The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

ESTE question merite vn chapitre separé, d’autant qu’elle n’a rien de commun auec les anciennes marques de souueraineté, qui eftoient auparauant le droit des fiefs, vsitez par toute l’Europe, & l’Asie, & plus encores en Turquie qu’en lieu du monde : car les Timariots en Turquie ne tiennent les fiefs qu’ils ont, pour seruir en guerre, que tant qu’il plaist au Roy des Turcs, qui ne les donne pour le plus qu’à vie. iaçoit qu’on baille aux Timariots plusieurs censiers, auec le papier terrier de tous Ies debuoirs, & rentes du fief, qu’ils appellent Timar, c’est à dire en leur langue, vsufruict. peut estre que le mot vient du Grec T GREEK TEXT & Timar signifieroit honnorable vsufruict, qui est la vraye nature[*](cap. I. de iis qui feudum dare possunt.) du fies, exempt de charges roturieres. & pour ceste cause le vassal, és anciennes loix des Lombars, s'appelle Leude,qui veut dire franc, & Aldius, ou Aldia affranchi: d’où le mot Alaudium est tiré, & laudimia, qui font les lods & droits deuz au seigneur, pour l’acquest du franc fief: Nous auons dit cy deuant que celuy est absolument souuerain, qui ne tient rien, apres Dieu, que de l’espee. S’il tient d’autruy, il n’est plus souuerain, comme dit vn Poete, Esse sat est seruum, iam nolo vicarius[*](quia serui ordinarij vicarios habebant & iis imperabant.) esse: Qui Rex est, Regem Maxime non habeat. Si donc ceux qui tiennent en foy & hommage ne sont pas souuerains: il n’y aura quasi point de Prince souuerain. Et si nous accordons que ceux qui tiennent en foy & hommage, ou qui

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ou qui font tributaires, soient souuerains, il faudra confesser par mesme suitte de raisons, que le vassal, & le seigneur: le maistre, & le seruiteur: font egaux en grandeur, en puissance, en autorité. Et toutesfois les docteurs[*](Castrens. consil. 196.lib.2.Decius consil.191.nu.I. Curt.iunior. consil.I. nu.29. & 30.& consil.61.nu. 8.Paris consil. I. nu. 25.lib.I. Bossius titul. de crimine maiestat. nu.52. & in tit. de regal. nu.52. & in tit. de regal. nu. 5. de Ducib. Mediolani, Sabaudiæ.Ferrariæ.Socin. consil. 4. lib. 3. Iaso consil.227. Cacherran. decis. pede montan.nu.I.) en loix ont tenu que les Ducs de Milan, Mantoüe, Ferrare, Sauoye, & mesmes iusques aux[*](Brunus de comitatu Astensi post Bart. Bald.Angel.Castren. Imol. Isernium Cumanum, Alexandrum, Barbatiam.) Contes font fouuerains. qui contrarie bien fort à la maxime que nous auons posee. Parquoy il est besoin d'esclarcir, ceste question, qui tire apres soy le poinct principal de la souueraineté, & la prerogatiue d’honneur entre les princes, qui n'estiment rien plus à cher en ce monde. Or nous auons monstré au chapitre de la protection, que les princes qui font en protection, s'il n’y a autre sugetion, retiennent la souueraineté : ores qu’ils ayent traicté alliance inegale, par laquelle ils sont tenus recognoistre leurs protecteurs en tout honneur. Mais il y a bien difference entre ceux qui font en protection simplement, & ceux qui tiennent en foy, & hommage. Quand ie di foy & hommage, i’entens le serment de fidelité, la submission, le seruice, & debuoir du vassal enuers le seigneur. Nous ferons donc six degrez des moindres aux plus grands, outre celuy qui est absoluëment souuerain, & qui ne tient de [*](Six degrez de sugetion.) Prince, ny de seigneur, ny de protecteur. Le premier est le Prince tributaire, qui est moindre au traitté, que celuy auquel il doit tribut: & neantmoins il retient tout droit de souueraineté, sans autre submission à celuy auquel le tribut est payé. Et combien qu’il semble estre plus greué, que celuy qui est en protection, si est-ce qu’en effect il est plus grand: car en payant le tribut qu'il a promis pour auoir la paix, il est quitte, & n’a que faire d’autruy pour defendre son estat. Le second est le Prince qui est en protection qui est moindre que le protecteur, comme nous auons dict, & que le Prince tributaire : d’autant qu’il ne se peut guarentir de l’inuasion de ses ennemis, fans l'ayde, & protection, & se met soubs le bouclier d’autruy. Le trosiesme est le Prince souuerain d’vn pays, & hors protection: & neantmoins vassal d’vn autre Prince pour quelque fief: pour lequel il doibt l’honneur, & seruice porté par son adueu. Le quatriesme est le vassal simple, qui doibt la foy, & hommage du fief qu’il tient, & n’est point Prince souuerain d’autre seigneurie, ny suget de celuy duquel il tient le fief. Le cinquiesme est le vassal lige d’vn Prince souuerain, duquel il n’est point suget naturel. Le sixiesme est le suget naturel, soit vassal, ou censier, ou bien ayant terres feudales, ou roturieres, ou en franc aleu, qu’il tient de son Prince souuerain & naturel seigneur, ou recognoist sa iurisdiction: ou qui n’a ny feu, ny lieu, & neantmoins est iusticiable & suget de son Prince, au pays duquel il est natif. I’ay faict ceste distinction, pour oster la confusion que plusieurs font du suget, auec le vassal: & du vassal simple, auec l'homme lige: & tiennentque l'homme lige doibt toute obeissance au seigneur enuers, & contre tous : & que le (impie vassal reserue le superieur: & neantmoins il n’y a que le suget qui doibt obeissance. Car le vassal soit lige, ou sim-
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ple, s'il n’est suget, ne doibt que le seruice, & hommage porte par son inuestiture: & s’en peut exempter en quittant le fief sans fraude. mais le suget naturel, qui tient en fief, ou en censiue, ou en franc aleud, ou qui n’a rien du tout, ne se peut exempter de la puissance de son prince sans son vouloir, & consentement, ainsi que nous auons monstré au chapitre du citoyen. Le simple vassal, ne doibt prester le serment à son seigneur qu'vne fois en sa vie: encores il y a tel vassal, qui n'est iamais tenu à prester serment. car le fief peut estre[*](tit. 24.§.I.quæ fuit prima causa feudi amitt. inagister.in regalib.decis.13.) fans obligation de faire la foy : quoy que die M. Charles du Moulin: [*](glo.4.§. 2.nu.29. in feud.) mais le suget quel qu’il soit, est toufiours tenu de prester le serment, toutesfois[*](titul.qualiter iurare debeat.cap.15.) & quantes qu’il plaira à son Prince souuerain, ores qu’il ne fust ny vassal, ny censier, & qu’il ne tint rien en franc aleud, ou qu’il fust Euesque[*](Magister in regal. decis.I. & 13.Moli.titul. de feud.