The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

Nous auons dit quelle différence y a entre les sugets, les bourgeois, & les estrangers. disons maintenant des alliez, & premierement de ceux qui font en protection: par ce qu’il n’y a pas vn, de ceux qui ont escrit de la Republique, qui aye touché ceste corde, qui est toutefois des plus necessaires pour entendre l’estat des Republiques. Le mot[*]( Que signifie protection.) de Protection en general, s'estend a tous sugets, qui font en l'obeissance d’vn Prince, ou seigneurie souueraine: comme nous auons dit, que le Prince est obligé de maintenir par la force des armes, & des loix ses sugets en seureté de leurs personnes, biens, & famille: & les sugets par obligation réciproque, doiuent à leur Prince, foy, sugetion, obeissance, ayde, & secours. c'est la premiere, & la plus forte protection, qui soit car la protection des maistres enuers leurs esclaues: des patrons enuers leurs afranchis des seigneurs enuers leurs vassaux, est beaucoup moindre, que des Princes enuers leurs sugets: d’autant que l'esclaue, l'afranchi, le vassal, doit la foy, hommage, & secours à son seigneur, mais c'est apres son Prince souuerain, duquel il est homme lige. aussi le soldat doit obeissance, & secours à son Capitaine, & merité la mort s'il ne luy fait bouclier au besoin: la loy vse du mot "Protexit"[*]( l.omne delictum de re militari.ff.). Mais en tous les traitez, le mot de Protection est special; & n’emporte aucune sugetion de celuy qui est en protection: ny commandement du protecteur, enuers ses adherans, ains seulement honneur, & réference des adherans, enuers le protecteur, qui a pris la defense, & protection sans autre diminution de la majesté des adherans, fus lesquels le protecteur n’a point de puissance. Aussi le droict de protection est plus beau, plus honorable, & plus magnifique, que tous les autres. Car le Prince souuerain, le maistre, le seigneur, le patron, tirent profit, & obeissance, pour la defense des sugets, des esclaues, des afranchis, des vassaux: mais le protevteur se contente de l’honneur, & recognoiffance de son adherant:

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& s'il en tire autre profit, ce n'est plus protection. Et tout ainsi que celuy qui preste, ou accomode autruy de son bien, ou de sa peine, s'il en reçoit profit questuaire, ce n'est ny prest, ny accommodation, ains vn pur loüage[*]( l.rogasti.§.si tibi. de rebus credit.l.1.§. si conuenerit depositi.l.Lucius eod.ff.) d’homme mercenaire. aussi celuy qui a liberalement promis faire quelque chose pour autruy, est obligé d’accomplir sa promesse sans aucun loyer la raison de la loy est[*]( l.1.mandati.ff.), "quia officio merces non debetur." Or il n’y a promesse plus forte. que celle qui est faite de defendre les biens^ la vie, & l’honneur du foible contre le plus puissant: du pauure, contre le riche: des bons affligez, contre la violence des meschans. C'est pourquoy Romule Roy des Romains, ordonnant l'estat de ses sugets, pour Ies nourrir en paix & repos, assigna à chacun des cent gentils-hommes qu’il auoit choisis pour son conseil priué, le surplus des autres sugets, pour les maintenir en leur protection & sauuegarde., tenant pour execrable celuy, qui laisseroit la defense de son adhérant, & de fait les Censeurs notoient d’ignominie ceux qui auoient quitté leurs[*]( Dionysius Halic. lib.2.Tullius in diuinatione.) adherans. Et qui plus est laloy des XII tables portoit la peine des interdits. "Si patronus clienti fraudem faxit, sacer esto." Plutarque dit bien que les adherans bailloient de l’argent aux patrons pour marier leurs filles: mais il se peut faire qu’il s'est mespris, & qu’il a pris les adherans pour afranchis, car Dionysius Halicarnassæus n'en dit rien. Depuis les grans seigneurs de Rome, commencerent aussi a prendre en leur protection, qui l’vne, qui l’autre ville, comme la maison des Marcels, auoit en sa protection la ville de Syracuse: la maison des Antoines auoir Boulongne la grasse: & les estrangers en cas pareil, qui frequentoient la ville de Rome, auoient aussi leurs protecteurs, qui prenoient leur succession, comme par droit de Aubeine, s'ils mouroient en Rome, comme il a esté dit cy dessus. Et appelloit on les adherans, "Clientes," & les protecteurs, Patrons, pour la similitude qu’il y auoir entre les vns & les autres: mais il y a difference notable. car l'affranchi doit lés coruees au patron, & peut estre reduit en seruitude, s'il est ingrat: l’adherant ne doit point de coruees, & ne peut perdre fa liberté pour estre ingrat. l’afranchi doit vne partie de ses biens à son patron, ayant suruescu l’afranchi: l’adherant ne doit rien de fa succession au protecteur. Et combien que le vassal aye beaucoup de choses semblables à l'adherant, de sorte que plusieurs ont fait vne confusion de l’vn & l’autre: si est-ce qu’il y a bien différence: car le vassal doit la foy, hommage, ayde,secours, & honneur au seigneur: & s'il commet felonie, ou qu’il desauoüe son seigneur, ou pour vu dementir[*]( Par arrest du parlement de Paris prononcé en robbes rouges contre Grançois Partenay le 23. Decembre 1565.) par luy donné à son seigneur, il perd son fief, qui est acquis au seigneur par droit de commis, l’adherant n’ayant aucun fief du protecteur n'est point en ceste crainte. Dauantage si le vassal est homme lige, il est naturel suget, & doit non feulement la foy & hommage, ains aussi sugetion & obeissance au seigneur, & Prince souuerain, de laquelle il ne peut se départir, sans Ie consentement de son Prince; ores qu’il deguerpist le fief, les adherans
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ne sont point en ces termes, &ne sont en rien sugets aux Protecteurs. Le sinple vassal, soit Pape, Roy, ou Empereur, est suget d'autruy, & doit[*]( Bald.in.l.sed si hac§. si libertus de ia ius vocand.) seruice au seigneur duquel it tient fief, iaçoit qu'il puisse, en quittant le fief, s'exempter[*]( cap. vnico. de vassalo qui contra constitut.Lotharij.) de la foy, & hommage. le simple adherant, s'il est Prince souuerain, il ne doit ny seruice, ny obeissance, ny hommage au protecteur. Le droit de vasselage est nouueau, & depuis la venue de Lombars en Italie: car au parauant il ne s'en trouue rien qu'on puisse asseurer. Le droit de protection est tresancien, & au parauant Romule, qui l'emprunta de Grecs: car il estoit vsité en Thessalie, Egypte, Asie, Sclauonie, comme nous lisons és anciens[*]( Dionys. Halic.lib.2. Varro lib.I.de re rustica.) auteurs. Le vassal au contraire reçcoit des heritages, & des fiefs du seigneur: duquel il ne peut estre exempté de la foy & hommage qu'il doit, ores que le Prince souuerain ergeast le fief de son arrierevassal en Comté, Duché, Marquisat, Principauté, comme il a esté[*]( l'an 1565.) iugé par arrest du parlement de Paris. En quoy s'est abusé celay[*]( Conan. lib.2.) qui a tenu, que Cesar en ses Memoires appelle "soldurios & deuotos," les vassaux, veu qu'il n'y a aucune mention de fief: ioint aussi qu'ils estoient vrais & naturels sugets: car leur vie, leurs biens, & leurs personnes estoient consacrez à leur seigneur: qui est la vraye marque de sugetion, que le vassal, & arriere-vassal doiuent seulement au Prince souuerain, non pas en qualité de vassaux, ains en qualité de sugets naturels, qui doiuent courir la mesme fortune que leur Prince, viure & mourir pour luy, s'il est besoin, ores que le vassal y foit obligé plus specialement que les autres sugets. Qui sont tous argumens necessaires pour monstrer, que les droits de patronnage, de vasselage, & de protection, de doiuent pas estre confondus, iaçcoit qu'ils ayent quelque similitude ensemble: car le vassal, & l'adherant doiuent la foy au seigneur, & protecteur, & l'vn à l'autre reciproquement[*]( cap.vnico.de format.fideliat.cap.I.si de feudodefuncti.) obligez, bien que le seigneur ne soit pas tenu de[*]( l. serui. in l.imperialem.) prester le serment de fidelité au vassal verbalement, comme le protecteur doit à l'adherant, & se garde solennellement en tous les traitez de protection. Aussi le seigneur, & le vassal doiuent deliuerer lettres l'vn à l'autre, comme le protecteur & l'adherant sont obligez à bailler lettres de protection l'vn à l'autres, mesmenent si la protection est d'vn Prince souuerain, enuers l'autre, mesmenent si la protection est d'vn Prince souuerain, enuers l'autre: & doiuent estre renouuelllees à la venue d'vn Prince souuerain, de laquelle nous auons à traiter, il semble que le Prince ou peuple souuerain, qui s'est mis en la protection d'vn autre, est son suget. S'il est suget, il n'est plus souuerain, & ses sugets seront aussi sugets du protecteur. Et quelle sugetion veut on plus grande, que se mettre en la sauuegarde d'autruy, & le recognoistre pour superieur? car la protection n'est autre chose, que la confederation, & alliance de deux Princes, ou seigneuries souueraines, en laquelle l'vn recognoist l'autre superieur: l'vn est receu en la sauuegarde de l'autre. ou bien 76 quand le suget d’vn Prince se retire en la terre d’vn au treuil eft aussi en sa protection, de forte que s'il est poursuiuy par l’ennemi, & pris prisonnier en la terre d’vn autre Prince souuerain, il n'est point prisonnier du poursuiuant, comme il fut iugé par la loy des armes, au pourparlé de paix, qui fut entre le Roy de France & l’Empereur Charles v. l’an M. D. L. V. quand il fut question des prisonniers imperiaux, que les François auoiet pris au Comté de Guynes, qui estoit lors en la sugetion des Anglois: il fut soustenu parle chancelier d’Angleterre, qu’ils ne pouuoient estre tenus prisonniers, estans en la terre, & protection des Anglois. combien que le contraire se pouuoit dire: car iaçoit qu’il ne fust permis de quester, ny leuer la proye en la terre d’autruy, si est-ce qu’il est permis l’ayant leuce, la poursuiure fus le fond d'autruy: vray est qu’il y a vne exception, si le seigneur ne l’empesche, comme de fait le Milor Grei, gouuerneur de Calais, & de Guynes, estoit suruenu durant la poursuite, & print en sa garde ceux que les François auoient pris. Or en ce cas le mot de Protection, n'est pas pris en sa proprieté, car il n’y a point de protection, s'il n'est conuenu, & ne peut le Prince estranger prendre le suget d’autruy en sa protection, si ce n'est du consentement de son Prince, comme nous dirons tantost. Mais il faut au parauant resoudre celle question, si le Prince souuerain se mettant en la protection d’vn autre, perd le droict de souueraineté, &s'il deuient suget d’autruy: car il semble qu’il n'est pas souuerain, recognoissant plus grand que soy. Toutefois ie tiens qu'il demeure souuerain, & n'est point suget. &: ce poinct est decidé par vne loy[*]( l.non dubito. de captiuis, vbi negatoi detrahenda venit ad fidem archetypi.) qui n’a point sa pareille, & qui a esté alteree en diuerses leçons: mais nous suiurons l’original des Pandectes de Florence-, qui tient que les Princes souuerains, qui au traité d’alliance recognoissent le protecteur plus grand que soy, ne sont point leurs sugets. Ie ne doute point, dit la loy, que les alliez, & autres peuples vsans de leur liberté, ne nous soient estrangers, &c. Et combien qu’au traité des alliez par alliance inegale., il soit expressément dit, que l’vn contregardera la maiesté de l’autre, cela ne fait pas qu’il soit suget, non plus que nos adherans, &r clients ne font pas moins libres que nous, ores qu’ils ne soient egaux à nous, ny en biens. ny en puissance, ny en honneur: mais la clause ordinaire inseree aux traitez d’alliance inegale, portant ces mots: "Comiter maiestatem[*]( in d.l.non dubito. Cicero pro Balbo hanc clausulam interpretatur.) conseruare," n’emporte autre chose, sinon qu’entre les Princes alliez, l’vn est plus grand, & premier que l’autre. & non pas que ce mot signifie "communiter," comme disoit la partie aduerse de Cornelius Balbus: & ne signifie pas aussi sans dol & sans fraude, comme dit Charles[*]( lib.1.cap.1.de antiquo iure Italiæ.) Sigon, mais c'est à dire que les moindres alliez respectent les plus gras en toute modestie. Voila la loy rapportee mot pour autre: ou il appert euidemment, que la protection n’emporte point de subiection, mais bien supériorité, & prerogatiue d’honneur. Et pour entendre ce poinct plus clairement, & la nature des traitez, & alliances, nous pouuons dire que
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tous trairez entre Princes se sont auec les amis, ou ennemis, ou neutres, les traitez entre ennemis se sont pour auoir paix, & amitié, ou trefues: & composer les guerres entreprises pour les seigneuries, ou pour les personnes, ou pour reparer les iniures, & offenses des vns enuers les autres., ou bien pour le droict de commerce, & hospitalité, qui peut estre entre les ennemis, pendant les trefues. Quant aux autres qui ne sont point ennemis, les traitez qui se font auec eux, sont par alliance egale, ou inegale. en celle cy l'vn recognoist l’autre superieur au traité d alliance: qui est double, à sçauoir quand l'vn recognoist l’autre par honneur, & n'est point en sa protection: ou bien que l’vn reçoit l'autre en protection: & l'vn, & l'autre, est tenu de payer quelque pension, ou donner quelquefecours: ou bien ils ne doiuent ny pension, ny secours. Quant aux alliez par alliance egale, que les Latins disoient "AEQVO FOEDERE,"[*]( Que c'est d'alliance esgale.) l’equalité s'entend, quand l'vn n'est en rien superieur à l’autre au traité, &r que l'vn n’a rien sus l’autre, pour la prerogatiue d'honneur, ores que l’vn doiue plus ou moins faire ou donner que l’autre, pour le secours que l’vn doit à l’autre. Et en ceste forte de traitez, il y a tousiours traité d’amitié, commerce, & hospitalité, pour heberger les vns auec les autres, & traffiquer ensemble de toutes marchandises, ou de certaines especes seulement, & à la charge de certains imposts accordez par les traitez. Et l’vne & l’autre alliance est double, à sçauoir defensiue seulement, ou defensiue & offenfiue: & peut estre encores l'vn & l’autre sans exception de perfonne, ou bien auec exception de certains Princes. la plus estroicte est celle, qui est offensiue, & defensiue., enuers tous, & contre tous, pour estre amy des amis, & ennemy des ennemis: & le plus souuent l’ordre est donné, les traitez de mariages des vns auec les autres: mais encores l’alliance est plus forte quand elle est de Roy à Roy, de Royaume à Royaume, & d’homme à homme, comme estoient anciennement les Roys de France & d’Espaigne, & les Roys d'Escosse & de France. C'est pourquoy les Ambassadeurs de France respondirent à Edoüard IIII. qui estoit chasse du Royaume d’Angleterre, que le Roy ne luy pouuoit aider, d’au tant que les alliances de France & d’Angleterre estoient faites auec les Roys & les Royaumes, de sorte que le Roy Edoüard chasse, la ligue demeuroit auec le Royaume, & le Roy qui regnoit. c'est l’effect de ces mots: Auec tel Roy, ses pays, terres, & seigneuries, qui sont quasi en tous les traitez. mais il faut aussi que les traitez soient publiez és cours souueraines, ou parlemens, & ratifiez par les estats du consentement du procureur general: comme il fut arresté au traité fait entre le Roy Loys XI. & Maximilian Archiduc l’an M.CCCCLXXXII. La troisiesme sorte d’alliance est de neutralité, qui n'est defensiue, ny offiensiue, qui peut estre entre quelques sugets de deux Princes ennemis, comme ceux du Franche-comté ont alliance de neutralité auec la maison de France, & sont asseurez en temps de guerre: en laquel-
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alliance fut compris le pays de Bassigny par l’abscheid de Bade, l’an M. D. LV. en accordant par le Roy la renouation d’alliance de neutralité pour le Franche-comté. Et toutes les susdites alliances sont perpetuelles, ou limitees à certain temps, ou pour la vie des princes, & quelques annees d’auantage, Comme il s’est: tousiours fait és traittez d alliance accordez entre les Roys de France, & les Seigneurs des ligues. Voila la diuision generale de tous les traittez qui se font entre les Princes, soubs laquelle sont comprises toutes les alliances particulieres. Car quant à la diuision des Ambassadeurs Romains, pour parlé de paix entr’eux, & Antioque le grand, elle est trop courte: "Tria sunt, " dit Tite Liue; "genera fœderum: vnum cum bello victis dicerentur leges: alterum cum pares belo aequo fœdere in pacem & amicitiam venirent: tertium cum qui nunquam hostes fuerunt, ad amicitiam foedere coeunt, qui neque dicunt, neque accipiunt leges. ". Tous les autres qui ne sont ny sugets, ny alliez, sont coalliez, ou ennemis, ou neutrès sans alliance, ny hostilité. & tous généralement, s'ils ne sont sugets, soient alliez, coalliez, ennemis, ou neutres, sont estrangers. les coalliez sont les alliez de nos alliez, qui ne sont pas pourtant nos alliez, non plus que le compagnon de nostre associé, n'est pas nostre[*]( l.socius sociij: pro socio ff.) compagnon: & toutefois ils font tousiours compris au traité d'alliance en termes généraux, ou specialement: comme les seigneurs de trois ligues grises, anciens alliez des Suisses, furent compris en termes exprès au traité d’alliance, fait l’an M. D. XXI. entre le Roy François I. & les Suisses[*]( Alliance des Suisses.) en qualité de coalliez: mais l’an M. D. L. ils furent alliez à la maison de France, & compris au traite d'alliance renouuellee entre le Roy Henry & les Suisses, en qualité d’alliez par alliance egale, en pareil degré, & pension que les Suisses, à sçauoir trois mil liures pour chacune ligue, pour oster les partialitez qui estoient entre les vns &les autres. car combien que les Sussies fussent alliez des ligues grises par alliance egale, par le traité fait entre les Grisons & les sept petits Cantons l’an M. CCCCXCVIII. si est-ce toutefois qu’ils contraignoient les seigneurs des ligues grises d’obeir aux abscheids arrestez en leurs diettes, comme ils ont fait encores depuis: qui fut cause à peu près de rompre l’alliance entre les Grisons & Suisses l’an M. D. LXV. non pour autre cause, comme disoientles Grisons, que pour faire cognoistre aux Suisses, qu’ils estoient egaux en alliance: mais la verité est, que l’Empereur prattiquoit cela soubs main, & donna onze mil escus aux plus factieux des Grisons pour en venir à chef, comme ils confesserent depuis estans appliquez à la torture, & furent condamnez en dix mil escus d’amende, comme i’ay apris des mémoires, & lettres de l'Ambassadeur de France, qui lors estoit vers Ies Grisons. Nous auons aussi l’exemple de ceux de Genesue, qui furent comprises traitez d'alliance faits entre la maison de France & les Bernois, en la protection desquels ils estoient lors & ont esté depuis l’an M.D.XXVII. iusques à l’an M.D.L.VIII. qu’ils s’exempterent de là pro
