The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

Nous auons dit du gouuernement de la famille, & de ses parties, & getté les premiers fondemens sus lesquels toute Republique est bastie. Et tout ainsi que le fondement peut estre sans forme de maison, aussi la famille peut estre sans cité, ny Republique, & le chef de famille peut vser du droit de souueraineté sus les siens, sans rien tenir apres Dieu que de l'espee: comme il y en a plusieurs és[*](Leon d’Afrique.lib.1.) frontie- res du Royaume de Fez, & de Maroc, & aux Indes Occidentales. mais la Republique ne peut estre sans famille, non plus que la ville sans maison, ou la maison sans fondement. Or quand le chef de famille vient à sortir de sa maison, où il commande, pour traitter & negocier auec les autres chefs de famille, de ce qui leur touche à tous en gene- ral, alors il despoüille le tiltre de maistre, de chef, de seigneur, pour[*](Definition de Citoyen.) estre compagnon, pair & associé auec les autres, laissant sa famille, pour entrer en la cité, & les affaires domestiques, pour traitter les publiques: & au lieu de seigneur, il s'appelle citoyen: qui n’est autre chose en pro- pres termes, que le franc suget tenant de la souueraineté d'autruy. Car au parauant qu’il y eust ny cité, ny citoyen, ny forme aucune de Republique entre les hommes, chacun chef de famille estoit souuerain en sa maison, ayant puissance de la vie &: de la mort sur la femme, & sur les enfans: & depuis que la force, la violence, l'ambition, l'auarice, la vengeance eurent armé les vns contre les autres, l'issue des guerres, & combats, don- nant la victoire aux vns, rendoit les autres esclaues: & entre les vainqueurs, celuy qui estoit esleu chef & capitaine, & soubs la conduite duquel les autres auoient eu la victoire, continuoit en la puissance de commander

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aux vns comme aux fideles, & loy aux sugets, aux autres comme aux esclaues. Alors la pleine & entiere liberté, que chacun auoit de viure à son plaisir, sans estre commandé de personne, fut tournee en pure seruitude, & du tout ostee aux vaincus: & diminuee pour le regard des vaincueurs en ce qu’ils prestoient obeissance à leur chef souuerain, & celuy qui ne vouloit quiter quelque chose de sa liberté, pour viure soubs les loix, & commandement d’autruy, la perdoit du tout. Ainsi le mot de Seigneur, &[*](Commencement des republiques.) de Seruiteur, de Prince, & de Sugets au parauant incogneus, furent mis en vsage. La raison, & lumiere naturelle nous conduit à cela, de croire que la force, & violence a donné source, & origine aux Republiques. Et quand la raison n’y seroit point, ï’ay monstré cy[*](au chap.des corps & coileges.) dessus par le tesmoignage indubitable des plus veritables historiens, c’est à sçauoir de[*](in proemio.) Thucydide, [*](in Theseo.) Plutarque, [*](lib.6.) Cefar, & mesmes des loix de Solon, [*](in l.vlt. de collegiis.) que les premiers hommes n’auoient point d’honneur, & de vertu plus grande, que de tuer, massacrer, voler, ou asseruir les hommes. voila les mots de Plutarque. Mais encores auons nous le tesmoignage de l’histoire sacree, où il est dit que Nimroth arriere-fils de Cham, fut le premier qui assugetit les hommes par force & violence, establissant sa principauté au pays d’Assyrie, & pour ceste cause on l’appella le puissant veneur, que les Hebrieux interpretent voleur & predateur. En quoy il appert que Demosthene, Aristote & Ciceron se sont mespris suiuans l’erreur d'Herodote, qui dit que les premiers Roys ont esté choisis pour leur iustice & vertu, aux remps qu’ils ont figuré heroïque: opinion que i’ay reprouuee ailleurs: [*](in methodo historiar.cap.7.) veu mesmes que les premieres Republiques, & long temps au parauant Abraham, se trouuent pleines d’esclaues. comme aussi le Isles Occidentales furent trouuees remplies d’esclaues: chose qui ne se pouuoit faire que par violence extreme, forceant les loix de nature. Et n’y a pas soixante & dix ans que les peuples de Gaoga en Afrique, n’auoient onques senti ny Roy, ny seigneurie quelconque, iusques à ce que l’vn d’entr'eux alla voir le Roy de Tombut: & lors ayant remarqué la grandeur & maiesté de ce Roy là, il luy print enuie de se faire aussi Roy en son pays, & commencea à tuer vn riche marchant, & emparé qu’il fut de ses cheuaux, armes, &marchandises, en fist part à ses parens & amis, & à leur ayde assugetit tantost les vns, puis les autres par force, & violence, tuant les plus riches, & s’emparant de leur bien: de forte que son fils, estant riche des voleries du pere, s’est fait Roy, & son succes- seur a continué en grande puissance, ainsi que nous lisons en Leon d’Afrique. Voila l’origine des Republiques, qui peut esclaircir la definition de Citoyen, qui n’est autre chose que le franc suget, tenant de la souueraineté d’autruy. Ie dy franc suget: car combien que l'esclaue soit autant, ou plus suget de la Republique, que son seigneur, si est- ce que tous les peuples ont tousiours passé par commun accord, que l’esclaue n’est point citoyen, & en termes de[*](l.quod attinet.de regul.) droict est conté pour rien:
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ce qui n’est pas aux femmes ,& enfans de famille, qui sont francs de toute seruitude, encores que leurs droits & libertez, & la puissance de disposer de leurs biens, leur soit aucunement retranchee par la puissance domestique. de sorte qu’on peut dire, que tout citoyen est suget, estant quelque peu de sa liberte diminuee par la majeste de celuy auquel il doit obeissance: mais tout suget n’est pas citoyen, comme nous auons dit de l’esclaue. & ce peut dire aussi d’vn estranger, lequel venant en la seigneurie d’autruy, n’est point receu pour citoyen, n’ayant part aucune aux droits & priuileges de la cite, & n’est point aussi comptis au nombre desamis, alliez, ou coalliez, qui ne sont pont du tout estrangers, comme dit [*](J. non dubito de captiuis.) le Iurisconsulte, ny ennemis aussi. Combien qu’anciennement les Grecs appelloient les estrangers [*](Plutarque in Themistocle.) ennemis, comme aussi faisoient les Latins: ce que [*](In offic. si status dies cum hoste.) Ciceron a remarque des douze tables: & les [*](perduelles.) ennemis estoient ceux qui auoient coniure contre l’estat. Peut estre aussi que ceux que nous appellons hostes en nostre vulgaire, estoient anciennement les estrangers: Mais on a corrige la proppriete des mots, demeurant la forme de parler: & les Grecs ont appelle leurs ennemis GREEK TEXT, comme leur faisant la guerre: & les estrangers GREEK TEXT, que les Latins on nomme peregrinos, qui ne signifie pas pelerins, comme dit le bon [*](in I. 1. de haeredib. instituen. C. & finxit antinomiam quae nulla est in. §. vlt. in institutio. de haered. instit.) Accurse: mais estrangers, soient sugets d’autruy, ou bien souuerains en leur terre. Or entre les sugets l’vn est naturel, soit franc, ou esclaue, l’autre naturalize. l’esclaue du suget, encores qu’il soit de pays estrange, est bien different de l’esclaue de l’estranger: car l’vn est citoyen si tost qu’il est afranchi [*](I. 5. de captiuis I.7. ad municipalem. rit. de manumitlio. in instit. I. ciues. de incolis. C..). & suit l’origine de son seigneur, l’autre ne l’est pas: qui monstre assez que l’vn est aussi suget de la Republique, encores qu’il soit esclaue d’vn particulier. Vray est que les afranchis en Grece n’estoient pas citoyens, ores qu’ils fussent du pays, & sugets naturels. Car nous [*](Plutar. in Demosthene.) trouuons que Demosthene fut deboute de la requeste par luy presentee au peuple, apres la iournee de Cherroee, par laquelle il demandoit, que tous les habitans d’Athenes, ensemble les afranchis fussent declarez citoyens. ce qu’ils faisoient craignans que les afranchis fussent seigneurs de leur estat, auqel le plus grand nombre le gaignoit. A quoy les Romains n’ayans pas eu esgard, se trouuerent en bien grande perplexite, voyans leur estat presque reduit en la puissance des afranchis, si Fabius Maximus n’y eust donne ordre, mertant le populace de la ville, qui estoit compose d’esclaues afranchis, ou bien issus d’eux, en quatre lignees a part, afin que le surplus des autres citoyens, qui estoient trente & vne lignee, eussent la force des voi. caron ne contoit pas en Rome par testes, comme en Grece, & a Venize, mais par classes, & Centuries aux grans estats, & par lignees ou tributs, aux moindres estats. Qui fut la cause qua Fabius [*](Liuius lib.9. & Florus epito.20.) emporta le surnom de Tresgrand, pour auoir donne ce traict de maistre politic si sagement, qu’il n’y neut personne qui s’en remuast. & par ce moyen il remedia a la faute que le censeur Appius auoit faite en diuisant le populace issu d’e
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strengers & d’esclaues par toutes les lignees. depuis on donna priuilege aux afranchis qui auroient vn fils aage de cinq ans ou plus, d’estre enroole en la lignee de son patron. Et d’autant que ces quatre lignees estoient encores trop puissantes, il fut arreste qu’on tireroit au sort vne lignee, en laquelle seroient mis & enroolez tous les afranchis [*](Liuius lib.45.). cela dura iusques a la guerre ciuile de Marius & de Sulla: que le peuple fist vne loy a la requeste de Tribun Sulpitius, que les afranchis seroient [*](Florus epito.77.& 84..) destors en auant diuisez en toutes les lignees: qui fut la principale cause de ruiner l’esetat. Or tout ainsi qu’entre les sugets escalues l’vn est naturel, l’autre non, aussi entre les citoyens l’vn est naturel, l’autre naturalise: le citoyen naturel est le franc suget de la Republique ou il est natif, soit de deux citoyens, soit de l’vn ou de l’autre seulement. Vray est qu’anciennement (& encores a present en plusieurs Republiques) pour estre citoyen, il estoit besoin d’auoir pere & mere citoyens, comme en Grece, autrement [*](Plutar. Themistocle.) on appelloit nothos ou mestifs ceux qui n’estoient citoyens que d’vn coste, & ne pouuoient, ny leurs enfans, auoir part aux benefices ny aux grands estats, qu’on appelloit Arhontes, comme dit Demosthene au plaidoye contre Neaera. combien que plusieurs, comme Themistocle, secrettement y estoient entrez. mais du temps de [*](Plutar. in Pericle.) Pericle on en vendit cinq mil, qui s’estoient portez pour citoyens: & mesmes Pericle ayant perdu ses enfans vrais citoyens, presenta requeste au peuple pour faire receuoir celuy de ses enfans qui estoit mestif. Aussi lisons-nous [*](Liuius lib.43.) que les Romains firent vne colonie de quatre mil Espagnols enfans de Romains & d’Espagnoles, parce qu’ils n’estoient pas vrais citoyens. mais depuis ils passerent [*](I. ad municipal.) par auis, qu’il suffisoit que le pere fust citoyen, & en plusieurs lieux, il suffisoit que la mere ne fust point estrangere: carle lieu ne faisoit pas l’enfant d’vn estranger ou d’vne estrangere citoyen: & celuy qui estoit ne en Afrique de deux citoyens Romains, n’estoit pas moins citoyen que s’il esut este ne en [*](I. assumptio ad municipal.) Rome. Le citoyen [*](I.1.2. I. ciues de incolis. C. I. pupillus. §. aduena. de verbor. signif.) naturalize est celuy qui s’est aduoüe de la souuerainete d’autruy, & y a este receu: Carle citoyen d’honneur seulement qui a droit de baloter, ou de bourgeoisie pour ses merites, ou bien pour la faueur qu’on luy fait, n’est pas vray citoyen, attendu qu’il n’est point suger, comme nous dirons tantost. De plusieurs citoyens, soient naturels ou naturalisez, ou esclaues afranchis (qui sont les trois moyens que la loy donne pour estre citoyen) se fait vne Republique, quand ils sont gouuernez par la puissance souueraine d’vn ou plusieurs seigneurs, encores qu’ils soient diuersisfiez en loix, en langue, en coustumes, en religions, en nations. & si tous les citoyens sont gouuernez par mesme loix, & coustumes, ce n’est pas seulement vne Republique, ains aussi vne cite, encores que les citoyens soient diuisez en plusieurs villes, villages, our prouinces. Car la ville ne fait pas la cite, ainsi que plusieurs [*](Bal. in I. ciues ex I. prouincial. de verbor. signif. Aucharan. in cap. canonum statuta. de constitut. verbor. consuluit. Alexand. consil 20. lib 2. licet Baldus sibi contratius est in I. si non specialiter de testam. C.) ont escrit, non plus que la maison ne fait pas la famille, qui peut estre composee de plusieurs esclaues ou