§.46.q.I. & 2.) sans aucun temporel. Quant à l’homme lige, il n’est pas requis qu’il soit suget du seigneur duquel il tient: & se peut faire qu’il fera prince souuerain, tenant quelque seigneurie d’autruy en foy & hommage lige. il se peut faire aussi qu’il fera suget naturel d’vn prince, & homme lige d’vn autre, à cause du fief, ou bien vassal simple d’vn seigneur, sans estre suget, & homme lige d’vn autre, & naturel suget d’vn autre duquel il fera iusticiable, & ne tiendra ny fief, ny cens de luy. Car le vassal du vassal, n’est pas pourtant ny vassal, ny suget du mesme seigneur: si ce n'estoit pour le regard du mesme[*](Isern in cap.imperi aleni. §. illud. de prohibita feudi ali. Bartol.in l. claudius. qui potiores. Guido decis.delphi.551.) fief. Mais il est besoin d’exemples, pour esclaircir ce que i’ay dit : Nous trouuons que les Roys d’Angleterre, ont rendu la foy & hommage lige aux Roys de France, pour tous les pays qu’ils tenoient pardeca la mer [*](Roys d’Angleter re anciens vassaux des Roys de France.)horsmis les Contez d’Oye, & de Guynes. Et neantmoins ils tenoient les Royaumes d’Angleterre & d’Hibernie en souueraineté, fans recognoistre prince quelconque. Depuis l’an M. CCXII. ils se constituerent vassaux du Pape & de l’Eglise Romaine: & non feulement vassaux, ains aussi tributaires: outre le don annuel d’vn sterlin pour feu, ottroyé anciennement par Inas Roy d’Angleterre, l’an D.CCXL. & augmenté par Etelphe, qu’on appelloit les deniers sainct Pierre. car il se trouue que Iean Roy d’Angleterre, du consentement; de tous les Contes, Barons, & Seigneurs du pays, se constitua vassal du Pape, & de l'Eglise Romaine: & aduoüa tenir en foy & hommage les royaumes d’Angleterre & d’Hibernie: à la charge d’en payer de cens, & rente annuelle, & perpetuelle, mille marcs de sterlins au iour Sainct Michel, outre le denier Sainct Pierre que i’ay dit: & en rendit la foy, & hommage au Legat du Pape Innocent III. l'an M. CCXIII. en presence de son Chancelier, de l'Archeuesque de Canturberi, de quatre Euesques, de six Contes, & de plusieurs autres seigneurs: la Bulle en fut expediee, en forme authentique, dont i’ay veu la copie en vn registre du Vatican extraict par mandement du Chancelier du Prat, lors qu’il eftoit Legat. Et combien que Thomas le More Chancelier d’Angleterre fut
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luy persuada de prendre le tiltre d’Empereur, que estoit alors propre aux princes de Constantinoble. Apres la mort de Charlemaigne, ceux qui auoient credit a Rome, se faisoient eslire Papes par le Clerge, soit pour la defiance qu’ils auoient de n’obtenir pas ceste dignite des Roys de France, n’ayant point de faueurs en Cour: soit pour la negligence des Roys de France, qui ne s’en donnoient pas grand souci: soit pour les guerres ciuiles, qui suruindrent entre les enfans de Loys Debonnaire. Toutesfois on peut voir en Guitard, qui viuoit de ce temps la, que trois Papes successiuement sont venus en France, pour s’excuser a Loys Debonnaire, qu’ils auoient este contraints par le Clerge de Rome d’accepter la dignite Papale, le supplians de l’auoir pour aggreable: ce qu’il fist craignant irriter le Clerge, qui auoit tel credit, qu’en fin ils contraignirent de quitter la couronne, & se faire moyne, & sa femme nonain vn an entier. Mais depuis la mort de Loys Debonnaire, qui estoit Empereur de France, d’Allemaigne, & de la puspart d’Italie, & d’Espagne, l’Empire fut diuise en trois royaumes, que Charles le chauue, Lothaire, & Loys freres tenoient chacun en tiltre de souuerainete, sans recognoistre l’vn l’autre, & que les enfans de Lothaire subdiuiserent la part de leur pere en trois royaumes, c’est a scauoir le Royaume de Lorraine, le Royaume d’Arles, & le Royaume d’Itlaie, la puissance des Papes s’accreut bien fort, succedans par voye d’election, & ne recognoissans pas la maieste des Roys de France, comme ils deuoient: ce qui aduint principalement au temps du Pape Nicolas premier, qui s’entendoit mieux au maniement des affaires d’estat, que ses predecesseurs: & qui fut le premier qui vsa rigoreusement enuers les Princes de l’interdiction, ayant excommunie Lothaire frere de Loys Roy d’Italie. Ioint aussi, que la succession des trois enfans de Lothaire, qui moururent sans hoirs legitimes, estant diuisee entre leurs oncles Charles [*](Accroissement de la puissance dos Papes.), & Loys, l’Italie escheut a Loys Roy d’Alemagne, qui gouuernoit l’Italie par lieutenans, & vicaires, qui n’auoient pas grande puissance de resister aux Papes. & que Guischard le Normand, qui conquesta le royaume de Naples & deSicile, tenoit la main aux Papes, iusques a ce que ses successeurs mourans sans masles, Iaisserent l’estat de Naples, & de Sicile a vne fille qui fut marice a Frideric II. Roy d’Alemagne, lequel venu en Italie, voulut faire Pape l’vn de ses fauoris: & le Clerge d’autre coste eslisoit qui bon luy sembloit: & celuy qui estoit esleu du Clerge venoit en France, pour s’appuyer de la grandeur de nos Roys, qui le maintenoient, soit pour la reuerence des Papes esleus canoniquement: soit pour affoiblir la puissance des Empereurs: de sorte que Frideric II. estant excommunie du Pape, & voiant vne rebellion ouuerte des sugets contre vn prince excommunie, se retira en Alemagne apres auoir eu absolution de Pape Innocent, en quittant le droit d’election: & laissant les royaumes de Naples, & de Sicile a Manfroy son bastard,
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lequel fut aussi excommunie du Pape Vrban, qui appella Charles de France Duc d’Anjou frere de Loys IX. & l’inuestit de ces deux royaumes, reseruant le Conte de Beneuent, & la foy, & hommage, ressort & souuerainete du surplus: & huict mil onces d’or de cens feudal annuel, & perpetuel, comme nous auons dit cy dessus. Depuis lequel temps, la maison d’Arragon, qui succedoit a Manfroy par droit de proximite, ayant tousiours querelle auec la maison d’Anjoy, trouua moyen de gaigner la faueur des Papes, & se constituer leurs vassaux, non seulement pour les royaumes de Naples, & de Sicile, ains aussi pour les royaumes d’Arragon, Sardine, Corsegue, Mallorque, Minorque, comme i’ay dit. de sorte que les Papes accroissoient leur puissance de la querelle de ces deux maisons: iouissans paisiblement de la Romandiole, de partie de la Toscane, & du Duche d’Vrbin en vertu de la donation que i’ay dit: & de la souuerainete de la ville de Rome, qu’ils auoient peu a peu assugettie, iacoit que Charlemagne auoit expressement voulu qu’elle demourast en plaine liberte, auec puissance aux habitans de gouuerner leur estat: comme dit Augustin