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tection, & traiterent alliance égale, & tousiours ont esté compris es alliances en qualité de coalliez. Or tout ainsi que les alliances offensiues, & defensiues, enuers tous, & contre tous sans exception, sont les plus estroictes qui soient: aussi la plus simple alliance, est de simple commerce & traffique, qui peut estre entre les ennemis: car combien que la traffique soit du droit des gens, si est-ce qu’elle peut estre defendue par chacun prince en son pays, & pour ceste cause les princes vsent pour ce regard de traitez particuliers, & octroient quelques priuileges & libertez: comme le traité de trafique, qui est entre la maison de France, & les villes maritimes des Osterlings: & des Milannois auec les Suisses, ausquels ils sont tenus par les traitez de commerce[*]( Traicté de commerce entre les Roys de France & les Osterlins.), liurer certaine quantité de grain, à certain pris porté par les traitez., que les Ambassadeurs François plusieurs fois ont voulu faire casier, pour la difficulté que faisoient les Suisses d’entrer fus le Milannois, voyans que le Senat de Milan faisoit defenses de transporter les viures du pays: & mesmement l’an M.D.L. lors que les officiers de Milan défendirent le traitéjes Suisses furent à vn poinct: près de traiter alliance defensiue pour le Milannois, ou pour le moins alliance de neutralité: sans laquelle alliance de neutralité, le suget pris par les estrangers, qui ne seroient alliez en forte quelconque, ny declarez ennemis, doit rançon[*]( l.post liminium.): & s'il est pris par les alliez amis, ou alliez en neutralité, il n'est point prisonnier, comme dit la loy[*]( l. post liminium de captiuis.ff.). Quand ie dy ennemi, i'entends qui a denoncé, ou bien auquel on a denoncé la guerre ouuertement[*]( l.hostes de captiuis.& de verb.sig.), de parole, ou de faict. quant aux autres ils font estimez voleurs ou pirates, auec lesquels le droit des gens ne doit auoir aucun lieu, Anciennement il y auoit aussî traicté d'alliance pour auoir iustice, mesmement en Grece: toutesfois peu à peu la porte de Iustice a esté ouuerte à tous estrangers. Mais en quelque forte d’alliance que ce soit, tousiours la souueraineté de part & d’autre est reseruee: autrement celuy qui reçoit la loy, est suget à celuy qui la donne, & Ie plus foible obeit au plus fort: ce qui ne se faict pas és traictez d’alliance egalle: carie plus foible, est égal au plus grand, & ne le cognoist aucunement: comme on peut voir au traité d alliance egale, fait entre le Roy de Perse, & la seigneurie de Thebes:[*]( Plutar.in Pelopida.) car combien que le Roy de Perse, estendist sa puissance depuis l’Indie Orientale, iusques au far de Constantinople. & que les Thebains n’eussent que le pourpris de leur ville, & la Beoce: si est-ce neantmoins que l’alliance fut egalle. Quand ie dy que le protecteur a prerogatiue d’honneur, cela ne s’entend pas feulement pour estre le premier allié, comme fut Louys xj. Roy de France auec les Suisses, qui luy firent cest honneur, par dessus le Duc de Sauoye, qui estoit au parauant le premier: car tousiours le prince souuerain, pour petit qu’il soit en alliance egalle, est maistre en sa maison, & tient le premier rang par dessus tous les Princes venans en son pays: mais si le protecteur vient, il est le premier en seance, & en tous honneurs. Ici dira quelqu’vn: Pourquoy les alliez
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en ligue offensiue, & defensiue, enuers & contre tous sans exception, vsans de mesmes coustumes, de mesmes loix, de mesmes estats, demesmes diettes, seront reputez estrangers les vns des autres. Nous en auons l'exemple des Suisses, qui sont alliez entr’eux, de telle alliance que i’ay dit, depuis l’an M.CCCXV. Ie dy neantmoins que telles alliances n’empeschent pas que les vns ne soient estrangers[*]( d.l. non dubito.) des autres: & ne fait pas qu’ils soient citoyens les vns des autres. Nous[*]( Alliance des Romains & Latins) en auons aussi l’exemple des Latins, & des Romains, qui estoient alliez en ligue offensiue & defensiue, vsoient de mesmes coustumes, mesmes armes, mesme langue, auoient mesmes amis, & ennemis. Et de fait les Latins soustenoient que c’estoit, & deuoit estre vne mesme Republique, & demandoient auoir part aux estats & offices de Rome commeles Romains. "Si societas (disoient[*]( Liuius lib.8) ils ) aequatio iuris est, si socialis exercitus illus est. quo duplicent vires suas, cur non omnia aequantur? cur non alter ab Latinis Consul datur? vbi pars virium, ibi & imperij pars est." peu apres,"Vnum populum, vnam Rempublica fieri aquum est. Tum Consul Romanus, Audi, Iuppiter, haec scelera, peregrinos, Consules & peregrinum senatum in tuo templo, &" Il appelle estrangers, ceux qui estoient alliez de la plus forte alliance qu’il est possible de penser. Plusieurs sont en mesme erreur, que les Suisses n’ont qu’vne Republique, & neantmoins il est bien certain qu’ils ont treize Republiques, qui ne tiennent rien l’vne de l’autre, ains chacune a sa souueraineté diuisee des autres. Au parauant ce n'estoit qu’vn membre & vicariat de l’Empire, les premiers qui se rebellerent, furent les habitans de Suid, Vri, Vnderual, & traitèrent alliance offensiue, & defensiue au mois de Decembre l’an m. CCCXV. où il fut dit parle premier article, que nul n’endureroit aucun Prince pour seigneur. & l’an M.D.XXXII. il se fist alliance des quatre Cantons, qu’on appelloit les quatre villes des bois Vri, Schuits, Vnderual, Lucerne: & l’an M.CCCLI. Suric entra en alliance auec les quatre. & M.CCC LII. Zoug fut aussi receuë auec les cinq. & l’annee suyuante Berne. & l'an M.CCCXCIII. se fist le traité de Saupac, apres que la Noblesse fut defaite, & alors Suric, Lucerne, Berne, Soleure, Zoug, Vri, Schuuits, Vnderual, & Glaris firent alliance offensiue, & defensiue: & renouuellee l’an M.CCCCLXXXI. Basle y fut receu l’an m. d. i. & Schafusen aussi, & Apenzel l’an M.D.XIII. Milhuse l’an M.D.XV. Rotuil l’an M.D. XIX. les Valesiens l’an M.D.XXVIII. outre l’ancien traité particulier fait entr’eux & Ies Bernois l’an M.CCCCLXXV. en ligue defensiue. Bienne entra aussi en ligue offensiue, & defensiue auec les Bernois, l’an M. CCCLII. lors qu’ils s’exempterent de la puissance de l’Euesque de Basle leur Prince souuerain. tous lesquels traitez l’Abé d’Orbez, quia esté Ambassiadeur en Suisse, m'a fait voir: par lesquels non seulement on peut remarquer la pluralité de Republiques, ains la diuersité des alliances, car ceux de Berne peuuent sommer les trois petits Cantons pour le secours, en vertu du premier traité. & Suric & Berne se peuuent
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sommer reciproquement: ceux de Lucerne peuuent sommer des huit Cantons les cinq. Et les trois petits peuuent sommer tous les autres: & pour diuerses causes. L’alliance est egale & les estats de tous les Cantons le tiennent ordinairement tous les ans: & ce qui est arresté à la pluralité des treize, concernant la communauté, oblige vn chacun en particulier, & la moindre partie de tous en nom collectif. Les derniers qui ont entre en ligue soubs la protection des Bernois, ont esté ceux de Geneue. Tous les alliez, confederez, & coalliez, font vingt & deux Republiques, auec l’Abé de S. Gal Prince souuerain, separees de fouueraineté, & chacune a ses Magistrats à part, estat à part, bourse à part, domaine à pan, territoire à part. Brief, les armes, le cri Je nom, la monnoye, Ie seel Je ressort, la iurisdiction, les ordonnances de chacun estat, font diuisez. Et si l’vn des Cantons acquiert quelque chose, les autres n’y ont rien:comme les Bernois ont bien fait cognoistre, car depuis qu’ils font entrez en ligue, ils n’ont gueres moins conquesté de quarante villes, où les autres n’ont que voir, comme il fut iugé par le Roy François i. esleu par eux arbitre pour ce regard. Et mesme ceux de Basel l’an M. D. L.X. presterent au Roy de France cinquante mil escus, à la caution du Canton de Soleure. Et d’autant qu’ils ont acquis en commun le bailliage de Lugan, & quelques autres terres delà les monts, chacun Canton y enuoye magistrats, & gouuerneurs, les vns apres les autres. Aussi ont ils Bade commun aux huit Cantons de l’ancienne ligue: ou ils tenoient ordinairement leurs diettes: & en tous ils ont neuf preuostez communes entr’eux. & neantmoins chacun en tire son profit à part. On sçait assez qu’ils sont aussi diuisez de religion, & souuent eussent pris les armes les vns contre les autres, si le Roy de France n’y eust sagement pourueu, tant pour la bonne amitié & syncere affection qu'il leur porte, que pour l’interest notable qu’il a de les maintenir en paix, ce qui n’a pas esté sans difficulté bien grande: mesmement le Roy fut tresbien aduerti par lettres de son Ambassadeur, qui lors estoit à Soleure l’an M. D. LXV. que l'Euesque de Terracine Nonce du Pape, dardoit autant de flammeches, pour ambraser le feu entr’eux, que le Roy gettoit d’eau froide pour l’estaindre. Mais on dira que tous ensemblene font qu’vn estat, attendu que ce qui est arresté en leurs diettes en commun, oblige vn chacun des Cantons, & la moindre partie de tous. comme les sept Cantons catholiques feirent bien entendre aux quatre Protestans, à la diete tenue en Septembre M.D.LIIII. d’autant que le pays commun situé delà les monts, est en partie de la religion, & se gouuerne par les magistrats, que chacun Canton y enuoye en son tour.[*](Que les cantons des Suisses ont diuerses Republiques.)  Il aduint que les sept Cantons catholiques, feirent obliger ceux du pays commun, de ne changer la religion catholique, & suiuant ceste obligation voulurent depuis proceder contre ceux de la religion: les Cantons protestans s’y opposerent, & ja s'apprestoient d’entrer en guerre, si l’Ambassadeur de
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France ne fust interuenu, qui pacifia le tout fort dextrement: à la charge toutefois que les sugets communs de la religion, seroient punis, si la pluspart des Cantons estoit de cest aduis. & neantmoins que les Cantons catholiques, rendroient les lettres obligatoires des sugets communs. par ce moyen leurs differens furent appaisez: à quo y seruirent bien les Cantons de Glaris, & d’Apenzel, qui receuoient indifferemment l'vne & l'autre religion, & faisoient comme vn contrepoix entre les vns, &: les autres. Mais il apert que la pluspart des Cantons, oblige la moindre partie en nom collectif, & chacun en particulier. Et qui plus est, pas vn des Cantons ne peut auoir alliance auec Prince quelconque, si le consentement de tous n’y est. & de fait les Cantons protestans, ayans traité alliance auec le Landgraf de Hessen & la Seigneurie de Strasbourg, l’an M. D. XXXII. furent contraints s'en departir. comme en cas pareil les Cantons catholiques quitterent aussi l'alliance nouuelle traitee auec la maison d’Austriche. neantmoins cinq Cantons catholiques, Lucerne, Vri, Schuuits, Vnderuualden, & Zug, ont traite alliance auec le Pape Pie IIII. pour la defense de leur religion: mais elle n’a point esté renouucllee auec les successeurs. & ce qui plus empescha le traité d alliance fait entre le Roy François I. & les Suisses., fut l’opposition des Cantons protestans, qui se firent long temps prier, & neantmoins ils ne traiterent alliance que pour la paix: & combien que Schafuzen, & Basel, ont depuis entré auec les autres catholiques en ligue defensiue pour le Roy de France, si est-ce que ceux de Berne & de Surich firent defense à leurs sugets l’an M.D.LIIII. sur peine de la vie d'aller au secours du Roy de France: & l’annee mesme les Seigneurs du Canton d'Vnderuualden, sollicitez par le Cardinal de Trente, de luy permettre leuee d’hommes en leur pays, feirent defense[*](l’an 1554.en Septembre.)  à tous leurs sugets, d'aller au seruice d’autre Prince, que du Roy de France, sus peine de confiscation de corps, & de biens. Qui sont tous argumens indubitables, pour monstrer qu’il y a autant de Republiques, qu’il y a de Cantons. En cas pareil les trois ligues des Grisons, qui ont cinquante communes, font trois Republiques, separees de puissance & de souueraineté. Et lors que les deputez des trois ligues s'assemblent, la plus grande enuoye XXVIII. deputez, la seconde XXIIII. la troisiesme XIIII. & à la pluralité des voix ce qui touche l’alliance commune est resolu. quelquefois aussi toutes les communes s'assemblent pour les choses de plus grande importance. En quoy s'abusent ceux là, qui des trois Republiques n’en ont voulu faire qu’vne. Caries estats communs, le domaine commun, les dietes communes, les amis, & ennemis communs, ne font pas vn estat commun, ores qu’il y eust vne bourse de certains deniers communs, ains la puissance souueraine, de donner loy chacun à ses sugets. comme en cas pareil, si plusieurs chefs de famille estoient associez de tout leur bien, ils ne feroient pas pourtant vne mesme famille. Nous ferons mesme iugement des alliances con-
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tractees entre les Romains & les villes d’Italie, confederez en ligue offensiue & defensiue, contre tous sans exception: & toutefois s'estoient Republiques separees de ressort, &. souueraineté.  Nous dirons le semblable de la ligue des sept villes Amphictyoniques, qui auoient leur ressort, souueraineté separees:[*](Alliance des villes Amphyctioniques.) & depuis plusieurs autres villes, & seigneuries entrerent[*](Pausan.in Eliacis.Strabo.lib.4.)  en mesme ligue, pour la decision de leurs differends: & chacune seigneurie enuoyoit tous les ans ses Ambassadeurs, & deputez aux estats communs, ou les plus grands affaires, procés, & differends d’entre les Princes, & seigneuries estoient vuidees[*](Pausan.in Achaicis & Diodor.lib.16.)  par les deputez, qu'ils appelloient Myrios. Les Lacedemoniens furent par eux condamnez enuers la Seigneurie de Thebes à la somme de x xx. mil escus: & pour n'auoir obey à l’arrest furent condamnez au double: par ce qu’ils auoient surpris le chasteau de la Cadmee, contre le traité de la paix. & depuis les Phocenses furent aussi condamnez à restituer l’argent par eux mal pris au temple de Delphe: & à faute de ce faire, tout leur pays fut adiuge au thresor du temple. & s'il y auoit personne qui desobeist aux arrests Amphidtyoniques, il encouroit l’indignation de toute la Grece. Icy on peut dire, que toute la Grece n’eftoit qu’vne Republique, veu la puissance des estats Amphyctioniques. & neantmoins c'estoient toutes Republiques separees, ne tenans rien les vnes des autres, ny des estats Amphictyoniques, sinon qu’ils eussent compromis, comme les Princes ont accoustumé de compromettre, & choisir pour arbitres leurs alliez: ce que n’auoient pas fait les Lacedemoniens, ny les Phocenses. aussi les Phocenses pour faire entendre aux Amphictyones, qu’ils n’auoient point de puissance sur eux, ils arracherent, & casserent l'arrest des Amphidtyories, affiché aux colonnes du temple de Delphes. Vray est que Philippe Roy de Macedoine, qui n’estoit point de la ligue, print ceste occasion de ruiner les Phocenses. & en recompense il obtint le lieu & priuileges des Phocenses, & les Lacedemoniens furent deboutez de la ligue Amphictyonique, pour leur auoir presté secours. Nous trouuons vne ligue quasi semblable entre les anciens Gaulois, comme on peut voir aux Memoires de Cesar, où il dit, que Vercingetorix esleu Capitaine en chef, fist assembler les estats de toute la Gaule.[*]( Alliances des anciennes Republiques de la Gaule.)  Et combien que les scigneuries d’Autun, de Chartres, de Gergoye en Auuergne, de Beauuais, ne tinssent rien les vns des autres, & que la seigneurie de Bourges fust en la protection d’Autun: & ceux de Viaron en la protection de Bourges, & consequemment les autres villes en mesme forte, si est-ce que tous les Princes, & Seigneuries passoient leurs differends par l’aduis, & iugement des Druides, autrement ils estoient par eux excommuniez, & fuiz d’vn chacun comme gens detestables[*](Caesar.lib.6.) . Et neantmoins il est tout notoire, que les Republiques que i’ay dites, auoient leurs souuerainetez diuisees les vnes des autres. Mais aussi aduient-il, que ce n’est qu’vn estat, vne Republique, vne seigneurie, quand les partisans d'vne ligue
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s'accordent en mesme souueraineté: chose qui n’est pas aisee à iuger, si on n’y regarde de pres. Comme la ligue des Acheans, n’estoit au commencement que de trois villes, separees d’estat, ressort, & souueraineté, alliees par alliance egale, offensiue & defensiue.[*](Ligue des Acheans.)  mais peu à peu elles furent si eftroictement vnies ensemble, pour les guerres continuelles qu’elles auoient, que ce fut en fin vne Republique composee de plusieurs. & par suite de temps ils attirerent toutes les villes de l’Achaie, & de la Moree à leur estat, demeurant tousiours le premier nom des Acheans: comme il est aduenu aux Seigneurs des ligues qui s’appellent Suisses, par ce que le Canton de Schuuits, qui est le plus petit, fut le premier qui se reuolta, & tua le gouuerneur. Et tout ainsi qu’on appelloit les Acheans correcteurs des tyrans: aussi les Suisses emporterent ce tiltre d'honneur. Ét mesmes les villes du Royaume de Naples, apres le massacre des Pythagoriens, estans troublees, & ne sçachans à qui auoir recours, se getterent en la protection[*](Polyb.lib.2.)  des Acheans. Le moyen de faire de ces Republiques là vne seule, fut Aratus qui le trouua[*](Plutar.in Arato.Pausan.in achai.Strabo lib.6.Polyb.lib.3.Liuius lib.32.) car il fist arrester par les estats, que tous les ans on esliroit vn Capitaine en chef, pour commander en guerre, & presider aux estats: & au lieu que chacune ville enuoyoit ses Ambassadeurs, & deputez, pour donner voix deliberatiue, il fist qu’on eliroit dix Damiourges, qui auroient seuls voix deliberatiue, & pouuoir de resouldre, arrester, & decider les affaires d'estat: & les autres deputez n’auroient que voix consultatiue. Ces deux poincts gaignez, il se trouua peu à peu vne Republique Aristocratique, au lieu de plusieurs monarchies particulieres, Aristocraties, & seigneuries populaires, car plusieurs tyrans y furent attirez, qui par amour, qui par force: & toutes les conquestes faites par les Capitaines en chef des Acheans, demeuroient vnies à l'estat des Acheans: de sorte que tou tes les villes de l’Achaie & de la Moree, estant assugeties, vnies, & incorporees à l’estat des Acheans, vsoient de mesmes loix, mesme droict, mesmes coustumes, mesme religion, mesme iustice, mesme monnoye, mesme poids, ainsi que dit Polybe[*](lib.3.) . Et les Roys de Macedoine entrerent aussi en ligue, & les deux Philippes, Antigonus, & Demetrius furent Capitaines en chef des Acheans, retenans toutesois leur Royaume separé de la seigneurie des Acheans. Mais les Romains cognoissans bien qu’ils ne pourroient pas assugetir la Grece, demeurant la ligue des Acheans en son entier, donnerent mandement à Gallus Proconsul, de faire en sorte, que la ligue fust desiointe: ce qui fut assez bien executé, soubs couleur qu’il y eut quelques villes, qui firent plainte aux estats, que soubs ombre de ligue, & alliance egalle, on leur auoit osté le maniement de leur estat & souueraineté: & s'asseurans de l'appuy des Romains, se reuolterent contre la communauté des Acheans. pour à quoy obuier, & empescher les autres villes de faire le semblable, Aratus obtint commission des estats pour informer contre les rebelles. alors les villes qui- *