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enfans encores qu’ils soient fort esloignez les vns des autres, & en plusieurs pays, pourueu qu’ils soient tout sugets a vn chef de famille. ainsi dirons-nous de la cite, qui peut auoir plusieurs villes & villages qui vsent de mesmes coustumes, comme sont les bailliages, ou senechaussees en ce Royaume: & la Republique peutu auoir plusieurs citez, & prouinces, qui auront diuerses coustumes, & toutefois sugettes au commandement des seigneurs souuerains, & a ses edits & ordonnances. Et peut estre aussi que chacune ville aura quelque droit particulier de bourgeoisie, qui ne sera point commum a ceux des faux-bourgs, & ceux-ciioüyront de quelque prerogatiue, qui ne sera point commune aux villages, ny aux habitans du plat pays: qui neantmoins seront sugets de la Republique, & outre citoyens de leur cite, mais pourtant ils ne seront pas bourgeois. carce mot de Bourgeois ha ie ne scay quoy de plus special a nous, que le mot de Citoyen, & c’est pro prement le suget naturel, & cotyoen, & habitant de ville, qui a droit de corps & College, ou quelques autres priuileges qui ne sont point communiquez a ceux du plat pays. I’ay dit suget naturel, par ce que le suget naturalize, voire habitant de ville, & ioüissant du droit des bourgeois, est appele en pluseiurs lieux simple citoyen, & l’autre bourgeois, qui a quelque priuilege particulier: comme en Paris il n’y a que le bourgeois naturel, & ne en Paris qui puisse estre Preuost de marchans: & a Geneue le citoyen ne peut estre Syndic de la ville, ny conseiller du priue conseil des XXV. mais bien le bourgeois le peut estre. ce qui est aussi prattique en Suisse, & par toutes les villes d’Alemagne: Iaçoit que par nos coustumes, & par les anciens edits le mot de Bourgeouis signifie roturier, que les Nobles appellent vilian, pour estre habitant de ville, parce que la Noblesse anciennement se tenoit aux champs. encores voit-on que la garde bourgeoise, & la garde noble sont distinguees par nos coustumes: & e bourgeois oppose au noble. Voila sommairement la difference des sugets, des citoyens, des bourgeois, des estrangers: ensemble de la Republique, de la cite, & de la ville. Mais d’autant qu’il n’y a ny Grec, ny Latin, ny autre quel qu’il soit que i’ayeveu, qui ait vse de ces definitions, il est besoin d’esclaircir par loix & par exemples ce que i’ay dit: Car nous voyons souuent aduenir des querelles entre les Princes & seigneuries souueraines, & entre les citoyens & habitans de mesmes villes, pour n’entendre pas la difference de ces mots. Et mesmes [*](Accurs. in I. vlt. de praese. ougi temp. C. Cynus Salicet cod. Alexand. in I.1.§. si autem. ad Municipalem. Angel. in I. vlt. de iurisdic. Bald. in I. 3. de naturalib. liberis. Bart. in I. si nupta de metalis. C. & in I. vrbis appellatio. de verb. signific. Oldrad. consil. 176. Speculat. tit. de citatione.§. 1. Canonistae in cap. coram de election.) ceux de qui nous deuions attendre les vrayes resolutions, sont bien fort differents, prenant la cite pour ville, & la Republique pour cite, & les estrangers pour citoyens. Et ceux qui nous on escrit de la Republique sans aucune cognoissance des loix, ny du droit commun, ont laisse les principes voulans bastir de beaux discours en l’air sans aucun fondement. Aristote nous a defini la [*](lib. 3. cap. 6. politic.) cite vne compagnie de citoyens, qui ont tout ce qui leur fait besoin pour viure heureusement: ne faisant point de difference entre Republique & cite: &
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mesmes il dit que ce n’est pas cite, si tous les citoyens ne demeurenten mesme lieu: qui est vne incongruite en matiere de Republique, comme Iulle Cesar le monstre bien en ses memoires, disant, que toute la [*](lib. 1. comment. Omnis ciuitas Heluetia quatuor pagos habet.) cite des Heluetiens auoit quatre bourgs, ou quatre cantons. ou il apert que le mot de Cite, est vn mot de droit, qui ne signific point vn liue, ny vne place, comme le mot de Ville, que les Latins appellent Vrbem, ab Vrbo, id est aratro, parce qu’on trassoit, dit Varron, le circuit & pourpris des villes auec la charruë. Aussi est il bien certain en [*](I. Caesar. de publicanis. I. sed si quis eod.) termes de droit, que celuy qui a transporte hors la ville ce qui estoit defendu de tirer hors la cite, l’ayant porte en vne autre ville de la mesme prouince, n’a point contreuenu a la defense. les [*](Castrens in Leartera de legat. 1.) docteurs passent plus outre, car ils disent que celuy n’a point contreuenu, qui a transporte en vne autre ville fugette a mesme Prince. Les Hebrieux ont garde la mesme propriete & difference de ville & de cite: car ils [*](HEBREW TEXT 2. Reg. paries.) appellent la ville HEBREW TEXT c’est a dire la muree: & la cite, HEBREW TEXT Et combien qu’ils prennent quelquefois l’vn pour [*](10. & Iesa. 16. II. 4. vt Genes. 4. 18. & Hoseae. II. 9.) l’autre: comme les Grecs bien souuent vsent du mot GREEK TEXT, & les Latins du mot [*](Verrius Flacus in verbo Senatum.) ciuitas, provrbe, oppido, & iure: parce que le general, qui est la cite, comprend le particulier, qui est la ville: se est-ce qu’ils n’abusent pas du mot GREEK TEXT, comme nous voyons que Ciceron a bien garde la propriete de l’vn & de [*](ad Atticum lib.4.) l’autre. car le mot Grec GREEK TEXT signific ville proprement, inde Astuti, qui signific autant comme vrbani, parce que les habitans des villes sont plus accors ordinairement, & plus gracieux que les paisans.mais le mot de ciuiliu, que nous appellons ciuil, n’estoit pas receu des anciens [*](posteri ciuilem pro vrbano dixerunt Sueton. saepe & Spartian in Antonino Pio.) Latins pro vrbano. Et pour monstrer que la difference ne gist pas en paroles simplement: Il se peut faire que la ville sera bien bastie & muree: & qui plus est remplie de peuple, & neantmoins ce n’est point cite, s’il n’y a loix, & magistrats pour y establir vn droit gouuernement, comme nous auons dit au premier chapitre: ains c’est vne pure anarchie. Et au contraire il se peut faire que la ville sera accomplie de tout poinct, & aura droit de cite, & d’vniuersite, & sera bien reiglee deloix & de magistrats, & neantmoins elle ne sera pas Republique. comme nous voyons les villes & citez sugettes a la Seigneurie de Venize, ou aux Seigneurs des ligues qui ne sont pas Republiques: non plus que les villes sugettes & tributaires a la ville de Rome anciennement n’estoient point Republiques, & ne ioüyssoient pas du droit de Republique contre les sugets particuliers, mais seulement la cite de Rome: qui auoit de grands priuileges, & prerogatiues contre les autres villes en general, contre vn chacun des particuliers: encores que biensouuent les loix vsent du mot de Republique parlant des autres villes. C’est pourquoy Traian l"empereur escriuoit a Pline [*](lib.10. epistol.c. toto tit. de administrat. rerum. & ad municipal. & de legation.) le ieune gouuerneur d"asie, que la cite des Bithyniens n’auoit pas droit de Republique, pour estre preferee aux creanciers particuliers en matiere d’hypotheque taisible, comme il est bien certain [*](I simile ad I. municipalem. dd. in I. 2. in quib. causis. Bal. in I. vlt. col.4. de sacrosan. Alexand. consil. 104. lib 6.) en droit: & n’y auoit que le corps de bourgeois de Rome
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qui eust ce priuilege, & ceux a qui ils auoient donne ceste prerogatiue, comme estoit la seule cite d"antioche [*](I. Antiochensium. de priuilegiis credit.) en tout l’Empire Romain. Ainsi voit-on que ville peut estre sans cite sans ville, & l’vn & l’autre n’estant point Republique. & qui plus est vne mesme cite peut estre conseruee en son entier, & la ville razee, ou delaissee des habitans: comme il en print aux Atheniens a la venue du Roy de Perse, auquel ils quitterent la ville, se mettans tous sur mer, [*](Plutar. in Themistocle.) apres auoir baille en garde aux Trezeniens leurs femmes & enfans: suiuant l’racle qui auoit respondu que leur cite ne pouuoit estre sauuee, sinon auec murailles de bois: ce que Themistocle interpreta, que la cite (qui gist au corps legitime des citoyens) ne se pouuoit garentir que par nauires. Il en aduint autant aux habitans de Megalopolis, lesquels auertis de la venue de Cleomenes Roy de Lacedemone, vuiderent tous. elle n’estoit pas moins ville qu’au parauant: mais ce n’estoit ny cite, ny Republique: de sorte qu’on peut dire, que la cite s’en fuit hors de la ville. Ainsi parloit Pompee le grand, apres auoir tire de Rome deux cens Senateurs, [*](Dio.lib.41.) & les plus apparens seigneurs, & quittant la ville a Cesar, vsa de ces mots: Non est in parietibus Respublica. Mais d’autant qu’il y auoit deux sortes de partizans, & que les bourgeois diuisez en deux s’aduouoyent separement de deux hefs, il se fist d’vne Republique deux. Car les mots de Cite, de Republique, de maison, de paroisse, sont de droict: & tout ainsi qu’il a este iuge, que la paroisse estant hors la ville, & les paroissiens dedans la ville, qu’ils iouiroient du droit des citoyens, comme estant la paroisse dedans la ville: aussi est il de la cite. Etafin qu’on scache de quelle consequence peut estre l’ignorance de telles choses, ie mettray ce qui en aduint aux Carthaginois lors qu’on deliberoit a Rome de razer leur ville. Ils enuoyerent leurs Ambassadeurs pour se rendre a leur merci, & supplier le Senat, que l’vne des plus belles villes du monde, & l’honneur de leurs victoires ne fust indignement rasee. Toutesois il fut resolu qu’on y mettroit le feu pour la facilite du port, & que le peuple de son naturel farrouche & rebelle auoit fait la guerre aux alliez des Romains, & aprestoit nombre de nauires, contre les traittez, & qu’il pourroit a la premiere occasion se soubleuer, & attirer a sa cordelle tous les peuples d’Afrique. La chose ainsi resolue, on fait entrer les Ambassadeurs au Senat: & la response fut, que leur cite leur demeureroit, auec tous les droits, priuileges, & libertez dont ils auoient tousiours vse. les Ambassadeurs bien aises s’en retournerent. Tost apres la commission fut decernee au ieune Scipion: lequel ayant pris la route d’Afrique auec vne armee de mer, enuoya Censorin receuoir trois eens ostages, & les vaisseaux de mer: ce qui fut fait. Alors Censorin fist commandement a tous habitans de Carthage de vuider, & emporter de la ville tout ce qu’ils pourroient, pour habiter plus loing du port, ou bon leur sembleroit. Les habitans estonnez remonstrent que le Senat les auoit asseurez, que leur cite ne seroit point rasee.