Onophre chambrier du Pape, auoir leu aux registres du Vaticam, lesquels ie n’ay pas tous veus. Mais il est bien certain que s’il y auoit quelque Prince souuerain, qui fust tyran, ou heretique, ou qui eust fait quelque meschancete notable, le Pape l’excommunioit, qui estoit la seule occasion de faire reuolter les sugets, & armer les autres princes contre celuy qui estoit excommunie: & n’y auoit moyen de r’entrer en grace, sinon en se constituant feudataire de l’Eglise de Rome, & vassal du Pape. Comme i’ay dit de Iean Roy d’Angleterre, qui se fist vassal d’Innocent III. pour le meurtre commis en la personne du ieune Artus Duc de Bretagne: & augmenterent aussi le cens feudal d’Angleterre, pour le meurtre commis par commandement du Roy d’Angleterre, en la personne de Thomas Archeuesque de Canturberi: comme il aduint en cassemblable pour le meurtre commis en la personne de Stanilaus Archeuesque de Gnesne, le Pape excommunia le Roy, & osta le tiltre royal aux Roys de Pologne, enioignant aux sugets, comme quelques vns ont escrit, de tondre leur cheueux a la forme qu’on les voit: de sorte que les Polonnois n’ont eu que des Ducs, iusques a ce qu’il pleust au Pape leuer les deffense, du temps de Lacolde Duc de Pologne, qui receut la couronne Royale du Pape Jean XXII. auec promesse de rendre certain tribut qui se paye encores a present pour la lampe sainct Pierre: comme nous lison en leurs [*](Thomas Cromer. Roys feudataires des Papes.) histoires: de sorte que les Roys d’Angleterre, d’Arragon, de Naples, de Sicile, de Hierusalem, de Pologne, de Sardine, de Corsegue, des Canaries, estoient feudataires des Papes, ou tributaires, ou l’vn & l’autre ensemble. Ils ont aussi pretendu la souuerainete du royaume d’Hongrie leur appartenir. & de faict il est compris au catalogue de la Chancellerie de Rome. & mesme i’ay veu
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au registre du Vatican vn acte date d l’an M.CCXXIX. parlequel Lancelot Roy d’Hongrie promet obeissance au Pape Benoist XII. & recognoist qu’il doibt prendrela couronne de ses mains: & par vn autre acte Lancelot II. Roy d’Hongrie, pour la desobeissance par luy commise au Legat du Pape, & pour en auoir absolution, il soblige de payer a la chambre du Pape par chacun an cent marcs d’argent. l’bligation est de l’an M.CCVIII. par lequel on peut voir, que les Barons de Hongrie s’opposerent au Legat du Pape, qui disoit que saint Estienne premier Roy d’Hongrie auoit pris la couronne du Pape, & qu’ils n’endureroient pas que le Pape eust telle prerogatiue sur eux: toutesfois qu’ils n’empescheroient pas aussi, que le Roy par eux eleu, ne se fist couronner au Pape si bon luy sembloit: & a la fin de l’acte, il y a plusieurs edits faits par le Legat du Pape, touchant l’estat d’Hongrie, auec deffenses aux Roys d’Hongrie d’aliener le domaine de la couronne: qui semble auoir este la cause de faire citer a Rome Andre Roy d’Hongrie, pour auoir aliene le domaine & mesme Innocent III. au chapitre licet de voto , enioint expressement au Roy d’Hongrie d’executer le voeu que son feu pere auoit fait, sur peine d’estre priue de la couronne, qu’il promet donner au puisne en cas de contrauention. ce qu’on ne doibt pas trouuer estrange de ce temps la, veu qu’au mesme temps nous voyons les defenses faites par le Pape aux ontes de Toulouze, & inserees aux decretales [*](cap. super quibusdam de verb. signi.), de leuer nouuelles charges sur ses sugets. Nous trouuons aussi que Godfroy de Bouillon ayant conqueste le royaume de Herusalem [*](Le grand maistre de l’ordre S. Iean Feudaire du Roy d’Espaigne & du Pape.), & de Surie, aduoua le tenir du Pape en soy & hommage. aussi est il compris au catalogue des Roys feudataires de l’Eglise de Rome. Et quant aux grands maistres de l’ordre S. Jean de Hierusalem, qui estoit compose d’huit peuples de diuerse langue, ils en ont tousiours este inuestis par le Pape, & en font encores la foy * hommage aux Papes, de la puissance souueraine qu’ils ont sur les cheualiers de son ordre: iacoit qu’ils fissent hommage a Charles V. Empereur de Tripoli en Barbarie, auparauant qu’elle fust en la sugetion du Turc, & qu’ils facent encores a present la foy & hommage de I’sle de Malte au Roy Catholique, qui leur a este baillee a ceste charge. Et quant au royaume de Nauarre, le Pape Iules II. apres auoir interdit Pierre d’Albret, comme allie du Roy de France Loys XII qui estoit aussi excommunie, le donna au premier qui le pourroit conquerir, a la charge toutesfois de le tenir en foy & hommage de l’Eglise de Rome. Et mesme depuis peu d’annees le Pape Pius V. en voulut faire autant a Ieanne d’Albret Royne de Nauarre, l’ayant fait citer a Rome, & depuis par defaux & contumaces la fist condamner par ses commissaires, si le Roy Charles IX. ne’eust pris sa protection, comme estant sa sugette, vassale, & parente: ce qu’il fist entendre a tous le princes Chrestiens: combien que l’Emprereur Ferdinand ne s’en souciot
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aucunement quelque remonstrance que luy fist la Forest Ambassadeur [*](Rege Moderne & Concorde fiefs de l’Empire.) de France. Car les princes Chrestiens auoient presque tous opinion, que le Pape estoit absolument seigneur souuerain de tous les royaumes de la Chrestiente. Et mesmes le Roy d’Angleterre s’estant reuolte contre le Pape, le Conte d’Aisimond en Irlande, vassal du Roy d’Angleterre, enuoya lettres au Roy de France Henry II. offrant se mettre en sa sugetion, s’il vouloit demandet au Pape la souuerainete d’Irlande. Ils ont aussi pretendu la souuerainete de la Mirande, & des Comtez de Concorde, Rege, [*](cap. super quibusdam de verb. signi.) Modene, Parme, & Plaisance: combien qu’on pretend Parme & Plaisance estre membres du Duche de Milan: Rege, & Modene fiefs de l’Empire: comme en cas pareil le Comte de Concorde est vn fiefs de l’empire: comme en cas pareil le Comte de Concorde est vn fief tenu de l’Empire, & qui fut erige en Comte par Sigismond Empereur. Et quant a la Mirande, les princes on tousiours soustenu qu’ils estoient vrais successeurs de la Comtesse Mahaut, qui estoit dame de Concorde, Rege Modene, & autres seigneuries qu’elle donna a l’Eglise de Rome, pour le regard desquelles le Pape demeuroit vassal de l’Empire d’Alemaigne. Et pour s’en exempter, ils se firent passer vne donation, que i’ay leu au registre du Vatican, sans date, par laquelle Othon Empereur (il n’est point dit lequel) donne au Pape, & a l’Eglise Romaine, Pisaure, Ancone, Fossabrum, & Ausun. & vne