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(FOOTNOTE #6) s’estoyent reuoltees se mirent en la protection des Romains, à la charge que leur estat, & souueraineté leur demeureroit. & craignant que les Lacedemoniens, s'alliassent auec les Acheans, qu’ils auoient assugetis, par le traitté fait entre les Romains, & la ligue des Acheans, il fut arresté, que les Lacedemoniens demeureroient sugets des Acheans, hors mis fil estoit question de là vie, que les Acheans n'en pourroient[*](Pausan.lib.7.)  cognoistre: qui estoit en effect les exempter de la puissance des Acheans, & neantmoins les entretenir en perpetuel discord, pour les affoiblir dauantage. Ils vserent de mesme ruse enuers les Ætoliens,[*](Liuius.lib.31.) qui estoit vn autre estat, & ligue separee des Acheans composee de trois villes, qui auoient aussi leur estat, ressort, & souueraineté diuisez: mais en fin ils suiuirent la forme des Acheans, & de trois Republiques alliees par alliance egale offensiue & deffensiue, ils establirent vne Republique Aristocratique, maniee par les estats des trois ligues, & par vn Senat commun, auquel presidoit le Capitaine en chef esleu par chacun an. Nous polluons dire le semblable de XXIII. villes de Lycie, qui establirent vne Republique Aristocratique, semblable à celle des Acheans: horsmis que les deputez des plus grandes villes auoient trois voix deliberatiues, les mediocres en auoient deux, les autres en auoient vne, comme dit Strabon. & au surplus ils elisoient aux estats le Capitaine general, qu’ils appelloient Lyciarque, & les autres magistrats & iuges de toutes les villes. Les autres alliances & ligues des treize villes Ioniques:[*](Ligues des treize villes Ioniques.)  & des douze villes de la Toscane: & des XLVII. villes Latines, furent bien contractees par alliance egale, offensiue, deffensiue: & tenoient leurs estats par chacun an: elisoient aussi quelquesfois, mais non pas tousiours, vn Capitaine en chef, quand la guerre estoit ouuerte contre les ennemis: & neantmoins la souueraineté de chacune ville, demeuroit en son estat, comme les Suisses. car combien que la ville de Rome eust entré en ligue auec les Latins, & mesmes que Seruius Tullius, &Tarquin l’orgueilleux eussent esté esleus capitaines en chef de la ligue des Latins,[*](Dionys. Halicarnas.lib.4.)  si est-ce neantmoins que chacune ville tenoit son ressort, & souueraineté, & les Roys de Rome ne perdoient rien de leur maiesté: Et toutesfois il sembleroit de prime face, que telles ligues fussent semblables à celle des Acheans. Mais il n'y en a pas vne pareille excepté celle des Ætoliens, & à present l'estat & Empire des Alemans, que nous monstrerons en son lieu n’estre point monarchie, ains vne pure Aristocratie, composee des Princes de l’Empire, des sept Electeurs, & des villes Imperiales.[*](Ligue des Ætoliens.)  Et tout ainsi que la seigneurie des Acheans esleut pour Capitaine les Roys de Macedoine, Antigon, & Philippe second: & la ligue des Ætoliens esleut Atale Roy d’Asie comme dit Tite Liue:[*](lib.27.) & pareillement la ligue des Latins les Roys de Rome, & autres Princes voisins: aussi les Electeurs souuent ont esleu des Princes estrangers: comme Henry de Lutzembourg, Alphons x. Roy de Castille, Char-
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les v. Flamen, quoy qu'ils fussent souuerains en leurs Royaumes, neantmoins sugets à l’Empire, comme capitaines en chef: car tout ainsi que le Capitaine en chef, n'estant point souuerain de ceux qui l’ont esleu, ne fait pas que la ligue soit vnie en Republique: aussi il ne change en rien l'estat, & vnion de la Republique, à laquelle il est appelle. comme nous trouuons que Philippe de Valois, Roy de France, fut esleu Capitaine en chef de l’Eglise Romaine, & qualifié tel au traicté d’alliance[*](Pan.1333.)   fait entre Henry Conte Palatin, qui depuis fut Empereur, & Philippe de Valois. & sans aller plus loing, Adolphe oncle de Friderich Roy de Dannemarch, fut esleu Capitaine[*](l’an 1560.)  de la ligue des villes maritimes. ce qui est ordinaire aux Venitiens, de choisir vn Capitaine en chef estranger. Ie sçay bien que les Empereurs d’Alemagne pretendent bien vne qualité plus haute que de capitaines en chef: nous le toucherons en son lieu. Aussi pretendent ils auoir puissance de commander, non seulement aux Princes de l’Empire: ains aussi à ceux qui n’en tiennent rien. Et n’y a pas long temps que l’Empereur Ferdinand enuoya Ambassadeurs aux Suisses, afin qu’ils n’eussent à receuoir Grombac, ny ses adherans, bannis de l’Empire: & les lettres de l’Empereur portoient quelque commandement: que les Suisses trouuerent bien estrange. Et mes mes l’Ambassadeur Morlet aduertit[*](L’an 1557.)  le Roy, que le gouuerneur de Milan auoit fait defense au Cardinal de Syon, comme ayant charge de l’Empereur, de n’entrer en alliance auec le Roy de France, parce qu’il estoit Prince de l’Empire, mais le Cardinal de Syon n’en fist pas grand conte, & sans auoir esgard aux defenses, contracta alliance auec le Roy: aussi tiroit-il douze cens liures de pension de France. Il est bien vray qu’en tous les traittez d’alliance faits entre les feigneurs des ligues, & les autres Princes, l’Empire est tousiours excepté, s'il n’en est fait mention expresse. Et pour ceste cause la Guiche Ambassadeur pour le Roy vers les Suisses, eut charge expresse, comme i’ay veu par l’instruction qui luy fut baillee, de faire mention de l’Empereur au traitté d’alliance de l’an M.D.XXI. car les Alemans se fondent fur vne maxime, en vertu de laquelle l’Empereur Sigismond fist prendre les armes aux Suisses contre Frederich d’Austriche, au preiudice de l’alliance faicte auecques la maison d'Austriche, presuposant que l’Empire estoit superieur des Suisses: & qu’en tous traittez d’alliance le droit du superieur est tousiours excepté, encores qu’il n’en soit fait mention expresse: ce qui est bien certain, quant à la maxime: mais les feigneurs des ligues ne confesseront pas que l’Empire ayt aucune superiorité sur eux, & beaucoup moins l’Empereur, suget aux estats del’Empire. Il est bien vray que par le traitté fait entre les huit Cantons anciens, il y a clause expresse par laquelle les Cantons de Suric, Berne, Schuuits, Vnderualden, comme ayans esté des appartenances de l’Empire, declarerent qu’ils entendoient pour leur regard comprendre au traitté le sainct: Empire, aux droits
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duquel ils n'entendoient preiudicier par le traitee. & depuis peu d’annees les Cantons de Suric, Lucerne, Vri, Glaris enuoyerent Ambassadeurs au nom de tous les Cantons de Suisse pour obtenir confirmation de leurs anciens priuileges de Ferdinand, tenant les estats en la ville d'Auspurg. & par les traitez d’alliance, faits entre le sainct Empire, & les seigneurs des ligues, il est expressement articulé, qu'ils ne presteront aucun secours à Prince estranger pour faire guerre fus les terres de l'Empire: comme i'ay apris par la copie des lettres de l’Empereur Charle V. escriuant aux seigneurs des ligues:[*](L’an.1553.)  par lesquelles il se plaint que leurs sugets estoyent entrez sus les terres de l’empire, conioints auec les forces du Roy de France, contre la teneur expresse des alliances qu’ils ont auec l’Empire. & par autres lettres il demande aux feigneurs des ligues, qu’ils facent punition de leurs sugets, qui auoient inuadé les terres de la maison d'Austriche, contre l’alliance hereditaire faite pour le domaine de la maison d'Austriche, l’an M.CCCCLXXVII. & confirmee l’an où le siege de Rome, le Pape & l’Empire sont reseruez, & en payant par an à chacun Canton deux cens florins de Rhin: laquelle alliance fut renouuellee par les XIII. Cantons, à la diette de Bade arreftee le XX. Iuillet M. D. LIIII. Ioint aussi que l’alliance contractee entre lesdits seigneurs des ligues & le Roy, ne porte que ligue defensiue, pour la conseruation des estats des alliez, qui sont les vrayes raisons, pour lesquelles les Suisses sont retenus de porter les armes fus les terres de l’Empire, & de la maison d'Austriche, & non pas pour le droit de superiorité, que l’Empire ait fur eux. Ce qui est encore plus expressément verifié par le traitté d’alliance renouuellé entre le Roy, & les feigneurs des ligues au mois de Iuin, l'an M.D.XLIX. de laquelle font exclus tous ceux, qui ne sont point sugets des Suisses, ny de langue Germanique: ce qui fut aussi arresté par Labcheid de Bade l’annee mesme. C’est pourquoy l’Empereur Charles v. s'est efforcé par tous moyens de faire accorder aux Suisses, que le Duché de Milan, les Royaumes de Naples, & de Sicile fussent compris au traitté d’alliance hereditaire, fait pour la maison d'Austriche: ce qu’ils refuserent l’an M.D.LV. Nous ferons mesme iugement des Grizons[*](Ligue des Grizons.) , qui ne tiennent rien de l'Empire, &moins encores de l'Empereur, comme ils firent bien cognoistre l’an M.D.LXVI. quand l’Empereur ottroya le droit de regales, qu’il pretend sus l’Euesché de Coïre., à vn Prince de l’Empire, esleu par le chapitre, & pourueu du Pape. ceux de Coïre l’empescherent, & procederent à l’election d'vn autre. & sus le differend des trois ligues Grizes, & de ceux qui estoient esleus, les XIII. Cantons de Suisse, suiuant les traittez d’alliance, enuoyerent leurs deputez, lesquels fans auoir esgard, ny à la prouision du Pape, ny à la confirmation de l’Empereur, adiugerent l’Euesché à celuy qui estoit esleu par le chapitre, suget des Grizons: & ordonnerent que deslors en auant, celuy seroit Euesque, que la ligue de la Cadde nommeroit. Mais on
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peut doubter, s'il est permis aux sugets de traitter alliance particuliere entre-eux, & auec autres Princes, sans le consentement du souuerain. les Monarques ont bien accoustumé d’empescher telles alliances, pour la consequence que cela peut tirer apres soy: & mesmement le Roy catholique par edits expres l’a tresbien defendu à tous ses sugets. Et n’y eut accusation plus grade contre Loys de France Duc d’Orleans, apres qu'il fut tué, que d’auoir traitté alliance auec le Duc de Lancastren. Toutesfois les Princes de l’Empire ont accoustumé de contracter telles alliances, esquelles l’Empire est tousiours compris: au preiudice duquel les traittez seroient resolus, & de nul effect. ce qui n'a pas lieu pour le regard de l’Empereur: comme on fist bien entendre à l’Empereur Charles v. au traicté de Chambort, fait l’an M.D.LII. entre le Roy de France, & plusieurs Princes Alemans, qui. contracterent ligue offensiue, & defensiue nommeement contre l’Empereur, pour la liberté de l’Empire: & le Roy de France Henry II. fut nommé Capitaine en chef de la ligue, & qualifié protecteur des Princes, & de la: liberté de l’Empire. Et l'an M.D.LIX. il y eut semblable alliance offensiue & defensiue entre le Roy de Suede, le Marquis Assemberg, le Duc de Brunsuich, le Duc de Cleues, le Prince d’Orenge, le Conte d’Aiguemont, &. plusieurs: villes Impériales, d’vne part. & le Roy de Dannemarc, le Duc Auguste Electeur, le Landgraf de Hessen, le Duc de Holstain, le Duc de Bauiere, la ville de Nuremberg, les Euesques de Wircibourg, & Bamberg, la ville de Lubec, & plusieurs autres, auec Sigismond Auguste Roy de Pologne, d’autre part. Et mesmes l'Empereur Charles v. traitta alliance particuliere auec le Duc de Bauiere, & autres Princes catholiques, pour faire élire Ferdinand Roy des Romains. Et depuis la ligue Franco nique fut iuree entre la maison d'Austriche, le Duc de Bauiere, les trois Euesques de Franconie, l’Archeuesque de Salisburg, les villes d’Ausburg, & Nuremberg. & neantmoins Ferdinand Roy des Romains, fist encore ligue particuliere auec l’Euesque de Salisburg contre les Protestans M.D.LVI. On a veu aussi la ligue de Suaube auoir traitté alliance offensiue & defensiue pour XL. ans, sans rien excepter que l’Empire. & Semblable ligue entre les villes maritimes, qu’on appelle Wandales, à sçauoir Lubec, Hambourg, Vimare, Rostoc, Bresme, Suid, villes Imperiales, elisans pour Capitaine en chef Adolphe, oncle du Roy de Dannemarc, qui n’est aucunement suget de l’Empire. Et qui plus est la noblesse de Dannemarc a traitté ligue defensiue auec Sigismond Auguste Roy de Pologne, & la ville de Lubec contre le Roy de Dannemarc, qui seroit crime de leze maiesté au premier chef, si le Roy de Dannemarc estoit absoluëment souuerain: ce que nous toucherons en son lieu. Mais il faut premierement dire de la seureté des alliances. *
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LA souueraineté est la puissance absoluë & perpetuelle d’vne Republique, que les Latins appellent maiestatem, les Grecs GREEK TEXT: les Italiens segnoria, duquel mot ils vsent aussi enuers les particuliers, & enuers ceux-la qui manient toutes les affaires d'estat d’vne Republique: les Hebrieux l’appellent HEBREW TEXT, c’est à dire, la plus grande puissance de commander. Il est icy besoin de former la definition de souueraineté, par ce qu’il n’y a ny Iurisconsulte, ny philosophe politique, qui l’ait définie: iaçoit que c’est Ie poinct principal, & le plus necessaire d’estre entendu au traitté de la Republique.[*](le fondement principal de toute Republique.)  Et d’autant que nous auons dit que Republique est vn droict gouuernement de plusieurs familles, & de ce qui leur est commun, auec puissance souueraine, il est besoin d’esclarcir que signifie puissance souueraine. I’ay dit que ceste puissance est perpetuelle: par ce qu’il se peut faire qu’on donne puissance absoluë à vn, ou plusieurs à certain temps, lequel expiré, ils ne font plus rien que sugets: & tant qu’ils font en puissance, ils ne se peuuent appeller Princes souuerains, veu qu’ils ne font que depositaires, & gardes de ceste puissance, iusques à ce qu’il plaise au peuple ou au Prince la reuoquer: qui en demeure tousiours saisi. car tout ainsi que ceux qui accommodent autruy de leurs biens, en demeurent tousiours seigneurs, &[*](l.qui pignori.de vsucapion.l.quod meo.de acquir.poss.ff.)  possesseurs: ainsi est-il de ceux-la qui donnent puissance, & autorité de iuger, ou commander: soit à certain temps, & limité, soit tant, & si long temps qu’il leur plaira, ils demeurent[*](l.more.iurisdic.l.& quia.eod.ff.)  neantmoins saisis de la puissance, & iurifdiction, que les autres exercent par forme de prest, ou de precaire. C’est pourquoy la loy dit, que le gouuerneur de pays, ou Lieutenant du Prince, apres son temps expiré, rend la puissance comme[*](l.vna de off.praef.augustal.ff.)  depositaire, & garde de la puissance d’autruy. Et en cela il n’y a point de difference du grand officier au petit. autrement si la puissance absoluë, ottroyee au Lieutenant du Prince, s'appelloit souueraineté, il en pourroit vser enuers son Prince, qui ne seroit plus qu'vn chifre, & le suget commanderoit au seigneur, le seruiteur au maistre: chose qui seroit absurde, attendu que la personne du souuerain, est tousiours[*](l.vlt.qui satisdare.Corset.de pot.Reg.9.17.)  exceptee en termes de droict, quelque puissance, & auctorité qu’il donne à autruy: & n’en donne iamais tant, qu’il n’en retienne tousiours dauantag :[*](cap.dudum.de præb.lib.6.)  & n’est iamais exclus de commander, ou de[*](l.Iudicium soluitur.de iudic l.solet.de iurisdic.ff.)  cognoistre par preuention, ou concurrence, ou euocation, ou ainsi qu’il luy plaira des causes dont il a chargé son suget: soit commissaire, ou officier: ausquels il peut[*](Alexand.in l.vlt.de iurisd.Panor.in cap.pastoralis.de offi.ordin.Innocent.& Felin.in cap.cum ecclesiarum.eod.)  oster la puissance qui leur est attribuee, en vertu de leur commission, ou institution: ou la tenir en sou-
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france tant, & si longuement qu’il luy plaira. Ces maximes ainsi posees, comme les fondemens de la souueraineté, nous conclurons que le Dictareur Romain,[*](Dionys.Halicar.lib.9.) ny l’Harmoste de Lacedemone, ny l’Esymnete de Salonique, ny celuy qu’on appelloit Archus à Malte, ny la Balie ancienne de Florence, qui auoient mesme charge, ny les Regens des Royaumes, ny autre commissaire, ou Magistrat, qui eust puissance absoluë à certain temps, pour disposer de la Republique, n’ont point eu la souueraineté:[*](Le dictateur n’estoit pas souuerain.) ores que les premiers Dictateurs eussent toute puissance, & en la meilleure forme que faire se pouuoir, que les anciens Latins[*](Festus Pompeius in verbo optima lege.)  disoient, OPTIMA LEGE, caralors il n’y auoit point d’appel, & tous les officiers estoient suspendus:[*](Plutar.in quæst.Roman.)  iusques à ce que les Tribuns furent instituez, qui demeuroient en charge, nonobstant la creation du Dictateur, & auoient leur opposition sauue: & s'il y auoit appel intergetté du Dictateur, les Tribuns faisoient assembler le menu peuple, & donnoient assignation aux parties, pour deduire leurs causes d’appel, & au Dictateur pour soustenir son iugement: comme il se fist quand le Dictateur Papyrius Cursor voulut faire mourir Fabius[*](Tum pater Fabij, Tribunos, inquit appello, & prouoco ad populum, qui plus quam tua dictatura potest, cui Rex Tullus Hostilius cessit.Liuius lib.7.) Maximus I. Colonel des gens de cheual: & Fabius Maximus II. Dictateur , voulut faire le semblable enuers Minutius Colonel de sa queualerie. En quoy il apert que le Dictateur n’estoit ny Prince, ny Magistrat souuerain, comme plusieurs ont escrit, & n’auoit rien qu’vne simple commission, pour faire la guerre, ou reprimer la sedition, ou reformer l'estat, ou instituer nouueaux officiers. Or la souueraineté n’est limitee, ny en puissance, ny en charge, ny à certain temps. Et mesmes les dix commissaires, establis pour reformer les coustumes & ordonnances, iaçoit qu’ils eussent puissance absoluë, & sans appel, & que tous les magistrats fussent, pendant leur commission, suspendus, si est-ce qu’ils n’auoient pas pourtant la souueraineté: car estant leur commission acheuee, leur puissance expiroit, tout ainsi que celle du Dictateur: comme Cincinat ayant vaincu l’ennemi, se deschargea de la Dictature qu’il n’auoit eu que quinze iours: Seruilius Priscus huict iours: Mamercus vn iour. Aussi le Dictateur estoit nommé par l'vn des plus nobles Senateurs, sans edit, ny loy, ny ordonnance, chose necessaire anciennement, aussi bien qu’à present, pour l'erection des offices, comme nous dirons en son lieu. Si on dit que Sulla obtint la Dictature pour lxxx. ans par la loy Valeria, ie respondray ce que fist Ciceron, que ce n’eftoit pas loy, ny Dictature, ains vne cruelle tyrannie, laquelle toutefois il quitta quatre ans apres, alors que les guerres ciuiles furent appaisees: encores auoit il reserué aux Tribuns leur opposition franche. Et combien que Cesar eust empieté la Dictature perpetuelle, si est-ce qu’il n’osta point aux Tribuns le droict d’opposition: mais d’autant que la Dictature estoit abolie par loy expresse, & que neatnmoins sous ce voile il auoit enuahi l'estat, il fut tué. Mais posons le cas, qu’on elise vn, ou plusieurs des citoyens, ausquels on donne puissance absoluë de