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On leur [*](Appian. in Lybico. Florus 49. epito. ait Carthaginenses tunc rebellasse, & obsidione diuturna debellatos a L. Martio, & M. Manlio consulib.) dist que la foy leur seroit gardee de point n point. mais que la cite n’estoit pas attachee au lieu, ny aux murailles de Carthage. ainsi les pauures habitans furent contraints de sortir, & abandonner la ville au feu qui y fut mis par les Romanis, qui n’en eussent pas eu si bon marche, si plustost les Ambassadeurs eussent entendu la difference de vill & cite: comme il aduient souuent, que plusiers Ambassadeurs ignorans le droit, facent de lourdes fautes en matiere d’estat. Vray est que le Iurisconsulte Modestin en la loy si vsus fructus ciuitati, quibus modis vsusfructus amittatur.ff. dit que Carthage n’estoit plus cite, apres qu’elle fut rasee, & que l’vsufruit laisse a la cite en ce cas estoit estaint, ores qu’il n’y eust eu centans qu’il fust laisse: mais il s’est aussi bien abuse comme les Ambassadeurs de Carthage. car tous les droits, prerogatiues, & priuileges leur furent conseruez. Il ya a mesme faute au traitte fait entre les Cantons de Berne & Fribourg, fait l’an M.D.V. ou il est porte par le second article, que l’alliance entre les deux Republiques sera perpetuelle, & tant que les murailles des deux villes apparoistront. Et ne se faut pas arrester a l’abus qu’on fait ordinairement, cite, & vniuersite, comme on dit de Paris, & de quelques autres. appellans cite l’isle, & l’vniuersite le lieu ou sont les colleges, & la ville tout le surplus: car la ville contient le pourpris des murailles & faux-bourgs, [*](I. vrbis. de verb. signi.) combien que nous ne suiuons pas la propriete de la loy, disans la ville & faux-bourgs, pour la diuersite des priuileges que les vns ont sus les autres: & l’vniuersite est le corps de tous les bourgeois de Paris: la cite toute la Preuoste & Vicomte, vsant de mesmes coustumes. l’abus est venu de ce qu’anciennement toute la ville n’estoit que l’isle enuironnee de mutailles, & la riuiere autour des murailles, ainsi que nous lisons en l’epistre de Iulian [*](ad Antiochum misopogona.) gouuerneur de l"empire d’Occident, & qui faisoit sa residence ordinaire en Paris: le surplus estoit en iardins & terres labourables. Mais la faute est bien plus grande de dire qu’il n’est pas citoyen, qui n’a part aux magistrats, & voix deliberatiue aux estats du peuple, soit pour iuger, soit pour affaires d’estat. C’est la definition du citoyen qu’Aaristote nous a laissee par escrit [*](lib.3. c.1. & c.4. poli.). Puis apres il se corrige, disant que sa definition n’a liue sinon en l’estat populaire. Or luymesme confesse en vn atitre lieu, [*](lib.6. topic.) que la definition ne vaut rien si elle n’est generale. Aussi peu d’apparence y a-il en ce qu’il [*](lib.3.e.1.polit.) dit, que tousiour le noble est plus cityen que le roturier, & l’habitant de ville plus que le paysan: & quant aux ieunes citoyens qu’ils bourgeonnet encores, que les vieux vont en decadence, que ceux de moyenne aage sont les citoyens entiers, & les autres en parite. Or la nature [*](lib.6.topic.) de la definition, ne recoit iamais diuision, & ne faut pas qu’il y ait ny plus, ny moins d’vn seul poinct en la definition, qu’en la chose definie, autrement tout n’en vaut riend. Et neantmoins la description du citoyen qu’Aristote nous a baillee pour l’estat populaire, manque: veu
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mesmes qu’en Athenes, qui n’a point eu de pareille en liberte, & authorite de peuple, la quatriesme classe, qui estoit trois fois plus grande que le reste du peuple, n’auoit aucune part [*](Plutar. in Solone.) aux offices de iudicature, ny voix deliberatiue aux arrests & iugemens que le peuple donnoit: tellement qu’il faut confesser, si nous receuons la definition d’Aristote, que la plus part des bourgeois naturels d’Athenes estoient estrangers. Et quant a ce qu’il dit, que les nobles sont tousiours plus citoyens que les roturiers, nous voyons tout le contraire es Republiques populaires de Suisse, & mesmement de Strastbourg, ou les nobles n’ont part [*](Plutar in Solone.) aucune (en qualite de nobles) aux offices. Plutarque a mieux dit, que droit de bourgeoisie est auoir part aux droits, & priuileges d’vne cite. qui se doit entendre selon la condition & qualite d’vn chacun, les nobles comme nobles, les roturiers comme roturiers, & les femmes & enfans en cas pareil selon l’aage, sexe, condition, & merites d’vn chacun. Et a ce propos disoit vn ancien [*](Augustin. & Paul. 1. ad Corinth.) docteur, les pieds formeront-ils complainte contre les yeux, disans, nous ne sommes pas au plus haut lieu? O si la definition du citoyen que nous a laisse Aristote auoit licu, combien de partialitez, & de guerres ciuiles on verroit! Le populace de Rome ne se b anda contre les nobles, sinon pource qu’il vouloit estre egal en tout & par tout aux nobles: & ne fut rapaise que par le moyen de la fable des membres du corps humain, par laquelle le sage Senateur Agrippa rallia le peuple & la noblesse: Car Romule [*](Dionys. Halicat.) auoit ordonne, qu’il ne pourroit estre magistrat, ny beneficier, qui ne seroit extrait descent gentils-hommes qu’il auoit fait Senateurs, & deui sy en adiousta cent autres. Ce nouueau peuple ayant vaincu ses voisins, en contraignit plusieurs de quitter leur pays & coustumes, pour estre habitans & bourgeois Romains, comme les Sabins. Depuis, ayant aussi vaincu les Tusculans, Volsques & Herniques, ils traitterent accord ensemble, que les vaincus auroient part aux offices, & voix deliberatiue aux assemblees des estats, sans autrement changer ny de loix, ny de coustumes, qui pour ceste cause ne s’appellerent point citoyens, mais simplement municipes, moins estimez & honorez que les Romains, combien que leur estat fust vni a celuy des Romains. Ausi voyons-nous que Catilina, de l’ancienne maison des Sergiens, & Romain naturel, reprochoit a Ciceron, qu’il n’estoit qu’vn nouueau Arpinois. Et cela fut cause que plusieurs villes municipales quitterent leurs coustumes, pour estre vrais bourgeois Romains, iusques a Tibere l’Empereur, lequel [*](Tacit. lib.2.commitia populi traustulit ad senatum.) osta l’ombre de liberte qui restoit au peuple. alors les villes municipales refuserent les priuileges de la cite Romaine, dequoy l’Emereur Adrian s’emerueilloit, dit Aule Gelle, & sans cause, attendu ce que i’ay dit. Voila conc deux sortes de suget differends en priuileges: c’est a scauoir le bourgeois Romain, & le municipe. La troisiesme sorte de sugets estoient les Latins, qui auoient au commencement soixante villes, & depuis ils fu-
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rent augmentez de douze colonies Latines, & par les trattz faits entre les Romains & Latins, il estoit dit que les Latins venans habiter en Rome auroient droit de citoyens, pourueu qu’ils eussent laisse en leur pays lignee legitime, ainsi que nous lisons en Tite Liue au XLI. liure. Toutefois plusieurs y faisans fraude, & baillans leurs enfans a quelques Romains comme esclaues pour les afranchir, afin qu’ils fussent citoyens Romains, il fut dit par la loy Claudia, & confirmee par arrest du Senat, & par edit des Consuls, que tous les Latins qui auoient contre les traittez obtenu droit de bourgeoisie retourneroient au pays: ce qui sut fait a la requeste des citez Latines. Ainsi se doit entendre ce que dit Boëce, que les Romains enuoyez aux colonies Latines, perdoient la cite: & ce que dit Tite Liue [*](lib.24.), que par arest du Senat, il fut dit que les colonies enuoyees a Pouzol & a Salerne n’estoient point citoyens, c’est a dire pour le regard des voix aux estats. Ainsi estoient ceux de Reims, de Langres, de Saintonges, de Bourges, de Meaux, & d’Autun, alliez des Romains & citoyens, sans voix, dit Tacite, ores qu’il leur fust permis d’auoir estats & offices honorables en Rome.& ceux d’Autun furent les premiers qui eurent priuilege d’estre Senateurs Romains, & s’appelloient freres des Romains. Combien que les Auuergnats prenoient aussi ceste qualite, comme estans extraits des Troyens, ainsi que dit Lucan. Or il est sans doubte, que les colonies Romaines estoient vrais & naturels bourgeois extraits de sang des Romains, vsans [*](Liuius lib.23.24.35.Gell.lib.16.cap.15.) de mesmes loix, magistrats, & coustumes, qui est la vraye marque de citoyen. Mais plus les colonies estoient esloignees de Rome, moins elles sentoient la splendeur & clarte de Soleil, & des honneurs qui estoient departis aux bourgeois & habitans de Rome: de sorte que les habitans de Lyon, Vienne, & Narbonne, colonies Romaines, se sentoient vien heureux d’auoir obtenu les priuileges des Italiens, qui estoient d’anciennete alliez & confederez des Romains, ioüssans du droit de bourgeoisie honorable, sans toutefois changer ny de loix, ny de coustumes, ny perdre vn poinct de leur liberte. & pour gaigner ce priuilege, la guerre sociale fut iuree par les Italiens alliez contre la ville de Rome, qui dura iusques a la loy Iulia [*](Appian. lib. 1. emphy.1.Plutar.in Sylla.) de la cite, qui leur fut ottroyee.car entre les villes d’Italie, il y en auoit de citoyens, d’alliez, de Latins, tous differens: [*](lib.26.) c’est pourquoy dit Tite Liue: Iam inde morem Romanis colendi socios, ex quibus alios in ciuitatem atque aequum ius accepissent: alios in ea fortuna haberent vt socij esse quam ciues mallent. & mesmes les afranchis qu’on appelloit Latins Iunians, estoient bien sugets & citoyens, hotsmis qu’ils ne pouuoient disposer de leurs biens [*](lege Iunia Norbana.). C’est pourquoy en la harangue de l’Empereur Tibere, qui est en Tacite, & grauee en branze a Lyon, nous lisons ces mots: Quid ergo? non Italicus Senator prouinciali potior est? comme s’il vouloit dire qu’ils sont egaux. Aussi Tibere l’Empereur [*](Tacit.lib.X1.) osta le droit d’auoir estats & offices aux Gauois, qui auoient obtenu droit de bourgeoisie Romaine. A ce