autre lettre patente d’Othon IIII. Empereur, au Pape Innocent III. ou il vse de ces mots, EGO Otho IIII. Rex Romanorum semper Augustus, tibi Domino meo Pape Innocentio III. tuisque successoribus Ecclesiae Romanae spondeo, polliceor & iuro, quod omnes possessiones Ecclesiae, & ce qui s’ensuit bien au long, portant confirmation des donations faictes au Pape & l’Eglise de quelque Prince, ou seigneur que ce soit, & y comprend aussi comitatus Perusiae, Reate, Saliuae, Interamne, Campaniae, necnon Romam, Ferrariam, etc. Marchiam, Anconitanam, terram comitissae Matildis, ut quaecunque sunt citra Rodicofanum, vsque Ceperanum, exarchatum Rauennae, Pentapolin, cum aliis terris, etc. & la mesme confirmation se trouue de Raol, & Charles IIII. Empereurs, en date de l’an M.CCLXXXIX. & M.CCCLXVIII. portant qu’ils donnent aussi d’abondant au Pape, & a l’Eglise Romaine, tant que besoin seroit: & pour oster les rebellions tout ce que Henry V. son ayeul auoit donne a l’Eglise, est confirme. En sorte que si les donations sont valables, les Papes sont exempts de la soy, & hommage deue aux Empereurs a cause des fiefs qu’ils tiennent, & qui sont membres de l’empire d’Alemagne. Mais si les Empereurs n’ont peu aliener la souuerainete, & droicte seigneurie de ces terres, les Papes demeurent vassaux de l’empire. Nous pouuons dire le semblable du droit d’election des Papes que les Empereurs d’Alemagne ont pretendu. Car l’Empereur Federic II. pour auoir absolution du Pape Innocent IIII. luy fist expedier lettres patentes scellees en seel d’or, en date de l’an M.CCXIX. dont i’ay veu l’extraict, & de son Empire VII de son regne de Sicile XXII.
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par lesquelles il quitte entierement le droict d’election qu’il auoit en la creation des Euesques, vsant de ces mots, Illum abusum abolere volentes, quem quidam praedecessorum nostrorum exercuisse dignoscuntur in electionibus Praelatorum, concedimus vt electiones libere fiant, & canonice. Combien qu’a la verite, ce droict d’eslire les Papes, appartenoit aux Roys de France, & non pas aux Roys d’Alemaigne: car ainsi sontils appellez en tous les anciens traitez, & historiens d’Alemaigne & de France: & ne s’appelloient point Empereurs, qu’ils n’eussent este couronnez des Papes. Et l’occasion de pretendre droit d’election des Papes, fut pour les abus qui s’y commettoient. & de fait l’Empereur Henri III. debouta de la Papaute Gregoire VI. esleu parle Clerge sans son consentement, & en pourueut Clement II. & fist iurer le Clerge de iamais ne receuoir Pape sinon du consentement de l’Empereur: comme il se trouue au registre du Vatican, & Onophre Chambrier du Pape l’escrit aussi. de sorte que le Clerge apres la mort du pape Clement II. enouya Ambassadeurs a l’Empereur, pour faire vn Pape: & l’Empereur enuoya Pepon appelle Damasus II. apres la mort duquel le Clerge derechef decerna nouueaux Ambassadeurs a l’Empereur a mesme fin, qui leur enuoya brunon appelle Leon IX. & apres cestui-ci leur enuoya Victor II. lequel estant mort le Clerge eleut Frideric, & apres luy Alexandre II. ce que voyant henri IIII. leur enuoya Cadol euesque de Parme, qui fut receu au pays de Lombardie, & chasse par Alexandre: apres lequel Hildebrand, ou Gregoire VII. eleu par le Clerge, defendit a tous ges laiz la collation d’aucun benefice, sur peine d’ex communication: & depuis excommunia Henri IIII. Empereur, pour auoir contreuenu a sa defense: lequel getta vne armee en Italie, & chassa Gregoire VII. qui auoit tenu le siege XI ans, faisant Pape Clement III. qui tint la dignite XVII. ans contre quatre Papes eleus consecutiuement par le Clerge. apres luy Henri V. fist Bourdin Pape: & neantmoins le Clerge sans y auoir egard, eleut encores trois papes l’vn apres l’autre, iusques a ce que Loys de Bauieres fist Nicolas V. Pape, seant en Auignon Iean XXII. qui fist citer par deuant luy l’Empereur, & depuis ietta sentence d’interdiction par defaux & contumaces: & l’Empereur de son conste fist appeller par deuant luy le Pape Iean, disant que l’eglise estoit sugette a l’Empire, & le priua de la Papaute, par sentence donnee a Rome ou l’Antipape tenoit son siege: lequel depuis s’estant retire a Pise, fut trahi par les habitans entre le mains du Pape Iean, qui le fist mourir es prisons d’Auignon: & l’Empereur excommunie futabandonne de ses sugets. combien qu’il n’est pas seul, car il se trouue [*](Frideric 1. Frideric 2. Philippe, Conrad. Othon 4. Louys de Bauieres. Henry 4& 5.) huit Empereurs ex communiez par les Papes. mais depuis Loys de Bauieres, la majeste imperiale fut raualee, & n’oserent plus rien attenter contre les Papes ains au
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contraire Charles IIII. Empereur expedia ses lettres patentes l’an M.CCCLV. par lesquelles il recognoist au Pape Innocent V. qu’il doit prendre la confirmation de son election, & la couronne imperiale des Papes, commencant par ces mots: POST pedum oscula beatorum, etc. qui est en toutes les lettres des Empereurs aux Papes depuis Loys: & la forme de la coronation imperiale, ou il y a entre les autres ceremonies, que l’Empereur seruira le Pape de soubdiacre, & sortant de l’eglise qu’il tiendra l’estrier du Pape montant a cheual, & le conduira quelque temps tenant la bride. Il y a plusieurs autres ceremonies qui sont bien au long couchees es registres du Vatican, qui n’est besoin de mettre ici. Encores est il a remarquer ce qui n’est pas au registre, que l’empereur doit aler chercher le Pape, & s’il change de place, aller apres: comme fist Charles V. Empereur, estant venu en Italie, auec esperance d’aller a Rome, si tost qu’il fut aduerti, que le Pape Clement VII. s’en alloit a Boulongne la grasse, il suiuit, ainsi que requiert la ceremonie des moindres Princes aux plus grands. Apres la mort de Charles V. l’Empereur Ferdinand ne peut obtenir confirmation du pape de son election, ains il fut menasse du pape d’estre interdit de manier les affaires de l’Empire: en sorte qu’il fut contraint d’employer la faueur des Roys de France & d’Espaigne pour appaiser le Pape. ce que les Princes de l’Empire trouuerent fort mauuais, veu qu’ils auoient promis d’employer toute leur puissance pour defendre la majeste de l’Empire contre les entreprises du pape, comme i’ay apris des lettres de l’Ambassadeur du Roy, datees a Viene au mois de Iuillet M.D.LIX. Et pour monstrer vne submission plus grande des Empereurs aux papes, c’est que la subscription des lettres de l’Empereur au