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manier l'estat, & gouuerner entierement fans deferer aux oppositions, ou appellations en forte quelconque, & que cela se face tous les ans, dirons nous pas que ceux-la auront la souueraineté? car celuy est absolument souuerain, qui ne recognoist rien plus grand que soy apres Dieu. Ie di neantmoins que ceux-là n’ont pas la souueraineté: attendu qu’ils ne font rien, que[*](l.vna de offi.præfect.augustal.)  depositaires de la puissance qu’on leur a baillee à certain temps. Aussi le peuple ne se dessaisist point de la souueraineté, quand il establist vn, ou plusieurs lieutenans, auec puissance absoluë à certain temps limité: qui est beaucoup plus, que si la puissance estoit reuocable au plaisir du peuple, sans prefixion de temps, car l'vn & l’autre n’a rien à soy, & demeure contable de sa charge, à celuy duquel il tient la puissance de commander: ce qui n'est pas au Prince souuerain, qui n’est tenu rendre conte qu'a Dieu. Mais que dirons nous si la puissance absoluë est ottroyee pour neuf ou dix ans? comme anciennement en Athenes, le peuple faisoit l’vn des citoyens souuerain, qu’ils appelloient Archon.[*](Le grand Archon d’Athenes n’estoit pas souuerain.)  ie dy toutesfois qu’il n’eftoit pas Prince, & n’auoit pas la souueraineté: mais bien il estoit magistrat souuerain, & contable de ses actions enuers le peuple, apres le temps coulé. Encores peut on dire, que la puissance absoluë fera decernee à l’vn des citoyens, comme i’ay dit, & sans estre tenu de rendre conte au peuple, comme les Cnidiens[*](Plutar.in apophtheg.græc.)  tous les ans elisoient soixante bourgeois, qu'on appelloit Amymones, c'est à dire sans reproche, auec puissance souueraine, sans qu’on les peust appeller, ny pendant leur charge, ny apres icelle passee, pour chose qu’ils eussent faite, le dy toutesfois qu’ils n’auoient point la souueraineté, veu qu’ils estoient tenus comme gardes, la rendre l’an expiré, demeurant la souueraineté par deuers Ie peuple, & l’exercice aux Amymones, qu’on pouuoit appeller magistrats souuerains, & non pas souuerains simplement: car l'vn est: Prince, l’autre est suget. l’vn est seigneur, l’autre est seruiteur: l’vn est proprietaire, saisi de la souueraineté, l’autre n’est ny proprietaire, ny possesseur d’icelle, & ne tient rien qu’en depost. Nous ferons mesme iugement des regens establis pour l’absence, ou ieunesse des Princes souuerains, encores que les edicts, mandemens, & lettres patentes soient signez, seellez au seing, & seel des regens & en leur nom: comme il se faisoit en ce Royaume auparauant l’ordonnance de Charles V. Roy de France: ou que cela soit fait au nom du Roy, & les mandemens seellez de son seel. car en quelque forte que ce soit, il est bien certain en termes de droict, que le maistre est reputé[*](l.certe §.I.de cario.cap.mulieres.de sentent.excommunicator.ext.)  faire, ce qu’il a chargé son procureur de faire. or le regent est vray procureur du Roy & du Royaume: ainsi s'appelloit Ie bon Conte Thibaut, procurator regni Francorum. Et par ainsi, quand Ie Prince donne puissance absoluë, au regent, ou bien au Senat en sa presence, ou en son absence, de gouuerner en son nom, ores que la qualité de regent soit employee aux edicts, & lettres de commandement, c’est tousiours le Roy qui parle, & qui commande. Ainsi voir on que Ie Senat
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de Milan, & de Naples, en l’absence du Roy d’Espagne a puissance absoluë, & decerne tous mandemens en son nom: comme on peut veoir par l’ordonnance de l’Empereur Charles v. portant ces mots: Senatus Mediolanens. potestatem habeat constitutiones Principis confirmandi, infirmandi, tollendi, dispensandi, contra statuta, habilitationes, praerogationes, restitutiones faciendi, & c. à Senatu ne prouocari possit, &c. & quicquid faciet parem vim habeat, vt si a principe factum, ac decretum esset: non tamen possit delictorum gratiam, ac veniam tribuere, aut literas salui conductus reis criminum dare. Ceste puissance presque infinie, n’est pas donnee au Senat de Milan, & de Naples, pour diminuer en rien qui soit la maiesté du Roy d’Espagne, ains au contraire, pour la descharger de peine, & souci: ioint aussi que ceste puissance, pour grande qu’elle soit, est reuocable au bon plaisir de celuy qui l’ottroye. Posons donc le cas que ce pouuoir soit donné à vn lieutenant de Roy, pour toute fa vie, est-ce pas vne puissance souueraine, & perpetuelle?[*](Le lieutenant general & perpetuel d’vn Prince auec puissance absolue n’est pas souuerain.)  autrement si on disoit perpetuelle, qui n’a iamais fin, il n’y auroit souueraineté qu’en l'estat Aristocratique, & populaire, qui ne meurent point: ou bien qu’on entendist le mot perpetuel en vn Monarque, pour luy, & ses heritiers, il y auroit peu de Monarques souuerains, attendu qu’il y en a fort peu qui soient hereditaires: & mesmement ceux qui viennent à la couronne par droit d’election, ne feroient pas souuerains. Il faut donc entendre ce mot perpetuel, pour la vie de celuy qui a la puissance. le dy que si le magistrat souuerain, & annuel seulement, ou bien à quelque temps prefix, & limité, vient à continuer la puissance qu’on luy a baillee: il faut que ce soit de gré à gré, ou par force. si c'est: par force, cela s'appelle tyrannie: & neantmoins le tyran est souuerain: tout ainsi que la possession violente du predateur, est vraye possession, & naturelle, quoy qu’elle soit contre la loy: & ceux qui l'auoient auparauant en font dessaisis. mais si le magistrat continue la puissance souueraine qu’il a degré à gré, ie dy qu’il n’est pas Prince souuerain, veu qu’il n’a rien que par souffrance: & beaucoup moins si le temps n’est point limité: car en ce cas, il n’a rien que par commission precaire. On sçait assez qu'il n’y eut oncques puissance plus grande, que celle qui fut donnee à Henry de France, Duc d’Anjou par le Roy Charles IX. car elle est souueraine & fans exception d’vn seul article de regale: & neantmoins on ne peut dire qu’il fust souuerain, ayant qualité de Lieutenant general pour le Roy quand ores il eust esté perpetuel: combien que la clause, TANT QVIL NOVS PLAIRA, fust apposee en ses lettres, qui portoit souffrance, & tousiours son pouuoir estoit suspendu en la presence du Roy. Que dirons nous donc de celuy qui a du peuple la puissance absoluë, tant & si longuement qu’il viura? en ce cas il faut distinguer: si la puissance absoluë luy est donnee purement & simplement, sans qualité de magistrat, ny de commissaire, ny forme de precaire, il est bien certain que cestuy-la est, & se peut
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dire monarque souuerain: car le peuple s'est dessaisi, & despouillé de sa puissance souueraine, pour l’ensaisiner, & inuestir: & a luy, & en luy transporte tout son pouuoir, auctorité, prerogatiues, & souuerainetez: comme celuy qui a donné la possession, & proprieté de ce qui luy appartenoit. La loy[*](l.I.de cons princip.)  vse de ces mots, EI, ET IN EVM OMNEM POTESTATEM CONTVLIT. Mais si le peuple ottroye sa puissance àquelqu'vn tant qu’il viura, en qualité d’officier, ou lieutenant, ou bien pour se descharger seulement de l’exercice de sa puissance: en ce cas il n’est point souuerain, ains simple officier, ou lieutenant, ou regent, ou gouuerneur, ou gardien, &'bail de la puissance d’autruy. car tout ainsi que le Magistrat, ores qu’il face vn lieutenant perpetuel, & qu’il n’ayt aucun soing de sa iurisdiction, laissant l’entier exercice à son lieutenant, ce n’est pas toutesfois en la personne du lieutenant,[*](l.3.de offi.procons.l. & quia.l.solet de iurisdic.l & si de off.eius cui.ff.)  que gist la puissance de commander, ny de iuger, ny l'action, & force de la loy: & s’il passe outre la puissance à luy donnee, ce n’est rien fait, si Ies actes ne sont ratifiez, louez, & approuuez par celuy qui a donné la puissance. Et pour celte cause, le Roy Jean, apres son retour d’Angleterre, ratifia solennellement tous les actes de Charles son fils aisné, establi regent, pour iceux valider, &. confirmer, en tant qu’il seroit besoin. Soit donc-par commission, ou. par institution, ou par delegation, qu’on exerce la puissance d’autruy, à certain temps, ou à perpetuité, celuy qui exerce ceste puissance n’est point souuerain, ores que par ses lettres il ne fust qualifié procureur, ny lieutenant, ny gouuerneur, ny regent: ou mesmes que la loy du pays donnast ceste puissance, qui seroit encores plus forte que par election: comme estoit l’ancienne loy[*](Hect.Boet.in histor. Scotor.)  d’Escosse, qui donnoit l’entier gouuernement du Royaume au plus proche parent du Roy pupil, ou en bas aage, à la charge que tout se seroit soubs le nom du Roy, qui fut cassé, pour les inconueniens, qu’elle droit apres soy. Poursuiuons maintenant l’autre partie de nostre definition, & disons que signifient ces mots PVISSANCE ABSOLVE.[*](Que c’est puissance absolue.)  Car le peuple, ou les seigneurs d’vne Republique, peuuent donner purement, & simplement la puissance souueraine, & perpetuelle à quelqu’vn, pour disposer des biens, des personnes, & de tout l'estat à son plaisir, & puis le laisser à qui il voudra, & tout ainsi que le proprietaire peut donner son bien purement, &: simplement, sans autre cause que de fa liberalité, qui est la vraye donation:[*](l.I.de donat.)  & qui ne reçoit plus de conditions, estant vne fois parfaite, & accomplie:[*](l.perfecta de donat C.)  attendu que les autres donations, qui portent charges, & condition, ne sont[*](d.l.I.)  pas vrayes donations: aussi la souueraineté donnee à vn Prince soubs charges & conditions, n’est pas proprement souuerainete, ny puissance absolue: si ce n’est que les conditions apposees en la creation du Prince, soient de la loy de Dieu ou de nature, comme il se fait apres que le grand Roy de Tartarie est mort,[*](La forme d’eslire le Roy de Tartarie.)  le Prince & le peuple, à qui appartient le droit d’election, choisissent celuy des parens du de-
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funct que bon leur semble, pourueu qu’il soit fils, ou nepueu: & l’ayant assis en vn throsne d’or, luy disent ces paroles: NOVS te prions, nous voulons aussi, & t’enseignons que tu regnes sur nous. alors le Roy dict: Si vous voulez cela de moy, il faut que vous soyez prests à faire ce que ie commandera y: que celuy que i’ordonneray estre tué, soit tué incontinent, & sans delay, & que tout le Royaume soit commis, & establi entre mes mains. le peuple respond, ainsi soit-il. puis le Roy continuant dit, la parole de ma bouche, sera mon glaiue: & tout le peuple luy aplaudist. Cela fait il est pris, & osté de son throsne, & posé en terre fus vn ais, & les Princes adressans à luy leurs paroles disent ainsi: Regarde en haut, & cognois Dieu: & voy cest ais fus lequel tu es assis en bas: Si tu gouuernes bien, tu auras tout à souhait: autrement, tu feras mis aussi bas, & despouillé de telle sorte, que mesme cest ais où tu sieds, ne te restera pas. Cela dit, il est esleué en haut, & crié Roy des Tartares. Ceste puissance est absolue, & souueraine: car elle n’a autre condition que la loy de Dieu, & de nature ne commande, On peut voir aussi es Royaumes, & principautez deuolues par droit sucessif, que telle ou semblable forme quelquesfois est gardee: mais il n’y en a point de pareille à celle de Carinthie,[*](Forme d’inuestit le Duc de Carinthie.) ou encores à present on voit vne pierre de marbre pres la ville S. Vitus en vn pré, sus laquelle monte vn paysant, auquel cest office appartient par droit successif, ayant à dextre vne vache noire, à senestre vne maigre iument, & le peuple tout autour. celuy qui vient pour estre Duc, marche auec grand nombre de seigneurs, vestus de rouge, & les enseignes au devant de luy, & tous bien en ordre, horsmis le Duc, qui est habillé en pauure berger, auec vne houlette: & celuy qui est fur la pierre criant en Sclauon. Qui est celuy, dit-il, qui marche si brauement? le peuple respond, que c est leur Prince: alors cestuy-là demande, Est-il iuge? cherche-il le salut du pays? est-il de franche condition, digne d’honneur, obseruateur de la religion? on respond, il est & le sera Alors le paysant donne vn petit soufflet au Duc, & demeure le paysant exempt des charges publiques: & le Duc monte fus la pierre branslant l’espee, & parlant au peuple promet d’estre iuste, & en cest habit va à la messe, & puis prend l'habit ducal, & retourne fus la pierre, & reçoit les hommages, &. sermens de fidelité. Vray est que le Duc de Carinthie, n’estoit anciennement que le grand veneur[*](l’an 1331.)  de l’Empereur, & depuis que l’Empire est tombé en la maison d‘Austriche, à qui le Duché appartient, & la qualité de veneur, & la forme ancienne de l'inuestir est abolie: & le Duché de Carinthie, Stirie, Croatie, les Contez de Cilie, & de Tiroles ont esté annexez au Duché d'Austriche. Et quoy qu’on escriue du Royaume d’Arragon, la forme ancienne qu’on gardoit enuers les Roys d’Arragon, ne se fait plus si le Roy n’assemble les estats: comme i’ay apris d’vn cheualier Espagnol. La forme[*](La forme qu’on gradoit aux estats d’Arragon.)  estoit que le grand magistrat, qu’ils appellent la iustice d’Arragon dit au Roy ces paroles, Nos qui valemos tanto comme vos, y podemos
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mas que vos, vos elegimos Re con estas, y estas condiciones, entra vos, y nos, vn que manda mas que vost c’est à dire, Nous qui valons autant comme vous, &: pouuns plusque vous, nous vous elisons Roy, à telles, & telles conditions entre vous, & nous, que vn commande plus que vous. En quoy s'est abusé celuy qui a escript que le Roy estoit alors esleu du peuple: chose qui iamais ne se fist: car il est bien certain que Sanse le grand conquesta le Royaume par le droit des armes sus les Mores, qui l’auoyent eu sept cens ans, & depuis sa posterité, masles, & femelles, ont eu le Royaume par droict successif, de proche en proche. Et de faict: Pierre Bellugue[*](In speculo.)  Arragonnois, qui a diligemmeut escrit du droit d’Arragon, escrit que le peuple n’a aucun droit d'eslire le Roy, sïn on en ligne[*](IN specul.tit.14.§.veniamus.nu 6.)  defaillant. Aussi est-il impossible, & incompatible que le Roy d’Arragon, eust moins de puissance que les estats d’Arragon, veu que le mesme autheur Beliugue[*](In d.speculo cap.I. & extremo.ex §. Post natale.de clerico violatore pacis in seu. & in c. imperialem. de prohibita feudi.& in c.certum XI.q.3.)  dict, que les estats ne peuuent s'assembler, s’il n’y a mandement expres du Roy: & ne peuuent se departir estans assemblez, s’il ne plaist au Roy les licentier. Encores est-il plus ridicule, que telles parolles se disoyent au Roy estant ia couronné, sacré, & receu pour Roy par droit successif: & qu’il fust souuerain, comme il estoit, & donnoit l’office à celuy qui s’appelloit la grand iuftice d’Arragon, & le destituoit si bon luy sembloit: & de faict, mesme autheur escrit, que Martin[*](tit.26.§.Iesu.)  Didato fut institué, & destitué de cest office par la Royne d'Arragon en l’absence de son mari Alphons, Roy d’Arragon & de Sicile. Et combien que par souffrance du Roy la iustice d’Arragon iuge les procez, & differens entre le Roy, & Ie peuple, chose quise faict aussi en Angleterre, ores par la haute chambre du parlement: ores parle magistrat qu’on appelle la iuftice d’Angleterre: & par touts les iuges de ce Royaume, & en touts lieux: si est-ce que la iustice d’Arragon, & tous les estats demeurent en pleine sugetion du Roy, qui n’est aucunement tenu de suiure leurs aduis, ny accorder leurs requestes, comme dit Ie mesme docteur[*](cap.extremo.& tit.10.nu.10.)  : ce qui est general à touts estats de monarchie, comme escrit Oldrad[*](consil.69.) , parlant des Roys de France, & d’Espagne: qui ont, dit-il, puissance absolue. Vray est, que ces docteurs ne disent point que c’est de puissance absoluë, car si nous disons que celuy a puissance absoluë, qui n’est point suget aux loix, il ne se trouuera Prince au monde souuerain, veu que tous les Princes de la terre sont sugets aux loix de Dieu, & de nature, & à plusieurs loix humaines communes à tous peuples. Et au contraire il se peut faire que l'vn des sugets fera dispensé, & absoults de toutes les loix, ordonnances, & coustumes de sa Republique, & ne sera point Prince, ny souuerain: nous en auons l’exemple de Pompee Ie grand, qui fut dispensé des loix pour cinq ans, par ordonnance expresse du peuple Romain, publiee à la requeste du Tribun Gabinius1 & n’eftoit pas chose nouuelle, ny estrange de dispenser vn suget d’obeir aux loix, veu mesmes que le Senat quel quesfois en dispensoit, fans l’aduis du peuple, iusques à la loy Cornelia2 publiee à la requeste d’vn Tribun, par laquelle il fut or- *
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(footnote #3 labeled as #2) donné, que personne ne seroit exempte de la puissance des loix, ny dispensé par le Senat, s’il n’y auoit du moins deux cens Senateurs: car mesmes il estoit deffendu sur peine de la vie, par les loix[*](Cicero pro domo sua.Priulegia nisi comitiis centuriaris ne irroganto qui secus faxitcapital esto.)  des XII. tables, d’ottroyer aucun priuilege, sinon par les grands estats du peuple: mais la loy estoit mal executee. Et en quelque forte que ce soit, le suget qui est exempté de la puissance des loix, demeure tousiours en la sugetion, & obeissance de ceux qui ont la souueraineté. Or il faut que ceux là qui font souuerains; ne soyent aucunement sugets aux commandemens d’autruy, & qu’ils puissent donner loy aux sugets, & casser ou aneantir les loix inutiles, pour en faire d’autres: ce que ne peut faire celuy qui est suget aux loix, ou à ceux qui ont commandement sur luy. C’est pourquoy la loy dit, que[*](l.princeps.de legib.l.sacratissimæ.eod.C.)  le Prince est absouls de la puissance des loix: & ce mot de loy, emporte aussi en latin le commandement de celuy qui a la souueraineté. Aussi voyons nous qu’en tous edits, & ordonnances, on y adiouste ceste clause, Non obstant tous edits & ordonnances, ausquelles nous auons derogé, & derogeons par ces presentes, & à la derogatoire des derogatoires: clause qui a tousiours esté adioustee és loix[*](l.forma de offi.præfect.prætor.C.Bal.in l.cunctos populos.col.l.I.desumma trinit.C.& in c.vlt. de off.archi.Bal.in l.rescripta de pre.cib.Imperatori.C.Alexand consil.101.nu.5.)  anciennes: soit que la loy fut publiee du mesme prince, ou de son predecesseur. Car il est bien certain que les loix, ordonnances, lettres patentes, priuileges otroys des princes, n’ont aucune[*](Ancar.consil.198.nu.2.Felin.in cap.ex parte.col.I.ver.regulæ.de rescript.)  force que pendant leur vie, s’ils ne sont ratifiez par consentement expres, ou du moins par souffrance du prince qui en à cognoissance: & mesmement des priuileges. Et pour ceste cause Bartole estant deputé Ambassadeur vers l’Empereur Charles un. pour obtenir confirmation des priuileges de Perouze, en obtint la confirmation portant ceste clause, Iusques à ce qu’ils soyent[*](Battol.in constitu.ad reprimendam. Verbo reges.nu 21.Castrens.consil.107 Oldrad.consil.108.)  reuoquez par noz successeurs: au preiudice desquels il ne pouuoient[*](Bald in titul.de pace constant. Verbo amplius. Felin. In cap.I.nu.5.de proba.Afflict.in titul.quæ sunt regalia.in prœmio.nu.61.Carolus Ruinus consil.91.lib.1.nu.II.)  rien faire. Qui fut la cause que M. de l’Hospital chancelier de France, refusa seeller la confirmation des priuileges, & exemptions de tailles de S. Maur des fossez, quelque mandement qu’il eust de ce faire: parce qu’ils portoient perpetuel afranchissement: qui est cotre la nature des priuileges personnels, & qui diminue la puissance des successeurs: & ne se peuuent donner aux corps & colleges, que à la vie du Prince qui les ottroye, ores que le mot perpetuel y soit adiousté: ce qui n’est pas aux Republiques populaires, & Aristocratiques. Et à ceste cause Tibere l’Empereur successeur d’Auguste, ne voulut pas, que les priuileges otroyez par les Empereurs defuncts, eussent aucun effect, si les successeurs ne les auoyent confirmez, d’autant que les priuilegiez vouloyent perpetuer l’exemption qu’ils auoyent, si l’ottroy n’eftoit limité à certain temps, comme dit Suetone.[*](Indulta beneficia à defunctis principibus, ne aliter rata haberent, quam si ipsi dedissent, cùmantea principis beneficium.nisi ad tempus datum esset, perpetuum haberetur.)  Aussi voyons nous en ce Royaume à la venue des nouueaux Roys, que tous Ies colleges, & communautez demandent confirmation de leurs priuileges, puissance, & iurisdiction: & mesmes les parlemens, & cours souueraines, aussi bien que les officiers particuliers. Si donc le Prince souuerain, est exempt des loix de ses predecesseurs, beaucoup moins