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que i’ay dit ce doit rapporter le dire de Pline: L’Espaigne, dit il, a quatre cens soixante & dix villes, c’est a scauoir douze colonies, treize de bourgeois Romains, quarante sept qui ont le droit des Latins, quatre alliees, six franches, & deux cens soixante tributaires. Et combien que les Latins fussent si estroitement alliez des Romains qu’ils sembloient citoyens, si est-ce toutefois qu’ils ne l’estoient pas: & pour ceste cause Ciceron disoit, Nihil acerbius socios Latinos ferre solitos esse, quam id, quod perraro accidit, a consulibus iuber ex vrbe exere. car quant aux autres estrangers souuent on les chassoit, comme il se fist par la loy Papia, ainsi que nous lisons en Dion. Brief, de tous les priuileges & prerogatiues des bourgeois Romains, il ne s’en trouue quasi qu’vn qui fust commun a tous, c’est a scauoir que les magistrats & gouuerneurs ne pouuoient prendre cognoissance des causes d’vn citoyen, quand il y alloit d l’honneur, ou de la vie, & mesmement s’il y auoit appel intergette du citoyen au peuple Romain, ou a l’Empereur, encores que les gouuerneurs des prouinces eussent [*](I. imperium. de iurisdict.) haute iusice, moyenne, & basse, sur tous les sugets des prouinces. Et quant a ceste prerogatiue elle fut ottroyee a tous citoyens Romains deslors que le peuple Romain donna la chasse aux Roys par la loy Iunia [*](Liui.lib.2.1 a Publio Marco & Lucio Valeriis Liuius lib.2.7.10.) loy sacree, & depuis souuent republiee & renouuellee par les loix 1 Valeriennes, & par la loy Sempronia [*](Cicero pro domo sua & pro Rabirio perduell.) & Portia tribunitia: pour obuier aux entreprises des magistrats & gouuerneurs, qui entreprenoient sus la iurisdiction du peuple, & passoient souuent par dessus l’appel [*](Cicero actione in Verrem.1.4.7.Valer.max.lib.8.) sans y deferer. mais Ciceron ayant contreuenu fut banni, ses biens declairez acquis & confisquez a la Republique, & sa maison bruslee, estimee, cinquante mille escus, ou il fut basti vn temple de liberte par arrest du peuple donne par defaux & contumaces. Ce qui deslors en auant les magistrats plus auisez. C’est pourquoy Pline le ieune gouuerneur d’Asie, escriuant [*](lib.10.epistol.) a Traian l’Empereur des assemblees de Chrestiens, qui se faisoient la nuict au ressort de sa iurisdiction, I’en ay, dit-il, plusiuers en prison, entre lesquels il y en a de citoyens Romains, que i’ay mis a part pour les enuoyera Rome. & lors que saint Paul fut tire en iustice, comme seditieux, & troublant le repos public, si tost qu’il apperceut que le gouuerneur Felix vouloit entrer en cognoissance de cause, il demanda son renuoy a l’Empereur, remonstrant qu’il estoit bourgeois Romain, parce que son pere, de la lignee de Beniamin, & natif de Tharse en Caramanie, auoit acquis droit de bourgeoisie Romaine. Le gouuerneur aussi tost se departit de la cognoissance, & l’enuoya a Rome disant, on pouuoit absoudre cest homme ici a pur & a plein, s’il n’eust decline ma iurisdiction. autrement s’il n’eust este bourgeois Romain, le gouuerneur luy eust fait son proces, veu que la Palestine estoit au parauant reduite en forme de prouince: comme en cas parcil Ponce Pilate ayant le mesme gouuernement, futu contraint de condemner Iesus Christ, comme suget de prouince & tributaire, combien qu’il
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ne cherchast qu’a s’en lauer les mains, s’il eust peu en ce faisant euiter le crime de lese Maieste qu’on luy mettoit a sus: & pour s’en iustifier il enuoya le proces a Tibere l’Empereur, comme dit Tertulian. Et si les magistrats municipaux eussent eu haute iustice, ils ne l’eussent pas renuo ye au gouuerneur, criant qu’il auoit merite la mort, mais qu’ils n’auoient pas puissance de luy faire son proces: carles magistrats municipaux des prouinces n’auoient aucune iurisdiction, hormis que de mettre en saisine pour le danger [*](I.1.I. dies.§. duas de damno infecto.I.iubere cauere de iurisdict. I. eaquae ad municipal.) eminent, & de receuoir les cautions, & quelquefois establir tuteurs aux [*](I. in ius dandi. de tutor. dat.) pauures orphelins. mais ils n’auoient aucune cognoissance criminelle, ny sus le bourgeois Romain, ny sus le suget de prouince, ny sus l’estranger, ny sus les afranchis, ains seulement sus les esclaues, qu’ils pouuoient [*](I.magistratibus. de iurisdic. om. iudic.) condamner aux verges pour le plus. Car quant a la iurisdiction qui fut donne aux defenseurs des villes, ils furent establis par Valentinian [*](I.1.de defensorib. ciuitat.C.), trois cens cinquante ans apres: de sorte que la iurisdiction vniuerselle [*](I.solent.I. si quid erit. I penul.& vlt.de off.proconsul.) appartenoit au gouuerneur de prouince, ou a ses lieutenans, priuatiuement a tous autres: & ceux-la s’abusent grandement, qui pensent, que les prestres & Pontifes de Iudee pour leur qualite de prestrise firent conscience de condamner Iesus Christ a mort: & sur cela ont conculd que les gens d’Eglise ne doiuent donner iugement qui porte execution de sang. Car au parauant que la Palestine fust reduite en forme de prouince, il n’y auoit que le Senat des Iuifs de LXXI. compose en partie de prestres & Leuites, qui euseent la condamnation de mort, comme l’interprete Caldaen [*](in cap.5. Hieremiae.) monstre euidemment, & encores mieux les Pandectes des Hebrieux [*](titulo Sanedrin. & Paulus Riccius de agricultura caelesti & rabi Moses lib.3. nemore haneuoquim.). Voila donc le plus grand priuilege propre aux bourgeois Romains, & duquel tous citoyens Romains ioüissoient. Les autres sugets des Romains, qui n’auoient pas ce priuilege, n’estoient pas appellez citoyens: mais il ne s’ensuit pas qu’ils ne fussent citoyens a parler proprement, & selon la vraye signification de citoyen. Car il faut qu’ils fussent citoyens, ou estrangers, ou alliez, ou ennemis, puis qu’ils n’estoient pas esclaues. on ne peut dire qu’ils fussent alliez, attendu qu’il n’y auoit queles peuples libres, & qui gouuernoient leur estat qu’on appellast alliez: on ne peut dire aussi qu’ils fussent ennemis, ny estrangers, veu qu’ils estoient sugets obeissans, & qui plus est tributaires a l’Empire Romain. Il faut donc conclure qu’ils estoient citoyens. car ce seroit chose bien absurde de dire, que le suget naturel en son pays, & soubs l’obeissancen de son prince souuerain fust estranger. C’est pourquoy nous auons dit, que le citoyen est le franc suget tenant de la souuerainete d’autruy. Mais les prerogatiues & priuileges qu’auoient les vns plus que les autres, faisoient qu’on appelloit les vns citoyens, les autres tributaires. Encores lisons nous, que l’Empereur Auguste estoit si ialoux des priuileges, qu’il ne voulut [*](Tranquil. in Augusto.) onques donner droit de bourgeoise a vn Gaulois, quelque priere que luy en fist sa femme Liuia, bien qu’il l’afranchist de payer
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tailles, & trouua fort mauuais, que son oncle Cesar[*]( Tranquil. iu Iulio.) donna le droit de i bourgeoise à vne legion de Gaulois., qu’il auoit surnommee l'Alouette, & à tous les habitans de Nouocomme: & blasmoit aussi Marc Antoine d'auoir vendu à pris d’argent le droit de bourgeoisie aux habitans de Sicile. Toutesfois ses successeurs n’en furent pas si soigneux: & de fait Antonin le Piteux par vn edit general[*]( l. in orbe de statu hom.1. roma ad municipal.) qu’il fist, ottroya à tous sugets de l’Empire, droit de bourgeoisie Romaine: suiuant l'exemple d’Alexandre le grand qui estimoit toute la terre vne cité, & son camp la forteresse d’icelle. & neantmoins les vns auoient tousiours quelques priuileges plus que les autres, comme nous lisons aux loix des[*]( l.2. & toto tit. de censib.) Romains. Car mesme nous trouuons que l'Empereur Seuere apres Antonin plus de cinquante[*]( Dio Cassius.) ans, fut le premier qui donna le priuilege aux Alexandrins de pouuoir estre Senateurs Romains: & auparauant Antonin les Ægytiens ne pouuoient obtenir droit de bourgeoisie Romaine, s'ils n’auoient esté bourgeois d’Alexandrie.[*]( Plin.lib.10.epist.6.) qui est bien pour monstrer que les priuileges ne font pas que le suget soit plus ou moins citoyen. car il n’y a Republique où le bourgeois ayt tant de priuileges, qu’il ne foie aussi suget à quelque charge, comme les nobles sont bien exempts des tailles, mais ils sont sugets à prendre lés armes pour la defense des autres, au prix de leurs biens, de leur sang, & de leur vie. Et si les prerogatiues & priuileges que les vns ont par dessus les autres, faisoient le citoyen: les estrangers, & les alliez seroient citoyens: car bien souuent on donne aux estrangers, & aux alliez le droit de bourgeoisie par honneur, & sans aucune sugetion: comme Ie Roy Loys xj. fut le premier des Roys de France qui fut bourgeois de Suisse. & le Roy de Perse donna droit de bourgeoisie à7 Pelopidas, & à toute sa lignee traittant alliance auec luy. Ies 1 Atheniens firent Euagoras Roy de Cypre, & Denys de Syracuse tyran de Sicile, & les Roys d’Asie Antigonus & Demetrius, bourgeois d’Athenes. Et qui plus est les Atheniens donnèrent à tous les Rhodiots droit de bourgeoisie: &les Rhodiots firent aussi tous les Atheniens leurs bourgeois, comme nous lisons en Tite Liue: & cela s'appelle traitté de combourgeoisie: comme le traitté fait l’an M. D. XXVIII. entre les Valesiens, & les cinq petits Cantons: & entre les Cantons de Berne & de Fribourg, l’an m. d. v. qui emporte honneur, amitié., alliance, sans aucune sugetion des vns aux autres; mais il est de tel effect que le suget des vns, peut aller sans congé demeurer au pays des autres, & iouyr des priuileges de bourgeois sans lettres de naturalité. & mesmes les Corinthiens qui n’auoient rien que l’encoulure de la Moree, firent Alexandre le grand leur bourgeois, disans qu’ils n’auoient iamais fait cest honneur que à Hercules. & toutesfois il'est bien certain que ces Roys là n'estoient pas sugets des Atheniens: de forte que le droit de bourgeoisie n'estoit qu’vn titre d’honneur. Puis donc qu’il est impossible qu'vne mesme personne soit estranger, ou allié, & citoyen, il faut