pape porte ces mots: Ie baise les pieds & les mains de vostre sainctete, comme i’ay veu par les lettres de l’Empereur Charles V. au pape Clement VII. ce qu’il ne faisoit point par vne courtoisie affectee, mais de fait il baisoit treshumblement les pieds au pape, en la plus grande assemblee qui se trouuoit, qui ne fut iamais plus belle qu’en Prouence, ou estoit le pape, l’Empereur, les Roys de France & de Nauarre, les Ducs de Sauoye, de Boüillon, de Florence, de Ferrare, Duuirtberg, le grand Maistre de Malte, & plusieurs autres Princes & grands Seigneurs, qui baiserent tous les pieds du Pape, hormis les Ducs de Boüillon, & Duuirtberg Protestans. qui n’estoit pas pour auoir absolution (comme fist ce Duc de Venize, lequel print la corde au col, marchant a quatre pieds deuant le pape Clement V.) ou pour achepter paix comme fist Frideric Barberousse, lequel pour auoir son fils prisonnier endura que le pape Alexandre III. marchst sus sa teste, si les histoires sont veritables. Qui sont tous argumens indubitables, que les Papes on bien rauale l’ancienne grandeur des Empereurs: aussi disent-ils qu’ils sont plus grands que les Empereurs, & d’autant plus grands que le [*](cap. solitae de maioritate.) Soleil est plus grand que la Lune: c’est a dire six mil six cens quarante & cinq fois, & sept hui-
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tiesmes dauantage, si nous croyons a Ptolemee. Et qui plus est, ils ont tousiours pretendu droit a l’Empire: car le siege imperial vacant, ils ont baille les inuestitures a ceux qui releuoient de l’empire: comme ils firent a Iean & a Luchin Vicomtes de Milan, vacant le siege imperial l’an M.CCCXLI. ou ils sont appellez Vicaires de l’Eglise [*](cap. cum olim de priuilegiis cleric. cap. & si summus pontifex de sentent. excommunicator.) Romaine, & non pas de l’empire: auec defenses d’obeir a Loys de Bauieres, qui estoit excommunie. Et pour ceste cause les canonistes [*](cap. 1. de renunciat. lib.6. notat. in I.barbarius de offic. praetor.) soustiennent, que l’Empereur ne peut ceder la dignite imperiale, sinon au Pape: & la raisou qu’ils [*](Bald. in prooemio feudor.) disent est, que l’Empereur tient la couronne imperiale des hommes, & le Pape de Dieu: combien que [*](Pauli ad Roma. cap. 14. &. §. 1. quomodo oporteat episcopos, illic dicitur imperium & sacerdotium ex eodem fonte manare.) l’vne & l’autre, & generalement toute puissance est donnee de Dieu. Toutefois l’Empereur Charles V. resigna la dignite imperiale entre les mains des electeurs, & l’enuoya par le Prince d’Orenge. Mais quoy que le Pape pretende la souuerainete, non seulement spirituelle, ains aussi temporelle sur tous les princes Chrestiens, & qu’il ait acquis ceste puissance sur les vns par tiltres & cessions, sur les autres par prescription & ioüssance: si est-ce que le royaume de France s’est tousiours garenti, quoy qu’ils se soient efforcez de l’assugetir a eux, excommuniant nos Roys, qui n’i vouloient point entendre, afin de faire reuolter leurs sugets, comme ils faisoient es autres pays. mais voyant l’obeissance grande des Francois enuers leur Roy, & l’amour reciproque de nos Roys enuers leurs sugets, ils interdirent & Roy, & royaume, & sugets: comme fist Boniface VIII. soubs le regne de Philippe le Bel, l’excommuniant, & ceux qui le tiendroient pour Roy: mais le Roy luy enuoya lettres telles qu’il meritoit, qui se trouuent encores au thresor, auec vne armee soubs la conduite de Noguarel, portant decret de prise de corps, en vertu duqel il constitua le Pape prisonnier, Iuy faisant cognoistre que le Roy n’estoit pas son suget, comme il l’auoit qualisie par sa bulle. Et neantmoins il se porta pour appellant des interdictions de Boniface au concile superieur de celuy qui greuoit, par l’aduis des princes & gens de son conseil. Et long temps au parauant Philippe le Conquerant, & son royaume excommunie par le [*](vt est in cap. nouit. deossi. delegati cap. non est. de sponsal. cap.1.de postul. praelector.) Pape Alexandre III. qui le vouloit assugetir, luy fist response, qu’il ne tenoit ni de Pape ni de prince qui fust sus la terre. i’ay veu la lettre qui se trouue encores au thresor de France, au cofre cote Anglia. Et combien que depuis encores Benoist XIII. & Iules II. papes ayent excommunie nos Roys, si n’ont-ils rien diminue, ains plustost acreu l’obeissance des sugets: car il se trouue que le porteur de la bulle d’interdiction fut constitue prisonier, & ssa bulle laceree publiquement par arrest de la Cour. Et d’autant que Iean de Nauarre, soy disant Comte Palatin, fist quelques notaires, & legitima des bastars, en vertu du pouuoir qu’il disoit auoir du pape, il fut condamne par [*](l’an 1462 le 25. May Benedic. in cap. Raynut. in verbo Adelaziam.q.242) arrest du parlement de Touloze, comme coulpable de leze majesete. Et mesme il ya a au thresor de France vne bulle de Clement cinquiesme pape, par laquell non seulement il ab-
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soult Philippe le Bel, & ses fugets de l’interdiction de Boniface, ains aussi il declare le Roy & le royaume exempt de la puissance des papes. Et mesmes Alexandre quatriesme pape donna ce priuilege au royaume de France, qu’il ne peust estre interdit: ce qui depuis a este confirme par sept papes consecutiuement: a scauoir Gregoire VIII. IX. X.XI. Clement quatriesme, Vrban cinquiesme, Benoist douziesme, desquels les bulles sont encores au thresor de France. Qui sont tous arguments pour monstrer les souuerainetez, franchises & libertez des Roys & royaume de France, quoy que die Iean [*](in titul. de appel. §. nunc hactenus & glo. & Io. Andr. in cap. per venerabilem. qui filij sunt legit.) Durand Euesque de Mande, que les Roys de France sont sugets au pape, quant au serment. ce qui ne merite point de response. c’estoit au temps qu’en vertu du serment oppose aux contrats, les iuges ecclesiastiques attiroient la cognoissance, & iurisdiction de toutes choses: ce qui leur ffut oste par edits & arrests de la Cour. a quoy se peut rapporter la submission du Roy Philippe de Valois a la iurisdiction de la chambre du pape, pour vne obligation a cause de prest fait au Roy par Clement VI. pape de la somme de trois cens trente mil florins d’or. qui est vne clause ordinaire en toutes obligations, en vertu de laquelle le pape mesmes seroit oblige au moindre qui soit par les reigles de doirct [*](I. si quis in conscribendo. de pactic.C.) commun. Et d’autant que le pape Clement VI. estoit de la maison de Turene, il