de là paix, & de la guerre, & des impositions, & des tailles, qui sont aussi marques de souueraineté: [*]( Il est impossible de composer vne Republique meslee des trois.) & outre cela qu’il y ait vn Magistrat royal par dessus tous, à qui tout le peuple en general, & chacun en particulier rende la foy & hommage lige, & qu’il iugé en dernier ressort, sans aucun moyen d’appellet, ni de presenter reqùeste ciuile: qui seroit diuiser les droits & marques de souueraineté, & composer vne Republique aristocratique, royale & populaire tout ensemble. Ie respons, qu’il ne s’en est iamais trouué, & qu’il ne se peut faire, ni mesmes imaginer, attendu que les marques de souueraineté sont indiuisibles. car celuy qui aura puissance de dônner loy à tous, c’est à dire commander ou defendre ce qu’il voudra, sans qu’on en puise appeller, ni mesmes s’opposer à ses mandemens: il défendra aux autres de faire ni paix ni guerre, ni leuer tailles, ni rendre la foy & hommage sans son congé: & celuy à qui sera deu la foy & hommage lige, obligera la Noblesse & le peuple de ne prester obeissance à autre qu'a luy: tellemént qu’il faudra tousiours venir aux armes, iusques à ce que la souueraineté demeure à vn Prince, ou à la moindre partie du peuple, ou à tout le peuple. Pour exémple, on peut voir que depuis Christierne ayeul de Federic Roy de Dannemarch, qui regne à present, la Noblesse a voulu assugetir les Roys: & de fait ayant conspiré contre le Roy le chasserent de son estat, pour en saisir son cousîn, à la charge qu’il ne feroit ni paix ni guerre sans congé du Senat, & n'auroit aucun pouuoir de condamner les gentils-hommes à mort, & plusieurs autres articles semblables que ie mettray en son lieu: que les Roys depuis ce temps là ont iuré garder. & afin qu’ils n'y contreuiennent, la Noblesse ne veut pas qu’il face la paix, & si a fait ligue auec le Roy de Poloigne, & ceux de Lubec cotre le Roy, pour la tuition de la liberté: de sorte que Ie Roy de Dannemarch & sa Noblesse ont partagé la souueraineté. mais aussi peut-on dire que ceste Republique là n’a point eu de repos asseuré: & c’est plus tost vne corruption de Republique, qu’vne Republique. ainsi disoit Herodote, qu’il n’y a que trois sortes de Republique, & que les autres sont corruptions de Republique, qui ne cessent d’estre agitees des vents de seditiôns ciuiles, iusques à ce que la souueraineté soit du tout aux vns ou aux autres. Encores peut-on dire, qu’en l’estat des Romains la moindre partie du peuple choisie des plus riches, faisoit les loix, les plus grânds Magistrats, à scauoir les Consuls, Preteurs, Censeurs, & auoit puissance souueraine de là vie & de la mort, & disposoit du fait de là guerre: & la plus part de tout le peuple faisoit les moindres Magistrats, à sçauoir les dix Tribuns du peuplc, les xx iiii. Tribuns militaires, les deux Ædiles, ou Escheuins, les thresoriers, les officiers du guet & des monnoyes, & donnoit tous les benefices vacans: en outre la plus part du peuple iu-
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geoit deuant Sulla les grands procès criminels, s’il n’y alloit de la mort naturelle ou ciuile. Et par ce moyen la Republique estoit composee de Seigneurie Aristocratique & de l’estat populaire, que les anciens appelloient proprement Republique. Ie respons, qu’il y a bien quelque apparence, mais neantmoins en effect c’estoit vn vray estat populaire. [*]( Les grans estats & menus estats du peuple.) Car combien que les grans estats du peuple fussent départis en six classes, sélon les biens d’vn chacun, & que les hommes de cheual, & la plus part des Senateurs, & de là Noblesse, & des plus riches de tout le peuple fussent de la premiere classe, laquelle demeurant d’accord, la loy estoit publiee, & les grans Magistrats reçeus à faire serment: neantmoins les cinq classes qui restoient auoient dix fois plus de citoyens, cela est bien vray: mais au cas que toutes les Centuries de la premiere classe ne fussent d’accord, on venoit à la seconde classe, & iusques à la sixiesme & derniere classe, oû estoit le rebut du peuple. vray est qu’il n’auenoit pas sou uent, mais il suffist que tout le peuple y auoit part. pour declarer que l’estat estoit populaire, ores que les riches & les Nobles y fùssent les premiers appeliez. & neantmoins le menu peuple, c’est à dire la plus grand partie du peuple, sans y comprendre la Noblesse, se voyant aucun ement frustré des sufrages, apres que les Roys furent chassez, en moins de vingt ou trénte ans fist tant