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bien dire que les priuileges ne font pas le citoyen, mais l’obligation mutuelle du souuerain au suget, auquel, pour la foy, & obeissance qu'il reçoit, il doit iustice, conseil, confort, ayde, & protection: ce qui n’est point deu aux estrangers. Mais dira quel qu’vn, comment se peut-il faire, que les alliez des Romains, & autres peuples gouuernâs leur estat. fussent citoyens Romains ( comme ceux de Marseille, & d’Austun en ce Royaume) veu que Ciceron au plaidoyé de Cornélius Balbus dit en s’escriant, Oles beaux droits des bourgeois Romains! que personne ne puisse estre bourgeois de Rome, & d'vne autre cité: que personne ne puisse estre bouté hors, ny retenu par force en nostre cité: s'esbahyssant comme les Grecs soufroient qu'on peust estre bourgeois de plusieurs citez. Quant à ce qu’il dit des Grecs, laloy de Solon estoit lors abolie, qui ne vouloit pas que l’estranger eust droit de[*]( Plutar. in Solone.) bourgeoisie en Athenes, s’il n’estoit banni de son pays: ce que fist Solon, comme il est vray-semblable, assin que nul ne iouist des priuileges de bourgeoisie, qui fust suget à la souueraineté d’autruy, à quoy Plutarque qui s'esbahist de ceste loy n’a pas pris garde. Aussi trouuons nous plusieurs bourgeois d’Athenes estrangers, & qui n’estoient pas bannis, comme i'ay remarqué cy dessus: & mesmes Pomponius Atticus, duquel sont issus trois[*]( Seneca in epist.ad Lucilium.) Empereurs Romains, refusa le droit de bourgeoise luy estant presenté par les[*]( Cornellius Nepos in Attici vita.) Athéniens, craignant comme on disoit, perdre le droit de bourgeoisie Romaine, ce qui est bien vray pour le regard des vrays sugets & citoyens, & non pas des bourgeois d’honneur, qui ne sont point sugets: ny des citoyens de plusieurs citez sous vn mesme Prince, chose qui estoit permise de droit[*]( l.eius. ad municip.) commun. Car combien qu'vn esclaue puisse estre à plusieurs maistres, & vn vassal à plusieurs seigneurs égaux tenans d’autruy: si est-ce qu’il ne se peut faire qu’vn mesme citoyen soit suget de plusieurs Princes souuerains, s'ils n’en demeurent d’accord. car ceux cy ne font pointsugets aux loix, comme les seigneurs tenans d’autruy, & les maistres d’vn esclaue, qui sont contraints s'accorder, pour le regard du seruice que l’esclaue leur doit, ou le[*]( l. 2 de iis qui sunt sui vel alieni iuris.) vendre. Qui est vn poinct pour lequel nous voyons souuent la guerre entre les Princes voisins, pour les sugets des frontieres, qui s'aduoüent tantost de l’vn, tantost de l’autre, & ne sçauent auquel obeir: & bien souuent s'exemptent de l’obeissance de tous deux: & ordinairement sont inuadez & pillez des vns & des autres: comme le pays de Walachie qu’ils appellent Moldauie s'estant exempté de l’obeissance des Polognois, a esté assugeti des Turcs: & depuis s'est remis en la sugetion des Roys de Pologne en payant neantmoins tribut au Turc: comme i’ày apris des lettres de Sranislaus Rosdrazeroski, enuoyees au Connestable de France en date du XVII. Aoust M.D.LIII. Toutesfois il y a plusieurs peuples sus les frontieres qui se sont a franchis durant les querelles des Princes, comme il est aduenu au bas pays du Liège, de Lorraine, & de Bourgogne, où il y a plus de douze sugets du Roy
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de Francc ou de l’Empire ou d’Hespagne qui ont empiété la souueraineté: entre lesquels'Empereur Charles V. mettoit leDuc deBoüillon, qu’il appelloit son vassal: & par ce qu’il estoit son prisonnier l’an M.D.LVI. au traitéfait pour ladeliurance desprisonniers, il demandoitcentmilliures derançon, parcequ'ilse disoit souuerain. Mais il yen a bien d’autres que le Duc de Bouillon: & sans aller plus loin quesus les marches de Bourgongne il y en a six, qui tiennent lepays qu’on appelle de surseance, duquel on ne s'est peu accorder. & en Lorraine la terre & seigneurie de Lumes: ce qui est aussi aduenu sus les frontieres d’Escosse & d’Angleterre, où les particuliers se sont faits souuerain depuis XX. ou XXX. ans contre les anciens traitiez. Car pour obuier à telles entreprises, les AngIois& Escossois ont accordé de toute ancienneté quelesdebats, c'est à dire, certain pays aiusi appelle sus lesfrontieres des deux Royaumes, qui a cinqlieues de long, & deux lieues de large, ne sera labouré, ny basti, ny habité. mais bien qu’il fera permis aux deux peuples d’y mener paistre leur bestail, à la charge que si apres le Soleil couchant, ou deuant le Soleil leuant il se trouue aucun bestail, il sera à celuy quiletrouuera. c'est l’vn des articles arrestezauxestats d’Escosse tenus l’an M.D.L. & enuoyez au Roy Henry pour y estre par luy pourueu. Mais quand les seigneurs souuerain demeurét d’accord, comme les Suisses du pays de Lugan, & autres terres qui appartiennenten commun à tous les seigneurs des ligues, ou ils enuoient leurs officiers chacun Canton en son tour, alors les sugets ne sont pas reputez sugets de plusieurs souuerains, ains d’vn seul qui comande en son ordre. si ce n est que les vns vueillent entreprendre fus les autres: comme il s'emeut vne sedition entre les sept Cantons catholiques, &les quatre protestans l’an 1554. les catholiques vouloient chastierles habitans de Lugan &Louuerts, qui se departoient de l’Eglise catholique: les protestans l’empeschoient,& ia estoient suslepoinct de prendre les armes les vns contre les autres, si les Cantons de Glaris, & d’Apanzel, qui soufroient les catholiques & protestans, ensemble l’Ambassadeur du Roy de France ne fussentinteruenus. Or le bourgeois & sugetpour le tout d’vn Prince souuerain, ne peut estre que bourgeois d’honneur d'vne autre seigneurie. Par ainsi quand nous lisons que le Roy Edouart premier, donna droit de bourgeoisieaux habitas de basseBretaigne, cela s'entend pouriouyr des libertez, exemptions, & franchises dont iouïssoient ceux du pays, autant dirons nous des Bernois, & des habitans. de Geneue, qui Rappellent par les traittez d’alliance egale, &. parlettrescombourgeois. Car quant à ce que dit Ciceron qu’il estoit en la, puissance du bourgeois Romain de quitter fa bourgeoisie, pour estrecitoyen d’autruy, cela estoit de toute ancienneté, & tout certain par les loix des[*]( l.5. de captiuis. l. in bello. priu. eod. l. nihil interest. eod.) Romains, &presque tousiours a lieu es Republiques populaires, où chacun bourgeois, non seulementa part aux offices, ains aussiàla souuerainete: comme en Rome& en Athenes, où il estoit aisément permis de quitter le
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driot de bourgeoisie: & ne se pouuoit ottroyer en Athenes[*]( Demosthen. contra Eubulidem.) à l'estranger, s'il n'y auoit six mil citoyens qui l'eussent accordé balotant à[*]( id est, Greek Text siue occultis sufragiis. ) couuert. mais aux pays tyrannisez, ou par trop sugets, ou mal-plaisans & infertiles, comme en Tartarie & Mosccouie, non seulement les sugets ains aussi les estrangers pepuis qu'ils y ont mis le pied n'en[*]( Sigismudus liber Baro ab Herbestein in historia Moschouiae.) peuuent sortir. ce qui est aussi pratiqué en AEthiopie, si on cognoist que l'estranger soit homme d'esprit, on le retient par biensfaits, ou bien par force s'il veut s'absenter, au lieu qu'il faut achapter bien cherement, ou meriter ce droit à Venise, & autres Republiques franches. Mais quoy que die Ciceron qu'il ne fust point defendu de quitter la sugetion des Romains, & aller autre part, cela ne fait pas qu'il ne soit en la puissance de touts seigneurs souuerains retenir leurs sugets, & les empescher de sortir de leur obeissance. Aussi voyons nous en tous les traittez de paix ou d'alliance, ceste clause ordinaire, que les Princes ne receuront les sugets, & vassaux les vns de autres en leur protection, bourgeoisie, ou priuileges sans leur consentement expres: qui est conforme à la lause ancienne raportee par Ciceron, "Ne quis foederatorum à populo Romano ciuis recuperetur, nisi is populus fundus factus esset: id est, auctor." Et combien que la maison de France & les seigneurs de ligues soient estroittement alliez, toutesfois le traitté d'alliance fait l'an M.D.XX. por e la clause que i'ay dit. Et le septiesme article du traitté fait entre le Duc de Sauoye & les cinq petis Canotns M.D.LIX. si ceux qui demanderoient bourgeoisie d'autruy, ne vouloient demeurer en son pays demeurant ses biens sugets comme auparauant. Et outre les traittez il n'y a Prince qui n'en face ordonnance. Et bien souuent le suget n'oseroit seulement sortir du pays sans congé, comme en Angleterre, Escosse, Dannmarch, & Suede, les nobles n'oseroient s'absenter du pays sans congé, s'ils ne veulent perdre leurs biens. comme il fut aussi defenu par l'Empereur[*]( Tranquil. in Augusto.) Auguste à tous Senateurs de sortir d'Italie sans son congé, & fut tousioùrs gardé bien estroittement. Et par les ordonnances d'Espagne, il est defendu de passer aux Indes Occidentales sans le congé du Roy d'Espagne. ce qui fut aussi anciennement defendu en Carthage, quand le capitaine Hannon eut descouuert les Isles de Maderes. Et par les ordonnances de Milan, il n'est permis à suget quelconque receuoir driot de bourgeoisie, ou traitter alliance, ou ligue auec les autres Princes & Republiques, sans expres congé du Senat de Milan. Et qui plus est, on voit souuent qu'il n'est pas seulement permis de changer son domicile, encores qu'on ne sorte point de la seigneurie & obeissance du Prince souuerain. comme au duché de Milan, le suget venant demeurer en la ville de Milan banlieuë de Milan, doit obtenir lettres, & payer trois ducats. Aussi nous[*]( Plin lib.10.episto. 84.& 117.) trouuons qu'il fut defendu aux Bithyniens sugets des Romains receuoir les autres sugets en leur ville, ny leur donner droit de bourgeoisie: comme il se faisoit souuent pour decliner la iurisdicion, ou pour frauder les droits des