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(first footnote #3) seroit-il tenu aux loix & ordonnances qu’il fait: car on peut bien receuoir loy d’autruy, mais il est impossible par[*](l.ille à quo.§.tempestiuum.ad Trebell.penult.de arbitris.cap.innotuit.de electio.)  nature de sedonner loy, non plus que commander à so ymesme chose qui[*](l.à titio.§.nulla de verb.oblig.l.si quis in principio.de legat.3.).  depende de sa volonté, comme dit la loy, Nulla obligatio consistere potest, quae à voluntate promittentis statum capit: qui est vne raison necessaire, qui monstre euidemment que le Roy ne peut estre suget à ses loix. Et tout ainsi que le Pape ne se lie iamais les mains, comme disent les[*](cap.mandasti.2 q.5.licet contrarium teneat archidiacon. in.c.2.de constit.lib.6. ex c.nemo.II.q.3.Ioan. And.in c.I.de rap.& in regul cui licet.de Regul.lib.6.cap dudum.de præbend.lib.6.)  canonistes: aussi le Prince souuerain ne se peut lier les mains, quand ores il voudroit. Aussi voyons nous à la fin des edits & ordonnances ces mots: CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR, pour faire entendre, que les loix du Prince souuerain, ores qu’elles fussent fondees en bonnes & viues raisons, neantmoins qu’elles ne dependent que de fa pure & franche volonté. Mais quant aux loix diuines & naturelles, tous les Princes de la terre y font sugets, & n’est pas en leur puissance d’y contreuenir, s’ils ne veulent estre coupables de leze majesté diuine, faisant guerre à Dieu, soubs la grandeur duquel tous les Monarques du monde doiuent faire ioug, & baisser la teste en toute crainte, & reuerence. Et par ainsi la puissance absoluë des Princes & seigneuries souueraines., ne s’estend aucunement aux loix de Dieu, & de nature. & celuy qui a mieux entendu que c’eft de puissance absoluë, & qui a fait ployer les Roys & Empereurs soubs la sienne, disoit que ce n’est autre chose que deroger au droit[*](Innocent.4.Pont.max.in cap.innotui verbo ordinatione.de election.extra.)  ordinaire: il n’a pas dit aux loix diuines & naturelles. Mais le Prince est-il pas suget aux loix du pays, qu’il a iuré garder? Il faut distinguer, Si le Prince iure à soymesme qu’il gardera sa loy, il n’est point tenu de sa loy, non plus que du ferment[*](l.Iurisgentium.§.si plagij.can.iusiurandum.22 q.5.)  fait à soymesme: car mesmes les sugets ne sont aucunement[*](l.vlt.qui satisda.cogantur.ff.)  tenus du ferment qu’ils font és conuentions, desquelles la loy permet se departir, ores quelles soient honnestes & raisonnables. & si le Prince souuerain promet à vn autre Prince garder les loix que luy, ou ses predecesseurs ont faites, il est obligé les garder, si le Prince, auquel la parole est donnee y a interest, iaçoit qu'il n'eust point iuré: & si le Prince auquel la promesse est faite n’y a point d’interest, ny la promesse, ny le serment ne peut obliger celuy qui l'a[*](l.adigere.de iure patronat.l.qui iurato.qui satis.cogant.ff.)  promis. Nous dirons le semblable si la promesse est faite au suget par le Prince souuerain, ou bien au parauant qu'il soit esleu: car en ce cas il n’y a point de difference, comme plusieurs pensent:non pas que le Prince soit tenu à ses loix, ou de ses predecesseurs, mais aux iustes conuentions, & promesses qu’il a faites, soit auec serment ou sans aucun serment: tout ainsi que seroit vn particulier. & pour les mesmes causes que le particulier peut estre releué d’vne promesse iniuste, & desraisonnable, ou qui le greue par trop, ou qu’il a esté circonuenu par dol, ou fraude, ou erreur, ou force, ou iuste crainte, ou lesion enorme, pour les mesmes causes Ie Prince peut estre restitué en ce qui touche la diminution de fa majesté, s’il est Prince souuerain. Et par ainsi nostre maxime demeure, que le Prince n’est point suget à ses loix, ny aux loix de ses
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predecesseurs, mais bien à ses conuentions iustes & raisonnables, & en l’obseruation desquelles les sugets en general, ou en particulier ont interest. En quoy[*](Bald.in l.donationes.de dona.inter virum.C.Cynus & Bart.in l.digna vox de legibus.C.Bart.& Castrens.in l.princeps de legib.Ant.Butrio, Imola, Panormit.Felin.in cap.I de probat.)  plusieurs s’abusent qui font vne confusion des loix, & des contrats du Prince, qu’ils appellent Loix: aussi bien que celuy qui appelle les contrats du Prince Loix[*](Petr. Belluga in speculo tit.I.)  pactionnees: comme elles s’appellent aux estats d’Arragon, quand le Roy fait quelque ordonnance à la requeste des estats, & qu’il en reçoit argent, ou quelque subside, ils disent que le Roy y est tenu: & quant aux autres loix, qu’il n’y est point tenu: & neantmoins ils confessent que le Prince y peut deroger[*](Idem titul.2.) , cessant la cause, de la loy. tout cela est bien certain, &[*](notat.in summa de condic.indeb.& in cap.I.de proba.& ex.l.penult.de donat.inter virum.C.Innocent.in cap.nouit.de Iudic.epistol.& cap.licet canon.de election.)  fondé en raisons, & autorité: mais il n’est point besoin d’argent ny de ferment pour obliger le Prince souuerain, si les sugets, ausquels il a promis, ont interest que la loy soit gardee: caria parole du Prince doit estre comme vn oracle, qui perd fa dignité, quand on a si mauuaise opinion de luy, qu’il n’est pas creu s’il ne iure, ou qu’il n’est pas suget à sa promesse, si on ne luy donne de l’argent. & neantmoins la[*](cessante causa,cessat effectus.)  maxime de droit demeure en sa force, que le Prince souuerain peut deroger aux loix qu’il a promis, & iuré garder, si la iustice d’icelle cesse, sans le consentement des sugets: vray est que la derogation generale en ce cas ne suffist pas, s’il n’y a derogation[*](Bal.in l.humanum de legib.C.Archidiacon.in cap.I.de constitu.lib.6.)  speciale. Mais s’il n’a iuste cause de casser la loy qu’il a promis entretenir, en ce cas le Prince ne doit, & ne peut y contreuenir. vray est qu’il n’est pas[*](cap.vlt.lib.6.de rescript.glo.in l.si patronus.de iis quæ in fraudem.)  tenu aux conuentions & sermens de ses predecesseurs, s’il n’est leur heritier. Et pour ceste cause les estats du Royaume d’Arragon firent plainte au Roy Alphons, de ce qu’il auoit changé, & alteré la monnoye d’Arragon, pour y gaigner, au grand preiudice des sugets, & des marchans estrangers: contre la promesse faite par laques I. Roy d’Arragon, l’an M. CCLXV. au mois d’Auril, & confirmee par Pierre l’an M.CCCXXXVI. qui iura aux estats de ne changer iamais la monnoye: & le peuple en recompense promist de payer au Roy de sept en sept ans vn marauedi pour seu, par tous ceux qui auroient valant quinze marauedis, qui est: la moitié d’vn liard. Or il est certain que le Royaume d’Arragon est hereditaire aux masles, & filles. mais cessant l’effect de la conuention entre le Prince & le peuple: comme le subside pour lequel les Roys d’Arragon firent l’ordonnance que i’ay dit, le Prince n’y est plus tenu non plus que le peuple au subside imposé, si le Prince ne tient fa promesse. Il ne faut donc pas confondre la loy, & le contract: car la loy dépend de celuy quia la souueraineté, qui peut obliger tous ses[*](l.non dubium.de legib C.)  sugets, & ne s’y peut obliger soymesme: &la conuention est mutuelle entre le Prince & les sugets, qui oblige les deux parties[*](l.labeo.de verbor.signif.ff.)  reciproquement, & ne peut l’vne des parties y[*](l.nihil tam naturale.de regul.l.ab emptio.)  contreuenir au preiudice, & sans le consentement de l’autre: & le Prince en ce cas n’a rien par dessus le[*](Cynus, Bal.Bart.Salicet.in l.digna vox.de legib.C.Iaso.in.l.I.de constitut.prin.C Felin in cap.translato.de constitut.ext.)  suget: sinon que cessant la iustice de la loy qu’il a iuré garder, il n’est plus tenu de sa[*](Bald.in.l.claris de fideicom. C Panor.in cap.pro illorum.de prebend.A’exan.consil.224.lib.6.& consil.122.&125.lib.4.)  promesse, comme nous auons dit: ce que ne peuuent les sugets
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entr’eux, s'ilsne sont releuez du Prince. Aussi Ies Princes souuerains bien entendus, ne font iamais serment de garder les loix de leurs predecesseurs, ou bien ils ne sont pas souuerains. On dira, peut-estre, que l’Empereur, qui a la presseance par dessus tous les autres Roys Chrestiens, deuant qu'il soit sacré, iure entre les mains de l'Archeuesque de Coulongne, de garder les loix de l’Empire, la bulle d'or, establir iustice, obéir au Pape, garder la foy Catholique, defendre les veusues, les orphelins, & les pauures. voila le sommaire du serment que fist l’Empereur Charles V. qui depuis fut enuoye au Pape, par le Cardinal Caiectan Legat en Alemaigne. le responds, que l’Empereur est suget aux estats de l’Empire, & ne s'attribue pas aussi la souueraineté fus les Princes, ny fus les estats, comme nous dirons en son lieu. Et si on dit, que les Roys des Epirotes anciennement iuroient, qu’ils regneroient bien & deuëment selon les loix du pays: & les sugets aussi iuroient reciproquement, garder, & maintenir leur Roy selon les ordonnances, & coustumes du pays: ie dy que nonobstant tous ces sermens, le Prince souuerain peut deroger aux loix, ou icelles casser & anuller, cessant la iustice d’icelles. Aussi Ie ferment de nos Roys, qui est le plus beau, & le plus bref qui se peut faire, ne porte rien de garder les loix & coustumes du pays, ny des predecesseurs. Ie mettray les mots ainsi qu’ils sont extraits de mot à mot de la bibliotheque de Rheims, d’vn ancien liure, qui commence: luliani ad Erigium Regem, Anno M.LVIII. Henrico regnante XXXII. IIII. Calend. Iunij. EGO Philippus Deo propiciante mox futurus Rex Francorum in die ordinationis meae promitto coram Deo, & sanctis eius, quod vnicuique de nobis commisus canonicum priuilegium & debitam legem atque iustitiam conseruabo, & defensionem, adiuuante Domino, quantum potero exhibebo, sicut Rex in suo regno vnicuique Episcopo, & ecclesiae sibi commissae per rectum exhibere debet. populo quoque nobis credito, me dispensationem legum in suo iure consistentem, nostra auctoritate concessurum. Qua perlecta posuit eum in manus Archiepiscopi.[*](Le serment fait par Philippe.I.fils de Henri.I.)  I’ay sceu que celle qui se trouue en la bibliotheque de Beauuais, est pareille & du mesme Roy Philippes I. mais i’en ay veu vne autre en vn petit liure tresancien en l’Abaye S. Allier en Auuergne, portant ces mots: IE IVRE AV NOM DE DIEV tout-puissant, & promets de gouuerner bien & deuëment li sugets commis en me garde, & faire de tout men pouuoir iugement, iustice & misericorde. qui semble estre tiré de Hieremie,[*](cap.9.)  où il est dit: Ie suis le grand Dieu eternel, qui fay iustice, iugement, & misericorde, & en ces choses ie prens vn singulier plaisir. Qui monstre à veuë d’oeil, que les sermens contenus au liure publié, imprimé du sacre du Roy, sont bien changez, & alterez de l'ancienne forme. Mais on peut voir en l’vn & l’autre serment, qu’il n’y a aucune obligation de garderies loix, sinon tant que le droit, & iustice Ie soufrira. Combien qu’il ne se trouue point, que les Roys anciens du peuple Hebrieu fissent aucun ferment: ne mesmes ceux-là qui furent
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sacrez par Samuel, Helie, & autres. Mais il y en a qui font le serment plus precis, comme le ferment de Henry III. Roy de France & de Poulongne est tel: Ego Henricus Rex Poloniae &c. iuro Deo omnipotenti, quod omnia, iura libertates, priuilegia publica, & priuata iuri communi non contraria, ecclesiis, principibus, baronibus, nobilibus, ciuibus, incolis per meos praedecessores Reges, & quoscunque principes dominos Regni Polonae, iustè donata, ab ordinibusque tempore interregni statuta, sancta, nobis oblata, obseruabo, &c. iustitiamque omnibus incolis iuxta iura publiqua administrabo. Et si (quod ab sit) sacramentum meum violauero, nullam nobis incolae regni obedientiam praestare debebunt, &c. sic me Deus adiuuet. Quant aux loix qui concernent l’estat du Royaume, & de l’establissement d’iceluy, d’autant qu’elles sont annexees, & vnies auec la couronne, le Prince n’y peut deroger, come est la loy Salique: & quoy qu’il face, tousiours le successeur peut casser ce qui aura esté fait au preiudice des loix Royalles, & sus lesquelles est appuyé, &. fondé la majesté souueraine. Encores peut on dire, que Henry v. Roy de France & d’Angleterre, espousant Catherine de France seur de Charles VII. fist ferment de garder le Parlement en ses libertez, & souuerainetez, & de faire administrer iustice au Royaume, selon les coustumes, & droits d’icelles. Voila les mots du traité conuenu, pour le faire successeur de la couronne de France le XXI. May l’an M.CCCCXX. Ie dy qu’on luy fist faire ce serment., par ce que c’estoit vn estranger, qui venoit à vn nouueau Royaume, duquel le successeur legitime estoit debouté par arrest du Parlement de Paris, donné par defaux & contumaces, pour le meurtre commis en la personne de Iean de Bourgongne, & qui fut prononcé à la table de marbre, en la presence des Princes, au son de la trompette. Mais quant aux coustumes generales, & particulieres, qui ne concernent point l’establissement du Royaume, on n’a pas accoustumé d’y rien changer, sinon apres auoir bien & deuëment assemblé le trois estats de France en general, ou de chacun bailliage en particulier: non pas qu’il soit necessaire de s'arrester à leur aduis, ou que le Roy ne puisse faire le contraire de ce qu’on demandera, si la raison naturelle, & là iuftice de son vouloir luy assiste. Et en cela se cognoist la grandeur, & majesté d’vn vray Prince souuerain, quand les estats de tout le peuple sont assemblez presentans requeste, & supplications à leur. Prince en toute humilité, sans auoir aucune puissance de rien commander, ny decerner, ny voix deliberatiue: ains ce qu’il plaist au Roy consentir, ou dissentir, commander, ou defendre, est tenu pour loy, pour edit, pour ordonnance. En quoy ceux qui ont escrit du deuoir des Magistrats, & autres liures semblables, se sont abusez de soustenir que les estats du peuple font plus grands que le Prince: chose qui fait reuolrer les vrais sugets de l’obeissance qu’ils doiuent à leur Prince souuerain: & n’y a raison ny fondement quelconque en ceste opinion là: si le Roy n’est captif ou furieux, ou en enfance:[*](Estats de France.)  car si le Prince souuerain est suget aux estats, il
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n’est ny Prince, ny souuerain: & la Republique n’est ny Royaume, ny Monarchie, ains vne pure Aristocratie de plusieurs seigneurs en puissance egale, où la plus grande partie commaude à la moindre en general, & à chacun en particulier. il faudroit donc que les edits, & ordonnances fussent publiees au nom des estats, & commandees parles estats, comme enseigneurie Aristocratique, ou celuy qui preside n’a puissance aucune, & doit obeissance aux mandemens de la seigneurie. qui sont toutes choses absurdes, & incompatibles. Aussi voit-on qu’en l'assemblee des estats. de ce Royaume tenus à Tours, alors que le Roy Charles VIII. estoit en bas aage, & que les estats eftoient plus autorisez que iamais, Relli orateur, portant la parole pour tous les estats commence ainsi: Treshaut, trespuissant, tres-chrestien Roy, nostre souuerain & naturel seigneur, vos humbles & tres-obeissans fugets, &c. venus icy par vostre commandement comparoissent, & se presentent deuant vous en toute humilité, reuerence, & subiection, &c. Et m’est enchargé de par toute ceste notable assemblee vous exposer le bon vouloir, l'affection cordiale, le ferme &arrefté propos qu’ils ont à vousferuir,& obeir, & subuenir en toutes vos affaires, commandemens, & bons plaisirs. Brief, tout le discours & narré des Estats ne porte rien que sugetion, seruice & obeissance. On voit le semblable aux estats d’Orleans. Et ne faut point dire qu’en Espaigne on vse autrement: car les mesmes submissions & paroles de sugetion, seruice, & obeissance de tout le peuple enuers le Roy d’Espaigne, comme enuers leur souuerain seigneur se voit au discours des estats tenus à Tolede l’an M. D. LII. & les responses du Prince [*](Estats d’Espaigne.)souuerain aux humbles requestes & supplications du peuple par ces mots: NOVS VOVLONS, ou bien nous auons ordonné, & autres semblables responses, portant refus, ou consentement du Prince. & mesmes l'otroy que les fugets payent au Roy d’Espaigne, s'appelle seruice. Et par ainsi Pierre Bellugue[*](In speculo.) s'est abusé de dire que les Roys d’Arragon ne peuuent deroger aux priuileges des estats, obstant le priuilege donné par le Roy laques l’an M.CCLX. & confirmé l’an M.CCCXX. car tout ainsi que le priuilege n’est rien valu apres la mort de Iaques sans la confirmation de son successeur, aussi la mesme confirmation des autres Roys est necessaire par la maxime de droit, qui ne souffre pas qu’on puisse commander à son pareil. Et combien qu’aux Parlemens du Royaume d’An- [*](Estats d’Angleterre.)-gleterre, qu’on tient de trois en trois ans, les estats vsent de plus grande liberté, comme font tous les peuples de Septentrion, si est-ce qu’en effect ils ne procedent que par supplications & requestes. Et au Parlement d'Angleterre, tenu l'an M. D. LXVI. au mois d’Octobre, tous les estats d’vn commun consentement auoient resolu, comme ils firent entendre à la Roy ne, de ne traiter aucune chofe,qu’elle n’eust declairé vn successeur à la couronne : toutefois elle fist response qu’on luy vouloit faire sa fosse au parafant qu'elle fust morte: mais que toutes leurs reso-