de seditions, qu’il emporta pouuoir de donner loy, & decider la paix & la guerre, homologuer ou casser tout ce qui estoit auisé par le Senat, comme nous auons dit ci dessus: & fist vne ordonnance, que la Noblesse n’assisteroit point aux assemblées du menu peuple. qui est vn argument trescertain, que la Republique estoit des plus populaires. car depuis que le menu peuple eut gaigné cest auantage de pouuoir donner loy, les grans estats ne sirent pas vne douzaine de loix en quatre ou cinq cens ans. Toutefois on peut dire, qu’il ne s’enfuit pas qu’il n’y ait que trois sortes de Republiques, ores qu’elles ne puissent estre meslees. Car il se peut faire que de soixante mil citoyens quarânte mil auront part à la souueraineté, vingt mil en seront exclus: & au contraire il se peut faire, que de soixante mil, cent ou deux cens auront la souueraineté: ou bien vingt neuf mil, qui sera la moindre partie du peuple. or il y a notable difference, si cent hommes tiennént la seigneurie, ou vingt neuf mil: & de quarante mil à soixante mil. Ie respons, que la quantité du plus ou moins n’est pas considerable, pourueu qu’il y ait plus ou moins de la moitié: autrement si cela tiroit apres soy diuersité de Républiques, il y en auroit vn milion, voire vne infinité: car ie nombre de ceux qui auroient part à l’estat, croissant ou diminuant, seroit la diuersîté infinie. or l’infinité doit tousiours estre regetee de toute science & doctrine. Les autres difficultez qui se peuuent mouuoir pour la nature de chacune Republique, seront esclaircies par ci apres. Il y a encores vn argument, qu’on peut faire en la question où nous sommes: c'est à scauoir, que la Republique des Romains, soubs l’Empire d’Auguste,
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& long temps apres fut appellee Principauté: qui est vne sorte de Republique, dont iamais Herodote, ni Platon, ni Aristote, ni Polybe mesmes, qui en a fait sept, n’ont fait mention. Nous lisons en2 [*]( In Caligula.) Suetone, que l’Empereur Caligula voyant plusieurs Roys à fa table entrer en termes d’honneur, & de l’ancienneté de leurs maisons, dit tout haut le vers 3 [*]( Iliad. 2. GREEK TEXT.) d’Homere duquel vsa Agamemnon contre Achilles, qui se vouloit esgaler & paragonner à luy, Il ne faut, dit-il, qu’vn Roy: & à peu, dit Suetone, qu’il ne print le diadesme, & qu’il ne changeast la forme de Principauté Romaine en Royaume. Or Principauté n’est autre chose, que l’estat populaire ou aristocratique, qui a vn chef qui commande à tous en particulier, & n’est que premier en nom collectif. car Ie mot de Princeps ne signifie autre chose que le premier, parlant proprement. Ainsi se plaignoit le peuple de Iudee, qu’Aristobulus premier de la maison des Asmoneans auoit changé la formé de Principauté, qui estoit Aristocratique, en double royaume, prenant le diadesme, & enuoyant vn autre à son frere. Nous trouuons le semblable des anciènnes villes de la Toscane, qui traitèrent alliance auec Tarquin le Prisque Roy des Romains, à la charge qu’il n’auroit sur eux puissance de là vie ni de la mort, & qu’il ne pourroit mettre garnisons en leurs villes, ni tailles, ni changer rien qui fust de leurs coustumes & loix: sed vt ciuitatum principatus penes regem Romanum esset: ainsi parle Florus. où il appert euidemment, que le roy des Romains n'auoit puissance aucune sur les villes de la Toscane, sinon qu’il estoit le premier aux estats. Ie respons, qu’il y a en plusieurs Republiques Aristocratiques, & populaires, vn Magistrat qui est le premier de tous en dignité, en honneur & auctorité: comme l’Empereur en Alemaigne, le Duc à Venize, & anciennement en Athenes l’Archon, ce qui ne change point l’estat. mais en apparence les Empereurs Romains ne s'appelloient que Magistrats, Capitaines en chef, Tribuns, les premiers du peuple: & de droict ils n'estoient rien autre chose, iaçoit qu’en effect plusieurs tranchoiént des Monarques souuerains, & la pluspart cruels tyrans. aussi auoient-ils les armes & forteresses en leur puissance: & en matiere d’estat, qui est maistre de la force, il est maistre des hommes, & des loix, & de toute la republique. mais en termes de droit il ne faut pas, disoit Papinian, auoir égard à ce qu’on fàit à Rome, mais bien à ce qu’on doit faire. Il appert donc que la Principauté n’est rien autre chose qu'vne Aristocratie ou Démocratie ayant quelqu’vn pour president, ou premier, & neantmoins tenu de ceux qui ont la souueraineté.
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