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tailles & imposts: au quel cas la loy[*]( l. vlt. de municip. & origin.C.) veut, que celuy qui a changé de domicile, porte les charges en deux lieux. ce qui fut aussi ordonné parles Roys Philippe le[*]( l'an 1302.) le Bel,[*]( l'an 1351.) Iean, [*]( Gallus parto 4.) Charles v. & Charles vij. Mais bien l'ordonnance de Philippe le[*]( 1328.) le long, veut que le Preuost ou Baillif du lieu assisté de trois bourgeois, soit contraint receuoir quiconque voudra des sugets du Roy au droit de bourgeoisie, pourueu que dedans l'an * iour il achepte vne maison du prix de LX. sols parisis pour le moins, & qu'on le signifie par vn sergent au seigneur duquel il est iusticiable, & qu'il demeure au lieu où il aura esté receu bourgeois depuis la Toussaints iusques à la sainct Iean, en payant autant de taille qu'il payoit auparauant qu'il eust changé, iusques à ce qu'il se departe de la nouuelle bourgoisie, & sans decliner la iurisdiction pour les procés intentez trois mois auparauant. Mais quoy qu'il soit permis aux sugets de changer le domicile, si est ce qu'il ne peuuent[*]( l.I. 2. l.ciues l assumptio ad l.municipal.) renoncer au pays de leur naussance: & beaucoup moins les censiers de main[*]( ascripti glebae.) morte, qui ne pouuoient[*]( authent. de mandatis princip. § suscipientes l. incola ad l. municipalem. Bald in titul. de maioritate & obedient.) anciennement changer leur domicile, sans priuilege special. Et generalement on peut dire en termes[*]( l.I l.originem de municipibus & originar. C.l. assumptio ad municipal. Alexand. consil. 110. lib.3.) de droit, que la bourgeoisie n'est point perdue, ny la puissance du Prince sur son suget, pour changer de place ou de pays: non plus que le vassal ne se peut exempter de la foy de son seigneur, par le droit de fiefs, ny le seigneur quitter la protection du vassal, sans le sonsentment[*]( decision. capel. Tolosan.485.) l'vn de l'autre, estant l'obligation mutuelle & reciproque, s'il n'y a iuste occasion. Mais si l'vn ou l'autre a presté consentement expres, ou taisible, & que le suget quittant son Prince soit aduoüé d'vn autre par la souffrance du premier, il n'est[*]( Iserui in cap. I. qualiter vassal. iurare.) plus tenu de l'obeissance qu'il luy deuoit. Car bien souuent les princes attirent les estrangers en leur pays à force de priuileges, soit pour fortifier & peupler leur pays soit pour affoiblir leurs voisins, soit pour gaigner les gentils esprits, soit pour l'honneur & gloire des villes nouuellement basties. comme fist Theseus le premier, ottroyant droit de bourgeoisie à tous estrangers qui viendroient demeurer en Athenes: & Alexandre le grand, ayant fondé la ville Alexandrie, ottroya de grands priuilegesà tous[*]( Ioseph. lib.3.belli iudaici.) habitans, & en peu d'annees elle fut l'vne des plus belles & fleurissantes villes du monde. le Roy François le grand ayant basti le Haure de Grace aussi tost leremplit d'habitans, qui regorgent maintenant pour l'exemption de charges qu'il donna. Aussi voyons nous la ville de Londre abonder en peuple, & remplie de marchans & d'artisans, pour le priviolege que donna Richard Roy d'Angleterre à tous estrangers, qui y auroient demeuré dix ans, de iouyr des priuileges de bourgeois. Qui est vne ordonnance commune en Suisse, & presuqe en toutes les villes d'Alemagne conforme au droit[*]( l.ciues de incolis.) commun. Vray est qu'il y a plus ou moins de temps és vnes, qu és autres, sselon la commodité du lieu, ou la grandeur de priuileges: comme à Venise pour obtnit les priuileges de simple citadin,(sans autrement auoir part aux estats, hormis à quelques menus offices) il faut auoir demeuré XIIII. ans dedans la ville.
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A Ferrare il faut auoir habité dix ans au pays, &porté les charges des citoyens. Encores ne sufist il pas d auoir demeuré au pays d’autruy le temps prefix par les coustumes, pour acquerir droit de bourgeoisie, si l'estranger ne demande Ie droit de bourgeoisie,&qu'on le[*]( l. domincilium.ad municipal.) reçoiue. car il se peut faire que l'estranger ne voudroitpour chose quelconque changerde prince, encores que ses affaires le retiennent hors de son pays. Combien que[*]( Bald. in l. 2. de legat C. Bart. in l.1. de regula Cato. Castrensis in l. cætera. de legat. 1. argu.l.3§. quando de iure fisci. Alex. consil. 29. lib.4. & consil. 31. lib.5.) plusieurs sont d’auis, qu’ayant demeuré le temps prefix au pays d’autruy, sans auoir obtenu lettres de naturalité, qu'il est capable des laiz testamentaires, ce. qu'ils accordent pour la faueur des testaments, &mesmement des laiz[*]( l.eam quam. de fidei commiss. C l. proxime. de iis quæ in testamento de.) pitoyables faits aux. pauures estrangers, qui font tousiours autant recommandez que les veusues & orphelins: mais pour acquerir plein droit, &priuilege de bourgeois, il ne sufist pas d'auoir demeuré le temps porté par les ordonnances, si on n’a demandé, & obtenu lettres de naturalité. Car tout ainsiquela donation ne vaut rien si le donateur n'apresenté, & le donataire accepté l’offre à luy faite: aussi l'estranger n’est point citoyen ny suget du Prince estranger, s'il n’a receu le benefice du Prince estranger, & demeure tousiours suget de son Prince naturel: & en cas semblable si on l’a refusé. Ce fut la raison pourquoy le Consul Mancin qui fist la paix auec les Numantins, & les capitaines qui traitterent aussi auec les Samnites, estans preièntez par les Herauts d’armes aux ennemis, & par eux refusez, s'en retournerent à Rome: ou il y eut grand debat, & plusieurs disþutes, qui ne sont pas encores bien resolues, pour la diversité des opinions differentes[*]( l.vlt. de legationib. ff.) de Brutus, & de Scaeuola. Car lors que le Consul fut rentré au Senat, le Tribun du peuple le fist sortir: mais en fin le Sénat declaira par son arrest, qu’il n’auoit perdu le droit de bourgeois Romain, estant refusé des ennemis: combien qu'a la verité[*]( de l. 4. vbi inepta est lectio Florentini libri quod satis intelligitur ex l. vlt. de legation.& ex Cicerone in topic.) il fust non seulement priué du droit de citoyen, ains aussifaitesclaue des ennemis par arrest du peuple, pour auoir sans son congé capitulé, & traictéla paix auec les ennemis: & falloit qu’il fust restitué par le peuple.[*]( Le citoyen liuré aux ennemis, s'il n'est receu, il ne perd point la cité.) Toutesfois la plus doulce opinion interpreta quelapriuationestoitconditionnelle, au cas qu’il fust receu des ennemis. Si donc l'estranger ne perd pointle droit de bourgeoisie quand il s'est aduoué d'vn autre Prince, & qu’il a esté refusé, moins leperdraceluy qui ne l’a pas requis., &lors qu’il a esté offert a esté refusé: & beaucoup moins f'il n’a point esté presenté au Prince estranger,&n’a requis de luy lettres de naturalité, mais seulement a demeuré en son pays comme estranger l’espace de temps prefix par l'ordonnance. Qui est pour decider la difficulté que fist le Sénat[*]( Mathæ. affict. decis. neapoll. 384.) de Naples,& n'en resolut rien, à sçauoir, si celuy qui auoit demouré toute sa vie en pays estranger, deuoit iouyr des droits de bourgeoisie en son pays. Plusieurs[*]( Bal. in l. 2. de infantibus liberis. C. & in l. 2. de statu hom. ) ont tranché court qu’il n’en doit iouyr: disant qu’il faut auoir esgard au lieu du domicile: mais ie serois d'aduis, si mes aduisauoientlieu, que
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cestuy-là doibt iouyr du priuilege de bourgeoisie, f'il n’y a renoncé expressement, ou qu’il y eustactes contraires au suget naturel: &ne suis pas[*]( Bartol. in l.1. de liberis agnoscend ff.) seulde cest aduis. les aictes contraires sont le bannissement perpetuel, ou le refus d’obeir à son Prince, estant somme: ou fil obtient lettres de naturalité d'vn Prince estranger, attendu que le consentementtaisible, n’est point estimé consentement[*]( dd in cap. qui tacet de regul lib 6 & in l. 2.§. qui tacuit. de interrogat. actio. & in l. cum ostendimus de fide iussor.) en chosepreiudiciable fil n’est expres, quand autrement on peut interpreter la volonté de celuy qui ne l'a point declaree. C’est pourquoy le Parlement de Bordeaux iugea qu'vn Espagnol fils d'vn François suget naturel, deuoit iouyr du droit de bourgeoisie sans lettres de naturalité.[*]( ex l.assumptio. ad municipalem.) Mais si l'estranger qui a obtenu lettres de naturalité hors son pays n’y veut demeurerai perd le droit qu’il y pretend: car la fiction double n’est pas receue en droit. Et pour ceste cause le Roy Loys XII. debouta du droit de bourgeoisie tous estrangers, qui auoient obtenu lettres de luy, & s'estoient retirez hors du Royaume. Aussi par les coustumes, & mesmes de Champagne, & par les edicts[*]( de l'an 1303. 1351. 1355.) il faut demeurer le temps prefix en ce Royaume, & obtenir lettres, & payer finances. Ces raisons monstrent la différence qu’il y a non feulement entre le citoyen, & celuy qui ne l’est pas, ains aussi des citoyens entre-eux: & que si nous suiuions la variété des priuileges pour iugerla definition du citoyen, il se trouueroit cinquante mil définitions de citoyen: pour la diuersité infinie de prerogatiues que les citoyens ont les vns fur les autres, & sus les estrangers.[*]( Difference des sugets aux estrangers.) Et mesmes il ie trouueroit que l estranger enplusieurs lieux seroit plus vray citoyen que le suget naturel: comme à Florence plusieurs habitans presenterent requestes au nouueau Duc, pour estre estimez, & reputez comme estrangers, pour la liberté des estrangers, & sugetion des citoyens. Et neantmoins il y en a de si priuilegiez par dessus les autres, que pour vne fois le Duc receut cinquante mil escus, pour cinquante bourgeois quil fist: en quoy ilvsad’vntourde maistre, croissant sapuissance d’autant de fideles sugets, & rauallant celle des coniurez contre luy, auec vne bonne somme de deniers qu’il eut. Ainsi firent lesVenitiensappauuris par les victoires des Geneuois, & craignansla rebellion de plusieurs sugets àpeude seigneurs, vendirent[*]( Sabellicus.) le droit de gentilhomme Venitien à trois cens Citadins, pour s'appuyer de leurs biens, de leur force, & de leur conseil. C’est donc la recognoissance, & obeissance du franc suget enuers son Prince souuerain, & la tuition, iustice, & défense du Prince enuers le suget qui fait le citoyen: qui est la différence essentielle du bourgeois à l'estranger. les autres différences font casuelles, & accidentaires: comme d’auoir parta tous, ou a certains offices, & benefices, desquelsl'estranger est debouté quasi en toute République. Quant aux offices il est bien certain: mais quant aux benefices, encores que les Papes y ayentlong temps resiste, pour en départir à qui bon leur sembloit, si est-ce que tous les princes, chacun en son ressort, s'en font à croire: & principale