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lutions n’auroient aucun effect sans son vouloir. & ne fist rien de ce qu’ils demandoient, comme i’ay apris parles lettres de l’Ambassadeur du Roy. Aussi les estats d’Angleterre ne font iamais assemblez, non plus qu’en ce Royaume, & en hspaigne, que par lettres patentes, & mandemens expres emanez du Roy: qui monstre bien que les estats n’ont aucun pouuoir de rien decerner, ny commander, ny arreller:veu mesme qu’ils ne se peuuent assembler, ny se departir fans mandement expres. Encores peut on dire, que les ordonnances faites par le Roy d’Angleterre à la requeste des estats ne peuuent estre cassees fans y appeller les estats. Cela est bien pratiqué, & se fait ordinairement: comme i’ay sceu de M. Dail Ambassadeur d’Angleterre, homme d’honneur, & de sçauoir: mais il m’a asseuré, que le Roy reçoit, ou refuse la loy si bon luy semble: & ne laisse pas d’en ordonner à son plaisir, & contre la volonté des estats, comme on a veu Henry VIII. auoir toufiours vsé de fa puissance souueraine: iaçoit que les Roys d’Angleterre ne font point sacrez, sinon en iurant qu’ils garderont les ordonnances & coustumes du pays: car ce serment là se doit raporter à ce que nous auons dit cy dessus. Mais on peut dire, que les estats ne souffrent pas quon leur impose charges extraordinaires, ny subsides, sinon qu’il soit accordé & consenty au Parlement: suiuant l’ordonnance du Roy Edoüard I. en la grande carte, de laquelle le peuple s'eft tousiours preualu contre les Roys. Ie responds, que les autres Roys n’ont pas plus de puissance que le Roy d’Angleterre: par ce qu’il n’est en la puissance de Prince du monde, de leuer imposts à son plaisir sur Ie peuple, non plus que prendre le bien d’autruy, comme Philippes de Comines remonstra sagement aux estats tenus à Tours, ainsi que nous lisons en ses Memoires: & toutesois si la necessité est vrgente, en ce cas le Prince ne doit pas attendre l'assemblee des estats, ny le consentement du peuple, duquel le salut depend de la preuoyance, & diligence d’vn sage Prince. mais nous dirons de cecy en son lieu. Il est vray que les Roys d'Angleterre, & depuis Henry I. comme nous liions en Polydore, ont quasi toufiours accoustumé de trois en trois ans, demander quelque subside extraordinaire, qui est le plus souuent accorde. comme au parlement tenu au mois d'Auril M.D.LXX. la Royne d’Angleterre tira la valeur de cinq cens mil escus, du consentement des estats. Ainsi fait-on aux estats d'Espaigne. Icy dira quelqu’vn, que les estats d’Angleterre ont puissance de condamner: comme Thomas, & Henry les Hauars, furent condamnez par les eftats, à:la poursuite de Henry VIII. Roy d’Angleterre. & qui plus est le Roy Henry VI. fut aussi condamné par les estats à tenir prison en la tour de Londres. Ie dy que cela se fist par les iuges ordinaires d’Angleterre de la haute chambre du parlement, à la requeste de ceux de la basse chambre: qui presenterent aussi requeste à la haute chambre l’an M. D. LXXI. tendant à sin, que les Comtes de Northumbelland, Westmerland, & autres coniurez , fussent déclarez auoir
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auoir encouru les peines porrces par les loix du pays, contre les crimineux de leze majesté. Qui monstre bien que les estats en corps, n’ont ny puissance, ny iurisdiction, ains que le pouuoir est aux iuges de la haute chambre: comme seroit si le Parlement de Paris, assisté des Princes, & Pairs, estoit aux estats en corps separe, pour iuger les grandes causes. Mais il demeure encores vne difficulté à resouldre pour Iesdits estats d’Angleterre, qui semblent auoir puissance de commander, resouldre, & decider des affaires d’est at: car la Royne Marie les ayant assemblez pour faire passer les articles concernans son mariage auec le Roy Philippe-apresplufîeurs disputes, & difficultez proposees, en fin la verification du traité se fist Ie secondiour d’Auril M. D. LIIII. qui est en forme d’arrest conceu au nom des estats en ces mots : VEV par les estats assemblez au Parlement, tenus au Palais de Westmynster, les articles susdits, & ce qui en depend, dit a esté, quant à la disposition, & collation reseruee à la Royne de tous benefices, & offices: comme aussi de tous les fruicts, profits, rentes, reuenus de ses pays, terres & seigneuries, la Royne comme seule & vnique iouyra de la regalité, & souueraineté de sesdits Royaumes, pays, terres, & sugets absoluement, apres la consommation du mariage: sans que ledit Prince puisse pretendre par la forme de la[*](par laquelle le mari est vsufruitier des biens de sa femme l’ayant suruescue. La courtoisie d’Angleterre.)courtcisie d’Angleterre, la couronne & la souueraineté du Royaume, ny autres droits, préminences, ny auctoritez. Que tous mandemens & lettres patentes se passeront soubs la qualité dudit Sieur Prince, & de la Royne coniointement: lesquelles lettres signees de la main feule de la Royne, & seellees des grands seels de fa chancelerie, seront valables: que si elles n’estoient signees de ladite Royne, seroient nulles. I’ay bien voulu mettre la verification au long, pour monstrer que la souueraineté appartient pour le tout, sans diuision aux Roys d’Angleterre, & que les estats n’y ont que voir car la verification des estats, non plus que d’vne court, d’vn Parlement, d'vn corps, & College, ne sufist pas pour monstrer la puissance de commander: mais bien le consentement pour valider les actes, qui autrement eussent esté reuo quez en quelque doute apres la mort de la Royne, ou de son viuant, par l’opposition des Magistrats & officiers du Royaume. Nous conclurons donc que la souueraineté du Monarque n’est en rien alteree, ny diminuee pour la presence des estats : ains au contraire fa majesté en est beaucoup plus grande, & plus illustre, voyant tout son peuple le recognoistre pour souuerain, encores que par telle assemblee les Princes ne voulans pas rebuter leur fugets, accordent & passent plusieurs choses, qu’ils ne consentiroient pas, s'ils n’estoient vaincus des requeftes, prieres, & iustes doleances d’vn peuple affligé & vexéle plus souuent au desceu du Prince qui ne void, & qui n’entend que par les yeux, les oreilles, & le rapport d’autrny. Par ainsi on voit que le poinct principal de la majesté souueraine, & puissance absolue, gist principalement à donner loy aux sugets en general
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fans leur consentement. Et fans aller au pays d’autruy, on a veu souuent en ce Royaume, certaines coustumes generales abolies par les edits de nos Roys, sans ouyr les estats, quand l’iniustice d’icelles estoit oculaire: comme la coustume de ce Royaume en tout le pays coustumier, touchant la succession des meres, & biens de leurs enfans, a esté changee, fans assembler les estats, ny en general, ny en particulier. Qui n’est de rien de nouueau : car dés le temps du Roy Philippes le Bel, la coustume generale en tout ce Royaume, qui[*](Contra ius commune l. eum quem temere de Iudi.ff.) ne souffroit pas que celuy qui auoit perdu son proces, fust condamné aux despens, fut cassee par edit, sans assembler les estats. & la coustume generale, qui defendoit. de[*](l. lege Iulia.de testibus canonico iure aliter cauetur. Bartol. in tracta. de differentiis iuris ciuilis & canoci.) receuoir le tesmoignage des femmes en causes ciuiles, fut abolie par edit de Charles[*](l’an 1394.) VI. sans appeller les estats. Car il faut que le Prince souuerain ait les loix en sa puissance pour les changer, & corriger, selon l’occurrence des cas, comme disoit le Iurisconsulte Sextus Cæcilius, tout ainsi que le maistre pilote doit auoir en sa main le gouuernail, pour le tourner à sa diferetion: autrement le nauire seroit plustost peti, qu'on auroit pris l’aduis de ceux qu’il porte. Ce qui n’est pas feulement necessaire au Prince souuerain, ains aussi quelquefois au Magistrat, comme nous auons dit de Pompee, & des dix commissaires. C’est pourquoy Auguste apres la guerre Actiaque, fut absouls par Ie Senat de la puissance des loix, iacoit qu’il ne fust que chef de sa Republique, & non pas Prince souuerain, comme nous dirons en son lieu. Depuis Vespasian l’Empereur fut aussi exempté de la puissance des loix, par loy du peuple expresse, comme plusieurs pensent, & qui se trouua encores à Rome grauee en pierre, que le Iurisconsulte[*](l. I. de constitut. princip.) appelle la loy Royale: combien qu’il n’y a pas grande apparence que le peuple, qui long temps au parauant auoit perdu toute puissance la donnast à celuy qui estoit le plus fort. Or fil est vtile que le Prince souuerain, pour bien gouuerner vn estat, ait la puissance des loix fous la sienne, encores est-il plus expedient aux seigneurs en l'estat Aristocratique, & necessaire au peuple en l'estat populaire. car le Monarque est diuisé du peuple: & en l'estat Aristocratique les seigneurs sont aussi diuisez du menu peuple:de forte qu’en l’vne & l’autre Republique il y a deux parties: à sçauoir celuy, ou ceux qui tiennent la [*](Singularité de l’e stat populaire.)souueraineté d’vne part, & le peuple de l’autre, qui cause les difficultez qui font entr’eux, pour les droits de la souueraineté, & qui cessent en l'estat populaire. car si le Prince, ou les seigneurs, qui tiennent l’estat, sont obligez à garder les loix, comme plusieurs pensent: & qu’ils ne peuuent faire loy, qui ne soit accordee du peuple, ou du Senat, elle ne pourra aussi estre[*](l.nihil tam naturale.de regul.) cassee, sans le consentement de l’vn ou de l’autre, en termes de droit: ce qui ne peut auoir lieu en l'estat populaire, veu que le peuple ne fait qu’vn corps, & ne se peut obliger à soymesme. Pourquoy donc, dira quelqu'vn, le peuple Romain faisoit-il ferment de[*](Plutar. in Mario Appian lib.I. GREEK TEXT) garder les loix? Dion escrit[*](lib.38.) que cefut vne coustume nouuelle introduite à la requeste d’vn
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d’vn tribun, & depuis se continua en toutes loix, ores qu'elles fussent iniques, & absurdes: qui n’est pas resouldre la difficulté. Ie dy donc que chacun en particulier faisoit le ferment: ce que tous en general n’eussent peu faire, attendu que le ferment ne se peut faire, à bien parler, que du moindre au plus grand. & au contraire en la Monarchie chacun en particulier, tout le peuple en corps, doit iurer de garder les loix, & faire ferment de fidélise au Monarque souuerain, qui ne doit ferment qu'a Dieu seul. duquel il tient le sceptre & la puissance. carie ferment porte tousiours reuerence à celuy auquel, ou bien au nom duquel il se fait : qui est la feule cause, pour laquelle le seigneur ne doit point de ferment au vassal, ores que l’obligation soit mutuelle entre l'vn & l’autre. Mais s’il est ainsi que le Prince souuerain ne doit ferment qu'a Dieu, pourquoy Traian l’Empereur faisoit-il ferment de garder les loix estant debout [*](Pourquoy le seigneur ne doibt point serment au vassal.)deuant le Consul qui estoit assis? Il y a double response: premierement qu’il ne faisoit ferment sinon quand il fut Consul, comme vn chacun des Magistrats nouuellement pourueus des offices iuroit au plus grand Magistrat, qui se trouuast en ville, le premier iour de l’an, apres auoir sacri- fié au Campidol. ainsi Traian quelquefois prenoit le Consulat, outre le tiltre imperial qu’il auoit, comme aussi faisoient les autres Empereurs: En second lieu, les premiers Empereurs Romains n'estoient pasfouue- rains, mais seulement chefs, & premiers des citoyens, qu’ils appelloient Principes: & ceste forme de Republique estoit en apparence, Aristocratique: en effect, Monarchie, & s’appelloit PRINCIPATVS, en laquelle [*](Que c’est de principauté.) l’Empereur auoit ceste prerogatiue d’estre le premier, en dignité, en honneur, en seance. combien qu’à la verité la pluspart des Empereurs eftoient tyrans. Et comme vn iour quelques Roys estranges disputoient de leur noblesse, & grandeur à la table de l’Empereur Caligula, il dist levers d’Homere, GREEK/OTHER TEXT c’est à dire, qu'il n’est pas expedient qu’il y ait plusieurs Seigneurs, & qu’il ne faut qu’vn Roy. à peu, dit Suetone, qu’il ne print alors le Diadesme Royal, pour changer la forme de Republique, qui estoit vne Principauté, en[*](Sueton. in Calig. parum abfuit quin speciem principatus in regnum conuerteret.) Royaume. Or il est bien certain que la Principauté, Ie Capitaine ou Prince n’est pas souuerain, non plus que le Duc à Venize, comme nous dirons en son lieu. Et quand on prendroit que les Empereurs en effet auoient empieté la souueraineté, comme il est bien certain, neantmoins il ne se faut pas esmerueiller si Traian, qui estoit l’vn des bons Princes qui fut iamais au monde, iuroit de garder les loix, ores qu’il en fust exempt en qualité de Prince, à fin de donner exemple aux fugets de les garder plus soigneusement : niais pas vn des Empereurs deuant luy ne l’auoit fait. C’est pourquoy Pline le jeune, parlant du fermer que fist Traian, s'escrie: Voicy, dit-il, vn cas estrange, & qui iamais n’a esté veu, [*](Serment de Traian.)que l’Empereur iure de garder les loix, &c. où il monstre, que c’estoit chose bien nouuelle. Et depuis Theodoric, voulant gaigner la faueur
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du Senat, & peuple Romain, suiuit l’exemple de Traian, comme nous lisons en Cassio dore, Ecce, dit-il, Traiani nostri clarum seculis reparamus exemplum: iurat vobis, per quem iuratis. Et est vray semblable, que les autres Princes ont mis cela en coustume de faire ferment à leur couronnement. ores qu’ils ayent la souueraineté par droit successif. Il est bien vray que les Roys des peuples de Septentrion font des sermens qui derogent à la souueraineté. & de fait la noblesse de Dannemarc empescha le couronnement du Roy Federic au mois d’Aoust M. D. LIX. iusques à ce qu’il eust iuré solennellement, qu’il ne pourroit faire mourir ny confisquer homme noble, ains qu’il sera iugé par le Senat: que tous gentils hommes auront iurisdiction & puissance de la mort sur leurs fugets fans appel, & sans que le Roy ait part aux amendes ny confiscations: que le Roy ne pourra donner office fans le consentement du Senat : qui font tous argumens que le Roy de Dannemarc n’est pas souuerain. mais ce sermentfut premierement arraché de la bouche de Federic ayeul de cestuy cy, lors qu’il estoit en guerre cotre Christierne Roy de Dannemarc qui mourut en prison, où il auoit esté x x v. ans: & depuis fut confirmé par Christierne pere de Federic, qui a fait le mesme serment: & a fin qu’il ne peust y contreuenir, la Noblesse traita ligue auec la ville de Lubec, & le Roy de Poloigne Sigismond Augufte:qui n’auoit guere plus de souueraineté que le Roy de Dannemarc. Mais il faut de deux choses l’vne, c’eft à sçauoir que le Prince qui iure de garder les loix ciuiles, ne soit pas souuerain: ou bien qu’il est pariure s'il contreuient à son ferment, comme il est necessaire que le Prince souuerain y contreuienne, pour casser, ou changer, ou corriger les loix selon l’exigence des cas, des temps, & des personnes. ou bien si nous disons que le Prince ne laissera pas d'estre souuerain: & neantmoins qu’il sera tenu de prendre l’aduis du Senat, ou du peuple, il faudra aussi qu’il soit dispensé par ses fugets, du fermer qu’il aura fait de garder lesloix inuiolablement: & les sugets, qui font tenus, & obligez aux loix, soit en particulier, soit en general, auront aussi besoin d'estre dispensez de leur Prince, fus peine d'estre pariures: de sorte que la souueraineté sera ioüee à deux parties, & tantost le peuple, tantost le Prince fera maistre. qui sont absurditez notables, & du tout incompatibles auec la souueraineté absolue, & contraires aux loix, & à la raison naturelle. Et neantmoins on voit des plus suffisans soustenir, qu’il est necessaire que les Princes soient obligez de faire ferment de garder les loix & coustumes du pays. En quoy faisant ils aneantissent, & degradent la majesté souueraine,qui doit estre sacree pour en faire vne Aristocratie, ou bien vne Democratie: Aussi aduient-il que le Monarque fouuerain, voyant qu’on luy vole ce qui luy est propre, & qu’on le veut assugetir à ses loix, il se dispense à la fin non feulement des loix ciuiles, ains aussi des loix de Dieu, & de nature, les faisant egales. Il est donc besoin de bien esclaircir ce poinct ici. Car on peut encore dire que par la loy
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loydes Medois, & Persans, les edits du Roy estoient irreuocables: ce qui est[*](Daniel cap 6. La loy des Medois.) repeté en trois lieux. & combien que le Roy des Medois voulust exempter Daniel de la peine capitaine portee par l’edit, auquel il auoit contreuenu: neantmoins les Princes luy remonstrerent, que ledit par luy fait, ne se pouuoit reuoquer, ostant la loy du pays: & de fait Daniel fut getté aux Lyons. Si donc le plus grand Monarque de la terre, ne pouuoit casser les edits par luy faits, nos resolutions touchant la puissance souueraine, sont mal fondees. ce qui n'a pas lieu feulement en la Monarchie, ains aussi en l'estat populaire: comme estoit celuy d’Athenes, duquel parlant Thucydide, monstre que la guerre Peloponesiaque commenca pour vn edit fait par le peuple d’Athenes, qui ostoit la puissance aux [*](Loy des Atheniens.)Magariens, d’aborder au port d’Athenes. Iaplainte faite aux alliez d’vn tel outrage, contre le droit des gens, les Lacedemoniens depescherent vne Ambassade vers les Atheniens, pour les prier de vouloir reuoquer l’edit. Pericle, qui lors estoit tout puissant en Athenes, fist response aux Ambassadeurs, que les loix des Atheniens portoient disertement, que les edits publiez, & pendus aux colonnes ne se pouuoient iamais oster. s’il est ainsi, le peuple estoit obligé, non seulement à ses loix, ains encores aux loix des predecesseurs. Et qui plus est, l’Empereur Theodose veut que les edits soient faits du[*](l. humanum de legib.C.) consentement de tous les Senateurs. Ft mesmes par l’ordonnance de Loys XI. Roy de France, touchant l’institu-[*](Loy de l’Empereur Theodose.) tion des Cheualiers de l’ordre article VIII. il est expressément dit, que le Roy n’entreprendra guerres, ny autres choses hautes, & dangereuses, sans le faire asçauoir aux Cheualiers de l’ordre, pour auoir, & vser de leur conseil & aduis. Qui faitaussi que les edits de nos Roys, s’ils ne sont leus, publiez, verifiez,& enregistrez en Parlement, auec le consentement de M. le Procureur general, & aprobation de la Cour, n’ont point d’effect: come aussi la maxime des Loix d’Angleterre gardee inuiolablement, est telle: Que si les ordonnances portans coup à l'estat, ne sont auto- [*](Coustume d’Angleterre)risees du parlement d’Angleterre,elles seront[*](Polydore.) reuoquees en doute.Ie dy que ces obiections ne peuuent empefcher,quela reigle d'estat, que nous [*](Comment tous edits sont reuocables.) auons posee, ne soit veritable. car quant à la loy des Medois, c’eft vne pure calomnie, que les courtisans dresserent à Daniel, dépits de le voir Prince estranger, qui estoit si haut esleué en leur pays, & à vn degré pres de la majesté du Roy, lequel receut leur calomnie, pour faire la preuue si le Dieu de Daniel le garentiroit de la peine, comme il fist: & aussi tost le Roy fist getter ses ennemis en la fosse des lyons affamez : en quoy il monstra bien qu’il n'estoit pas suget aux loix ciuiles de son pays : comme on peut voir aussi en ce que Darius Mnemon, à la requeste d’vne ieune dame Iuifue, cassa l’edit, par lequel il auoit ordonné, que la nation Iudaïque seroit exterminee. Quant a Pericle, c’estoit vne occasion de guerre qu’il cherchoit, pour eschaper l’accusation de ses ennemis, comme Theopompe & Timee l’ont asseuré,& Plutarque ne l’a pas nié. c’est