semble que pour ceste somme qu’il presta, les Comtes de Turene ont eu les grands priuileges, desquels ils ioüissent encores. Il y en a bien qui ont pretendu que les Roys de France doiuent prendre la couronne royale de la main des papes, d’autant que le Roy Pepin la print a S. Denys en France du pape Zacarie: comme si par vn acte en solennitez discontinuees, & de telle consequence pouuoit donner droit: ce qui ne se feroit pas en l’aquisition de la moindre seruitude discontinuee, sinon par prescription de [*](I. hoc iure. §. ductus aquae de aqua quotidiana.) cent ans. combien que le Roy ne laisse pas d’estre Roy sans le couronement, ni consecration, ceremonies, qui ne sont point de l’essence de la souuerainete. Maison ne peut nier, que si la donation de l’exarcat de Rauenne & de Pentapole, qui est l’vn des plus beaux pays d’Italie, est faite par les Roys de France aux papes & a l’eglise de Rome, que cela ne soit tenu de la couronne de France: veu que la confirmation. & de cela on peut tirer deux arguments trescertains: l’vn, que la donation estoit faite par les predecesseurs de Loys Debonnaire: l’autre, que la souuerainete estoit retenue: autrement il n’estoit point besoin d’auoir confirmation, attendu que le Roy Pepin auoit acquis les terres parle droit des armes sus les Empereurs de Constantinople, qui enuoyerent Ambassadeurs expres en France a Pepin, pour empescher l’effect de la donation, & ne peurent riend obetnir, comme on peut voir en l’histoire de Floard & de Signon. Et qui plus est, Augustin Ono-
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phre, Chambrier du Pape, qui a veu tous les registres & papiers du Vatican, confesse, parlant des Papes, que l’exarcat de Rauenne, la Romandiole, le Duche d’Vrbin, & partie de la Toscane, ont este donnez a l’eglise de Rome. mais il ne dit pas ce que i’ay leu en l’extrait du registre du Vatican, que Iean surnomme Digitorum, auoit escrit en lettres d’or la donation pretendue de Constantin, ou ces mots sont a la fin: Quam fabulam longi temporis mendacia finxit. Ie n’ay rien voulu changer. qui sont argumens beaucoup plus forts que ceux de Laurens Vale, pour conuaincre les mensonges d’Augustin Egubin, qui a forge en Grec la donation de Constantin, pour luy donner Iustre. mais Sigon & Onophre Italiens l’ont assez dementi. Voila quant a la grandeur & souuerainete de la maison de France. Ie ne touche point ici la grandeur & souuerainete du Negus d’Ethiopie, qu’on appelle Prestre Iean, qui a L. Roys tributaires, comme dit Paul Ioue, ou pour mieux dire Gouuerneurs de Prouinces, qui luy rendent non seulement les tributs ordinaires, ains aussi la foy & hommage en plus grande humilite, que les esclaues ne font a leur seigneur, ainsi qu’on peut voir en l’histoire de Francois Aluarez Portugalois, qui a demeure six ans en Ethiopie: & neantmoins ils sont appellez Roys sans propos: quoy que soit ils ne sont point souuerains absoluement, puis qu’ils sont tributaires, & qu’ils rendent la foy & hommage a autruy. Quant aux Princes qui ne sont pas Chrestiens, ie n’en puis rien dire, pour le peu d’asseurance que nous en auons par les escrits & raports d’autruy: si est-ce toutefois qu’il y a vn chapitre de l’Alcoran, ou il est expressement defendu a tous princes Musulmans (c’est a dire fideles) de s’appeller Seigneurs, horsmis au Caliph, ou grand Pontife. Et par le moyen de ceste defense les Pontifes Mahometans empieterent la souuerainete absolue par dessus tous les princes, donnant les Royaumes & principautez a qui bon leur sembloit, en qualite de gouuernemens. qui peut estre la cause, qu’il n’y a prince Musulman qui porte couronne en teste, iacoit que les plus anciens Roys d’Asie & d’Afrique portoient couronne, & mesmes Ioiada Pontife ayant sacre Ioas Roy de Iudee luy posavne couronne sus la teste. Toutefois les princes Musulmans soustiennent, que ce chapitre n’est point du Legislateur, ains de Pontifes (car de plusieurs Alcorans diuersifiez ils en ont fait vn, long temps apres la mort de Mehemet) qui ont adiouste ce chapitre pour l’acroissement de leur majeste. Et d’autant qu’il y eut trois Antipontifes a qui l’emporteroit, les princes de Perse, les Curdes, Tartares, Turcs, & les Sultans d’Egypte, puis les Roys de Maroc, de Fez de Telensin, de Tunes, de Bugie, & les peuples des Zenetes, & de Luntune s’exempterent de l’obeissance des Caliphes, pour tenir leurs Royaumes en souuerainete: comme aussi les Roys de Tombus, de la Guynee, de Gaoga, & autres Roys d’Afrique, horsmis [*](Le Roy de Portugal a plusieurs Roys feudataires & tributaires.) ceux qui tiennent en foy & hommage du Roy de Portugal, comme les Roys de Calecut, de Malachie, de Cambarre, de Canor, qu’ils ont con-
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traints a ce faire, & a payer tribut, & occupe vne bonne partie des royaumes de Maroc & de la Guynee, & basti vne forteresse en l’isle d’Ormus a la barbe du Roy de Perse, prenant les peages des marchans qui abordent en la mer Persique: & eussent fait le semblable en la mer rouge, si le Barnagas, gouuerneur de ceste coste la, & suget du Roy d’Ethiopie, ne les eust taillez en pieces, & ruine la forteresse qu’ils auoient commencee a fonder soubs le voile d’alliance & d’amitie contractee par Lopez Ambassadeur du Roy de Portugal auec le Roy d’Ethiopie, l’an M.D.XIX. Et neantmoins il est bien certain, que le Roy de Portugal estoit anciennement feudataire du Roy de Castille: & le Royaume de Portugal, membre du Royaume de Castille, qui fut donne a Henri frere de Godefroy de Boüillon, en espousant la bastarde d’Alphons Roy de Castille. duquel mariage sont issus tous les Roys e Portugal depuis quatre cens cinquant ans, qui continuent encores, & se sont exemptez de la souuerainete de Castille, & tiennent plusieurs Roys tributaires, & feudataires: car il n’y a point de Roys feudataires en Asie, ni en Afrique qui ne soient aussi tributaires: mais anciennement les Roys de Perse & les Romains, se contentoient d’auoir les Roys tributaires. comme par les Romains, apres auoir vaincu Philippe II. Roy de Macedoine, il fut dit qu’il payeroit tous les ans certain tribut, que son fils Perseus, doutant de ses affaires, offrit aux Romains. Mais aussi tel Roy esetoit tributaire, qui en auoit d’autres soubs luy: comme Dauid rendit tous les Princes de la Palestine, & circonuoisins ses tributaires, & neantmoins ses successeurs estoient tributaires des Roys de Perse. Ainsi estoit le Roy de Sclauoine, & la republique de Carthage tributaires des