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ment les pays de reduction: comme la France. car les paysd'obedience, comme l’Espagne, l'a obtenu par la bulle[*]( Bald. consil. 46. lib.1.) de Sixte Pape. Etmesme à Boulongne la grasse, où le Pape est seigneur souuerain, les offices & benefices ne sont donnez[*]( Barbat. consil. 23.) qu’aux habitans & sugets naturels. le semblable sefaitentoutela seigneuriedeVenize. LesSuissesn’y ont pas procédé par concordats, mais par l’abscheid fait aux estats généraux l'an M. D.XX. il fut arresté que les magistrats mettroient en prison les conratiers deRome auec leurs bulles & mandats apostoliques, qu’ilsauoient pour en frustrer les sugets pourueuspar l’ordinaire. Quant aux Polaques leurs ordonnances en font pleines depuis Casimir le grand[*]( in statutis Poloniæ.) iusques à Sigismond Auguste: à quoy les Alemans ausssi ont donné bon ordre par leurs concordats: qui fut la cause que les maistre, escheuin & treize de la ville de Mets, se plaignirent par lettres du moys de Mars M. D. LXIII. que la ville de Mets estoit comprise aux concordats d’Allemaigne, & que le Roy ne deuoit souffrirles courtisansde Rome venir prendre possession des benefices de Mets, pour en exclure les sugets pourueus par l’ordinaire. L'autre priuilege des citoyens est, qu’ils font exempts de plusìeurs charges que l'estranger est contraint[*]( Bald. in l. quod fauore. de legib. Alexan. consil.103. lib.2.) porter. comme anciennement enAthenes les estrangers payoient le droit de domicile,[*]( Demonsthenes contra Neæram Greek Text vocat.) & les bourgeois estoient afranchis de tous imposts. Mais le plus notable priuilege que le citoyen apar dessusl'estranger est, qu’il a pouuoir defaire testament, & disposer de ses biens felon les coustumes: ou bien laisser ses proches parens heritiers: l'estrangern’any l’vn ny l’autre, & ses biens font acquis auseigneurdu lieu où il est mort. Qui[*]( Droit d'aubeine ancien & commun, aux Grecs & Latins, & aux Turcs.) n’estpointvndroit nouueauen France, comme les Italiens se pleignent, ains aussi commun au Royaume d’Angleterre, d’Efscosse,de Naples, de Sicile & à tout l’Empire d’Orient: où non seulement le grand seigneur est héritier des estrangers, ains aussi desTimariotspourlesimmeubles, & desautres sugets pour ladisme. comme anciennement en Athenes[*]( Demonsthenes contra Androtionem.)le Fisque prenoit la sixiesme partie de la successionde l'estranger, & tous les enfans de ses esclaues: & en Rome la rigueur y estoit bien plus grande, quoy que die Diodore,[*]( lib.2.) que les Ægyptiens& Romains souffroient les heritiers des estrangers, apprehender la succession: &en parle comme estranger, qui ny a pas pris garde: car il est bien certain quil n’estoit aucunement permis à l'estranger, dedisposer de ses biens, & ne pouuoit rien auoir du testament d’vn bourgeois Romain, mais le Fisque emportoit sa succession. nos loix[*]( l.1. de hæredib. institu. C. l.1.§. 2. de legat. 3. l. quidam De pœnis. 1. neque. §. 1. de militari testa.l.1.§. penul. de iis quæ non scriptis.) en sont pleines: ce que nous pouuons aussi iuger parleplaidoyéde Ciceron, lequelpourmonstrer que le poëte[*]( in oratione pro Archia.) Archias estoit bourgeois Romain, dit entre autres choies qu’il auoit disposé de ses biens par testament. & luy mesme en son fait pour donner àentendre que l’arrest de bannissement donné contre luy à la poursuitte de Claude le Tribun estoit nul. Qui est, dit-il, le bourgeois Romain qui a fait difficulté de me laisser ce qui luy a pleu par testament, sans auoir
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esgard à l'arrest de mon bannissement? Et du mesme argument auoit vsé Demosthene,[*]( contra Eubulidem.) pour monstrer que Euxithenes estoit bourgeois d’Athenes. Ses parens, dit-il, ont ils pas recueilli la succeisson de son pere qui l’auoit suruescu? Et[*]( Droit d'aubeine en Angleterre.) tout ainsi qu’en ce Royaume, & en Angleterre les seigneurs particuliers ont droit d’aubeine sus l'estranger mourant en leur territoire:aussi les bourgeois Romains, qui au oient receu les estràngers en leurprotection, emportoient leur successio par dessus le Fisque: &appelloient celàdroit d’application.[*]( Cicero ad Q. fratrem.) C’est pourquoy on disoit en Rome, quele droit de faire testament, estoit seulement permis aux bourgeois Romains. Il apert donc que ce droit d’aubeine est des plus anciens & qui a tousiours esté commun tant aux Grecs, &aux Romains, comme aux autres peuples, iusques à ce que Friderich II. Empereur y derogea par vn edit,[*]( l.omnes. communia de successio.C.) qui est bien mal executé.Car il permet à tous estrangers mouras aux enclaues de l’Empire, de disposer de leurs biens par testament: ou s'ils meurent sans tester, delaisser leurs proches parens heritiers. mais cest edit est aneanti en Italie, où ils vient de plus grande rigueur enuers les estrangers, queceuxquiont pardeça ledroit d'aubeine. Car il est permis[*](arrest Nouembre 24.1544.) à l'estranger d’aquerir en ce Royaume tous les biens, meubles, &immeubles qu’il pourra, & les vendre, donner, troquer, & en disposer par contracts faits entre vifs, ainsi qu’il voudra, & auoir pour vingt ou trente escus lettres de naturalité. mais en plusieurs villes d’Alemagne, & parla coustumegenerale de Boheme, il n’est permis à l’estranger d’auoir vn pied de terre: comme en cas pareil, en Italie ilest defendu à tous estrangers d’acquerir aucuns immeubles en proprieté: comme au Düché de Ferrare la coustume[*]( Alexand. consil. 157 lib.2.nu.12.) y est formelle. & qui plus est par la coustume de Perouze[*]( Ancharan. in cap. canonum statuta. de constit.) il est defendude transporteràl'estranger, non seulement la propriété, ains aussi la possession d’aucun immeuble. & parla coüstume de Milan,[*]( Alexand. consil. 198. lib.6.) il n’est pas seulement permis à l'estranger d’auoir l'vsufruict, ou reuenu d’aucun immeuble, sur peine de confisquer le pris, & l’heritage, auec défense aux heritiers d’espouserles estrangers, sur peine de confiscation. & mesme il n’est permis au creancier estranger prendre l’immeuble de son debteur par faute de payement, sinon à Ia charge d’en vuider[*]( constitut. Mediola. tit. de pœnis.) ses mains dedans l’an, qui contraintlescreanciers de vendre, l’heritage à non pris, mesmement si les habitans craignent, ou ayment le debteur, & par ordonnance de l’Empereur Charles V: tous estrangers font deboutez dela succession des sugets de Milan: àlaquelle ordonnant ce Iean Baptistede Plot, a donné cinquante limitations qui font mal executees. Encores[*]( Coustume de Venize.) par la coustume de Venise l’obligationfaicte à l’estranger, ne lie point l’heritier simple du fuget Venitien, sinon pour les biens du defunct, qui est contre le droit[*]( lib.1.cap.59.statut. Venet.) commun. Et parla coustume de Bresse en Italie, lafemme mariee à l'estranger, ne peuttransporter aux estrangers ses biens immeubles, ny le pris d’iceuxdirectement ou indi-1 redement. Voila le bon traitement que les estrangers ont en Italie:
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quin’a pasoccasion de se plaindre de la France, veumesmes qu’en Angleterre il n’est permis aux sugets d’hypothequer seulement leurs biens àl’estranger. & souuentles Ambassadeursn’ontplainteque pour auoir raisondes debteurs. Et mesme saux montagnes des Grisons & des Suisses, ou le pacte du Bellay dit qu’il faut confiner les Parricides, il n’est pas permis d’hypothequer sa terre. Et en tout le pays de Lituanie,[*]( Sigismondi liberi in historia Moscho.) Moschouie, & Tartarie, les biens des marchans estrangers mourans en ces pays là sontconfisquez. Et neantmoins en ce Royaume le droit d'aubeine est modere, en forte qu’il est permis[*]( Arrest du parlement de Paris, du 23. Feburier 1518.) à l'estranger mourant hors de France, disposer des biens par luy acquis en France à tiltre onereux, & laisser ses enfans nez en France heritiers, pourueu que la mere ne soit estrangere. & quant à la cause des lettres de naturalité, que les heritiers soient regnicoles, les iuges[*]( Arrest dudit parlement du 7. Mars 1531.) l’ont estedue aux estrangers demeurans en France, qui sont preferez aux plus proches demeurans hors le Royaume en la succession de l'estranger naturalité, car autrement il est requis[*]( arrests dudit parlement le 27 Aoust 1540. 1549. 1534. 1536. XI. Mars Benedic. in verbo ad elasiam. nu. 1042.) pour faire succéder les enfans de l'estranger, qu’ils soient nez en France, &d’vne bourgeoise, ou sugette naturelle. Et outre ce que i’ay dit, nos Roysvsansd'vne bonté extraordinaire, ont remis[*]( lettres patentes de Philippes de Valois 13.9. & de Charles 7. 1443.) le droit d'aubeine à tous marchans estrangers frequentans les foires de Champagne, & de Lyon: &aux marchans Anglois en Guyenne. & quant à ceux du bas pays de Henaut & d’Artois, les villes d’Amiens, Cambray, Tournay, ils n’ont iamais esté sugets aux droits d'aubeine, & par lettres[*]( anno 1406. 1482. 1497.1549.) patentes, & arrests,[*]( in libro curiæ. inscripto l. IIII. 20.15. 