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pourquoy il dist aux Ambassadeurs de Sparte, que les edits vne fois pendus aux colonnes, ne se pouuoient oster: mais ils le payerent d’vn trait Laconic, disans qu’ils ne vouloient pas que l'edit fust osté, ains seulement que le tableau fust tourné. Et si les edits des Atheniens eussent esté irreuocables, pourquoy voyons nous vne[*](Plutar. in Demetrio, Phocione, Demosthene.) suyte infinie de loix qu’ils faisoient à propos & sans propos, pour donner lieu aux nouuelles? Et pour verifier que Pericle abusoit les Ambassadeurs, il faut voir la harangue que Demosthene a faite contre Leptin, lequel auoit presenté requeste au peuple, tendant à sin, que par edit perpetuel, & irreuocable, il fust defendu deslors en auant fus peine de la vie, de presenter requeste au peuple, pour obtenir aucun priuilege, ny exemption, & semblable peine à celuy qui parleroit de casser l’edit. Demosthene le fist debouter de sa requeste fus le champ, monstrant à veue d’œil, que le peuple accordant cest edit,fe despoüilleroit non feulement de la prerogatiue qu’il auoit d’ottroyer les exemptions, & priuileges, ains aussi de la puissance de faire, & casser les loix au besoin. Ils auoient aussi vne action populaire des loix enfraintes, qu’on intentoit contre tous ceux qui vouloient faire passer au peuple quelque edit contraire aux loix ja receues : comme on peut voir par tous les plaidoyez de Demosthene: mais cela iamais n’empeschoit, que les nouuelles loix bonnes & vtiles, ne fussent preferees aux vieilles loix iniques. Et en cas pareil, l'edit general, qui portoit que l’amende vne fois adiugee par le peuple, ne seroit iamais rabatue, fut reuoqué plusieurs fois, & mesmement vne fois en faueur de Pericle, & autres fois en faueur de Cleomedon, & de Demosthene, qui tous auoient esté condamnez par diuers iugemens du[*](Plutar. in Pericle, Demetrio, ac Demosthene.) peuple, chacun à l'amende de XXX. mil escus. On dit bien aussi qu’en ce Royaume l’amende vne fois payee à tort ou à droit, n’est iamais rendue: & neantmoins on a veu souuent le contraire. C’eft donc vne forme de faire, qui est & a toufiours esté en toute Republique, que tous ceux qui font les loix, à fin de leur donner plus grand poids, & autorité, y adioustent ces mots: [*](Clause des loix perpetuelles.)PAR edit perpetuel, & irreuocable, &c. & en ce Royaume on met au commencement de tels edits, ATOVS presens, & à venir, &c. qui monstrent vn trait perpetuel à la posterité: & pour monstrer encores plus la difference d’auec les edits faits par maniere de prouision on les seelle en cire verd, en laqs de soye verte & rouge: & les autres en cire iaune. Et neantmoins il n’y en a pas vn perpetuel, non plus qu’en Rome, où celuy qui publioitvneloy adioustoit à la fin qu’il ne pourroit y estre derogé, ny par le Senat, ny par le peuple. & si cela eust eu lieu, pourquoy le peuple du iour au lendemain eust-il cassé les loix? Tu scais, dit[*](ad Atticum lib. 3.epistol.72.) Ciceron, que le Tribun Claudeparlaloy qu’il a fait publier, amis à la sin, que le Senat, ny le peuple, ne pourroit y deroger en sorte quelconque: mais il est assez notoire, que iamais on n’a eu egard à ceste clause, VT NEC per Senatum, nec per populum lex infirmari possit: autrement, dit-il, on ne verroit iamais, loy
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loy cassee, veu qu’il n'ya loy qui ne porte ceste clause : à laquelle neantmoins on deroge ordinairement. ce qui est encores mieux declairé en la harangue de Fabius Ambustus, sus l'opposition des Tribuns, qui soustenoient que Ie peuple n’auoit peu faire deux Consuls nobles, castant la loy qui vouloit, qu’il y en eust vn roturier. Fabius dist que la loy des xij. tables[*](quod postremum iussit populus id ratum esto l.sed& posteriores.de legib ff.) portoit, que le dernier mandement du peuple estoit le plus fort. On voit donc euidemment que les Perses, Medois, Grecs, & Latins, vsoient de mesme forme, pour valider leurs edits & ordonnances, que font. nos Roys, qui mettent quelquesfois ceste clause, SANS que par cy apres il puisse par nous, ou nos successeurs y estre derogé: ou SANS auoir egard à la derogation, que dés à present nous auons declaree nulle. Et toutesfois on ne scauroit[*](l. à titio.§. nulla obligatio de ver. l. ille à quo. §. tempestiuum ad Trebel. l. si quis in principio de legat.3. l.penult.de arbitris ff.Bald.in l.clari. de fidei commiss. C. Alexan. consil.224. lib. 6. Panor. in cap. pro illorum de præben.) tellement se donner loy, qu’on ne s'en puisse departir, comme nous auons dit : car l’edict: qui se fait apres, porte tousiours derogation expresse à la derogatoire: Aussi Solon ne voulut pas obliger les Atheniens de garder ses loix à iamais, ains, il se contenta qu’elles fussent gardees[*](Plutar. in Solon.) cent ans: & toutesfois bien tost apres, luy viuant, & present, il peut voir le changement d’icelles. Et quant a la verification des edits faits par les estats, ou parlemens, elle est de grande consequence, pour les faire garder, non pas que sans icelle le Prince souuerain. ne puisse faire loy: aussi Theodose dit[*](in d. l. humanum. de legib.C.) humanum esse, pour monstrer que le consentement du Senat, non tam necessitatis est, quant humanitatis. comme en cas pareil quand il est dit, que c’est. chose bien seante[*](l. digna vox. de consti. prin. C. l. ex imperfecto. de lega. 3. & l. ex imperfecto de testament.C.) à vn prince souuerain de garder fa loy : par ce qu’il n’y a chose qui le face plus craint, & reueré des sugets: & au contraire il n’y a rien qui plus r'auale l'autorité de sa Ioy, que le mespris qu’il en fait, comme disoit vn ancien Senateur Romain, [*](Liuius lib.3.) Leuius est, & vanius sua decreta tollere quam aliorum. Mais si le Prince defend de tuer sur peine de la vie, n’est il pas obligé à fa loy ? ie di que ceste loy n’eft point sienne, mais c’eft la loy de Dieu, & de nature, à laquelle il est plus est roittement[*](Bald.in §.vlt.col.I.titul.qui feudum dare Mart.laud.in tracta. de princip. vers. 305.Bald. in l 2 col 7. vers.item not. de sesuitut. & aqua. Felin in cap.I. col.10.vers. quint. Alexand. consil.216.cano.sunt quædam. 25. q.I.Specul. tit. de leg.§. nunc & dd. in l.vlt. si contra ius.C.) obligé que pas vn des fugets, & n'en peut estre dispensé, ny par le Senat, ny par le peuple, qu’il n’en soit tousiours responsable au iugement de Dieu, qui en fait information à, toute rigueur, comme disoit Salomon. c’eft pourquoy Marc Aurele disoit que les magistrats sont iuges des particuliers : les princes des magiftrats, & Dieu des Princes. Voila l’aduis des deux plus sages princes qui furent onques. ie mett ray encores celuy d’Antigon Roy d’Asie, lequel oyant dire à vn flateur, que toutes choses sont iustes aux Roys: Ouy, dist-iI, aux Roys Barbares, & tyrans. le premier qui vsa de ceste flaterie fut Anaxarque enuers Alexandre le grand, auquel il fist croire que la deesse lustice estoit à la dextre de Iupiter, pour monstrer que les princes ne font riem qui ne soit iuste. mais tost apres il esprouua ceste iustice, estant tombé entre les mains du Roy de Cypre son ennemy, qui le fist rompre sus vne enclume. Seneque dit bien tout le contraire, Caesari cùm omnia licent, propter hoc minus licet. Et par ainsi ceux qui di-
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sent generalement, que les princes ne sont point fugets aux loix, ny mesmes à leurs conuentions, s’ils n’exceptent les loix de Dieu & de nature, & les iustes conuentions & traittez faits auec eux, ils font iniure[*](Accurs. in l. princeps de legib.ff.) à Dieu, s'ils ne font apparoir d'exemption speciale, comme on dit en matiere de priuileges. Et mesme Denis tyran de Sicile dist à fa mere, qu’il pourroit bien la dispenser des loix, & coustumes de Syracuse, mais non pas des loix de[*](Plutar. in apoph. græcor.) nature. Et tout ainsi que les contracts, & testaments des particuliers, ne[*](l. ius publicum de pactis l. nemo potest de legat.I.) peuuent deroger aux ordonnances des magiftrats, ny les edits des magistrats aux coustumes, ny les coustumes aux loix[*](l.3.§. diuus. de sepulchro violat. l. 2. quæ sit longa. consuetud.C.) generales d’vn Prince souuerain: aussi les loix des princes souuerains, ne peuuent alterer, ny changer les loix de Dieu & de nature. Et pour ceste cause les magiftrats Romains auoient accoustumé de mettre a la fin des requestes, & loix qu’ils presentoient au peuple, pour estre enterinees, ceste[*](Cicero pro Cæcinna.) clause, SI QVID IVS NON ESSET E. E. L. N. R. eius ea lege nihilum rogaretur. c’eft à dire, s'il y auoit chose qui ne fust iuste, & raisonnable, qu’ils n’entendoient pas la demander. Et plusieurs se sont[*](Anto. Butrio. Innocent. Imola. Panormit. in cap. quæ in ecclesiarum de constitut.ex l.quoties de precib. imper. C. Felin.in d.c.col.5. vers.limita,& col.14.) abusez de dire, que le Prince souuerain ne peut rien ordonner contre la loy de Dieu, s’il n'est fondé en raison apparente. & quelle raison peut on auoir de contreuenir à la loy de Dieu ? Ils disent[*](in cap. non est de voto. Innocent. in cap.cum olim col 2. de cler. coniu. & in c.I. col 5.& 14.de constitu. Panor. in c. cum venissent. col. 5.de election. Innocent. Anton. Butrio Imola in cap 2.de renunciat. Felin. in cap. quæ in ecclesiarum. de constit.col.7. vers. demum.) aussi que cestuy-là que le Pape a dispensé des loix diuines, est asseuré enuers Dieu. ie m’en rapporte à la verité. Il reste encores ceste obiection: Si le Prince est obligé aux loix de nature, & que les loix ciuiles soient equitables, & raisonnables, il s'ensuit bien que les princes font aussi tenus aux loix ciuiles. & à cela se raporte ce que disoit Pacatius à l’Empereur Theodose, Tantum tibi licet quantum per leges licebit. le responds que la loy du Prince souuerain concerne le public, ou le particulier, ou l'vn & l’autre ensemble: & en tout cas, qu’il est question du profit contre l’honneur: ou du profit qui ne touche point l’honneur: ou de l’honneur fans profit: ou du profit ioint à l’honneur: ou bien de ce qui ne touche ny le profit, ny l’honneur, quand ie dy l'honneur, i’entends ce qui est honneste de droit naturel: & quant à ce poinct il est resolu que tous princes y sont sugets: attendu que telles loix font naturelles, ores que le Prince les face publier : & à plus forte raison quand la loy est iuste & profitable. si la loy ne touche ny le profit, ny l’honneur, il n’en faut point faire estat si le profit combat l’honneur, c’eft bien raison que l’honneur l’emporte : comme disoit Aristide le iuste, que l'aduis de Themistocle estoit fort vtile au public, & toutesfois deshonneste & vilain. mais si la loy est profitable, & qui ne face point de breche à la iustice naturelle, le Prince ny est point suget, ains il la peut changer, ou casser si bon luy semble, pourueu que la derogation de la loy apportant profit aux vns, ne face dommage aux autres sans iuste cause. car le Prince peut bien casser & annuller vne bonne ordonnance, pour faire place à vn autre moins bonne, ou meilleure : attendu que le profit, l’honneur, la iustice, ont leurs degrez de plus
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de plus & moins. Si doneques il est licite au Prince, entre les loix vtiles, faire chois des plus vtiles, aussi sera-il entre les loix iustes & honnestes, choisir les plus equitables, & plus honnestes: ores que les vns y ayent prosit, les autres dommage, pourueu que le profit soit public, & le dommage particulier. mais il n’est pas licite au suget de contreuenir aux loix de son Prince, soubs voile d’honneur, ou de iustice. comme si au temps de famine Ie Prince defend la traitte des viures : chose non feulement profitable au public, ains aussi bien souuent iuste & raisonnable: il ne doibt pas donner congé à quelques vns d’en tirer au preiudice du public, & des marchas en particulier : car soubs ombre du profit queles flatteurs & couratiers emportent, plusieurs bons marchans souffrent dommage, & en general tous les sugets sont affamez: & neantmoins cessant la famine, & la disette, il n’est pas licite au suget de contreuenir à l'edit de son Prince, si les defenses ne font leuees: & ne luy appartient pas de fonder fa contrauention en l’equité naturelle, qui veut qu’on aide à l’estranger, luy faisant part des biens que Dieu fait croistre en vn pays plus qu’en l’autre, car la loy qui defend, est plus forte que l’equité apparente, si la defense n'estoit directement contraire à la loy de Dieu, & de nature. Car quelquesfois la loy ciuile sera bonne, iuste, & raisonnable: & neantmoins le Prince n’y doit estre suget aucunement. comme s’il defend fus la vie de porter armes, pour mettre fin aux meurtres & seditions, il ne doit pas estre suget à sa loy: ains au contraire il doit estre bien armé, pour la tuition des bons, & punition des mauuais. Nous ferons mesme iugement des autres edits & ordonnances, qui ne touchent que partie des fugets, & qui font iustes, pour Ie regard de quelques personnes, ou iusqu’à certain temps, ou en certain lieu, ou pour la varieté des peines qui dependent toufiours des loix ciuiles, ores que les defenses des crimes soient de droit diuin & naturel. Ausquels edits & ordonnances les Princes ne font aucunement tenus, sinon tant que la iustice naturelle des edits a lieu: laquelle cessant, le Prince n’y est point obligé, mais bien les fugets y font tenus, iusqu’à ce que le Prince y ait derogé. car c’eft vne loy diuine, & naturelle, d’obeir aux edits & ordonnances de celuy à qui Dieu a donné la puissance sur nous: si les edits n'estoient directement contraires à la loy de Dieu, qui est par dessus tous les Princes. car tout ainsi que l'arriere- [*](Le prince est tenu de ses conuentions.) -vassal doibt serment de fidelité à son seigneur, enuers & contretous, reserué son Prince souuerain : aussi le suget doibt obeissance à son Prince souuerain, enuers & contre tous, reserué la Maiesté de Dieu, qui est seigneur absolu de tous les Princes du monde. De ceste resolution nous pouuons tirer vne autre reigle d'estat, c’est à sçauoir, que le Prince souuerain est tenu aux contracts par luy faits, soit auec son suget, soit quelques l’estranger. car puis qu’il est garend aux fugets des conuentions,& obligations mutuelles qu’ils ont les vns enuers les autres, à plus forte raison est il debteur de iustice en son fait: comme la Cour de Parle-
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ment de Paris rescriuit au Roy Charles IX. M. D. LXIII. au mois de Mars, que sa maiesté feule ne pouuoit rompre le contract fait entre luy & le Clergé, sans le consentement du Clergé, attendu qu’il estoit debteur de iustice. Et me souuient d’vne decision de droit touchant les Princes, qui merite estre grauee en lettres d’or dedans leurs grottes & Palais, QV'ON doibt mettre entre les cas fortuits, si le Prince contreuient à sa promesse, [*](Alexander.consil. 97.lib.a.nu.13. Cynus in l. rescripta. de precibus imp. offer. C. Iacob Butrigar. in l. vlt.si contra ius C.) & qu’il n’est pas à presumer au contraire. car l’obligation est double: l’vne pour l'equité naturelle, qui[*](l.I.de pactis.ff.) veut que les conuentions, & promesses soient entretenues: l’autre pour la foy du Prince, qu’il doibt tenir, ores qu’il y eust dommage, parce qu’il est guarend formel à tous ses fugets de la foy qu’ils ont entr’eux: & qu'il n’y a crime plus detestable en vn Prince que le[*](Innocent. in cap. ad apostolicam de re iudic.) pariure. c’est pourquoy le Prince souuerain doibt estre toufiours moins supporté en iustice que ses fugets, quand il y va de fa promesse. car il ne peut oster l’office donné à son suget fans iuste cause: & le seigneur particulier le peut faire: comme il se iuge ordinairement. & si ne peut oster le fief à son vassal sans cause, les autres seigneurs le peuuent, par les maximes des fiefs. Qui est pour respondre aux docteurs canonistes, qui ont eferit que le Prince ne peut estre obligé que naturellement: parce que, disent-ils, les obligations font de droit ciuil : qui est vn abus: car il est bien certain en termes de droit, que si la conuention est de droit naturel, ou de droit commun à tous peuples, & l’obligation, & l’action[*](l.Indebiti de condic. indeb.l.2.rerum amotar. l.ex hoc iure de iustitia. Bart. Bald Angel eod.) seront de mesme nature. mais nous sommes en plus forts termes, car le Prince est tellement obligé aux conuentions qu’il a auec ses fugets, NOTE 9 DOESN’T EXIST IN TEXT[*](Panormit. Anto. Butrio. Imol. Felin. in cap. I. de probat. cardinal. consil. 147. donnans.)ores qu’elles ne soient que de droit ciuil, qu’il ny peut deroger de sa puissance absoluë: comme les[*](Bald in l. princeps de legib.& in cap. I. §. ad hæc col. 5. Castrensis in l. digna vox de legib. C. Decius consil. 10.nu.22.Bal. in l. ex imperfecto de testam. C. Decius consil.404.nu 8.) docteurs en droit presque tous demeurent d’accord : veu que Dieu mesmes, comme dit le Maistre des sentences, est tenu de sa promesse. Assemblez moy, [*](Hierem.45.) dit-il, tous les peuples de la terre, affin qu’ils iugent entremon peuple & moy, s'il y a chose que i’ay deu faire, & ne l’aye fait ? Il ne faut donc pas reuoquer en doubte, comme quelques[*](Bartol.in l. prohibere § plane quod vi.Bald.in c.I. de natura feud.& in cap.t. de probat. ext. & in l. vlt. de transac. C. Panor.in c. nouit de iudiciis. Specul. in tit.de instru. edit. §. nunc dicendam. sine Ancara. consil. 2. vt factum Felin. in c. I.de probat.) docteurs ont fait, si le Prince ayant contracté auecques ses fugets, est tenu de fa promesse : dequoy il ne se faut esbahir, veu qu’ils ont soustenu que le Prince peut faire son profit du dommage d’autruy fans iuste cause : qui est contre [*](l. nam hoc natura de condic. ind. l. si priuatus qui & à quibus.l.toties de pollicitat.l. Antiochensium.de priuileg. credit.) la loy de Dieu, & de nature. Et partant il fut iugé par arrest[*](gallus notat.q.184. parte.5.) du Parlement, que le Prince peut bien donner son interest à celuy qui est condemné. & non pas l’interest[*](consentiunt Bartol.Acenrs.Alexand. in vlt. not l.venia.de in ius voc.C Panor. consil. 6. lib. 2. Boer decis.65.) ciuil de la partie: & passant plus outre la Cour a preferé la partie ciuile au fisque, pour le regard de la peine. Et par autre arrest donné l’an M. CCCLI. lexv. Iuillet, il fut dit que le Roy pouuoit deroger aux loix ciuiles, pourueu que ce fust fans preiudice du droit des particuliers, qui est pour confirmer les decisions que nous auons posees, touchant la puissance absoluë. Et de fait le Roy Philippe de Valois par deux testaments qu’il fist l’an M. CCCXLVIII.& m.c CCI. NOTE 7 DOESN’T EXIST IN TEXT [*](iudicatum anno 1391.gal. q. 257. parte 5.)