Romains, sans autre diminution de leur majeste. Mais il y a difference entre tribut & pension: car l’vn se paye pour auoir la paix, l’autre pour auoir ay de & secours, ou pour la protection. Vray est que celuy qui recoit la pension, ordinairement l’appelle tribut, comme faisoient les Anglois la pension de cinquante mil escus, que leur payoit le Roy Loys XI. parl etraite de Piqueni, iusques a ce que la fille d’Angleterre fust mariee a Charles VIII. [*](Difference depension & tribut.) Phillippes de Comines dit sur cela, que ce n’estoit ni pension ni tribut. mais il faut que ce soit l’vn ou l’autre. Ainsi le grand seigneur appelle l’Empereur son tributaire, pour la pension de Hongrie qu’il paye tous les ans: & en cas pareil les Venitiens, Geneuois, Rhagusiens, les Roys d’Alger & de Thunes sont par luy appellez ses tributaires, ores que par les traitez & lettres du Turc ils soient qualifiez grands amis & alliez. Mais le grand Precop de Tartarie, qui estoit anciennement seigneur souuerain de tous les Royaumes depuis le fleuue Volha, iusques au Boristhene, tenoit tous les Princes & seigneurs de ces pais la comme ses tributaires, & feodataires, qui se mettoient a genoux non seulemnt deuant luy, ains aussi estoient debout deuant ses [*](Sigismundus libro in historia Moscho. Le Knez de Moscouie est Prince absoluement souuerain..) Ambassadeurs assis: & entre les autres, le grand Knez de Moschouie soufroit mille indignitez, qui pour ceste cause n’est en-
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cores appelle que Duc par les autres princes souuerains, iacoit que l’an M.D.XXIIII. les Ducs se sont afranchis de l’obeissance du Precop, duquel Sultan Selim bisayeul de cestui-ci espousa la fille: & le premier Duc qui se reuolta contre luy fut Basile I. qui s’appella grand Chambellan de Dieu, & Roy de Moschouie, & cestui-ci qui est a present, en depit dequoy les autres princes l’appellent Duc, se qualifie grand Empereur: comme a la verite c’est l’vn des plus grands & redoutez Monarques qui soit. non pas que l’estendue de pais face le Prince plus ou moins souuerain. car combien que le Roy Eumenes n’eust plus qu’vn chasteau en toute sa puissance, si est-ce quand il fut question de capituler auec Antigon Roy d’Asie, qui vouloit auoir la prerogatiue d’honneur, il fist response qu’il [*](Plutar. in Eumene.) ne recognoistroit iamais plus grand que soy, tant qu’il auroit l’espee au poing. Et toutefois entre les Seigneurs absoluement souuerains, il y a prerogatiue d’honneur des plus anciennes Republiques, ou Monarchies, aux modernes, & nouuelles, ores qu’elles soient [*](Degrez d’honneur entre les Princes souuerains egaux. Ordre des Cantons de Suisse.) plus grandes & plus puissantes. comme il se voit entre les XIII. Cantons des Suisses, qui sont tous souuerains, & ne recognoissent Prince ni monarchque du monde pour souuerain: le Canton de Suric a la prerogatiue d’honneur: & le depute de Canton de Suric preside aux estats, & recoit au nom de tous les Cantons les ambassadeurs des Princes & Republiques, & a luy seul apartient de faire assembler les estats de tous les Cantons, & les licencier: iacoit que le Canton de Berne est de beaucoup plus grand, & plus puissant, & puis apres Berne, Lucerne & Vri, ores qu’il n’ait point de murailles, non plus que Schuuits & Vnderualden, qui suiuent en ordre, & puis Zoug, Glaris, Basel, Fribourg, Soleure. On pourroit dire que cela s’est fait selon le temps que chacun Canton est entre en alliance: mais les traitez descouurent le contraire, par lesquels il appert, que les premiers qui traiterent alliance, furent Vri, Schuuits, Zoug, Vnderualden. quelquesfois aussi les plus anciens Monarques & Princes perdent la prerogatiue d’honneur quand ils se mertent en la protection des nouueaux Princes, ou qu’ils se font tributaires: en ce cas il est bien certain qu’ils sont tousiours moindres que les autres: comme il aduint presque a tous les Princes & seigneurs qui chercherent la protection des Ro-[*](Degrez d’honneur entre les Princes alliez des Romains.)- mains: les autres demeuroient bien egaux en apparence, & aux traitez, comme les seigneurs d’Autun, qui estoient egaux en traite d’alliance fait entr’eux & les Romains, s’appellans freres les vns des autres: & neantmoins en effect les Romains auoient la preminence, & mesmes l’Empire de Rome: faisant des Ethnarques, & Tetrarques, ceux-ci moindres que ceux-la. & les Roys plus grands que les [*](Ioseph. Roys Ethnarques, Tetrarques.).Ethnarques: les plus anciens alliez des Romains a ceux qui estoient les derniers. Et combien que soubs l’estat populaire les Romains ne fussent pas si soigneux de telles cere-
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monies, se est-ce qu’ils en ont aussi este curiuex, comme on peut voir du differend qui fut entre Perseus Roy de Macedoine & Q. Martius Ambassadeur des Romains, a qui passeroit la riuiere de la frontiere de Macedoine. l’Ambassadeur le gaigna par douceur de paroles, pour monstrer, comme il dist aux alliez, que la dignite des Romains estoit plus grande que celle du Roy de Macedoine, qui toutefois ne vouleoit en rien ceder aux Romains. Et depuis qu’il eut perdu son estat, & son armee, & qu’il ne pouuoit fuir les ennemis, il escriuit a Paul Aemil general de l’armee des Romains, se qualifiant encores Roy: mais on ne voulut pas lire, ni ouurir ses lettres qu’il n’eust ostela [*](Liuius lib.35.) qualite de Roy, qui n’est propre sinon a celuy qui est souuerain, & ne tient de Prince quelconque. Qui fut la cause que le Roy Francois 1. remonstra au Cardinal Bibiene Legat en France, que son maistre ne deuoit pas endurer que l’Empereur Charles V. s’appellast Roy de Naples & de Sicile, veu qu’il n’estoit que vassal: & le Legat en aduertit le Cardinal de Medicis, qui depuis fut Pape, afin que ceste qualite fust rayee, qu’il disoit parses lettres estre defendue aux Roys de Naples. toutefois le Legat n;auoit pas bien leu les registres du Vatican (en quoy plusieurs Ambassadeurs mal instruits es affaires de leurs maistres font de notables fautes) veu que la qualite Royale est inseree aux inuestitures de Charles de France, de Carobert, & de Ieanne. Et fraudroit par mesme suite de raisons rayer la qualite au Roy de Boheme, qui tent son Royaume en foy & hommage de l’EmpireL & non pas pour ce qu’il est trop petit, comme [*](Hostiensis in cap. constitutus. de testib. Baptista Castellan. in canon. scitote 6.q.3.) plusieurs on escrit, que ce n’est pas Royaume pour ceste cause: qui seroit mesurer les Roays al’aulne: mais c’est d’autant que le pais de Boheme fut erige en Royaume par l’Empereur Frideric 1. & pour tiltre d’honneur seulement, sans preiudice des droits & souuerainetez de l’Empire. Mais a dire vray ceste qualite ne peut conuenir au feudataire d’autruy, qui n’a riein en tiltre de souuerainete. Et peut estre que ce fut la cause, que le Pape Pius IIII. ne donna la qualite royale a Cosme duc de Florence, ores qu’il en eust fort bon vouloir: de quoy estant aduerti l’Empereur par l’Ambassadeur de France, dit: Italia non habet regem, nisi Caesarem. Ce qui doit estre entendu de l’Empire, duquel les terres du Duc de Florence sont tenues, & non pas de l’Empereur qui est suget aux estats de l’Empire: iacoit que tous les Princes Chrestiens luy cedent la prerogatiue d’honneur apres le Pape, comme chef de l’Empire: tout ainsi que les Roys de France, apres l’Empereur, ont la precedence par dessus tous les Princes Chrestiens: laquelle prerogatiue d’honneur n’est pas seulement acquise par longue possession, ains aussi pour ce qu’il n’i en a point de pareille, ou qui ait vne si longue suyte de Roys. Et mesmes [*](In consilio petita venia Oldrad. consil.69.) Balde Iurisconsulte Italen & suget de l’Empire dit, que le Roy de France porte la couronne de gloire par dessus tous les Roys, qui luy ont tousiours defere cest honneur. & qui plus est le oy d’Espaigne, qui depuis peu d’annees l’a voulu deba
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tre, en fut deboute a Venize par arrest du Senat, a la poursuite du sieur Darques, l’an M.D. LVIII. & depuis encores par arrest du pape, donne du consentement de tout le consistoire des Cardinaux, ou le pape dist haut & clair que les Roys de France steoient les anciens protecteurs de l’eglise Romaine, & que les plus belles pieces de la maison d’Espaigne estoient demembrees de la maison de France: & disoit verite, pour amender la faute qu’on auoit faite de preposer au Concile de Trente Mendozze Ambassadeur d’Espaigne a l’Ambassadeur de France, qui pour lors estoit le seigneur de Lansac, assiste de M.M. du Ferrier & du Faur des plus dignes personnages qui furent oncques employez en charge d’Ambassadeurs. Toutefois l’Ambassadeur d’Espaigne depuis les deux arrests que i’ay dit, voulut encores a Viene en Austriche, obtenir lieu egal au Sieur de la Forest Ambassadeur de France, our que la precedence fust partie par moitie, comme les Consuls Romains, qui auoient la precedence, & les XII. Massiers, auec puissance de commander successiuement & chacun son iour. Ce que le Roy ayant entendu rescriuit a son Ambassadeur, que la precedence estoit de telle consequence, qu’il ne deuoit ouurir la bouche pour en parler, sans expres mandement. L’Empereur ne voulant offenser ni l’vn ni l’autre, fist defense aux Ambassadeurs de se trouuer aux ceremonies, & assemblees publiques. le Senat de Poloigne empesche sus la mesme difficulte, ne voulut preferer, ni egaler l’vn a l’autre: mais il ordonna que les premiers venus seroient les premiers ouys. & d’autant que M. de Monluc euesque de Valence (qui pour sa prudence & dexterite au maniement des affaires d’estat, a eu quinze fois charge d’Ambassadeur) estoit le premier venu, il fut ouy le premier. dequoy l’Ambassadeur d’Espaigne irrite ne voulut rien dire, comme i’ay sceu de M.Daques Abbe de Belle-isle, homme d’honneur & de vertu, qui lors estoit aussi Ambassadeur en Poloigne, & maintenant a Constantinople. Mais au parauant l’an M.D.LVIII. iamais prince Chrestien n’auoit reuoque en doute la precedence de la maison de France: & mesmes les Anglois l’ont tousiours preferee a la Maison d’Espaigne, quoy qu’ils fussent anciens alliez, & amis de l’vne, & ennemis de l’autre: & apres la mort de Marie, au chapitre tenu par les Cheualiers de l’ordre de la jartiere, la vigille S. Georges l’an M.D.LV. il fut arreste que la place du Roy de France seroit aupres du chef de l’ordre a main dextre, ou au parauant estoit celle d’Espaigne, lors que le Roy Philippe estoit marie a la Royne: & le iour S.Georges, on garda place au Roy de France au coste dextre, & au Roy d’Espaigne a senestre, aupres de la place de l’Empereur, qui estoit vuide. Et depuis au temps de Charles IX. la Royne d’Angleterre fist mettre la banniere de France de mesme estosse & grandeur que la sienne, comme le Roy fut aduerti par M. de Foix lors Ambassadeur, qui ne fait pas moins d’honneur a la grandeur de sa maison, qu’il en a receu: & au roole qui est tous les ans signede la Royne, le nom
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du Roy de France est le premier apres le sien. Mais pour oster ses difficultez, & les ialousies entre les Princes, qui autrement sont ineuitables & andgereuses, il est porte par le XIII. article des ordonnances de Loys XI. tourchant l’ordre des Cheualiers, qu’ils seront mis en ordre selon le temps de leur reception sans prerogatiue de Roy ni d’Empereur. Mais chacun Prince souuerain, & qui n’est ni tributaire, ni feudataire, ni en protection d’autruy, peut distribuer en son pais les prerogatiues d’honneur a qui bon luy semblera, tenant tousiours le premir rang. on sciat assez que les Seigneurs de Venize, de Genes, de Raguse, les Roys de Poloigne & de Moschouie, ont traite alliance auec le Roy des Turcs: si est ce qu’il a tousiours defere la prerogatiue d’ho neur au Roy de France, l’appellant par ses lettres le plus grand, & le maieur des plus grands Princes Chrestiens. & luy se qualifie le plus grand de tous les Empereurs, & le premier Sarrach des Musulmans, c’est a dire, le Prince des fideles: & quant a ceste derniere qualite les Princes Chrestiens mesmes luy donnent par leurs lettres. Et quant au premier tiltre il semble qu’il a pris des anciens Empereurs de Constantinople, qui portoient en armoiries quatre B. que les nostres appellent fusils: qui veulent dire, GREEK TEXT, c’est a dire Roy des Roys, regnant sus les Roys. qui estoit la qualite que prenoient anciennement les Roys de Babylone, comme on peut voir en Ezechiel, qui appelle HEBREW TEXT Roy Nabucodonosor, d’autant que tous les Roys d’Asie luy estoient tributaires, & depuis les Roys de Perse, comme escrit Esdras: & apres eux les Roys de Parthe vsurperent ceste qualite, comme Dion escrit de Phraates roy de Parthe, qu’il s’appelloit Roy des Roys. mais les princes feudataires ne se peuuent qualifier Roys, Ducs, Marquis, Comtes, Princes, nivser du tiltre de majeste, ains seulement d’altesse, ou serenite, ou excellence, comme nous auons dit.