456. publicata sunt priuilegia ea conditione vt iisdem priuilegiis apud eos vtamus.) ils en ont tousiours esté exemptez. &mesmes les marchans des villes maritimes sus la mer Baltique, sont aussi exempts du droit d’aubeine,auec plusieurs beaux priuileges, ottroyez par Loys le ieune, confirmez par Charles VIII. verifiezen Parlement, & puis nagueres[*]( 1567.) enuoyez au sieurDanezay, Ambassadeur de France vers le Roy de Dannemarch. Vray est que. le priuilege donné aux marchans estrangers ne s'estend pas aux marchans naturalisez, comme il aesté iugé[*]( arrest 1569.) au priué conseil contre vn marchant Italien naturalité, & toutesfois par prouision seulement. les marchans estrangers n’ont pas vn seulde ces priuilegesentout l’Orient. nous auons trop d’exemples, & mesmement de la succession deCroizile marchant de Tours, qui valoitdeux cens mil escus, qui fut donnéau Bacha Hybraim. Outre ce que i’ay dit, il est permis à tous estrangers mourans hors de France, disposer par testament des biens acquis en France, qui est bien pour monstrer que les estrangers sont traittez beaucoup plus gracieusementen France, qu’ils n estoient en Grece, ny en Rome, ny en tout l’Orient. Il y a encore vne autre différence du citoyen àl’estranger, c’est à sçauoir la cession de biens, de laquelle les estrangers font deboutez:[*]( arrest du 5. Auril. & Decembre 1565.) qui est l’ancien droit des Romains:[*]( Tacit. lib.5.Tranquil. in Cæsare. l.4. qui bonis cedere poss.C.)s autrement l’estranger pourroit à son auantage sucer le sang, &la moüelle des sugets, & puis les payer en faillites: combien qu’il n’y a pas moins de banqueroutiers, quedecessionaires. Quant à la difference
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du citoyen, & de l’estranger, pour le regard de la caution du iugé que l'estranger est tenu bailler en ce Royaume, & non pas le suget par nos coustumes:[*]( Faber in §. sed hodie in institutio. de satisdation. arrest contre l'estranger du 17 May 1567.) ce n'est point difference qui ayt lieu hors ce Royaume, veu que partout ailleurs, & l’estranger, & le citoyen font tenus Bailler telle caution, suiuant le droit commun.[*]( toto titulo. qui satisdare.) & mesmes en ce Royaume le suget naturel y est contraints fil a fait cession, ou f'il vient en matiere beneficiale par droit deuolu. Mais il y a bien vne difference qui est, & a tousiours esté commune à tous peuples c'est à sçauoir, le droit de marque,[*]( Demosthenes. Greek Text vocat. in orat. contra Aristocratem. Iustinianus Greek Text constitut. 52 & 134. id est oppignerationem vt vocatur in c.1. de iniuriis & damn dato. vide Innocent in cap. olim de restitut. spoliat. Cynus in authent. habitu. ne filius prop patre C. Varro clarigationem vocat in lib. de lingue Latin.) contre les estrangers, & n'a point lieu contre les sugets:[*]( NOuel. constitut. 52. & 1 prouidendum de decution. C.) & pourc ceste cause Friderich II. Empereur r’enuoya aux estats de l’Empire ceux qui luy demandoient droit de represaillie contre les sugets de l’Empire. Et pour le faire brief l'estranger peut estre chassé hors du pays, non feulement en temps de guerre, car alors on licencie les ambassadeurs mesmes, ains aussï en temps de paix, soit pour empescher que les sugets ne soient gastez & alterez d’vn estrangier vicieux, comme Lycurgue[*]( arrest de l'an 1569. encore que ce fut en guerre ciuile.) deffendit aux sugets de sortir sans congé, & bannit l’or & l’argent pour en chasser l'estranger, comme les Indois de la Sine Orientale deffendent aux sugets de receuoir estranger sur peine de la vie: pour obuier aux entreprises que I’estranger peut faire contre I'estat d’autruy. Et si la guerre est ouuerte contre son Prince, l'estranger peut estre retenu comme ennemy, suiuant[*]( l.si quis ingenuam de captiuis.) la loy de guerre: autrement il ne doibt estre retenu, s'il n'est: obligé par contrat, ou par delict: ou qu’il se soit fait suget d’vn autre Prince sans le congé du sien: car en ce cas son Prince a tousiours droit de main-mise comme le seigneur sus l'esclaue fuitif, encores que le sugets vint par deuers luy en qualité d’Ambassadeur, comme les Ambassadeurs de Dan le tyran, que l’Empereur Theodose déclara rebelle à sa maiesté, & meit en prison ses Ambassadeurs. ce qui fut pratiqué par l’Empereur Charles v. contre d'Ambassadeur du Duc de Milan son suget, qui fur retenu prisonnier quand son maistre entra en ligue contre luy: & combien que la nouuelle estant venue en France, l’Ambassadeur d’Espagne fust mis[*]( Plutar. in Lycurgo.) prisonnier au grand Chastelet, si est-ce qu’il en fut aussi tost tiré,[*]( l. in bello §. 1. de captiuis l. l'an 1528.) quand on entendit que les Ambassadeurs, & les Herauts d armes de France, d'Angleterre, & de Venize, auoient esté mis hors d’Espagne auec sauuegarde.sans que les coalliez se ressentissent de ce que l'Empereur auoit retenu d'Ambassadeur de Milan: car combien que cela semble contraire à la loy "si quis legatus de legation." si est-ce que les Romains punissoient le suget qui s'estoit retiré aux ennemis en qualité d’ennemi.[*]( l.19.de captiuis.) Et la plus belle couuerture que les Imperiaux trouuerent pour excuser Ie meurtre fait en la personne de Rangon & Fregose, Ambassadeurs de France vers le Turc, fut que l’vn estant Espagnol suget naturel de l'Empereur, & l’autre Geneuois en sa protection, s'estoient mis au seruice de son ennemy, & le bruit estoit qu’ils alloient luy dresser nouuelle guerre, combien que l’Empereur ne voulut aduouer le meurtre, offrant faire iustice
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de ceux qui en seroient attaints, & conuaincus. Mais quoy que face le suget, il ne peut s’exempter de la puissance de son seigneur naturel ores qu’il deuint Prince souuerain au pays d’autruy, non plus que l’esclaue Barbarius[*]( l.2. de offic. prætoris.) lequel s'estant fait Præteur de Rome, fut suiui, & vindiqué par son seigneur, auec lequel il composa pour fa liberté, comme dit Suidas:[*]( l.vlt. de decret. ab ordine.l.2.& ibi Bartol. de eunuchis. Bal. in l. non solum de commercijs. C. Bartol. in l. cuntos populos.q.8.) aussi le suget en quelque lieu qu’il soit souuerain, peut, estre rappelle; comme de fait la Royne d’Angleterre rappella le Conte de Lenos, & son fils Roy d’Escosse, & pour n’auoir obey confisqua leur bien. car le suget est tenu aux ordonnances personnelles de son Prince: de sorte que s'il est interdit au suget de contracter ou d’aliener, les alienations sont nulles, encores qu’il les face au pays d’autruy, & du bien qu’il a hors le territoire de son Prince: & si Ie, mari hors son pays donne à fa femme contre la defense de son Prince, ou des coustumes de son pays, la donation est nulle:[*]( l.mercatores & ibi Bald. de commer. Alexand concil. 116. lib.6.c.tuæ cap. vlt. de clericis non resident.licet alij aliter sentiunt. ex l. si fundus de euictionib.ff.) carla puissance de lier, & obliger vn suget n'est point atachee aux lieux. Et pour ceste cause les princes ont accoustumé d’vser entre eux de commissions rogatoires, ou du droit de marque, pour faire obeir leurs sugets, ou euoquer les eau ses, & pour suites contre eux faites, sinon en cas permis de droit. Et me souuient à ce propos auoir veu lettres des seigneurs de Berne au feu Roy Henry, sur ce que la Royne d’Escosse auoit fait appeller aux requestes du Palais à Paris la Marquise de Rotelin en qualité de tutrice du Duc de Longueuille, à cause du Comte de Neuf-chastel, pour faire euoquer la cause, remonstrans que le Duc de Longueuille estoit leur bourgeois à cause de Neuf-chastel. Voila les principales differences des sugets & citoyens aux estrangers, laissant les différences particulières de chacun pays, qui sont infinies.[*]( Difference des citoyens entre eux.) Quant aux différences des sugets entre eux, il n’y en a pas moins en plusieurs lieux, qu’il y a entre les estrangers, & les sugets. I'en ay remarqué quelques vnes. des nobles aux roturiers, des maieurs aux mineurs, des hommes aux femmes, & de la qualité d’vn chacun. Et pour le faire court il se peut faire en termes de droit,[*]( l. si filij.§.senatores l. penul. de senator. Bart. in l.1.ad municipal. Oldrad.q.32.& q.74. Bal. in cap.1. de milite vassal. Castrensis consil. 292. Bertrand. consil.92.lib.2.Alexand. consil.41. lib.7.nu.4. Carol. moinæus ad notas. Alexand. eod.consil.) qu’entre les citoyens, les vns soient exempts de toutes charges, tailles, & imposts, ausqueIs les autres seront sugets. nous en auons vue infinité d'exemples[*]( l.2.de censib.toto titul. de senator.l.1. de dignitat.C.) en nos loix. comme aussi la societé est bonne[*]( l.Mutius. pro socio.ff.) & vallable, ou l’vn des associez a part au profit, & ne porte rien du dommage. C'est pour quoy nous voyons la distinction des citoyens en trois estats, à scauoir l’Ecclesiastic, la Noblesse, & le Peuple, qui est gardee presque en toute l’Europe. & outre ceste diuision generale, il y en a de plus speciales en beaucoup de Republiques, comme à Venise les gentils-hommes, les citadins, & le menu peuple: à Florence au parauant qu’elle fust reduicte soubs vn Prince, il y auoit les grans, les populaires, & le populace. Et nos anciens Gaulois auoient les Druides, les gens de cheual, & le menu peuple. En Ægypte les prestres, les gensdarmes, & les artisans, comme nous lisons en Diodore. Aussi l’ancien legislateur Hippodamus diuisa les citoyens en gensdarmes, artisans, & laboureurs: & sans
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cause a esté calomnié d’Aristote [*]( lib.2.polit.) comme nous lisons es fragmens[*]( apud Stobæum.) de ses ordonnances. Et quoy que Platon s'efforceast de faire tous les citoyens de sa Republique sgaux en tous droits & prerogatiues, si est-ce qu'il les a diuisez en trois estats, à scauoir en gardes, en gensdarmes, & laboureurs. qui est pour monstrer qu’il n’y eut onques République, soit vraye, ou imaginere, voire la plus populaire qu’on peut penser, où les citoyens soient égaux en tous droits, & prerogatiues: mais tousiours les vns ont eu plus ou moins que les autres..