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M.D.CCCI. (qui sont au tresor de France, au cofre intitulé les testa- [*](Testament de Philippe de Valois.) -ments des Roys, nombre CCLXXXIX.) adiousta la clause derogatoire aux couftumes, & loix ciuiles, comme n’estant point obligé a icelles. & fift le semblable en la donation faicte à la Royne le XXI. Nouembre M.CCCXXX. qui se trouue au registre LXVI. lettre D. CCCXXVII. combien que l’Empereur Auguste en cas semblable, voulant plus donner à sa femme Liuia, qu’il n'estoit permis parla loy Voconia, demanda[*](Dion.lib.56.) dispense au Senat. (ores qu’il n’en fust besoin, attendu qu’il eftoit long temps auparauant dispensé des loix ciuiles) affin de mieux asseurer sa donation, d’autant qu’il n'estoit pas Prince souuerain, comme nous auons dit: autrement il n’y eust esté aucunement tenu, comme il fut iugé en plus forts termes par arrest de la[*](l’an 1282.) Cour, que le Roy n'estoit pas tenu aux couftumes du retraict lignager, quand on voulut racheter de luy le Conté de Guynes, ores que[*](Bald.in authent.omnes.col.2. de censib. C. & in c. I. de nat. feudi.homi. consil. 58.col.I.lib.3.Faber. in l. digna vox. de legib. C. Bald. & Castrens. in l. cum de consuetudine. de legib.) plusieurs tiennent le contraire. c’est pourquoy nous voyons és anciens registres que le Roy Philippe le Bel, quand il erigea le Parlement de Paris, & de Mont-pellier, declaira qu’ils ne seroient tenus aux loix Romaines. Et aux erections des vniuersitez, toufiours les Roys ont declaré, qu’ils entendoient receuoir la profession du droit Ciuil, & Canon pour en vser à leur discretion, sans y eftre aucunement obligez. Et pour m'esme cause Alaric Roy des Gots, defendit sus la vie, d’alleguer le droit Romain contre ses ordonnances : ce que M. Charles du Moulin[*](in consuetud. feudor.) ayant mal pris l’appelle Barbare : mais il ne fift rien que tout Prince souuerain ne puisse, & doyue iustement faire: comme en cas semblable Charles le Bel en ce Royaume, fist defense d’alleguer les loix Romaines contre les couftumes: ce qui est aussi porté par vn ancien arrest, que i’ay leu aux registres de la Cour, par lequel cela est expressément defendu aux Aduocats, entrois mots, Li Aduocats ne soient si hardis de mettre droit escrit, contre la coustume. Et mesme Oldrad[*](consil. 69. consueuit dubitari.) escrit que les Roys d’Espagne firent vn edict à ce qu’il n’y eust personne, fus peine de la vie, qui allegast les loix Romaines. & iaçoit qu’il n’y eust ny coustume, ny ordonnance au contraire, si est-ce que telle defense emporte, que les iuges ne peuuent, & ne doyuent estre contraincts à iuger selon le droit[*](eo iure vtimur, & id confirmat Petrus Belluga. in speculo) Romain : & le Prince beaucoup moins, qui les en dispense, remettant cela à leur discretion. Mais ce feroit crime de leze maiefté, d’opposer le droit Romain à l’ordonnance de son Prince. Et d’autant qu’on en faisoit mestier en Espagne, Estienne Roy d’Espagne fist defense d’y lire les loix Romaines, comme escrit[*](lib.8.c.22.) Polycrate. & par autre ordonnance[*](l.I.tit.3.lib.I.ordinat.) d’Alphons X. il estoit enioint à tous magiftrats daller au Roy, quand il n’y aura ordonnance, ny coustume. En quoy[*](in l. nemo potest de sententiis & inter locutionibus. C. Paris in syndic.cap.2.) Balde s'est mespris, quand il dit, que les François vsent des loix Romaines pour raison seulement, & que les Italiens y font tenus : car les vns y font aussi peu tenus que les autres : iaçoit que l’Italie, l’Espagne, le pays de Prouence,
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Sauoye, Languedoc, Lyonnois vsent du droit Romain, plus que les autres peuples: & que l'Empereur Federic Barbe-rousse, fist publier les liures des loix Romaines, la pluspart desquelles n’ont aucun lieu en Italie, & moins encores en Alemagne: mais il y a bien difference entre le droit, & la loy. l’vn n’emporte rien que l'equité: la loy emporte commandement. car la loy n’est autre chose, que le commandement du souuerain, vsant de sa puissance. Tout ainsi donc que le Prince souuerain n’est point tenu aux loix des Grecs, ny d’vn estranger quel qu’il soit, aussi n’est-il aux loix des Romains, & moins qu’aux siennes, sinon entant quelles font conformes à la loy naturelle, qui est la loy à laquelle dit Pindare, que tous Roys & Princes sont fugets: & ne faut point excepter Pape, ny l’Empereur: comme quelques flateurs[*](Angel.in l.3.§. si is pro quo.quod quisque iuris.ff.) disent, que ces deux là peuuent prendre les biens de leurs fugets fans cause : aussi plusieurs docteurs, &mefmes les[*](Panor.in cap. 2.de reb. eccles. non ali. Felin.in c. quæ in ecclesiarum. de constitu. Raphaël Fulgos. in l. vlt.si contra ius. C. Faber. in §.sed naturalia.nu.2. institu. 7.Bartol.& Bald.in l. item si verberatum. §. si quis. de rei vindic. Bart. Alexand & dd. inn l. I. de constitu.pecu.Bald & Angel.in l. 2. de quadriennij præscript. C. Bal. in l. Bene à Zenone col.2. co.Bart. in l.vlt. colsi. si contra ius. C. Cynus & Albericus in l.neminem. de sacrosan. C. Alexan. consil. 2. col.7. & seq.lib.I.& consil. 101. col. 6. & consil. 37. col. 3. Cynus in l. rescripta q.3.de precibus impe. C. Angel. consil 139. col.2. Alexand. consil. 89. col. 3. lib.5.& consil. 91. col. penult eod. Archidiacon.in cap. ius ciuile. & ibi cardinal. Alexan distin. I.Dynus in regula sine culpa. de regul. lib.6. Paris Put. de syndic. tit.de regum excel.) Canonistes detestent ceste opinion la, comme contraire à la loy de Dieu: mais c’eft tresmal limité de dire, qu’ils le peuuent faire de puissance absoluë: & vaudroit mieux dire par force, & par armes : qui est le droit du plus fort, & des voleurs: veu que la puissance absoluë n’est autre chose, que derogation aux loix ciuiles, comme nous auons monstré cy dessus, & qui ne peut attenter aux loix de Dieu, qui a prononcé haut & clair par sa loy, qu’il n’est licite de prendre, ny mesmes conuoiter le bien d’autruy. Or ceux qui soustiennent telles opinions, font plus dangereux que ceux-la mesmes qui les executent: car ils monstrent les griffes au lyon, & arment les Princes du voile de iustice: puis la malice d’vn tyran abreuué de telles opinions, prend fa carriere d’vne puifTance absoluë, & presse les passions violentes, faisant qu'vne auarice deuient confiscation, vn amour adultere, & vne cholere meurtre. & tout ainsi que le tonnerre va deuant l’esclair, encores qu’il semble tout le contraire: aussi le mauuais Prince estant depraué de pernicieuses opinions, fait passer l’amende deuant l’accusation, & la condemnation deuant la preuue. Combien que c'est vne[*](l. nepos de verb. sig. Alex. consil. 59. lib. 4. glo. in l. I. de constit.princ.) incongruité en droit, de dire que le Prince peut chose qui ne soit honneste: veu que son pouuoir doibt toufiours estre mesuré au pied de iustice. ainsi parloit Pline[*](in panegyrico.) le ieune de l’Empereur Traian, Vt enim fœlicitatis est posse quantum velis: sic magnitudinis velle quantum possis: qui veut dire que le plus haut degré de bon heur, c’eft de pouuoir ce qu’on veut: & de grandeur, c’eft de vouloir ce qu’on peut. en quoy il monstre que le Prince ne peut rien qui soit iniuste. Aussi c’est mal parlé de dire que le Prince souuerain a puissance de voler le bien d’autruy, & de mal faire: veu que c’est plustoft impuissance, foiblesse, & lascheté de cueur. Si donc le Prince souuerain n’a pas puissance de franchir les bornes des loix de nature, que Dieu, duquel il est l’image, a posees, il ne pourra aussi prendre le bien d’autruy fans cause qui soit iuste & raisonnable, soit par achapt, ou eschange, ou confiscation legitime, ou traictant paix auec l’ennemi, si autrement elle ne se >
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ne se peut conclure, qu’en prenant du bien des particuliers, pour la conseruation de l’estat: quoy que plusieurs. [*](Hostiens. in cap. quanto de iureiurand. Butrio ibid.col. 2. Innocent. & Panor. in c. in nostra de iniur.) ne soient pas de cest aduis. mais Ia raison naturelle[*](d. l.item si verberatum. Felin in cap cum non liceat. col 5. de rescrip. Corne.consil.100.lib.I. Alexan. consil. 15 lib 5. col.2. Cumansiinco.l.53.& 158. col. 2. & consil. 162. col. 3. & consil. 109. lib. 3. & Latiff. consil. 216. & consil. 95.lib.I.nu.2.& consil 136 nu.I lib.2. 9.Polyb.lib.2.) veut que le public soit preferé au particulier, & que les fugets relaschent non seulement leurs iniures, & vengeances, ains aussi leurs biens, pour le salut de la Republique: comme il se fait ordinairement, & du public au public, & du particulier à l’autre. Ainsi voyons nous au traicté de Peronne, fait pour la deliurance du Roy Loys XI. prisonnier du Conte Charolois, qu’il fut dit que le seigneur de Tord ne pourroit faire executer son arrest contre le sieur de Saueuses. C’eft pourquoy on a loué Thrasibule, lequel apres auoir chasse les XXX. tyrans d'Athenes, fist crier l'oubliance generale de toutes pertes & iniures entre les particuliers, qui fut aussi depuis publiee en Rome par le traitté fait entre les coniurez, d’vne parr, & les partisans de Cesar, d’autre. Et toutesfois on doibt chercher tous les moyens de recompenser la perte des vns, auec le profit des autres: & s'il ne se peut faire fans trouble, on doibt prendre les deniers de l'espargne, ou en emprunter: comme fist Aratus, qui emprunta soixante mil escus, pour ayder à r'embourser ceux qui auoient esté bannis, & chassez de leurs biens, qui estoient possedez, & prescrits par longues annees. Cessant donc les causes que i’ay dit, le Prince ne peut prendre, ny donner le bien d’autruy, sans le consentement du seigneur. & en tous les dons, graces, priuileges, & actes du Prince, tousiours la clause, SAVF le droit d'autruy, est entendue, ores quelle ne fust [*](La force de clause, Sauf le droit dautruy.)exprimee. Et de fait ceste clause apposee en l’inuestiture du Duché de Milan, que fist l’Empereur Maximilian au Roy Loys XII. fut occasion denouuelle guerre, pour le droit que les Sforces pretendoient au Duché, que l’Empereur n’auoit peu, ny voulu donner. Car de dire que les Princes sont seigneurs de tout, cela s'entend[*](Felin in cap quæ in Ecclesiarum. de consti.col.II.Bald. consil. 363. sine lib I.Iaso in authent. quas actiones.de sacros.C.4.l in re actio. de rei vindic.Afflict, in constitut. Neapol. lib. 4. titul.10.) de la droicte seigneurie, & iustice souueraine, demeurant à chacun la possession, & proprieté de ses biens. Ainsi disoit Seneque, [*](lib.7.c.4.& 5. de beneficiis.) Ad Reges potestas omnium pertinet, ad singulos proprietas. & peu apres, Omnia Rex imperio possidet, singuli dominio. Et pour ceste cause nos Roys par les ordonnances , & arrests de la Cour, [*](Gallus.q.55.) sont tenus vuider leurs mains, des biens qui leur font escheus par droit de confiscation ou d’aubeine, s'ils ne sont tenus de la couronne nuément, & sans moyen, affin que les seigneurs ne perdent rien de leurs droits. Et [*](Le prince moins priuilegié que le suget.) si le Roy est debteur de son suget, il souffre condemnation. & affin que les estrangers, & la posterité sache de quelle sincerité nos Roys ont procedé en iustice, il se trouue vn arrest de l’an M.CCCC.XIX. par lequel le Roy fut debouté des lettres de restitution qu’il auoit obtenues, pour couurir les deffaux contre luy acquis. & par autre arrest donné l’an M CCLXVI. le Roy fut condamné payer la dixme à son curé des fruicts de son iardin. les particuliers ne sont pas traittez si rigoreusement : car le Prince souuerain n’est iamais restitué comme mineur, estant tous- [*](Que le prince n’est point restitué comme mineur.)iours reputé maieur, quand il y va de son interest particulier : & neant-
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moins la Republique[*](l. Rempublicam. de iure Reipub.C.) est toufiours reputee comme vn mineur, qui est pour respondre à ceux qui sont d’opinion, que la Republique ne doibt point estre restituee[*](Sic Bartol. & dd. in l. nam postea. §.si minor. de iureiurand. Bald. in l. vlt. quorum appel. Alexand. in l.I. §.nunciatio. de noui operis. Acciusius in l. imperatores de re iudic. & in l. vnica. de sentent. aduersus fiscum C.Felin.in cap. fraternitatis. col. 4. de testib. Arctin.consil.20.col.vlt.Afflict. decis.340. Castrens. & Alberi.in l.Respublica. ex quib causis maiores. Cynus eo. ait. Petr. a bella Pettica in eadem sententia fuisse. ) en ce qu’ils confondent le patrimoine du Prince, auec le bien public: qui est toufiours diuisé en la monarchie, & tout vn en l'estat populaire & Aristocratique. Ainsi voit-on la droicture de nos Roys, & l’equité des Parlemens: ayant preferé la Republique aux particuliers, & les particuliers aux Roys. & se trouue encores vn arrest du Parlement donné contre le Roy Charles VII. par lequel il fut condamné de souffrir qu’on coupast les bois qu’il auoit pres la ville de Paris, pour l’vsage public en general, & de chacun en particulier, & qui plus est le pris luy fut taxé par l’arrest, ce qu’on ne feroit pas à vn particulier. Lors on pouuoit iuger à veue d’œil la difference d’vn vray Prince au tyran : car combien qu’il fust grand Roy & victorieux de tous ses ennemis: si est-ce qu’il se rendoit plus doux, & ployable à la raison, à l’equité, & au iugement de ses magistrats, que le moindre de ses fugets. & neantmoins au mesme temps[*](l’an 1446.) Philippe Marie Duc de Milan, deffendoit de passer, ny trageter les riuieres, & l'vsage d’icelles sans auoir congé de luy, qu’il [*](Si le Prince est tenu des conuentions de ses predecesseurs.)vendoit à prix d’argent[*](Bossius senator Mediolanens. titul. de principe.). Nous auons dit iusques icy en quelle forte Ie Prince est suget aux loix, & aux conuentions par luy traittees auec ses sugets: reste à voir s’il est suget aux contracts de ses predecesseurs, & si telle obligation est compatible auec la souueraineté. Pour resoudre en brief vne infinité de questions qu’on peut faire à ce propos : ie di que si le Royaume est hereditaire Ie Prince y est aussi bien tenu que feroit vn heritier particulier par les reigles de droit: & en cas semblable, si le Royaume est deferé par testament, à autre qu’au prochain lignager : comme Ptolemee Roy de Cyrene, Nicomede Roy de Bithynie, Attalus Roy d’Asie, Eumenes Roy de Pergame firent le peuple Romain heriter de leurs Royaumes, estats & principautez: ou bien le Royaume est defère par testament au plus prochain lignager, comme celuy d’Angleterre, qui fut laissé par testament du Roy Henry VIII. à Edoüard V. & à luy substituee Marie sa socur, & à Marie Elizabet, qui ont iouy de l’estat successiuement En ce cas il faut distinguer, si l’heritier institué veut accepter l'estat en qualité d’heritier, ou renoncer à la succession du testateur, & demander la couronne en vertu de la coustume & loy du pays: & au premier cas le successeur est tenu des faicts, & promesses de son predecesseur, comme feroit vn heritier particulier : mais au second NOTE 2 NOT IN TEXT [*](de quibus Cin. Bar tol. Bald. Salic. in l. digna. de legib. C. Iaso.in l.I. de constitut. princ.ff.Felin.in cap. translato. de constitut.) cas, il n’est point tenu aux faicts de son predecesseur, [*](quia in successione iuris non veniunt obligationes desuncti. c. licet. de voto. ext.)encores qu’il eust iuré: car le serment du predecesseur ne lye point le successeur[*](vt Innocent. in cap. veritatis de iureiurando.ext.). mais le successeur est tenu en[*](Bald.in titul.de pace constantiæ in verb. successorum. & in l. penul. de bonis quæ liberis. C. & in c. I. princ.de natur.feud. tex in c.I.de probat. vbi.dd Affict. decis. 282.nu.7.dec.17.nu.5.) ce qui feroit tourné au profit du Royaume. C’eft pourquoy le Roy Loys XII. quand on luy demanda l'artil- lerie qu’on auoit presté à Charles VIII. fist responsè qu’il n'estoit point son heritier. I’ay veu & leu, de plus fraiche memoire les lettres du Roy François II. du XIX. Ianuier, M. D. LIX. qui escrit ainsi aux seigneurs des
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des ligues: Iaçoit que nous ne soyons tenus au payement des debtes faictes par feu nostre treshonnoré seigneur & pere: pource que nous[*](Lettres du Roy Francois II. aux Suisses.) n'auons apprehendé ceste couronne comme son heritier: mais par la loy & coustume generalement obseruee en ce Royaume, depuis la premiere institution d’iceluy : laquelle ne nous oblige feulement qu’à l’obseruation des traittez faicts, & passez par nos predecesseurs Roys, auec les autres Princes, & Republiques, pour le bien, & vtilité de ceste couronne. toutesfois desirant descharger la conscience de feu nostre dit sieur & pere, nous nous sommes resolus d’acquitter celles, qui se trouueront loyaument deues, &c. vous priant moderer les interests à la mesme raison, qu’ils ont cours en vos pays, & qu’ils font permis par vos loix. &c. ce qui fut accepté parles Suisses, & l’interest qu’ils prenoient à la raison de seize pour cent, fut reduit à cinq pour cent. Parquoy ceux- là s'abusent, qui s'arrestent aux propos tenus au couronnement des Roys de France pource regard : car apres que l’Archeuesque de Reims a posé la couronne fus la teste du Roy, les douze Pairs de France y prestans la main, luy dit ces mots : Arrestez vous icy, & dés maintenant iouissez de l'estat lequel iusques icy vous auez tenu par succession paternelle, & maintenant comme au vray heritier vous est mis entre les mains, de l’autorité de Dieu tout puissant, & par la tradition que nous Euesques, & autres seruiteurs de Dieu presentement vous en faisons. Car il est certain que le Roy ne meurt iamais,comme Ion dit, ains si tost que l’vn est decedé, le plus proche masle de (on estoc, est saisi du Royaume, & en possession d’iceluy auparauant qu’il soit couronné: [*](Iugé par arrest du 19.Auril 1498.) & n’est point deferé par succession paternelle, mais bien en vertu de la loy du Royaume. Si donc le Prince souuerain a contracté en qualité de souuerain pour chose qui touche l'estat, & au profit d’iceluy, les successeurs y sont tenus: & beaucoup plus si le traicté s'est fait du consentement des estats, ou des villes & communautez principales, ou des Parlemens, ou des Princes, & plus grands seigneurs, ores que Ie traicté fust dommageable au public: attendu la foy, & l’obligation des sugets. mais si le Prince a contracté auec l’estranger, ou bien auec le suget pour chose qui touche le public, fans le consentement de ceux que i’ay dit, si le contract porte grand preiudice au public, [*](Cynus & dd. in l. digna vox. de constitut. prin. C. & Bal. in cap. I. de natura feudi, tradunt si magnum est detrimentum non teneri.) le successeur en l'estat n’y est aucunement tenu: & beaucoup moins, s'il y vient par droit d’election: auquel cas on ne peut[*](Argu.l. siquis domum locati.ff.) dire qu’il tienne rien du predecesseur: comme il feroit fil auoit l'estat par resignation. [*](argu.cap. dilecto de præbend. Bald.in l.vlt.de transac.C.) mais si les actes de son predecesseur ont tourné au profit public, toufiours le successeur[*](not. in cap.I.titul. qui successor.tene.& cap. vlt. ne prælati vires.& in c. abbate sane. de re iudic. Iaso.late in l.I.col.3.de constitut. princip. cano.non liceat.12.q.2. & ca. quia iuxta. 16. q.I. & glo.ibid.Bald. in tit. de pace constant. verbo successorum. text.in cap.I. de probat.) y est tenu, quelque qualité qu’il prenne, autrement il seroit permis de tirer profit au dommage d’autruy, par fraudes, & voyes indirectes, & la Republique pourroit perir au besoin, que personne n'y voudroit mettre la main, contre l’equité & raison[*](l nam hoc natura. de indict.indeb.ff.) naturelle. Et par ainsi les arrests du Parlement, qui sont au liure intitulé Olim, donnez l'an M.CCLVI. &M. CCXCIIII. par lesquels il fut dit que le Roy ne i
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seroit point tenu des obligations de son predecesseur, ont esté declarez comme i’ay dit, par plusieurs autres arrests donnez en cas semblable. & neantmoins l’opinion de Balde[*](in proœmio decretal.) a este aussi reprouuee, qui veut qu’on oste l’estat au Prince souuerain, s'il ne met à execution le testament de son predecesseur : fans faire les distinctions que nous auons posees. Mais dira quelqu'vn, pourquoy faut-il distinguer, puisque tous Princes font fugets à garder le droit des gens ? or les conuentions, & dernieres volomtez en dependent. [*](l. ex hoc iure. de iustitia.) ie di neantmoins que ces distinctions y sont necessaires. car le Prince n’est pas plus obligé au droit des gens, qu’à ses propres edits. & si le droit des gens est inique, le Prince y peut deroger par ses edits en son Royaume, & defendre[*](Io. Andr. in cap. vlt. de immunitate Eccles.) à ses fugets d’en vser: comme il s'est fait du droit des esclaues en ce Royaume, iaçoit qu’il fust commun à tous peuples, & le peut faire aussi és autres choses semblables, pourueu qu’il ne face rien contre la loy de Dieu. Car si la iustice est la fin de la loy, la loy œuure du Prince, le Prince image de Dieu, il faut par mesme suitte de raison, que la loy du Prince soit faire au modelle de la loy de Dieu.